Le Monde parle de wine-dinners ! mercredi, 9 octobre 2002

Dernière minute : Le Monde du 9/10 associe dans un article de Jean-Claude Ribaut le talent d’Alain Senderens avec notre approche. Cadeau ! Quel honneur !
(suite ) Comme annoncé en fin de bulletin 42, l’article du Monde a occasionné beaucoup de contacts par mail, par visite du site (plus de 1000), ou par téléphone, de la part d’amoureux du vin.

Dîner à domicile mardi, 1 octobre 2002

Pour que l’adage « le cordonnier est le plus mal chaussé » ne s’applique pas, il fallait quelque chose de grand à domicile. Un Charles Heidsick 1985. C’est beau et bien bon. Pas très marqué, bien fluide, et d’une remarquable jeunesse. Champagne de bonne soif. Un Meursault Patriarche 1942 est forcément un risque. Chance : on a un beau Meursault typé, rond et profond, et une légère madérisation qui ne gène pas. Sur une tarte aux oignons adoucis, c’est un régal. Pour une petite virée buissonnière, un Costières de Nîmes, Château de la Tuilerie, cuvée Eole 1998. Vin de fruit, avec un remarquable travail. C’est facile, mais très bien fait. A suivre. Il fallait cette petite pirouette avant Pétrus 1974. Grand vin – petite année. Mais je savais que le 1974, sans grande puissance, révèle mieux la trame de Pétrus. Complexité, raffinement justifient la réputation de ce vin d’exception. Sur un osso bucco au riz basmati, un vrai bonheur. Yquem 1991 prenait la suite. Là aussi petite année, mais c’est Yquem, le troisième en une semaine, comme j’ai bu trois Bourgognes 1947. Ce Yquem s’est nettement amélioré le lendemain. Il faut donc l’ouvrir la veille. Une incomparable Quetsche très ancienne concluait ce repas familial.
Après trois belles expériences : une entreprise qui fête ses clients, de jeunes mariés californiens qui régalent leurs amis, le petit fan club de Bipin Desai qui se réunit, le retour au bercail bouclait la boucle d’un nouveau parcours expérimental.
Il reste encore beaucoup de grands chemins …

galerie 1995 samedi, 28 septembre 2002

Château Figeac 1975. cette étiquette est tout à fait spéciale, car elle rappelle tous les millésimes que Thierry Manoncourt a vinifiés. Il y en a 50, puisqu’il fête ainsi 50 ans à la tête de son domaine.

Dîner de wine-dinners au restaurant de Guy Savoy jeudi, 26 septembre 2002

Déjeuner chez Guy Savoy Pour les amis de Bipin Desai 26 septembre 2002
Bulletin 42

Champagne « maison »
Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1979
Château Lagafellière Naudes 1953
Richebourg Anne Gros 1996
Musigny Comte de Voguë 1978
Beaune Grèves, Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1947
Château Mouton-Rothschild 1982
Lafaurie Peyraguey 1961

Le menu conçu par Guy Savoy
Poêlée de girolles et Jabugo « Bellota Bellota »,
homard breton roti, bordelaise au corail,
légumes croustillants au beurre de homard,
ragoût de lentilles et truffes noires, cèpes en marmite, jus d’automne,
volaille de Bresse pochée en vessie,
riz basmati et petit chou farci aux légumes d’automne,
sauce Albufera, saveurs exotiques et poivres.

Déjeuner de wine-dinners pour les amis de Bipin Desai jeudi, 26 septembre 2002

Un déjeuner qui brille un peu plus qu’un rayon de soleil. On entre chez Guy Savoy, où l’on se sent si bien. Une assistance plus qu’abondante : le Club des Cent tenait séance. Je me glisse entre deux doctes discours, pour rejoindre la salle du fond de belles proportions. Un magnifique Alechinski donne une touche de confort moderne, expression affirmée du mouvement Cobra que j’adore. Là, je retrouve avec joie Bipin Desai, l’homme qui a tout bu, tout retenu, et qui organise les plus folles dégustations de la Terre. A ses cotés, un ami grand amateur de vin, un autre ami complice des plus belles bouteilles de wine-dinners, un restaurateur connu pour l’exceptionnelle collection de Pétrus qu’il disperse sur sa carte des vins, un producteur de vins, connu pour la plus belle collection de vins de plus d’un siècle. Autour de la table, la plus grande compétence dégustative possible (si on peut accepter ce néologisme). Bipin n’aurait évidemment besoin d’aucun des cinq autres convives pour avoir « la » compétence absolue qu’il incarne à lui seul, mais le partage des avis est toujours enrichissant. J’avais le plaisir du lieu, de l’incomparable talent culinaire, du service complice d’une brigade attentive, et des commentaires d’une richesse extrême de goûteurs hors pairs. Il ne me restait plus qu’à chausser un sourire béat, et l’aventure commence.
A noter que si je suis du « fan club » de Bipin Desai, je ne le suis pas sur l’ouverture des bouteilles. Il avait demandé qu’on ouvre chaque vin une demie heure avant consommation, et carafage avant service. Je suis pour une ouverture quatre heures avant, une oxygénation lente, et une absence de carafage. Ce déjeuner m’a confirmé que j’ai raison pour les vins que j’affectionne. Les raisons de Bipin sont autres : homogénéiser le vin servi et éviter la lie.
Le menu composé pour nos vins : Poêlée de girolles et Jabugo « Bellota Bellota », homard breton roti, bordelaise au corail, légumes croustillants au beurre de homard, ragoût de lentilles et truffes noires, cèpes en marmite, jus d’automne, volaille de Bresse pochée en vessie, riz basmati et petit chou farci aux légumes d’automne, sauce Albufera, saveurs exotiques et poivres.
Après un champagne « maison » fort rafraîchissant, Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1979. Le nez est impressionnant, extrêmement dense. En bouche, on a la structure caractéristique du Bâtard. Avis partagés sur sa longueur, mais mon opinion est qu’il s’agit d’un grand Bourgogne blanc, doté d’un spectre très large de différents goûts. Réellement grand. Une des magies de Guy Savoy : le Lagafellière Naudes 1953 Saint-Emilion avait strictement le même nez que la sauce du homard. Ce n’est pas la première fois, et ce n’est pas un hasard si Guy Savoy arrive à cloner l’ADN d’un vin dans sa sauce: il sait saisir les structures intimes du vin. Ce vin que j’ai bu de nombreuses fois est excellent, aimable, enveloppant et rassurant. Il a de l’onction. C’est un succès de 1953 qui est une si belle année, si belle en ce moment.
Le Richebourg Anne Gros 1996 est un pur bijou. Vin jeune bien sûr, mais tellement bien fait. Même si mon palais est fait pour le vin ancien, je ne peux pas ne pas admirer ce talent. C’est un vin sauvage, un de ces pur-sang que le temps va apprivoiser. Le Musigny Comte de Voguë 1978 fut l’occasion de nombreux commentaires. Plus on est compétent, et plus on est difficile. Garde-t-on la même capacité d’émerveillement ? La magie des cèpes a fonctionné tellement bien que ce fut, à mon goût, la plus belle association mets et vin. Le Musigny était de bonne qualité, et je l’ai aimé. Le Beaune Grèves, Vigne de l’enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1947 est alors apparu. La méthode d’ouverture suggérée par Bipin nous a privé de 40% de la perfection de ce vin. En moins d’une semaine j’ai goûté trois grands Bourgognes de 1947. Pourquoi les comparer? Il suffit de se rappeler qu’ils sont grandioses, et que 1947 est une année merveilleuse en Bourgogne, généreuse, polie, chatoyante et riche d’arômes développés. Avec la spectaculaire volaille en vessie le Beaune distillait de beaux messages. Le Mouton-Rothschild 1982 aurait dû être bu plus tôt. Il était si coincé qu’on l’a servi au fromage. C’est un bébé. Mais un surdoué : il a tellement de talent. Il faudra attendre encore vingt ans avant qu’il ne livre tout son formidable potentiel, et se guérisse de sa cryptorchidie ! Nous avons fini avec une demie bouteille de Lafaurie Peyraguey 1961, qui, chaque fois que je l’ouvre, étonne par son invraisemblable perfection. Il va sans dire que la bonne humeur prévalait. Les anecdotes fusaient, sans que cela frôle l’académisme ou la pédanterie. Bipin avait d’incroyables anecdotes, mais je relève la jolie remarque d’un des amis : « si on ne se dispute pas sur le vin, alors à quoi ça sert de faire de tels repas ? » Le vin sera toujours, avec bonheur, le sujet d’inépuisables discussions.
Il n’y a pas eu de classement des vins, mais je hasarde mon tiercé de vins si différents. Je mets le Richebourg d’Anne Gros en premier, parce qu’il m’a plus que surpris. En second le Lafaurie 61 pour son incomparable perfection. Et en troisième le Beaune Grèves, si belle expression de 1947. Ce choix est évidemment subjectif, car la palette présentée était vaste.
En une semaine, j’ai pu voir comment Alain Dutournier, Philippe Bourguignon et Guy Savoy abordent la cohabitation entre leur approche culinaire et des vins moins souvent bus que ceux de leurs cartes. Trois approches très différentes où s’exprime la personnalité de l’artiste. J’ai bien sûr mes propres canons, mais je préfère que la personnalité de chacun s’exprime. La diversité est source de richesse.

dîner de wine-dinners au restaurant Laurent mardi, 24 septembre 2002

Dîner au restaurant Laurent le 24 septembre 2002
Bulletin 41 – livre page 69

Les vins :
Magnum Champagne Veuve Cliquot rosé 1964
« Y » d’Yquem 1980
Meursault Bouchard Père & Fils 1959
Château Palmer, Margaux 1964
Château Ausone, Saint Emilion 1967
Santenay Louis Latour 1985
Chateauneuf du Pape, Château Fortia, premier cru 1943
Vosne Romanée Antonin Rodet 1947
Monbazillac Monbouché 1921
Château d’Yquem Sauternes 1967

Le menu, créé par Philippe Bourguignon et son équipe :

Amuse-bouches, toasts au foie gras
Langoustines rôties dans leur suc, aux champignons des bois
Raviolis de cèpes
Canard sauvage rôti aux pêches de vigne,
en deux services
Bleu des Causses
Gratin de mirabelles de Lorraine
Café, mignardises et chocolats

Dîner de wine-dinners au restaurant Laurent mardi, 24 septembre 2002

Ce dîner chez Laurent était organisé autour du voyage de noces d’un jeune couple de californiens. D’autres amis californiens s’étaient joints à eux, dont un couple, lui aussi nouvellement marié, avait fait le voyage pour ce seul dîner (bravo !). Je crois avoir repéré l’un de ces fanatiques que je recherche, prêts à participer à l’ouverture des bouteilles les plus folles. Comme d’habitude, un dîner chez Laurent est une fête, car le cadre vous tend les bras et le personnel vous guide ou accompagne avec discrétion. J’ai une forte affinité pour Philippe Bourguignon qui gère le site avec talent, et pour Patrick Lair, sommelier attentif et passionné, qui met en valeur les vins. Il a définitivement conquis l’une des convives lorsqu’il lui a préparé le canard sauvage, pour lui éviter le moindre effort. Tout était si bien ordonnancé que j’avais même demandé à la lune, presque pleine, d’apparaître au strict aplomb de notre table, au moment du service de l’Yquem. Tablée joyeuse, ambiance amoureuse. Tout annonçait un grand moment.
Le menu : Amuse-bouches, toasts au foie gras, Langoustines rôties dans leur suc, aux champignons des bois, Raviolis de cèpes, Canard sauvage rôti aux pêches de vigne, en deux services, Bleu des Causses, Gratin de mirabelles de Lorraine, Café, mignardises et chocolats. Une agréable sophistication, et un respect du vin remarquable : le plat est fait pour le vin. Voici ce que l’on a bu.
Le magnum de Veuve Clicquot rosé 1964 est beau. Sa photo est sur le site wine-dinners.com. Très jolie couleur de sanguine, plus marquée en haut de coupe qu’en bas. La bulle est généreuse, et ce qui frappe, c’est sa jeunesse. Pas la moindre trace de madérisation, en opposition avec le Krug 1979 récent. Beaucoup de goût, belle intensité. Ce champagne a émerveillé les californiens qui n’ont pas accès à de si vieux champagnes.
Le Y d’Yquem 1980 est un agréable compagnon de route : il est toujours présent au rendez-vous. Comme au dernier dîner où l’odeur des cèpes avait occulté l’odeur du Carbonnieux 28, les merveilleuses langoustines ombrageaient les émanations généreuses du Y, sans porter atteinte à son goût. Belle expression du Bordeaux blanc, et belle affirmation de maturité mais sans trace d’age.
Le Meursault Bouchard Père & Fils 1959 a un nez explosif. Il écrase tout voisinage. Un goût très fort, présent, et une persistance extrême. Solidement charpenté, il en impose.
Les deux Bordeaux se complétaient à merveille. Le Palmer 1964 tout en rondeur, délicieusement séducteur, et l’Ausone 1967, plus réservé, mais dévoilant ses charmes progressivement, comme dans la danse des sept voiles. Le Palmer 1964 confirme une nouvelle fois qu’il est une réussite de cette année qu’on aurait bien tort de classer trop vite dans les années âgées. Et l’Ausone me ravit toujours par sa complexité. Mais j’aimerais bien en ouvrir un qui se défroque, qui s’encanaille, qui se dévergonde.
Le Santenay Louis Latour 1985 est un délicieux Bourgogne de transition. Belle structure, beau ramage. Mais comme dans beaucoup de dîners précédents, quand on a près de soi Chateauneuf du Pape, Château FORTIA, premier grand cru de Chateauneuf du Pape 1943, peut-on vraiment exister ? Ce Santenay fut très plaisant, mais plus en faire valoir. Quelle merveille que ce Chateauneuf ! Un nez étonnant de largeur, d’authenticité, de générosité. Et en bouche, une perfection. Bien enveloppé, drapé, dégageant de belles chaleurs, il emplit le palais avec puissance mais grâce. C’est tout simplement le vin que l’on aimerait boire à chaque fête, car il apporte une satisfaction sans pareille. On est bien, et on a envie que ça ne s’arrête jamais.
Le Vosne-Romanée Antonin Rodet 1947 est une bouteille exceptionnelle. C’est le Bourgogne dans toute sa majesté. Et je vais faire un aveu qui – je l’espère – ne me condamnera pas auprès des lecteurs de ce message : j’aurais du mal à dire lequel m’a plus séduit, et pourquoi, entre le Chambolle Musigny 1947 d’il y a seulement 5 jours et ce Vosne Romanée 1947. A un certain niveau de perfection, le sublime m’anesthésie. Grande expression de Bourgogne et d’autant plus gratifiante qu’il sentait mauvais à l’ouverture. Cinq heures d’oxygène lui ont fait du bien, alors que le Fortia, si généreux à l’ouverture, avait été préservé de tout oxygène excessif.
Le Monbazillac Monbouché 1921 est d’une beauté rare. D’une couleur d’automne, de marc de café, il dégage des senteurs de caramel, de crème brûlée. Il est réglisse, mais a su conserver sa trame de Monbazillac. Un vrai plaisir, rond, chaud, réconfortant.
Pour Lisa, la jeune épousée, Patrick a ouvert le Yquem 1967, bouteille d’un blond doré. Un lingot d’or qui aurait bronzé de façon délicate. Sous l’oeil complice de la lune, un vin parfait. Est-il possible d’envisager meilleur Sauternes ? Ce gamin précoce a tout pour lui. La caractéristique de cet Yquem, c’est l’équilibre, mais surtout, la couverture complète de toutes les saveurs que doit avoir un Yquem. Ce qui m’a ravi, c’est cet aspect global. Ce vin en marche pour la globalisation, et promis à un développement durable mérite d’être au Sommet de la Terre. Il est un vrai plaisir, d’odorat, de parfums, et de sensations rassurantes.
Nous avons bien sûr voté pour le tiercé, et ce qui est revenu le plus souvent est : 1 – Château Fortia 1943 et 2 – Veuve Clicquot rosé 1964, tous les autres vins étant au moins cités une fois. Mon tiercé fut assez différent, avec le Vosne Romanée en premier, le Chateauneuf en second, et le Meursault en troisième. On aura compris que le Yquem 1967 n’était pas en compétition, car il aurait été cité premier par tous.
Le repas fut grandiose avec un service attentionné. Les meilleures combinaisons furent le Palmer avec les cèpes, le Fortia avec la chair du canard, le Yquem avec les copeaux d’orange qui accompagnaient les délicieuses mirabelles. Pour tous une repas qui sera le souvenir d’une vie, tout particulièrement pour les jeunes mariés. Et j’ai fait la connaissance d’un couple d’amoureux du vin qui reviendront pour de folles ouvertures. Une soirée d’exception.

dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants jeudi, 19 septembre 2002

Dîner au Carré des Feuillants le 19 septembre 2002
Bulletin 40 – livre page 65

Les vins :
Champagne Laurent-Perrier Rosé
Champagne Krug Millésimé 1979
Batard-Montrachet Albert Morey 1986
Puligny-Montrachet Clos de la Mouchère Nicolas 1980
Château Ausone, Saint Emilion 1978
Château Carbonnieux, Graves 1928
Chambolle Musigny Les Amoureuses, P. Miserey & Frères 1981
Chambolle Musigny Louis Grivot 1947
Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1983
Château Climens Sauternes 1967
Château d’Yquem Sauternes 1932

Les plats conçus pour les vins par Alain Dutournier :

Amuse-bouches, petite friture
Gambas en salade « minute », billes de melon dans leur chutney
Homard breton, fenouil et amandes en escabèche
Fraîcheurs du jardin, pince en bouillon glacé au lait d’amande
Dos de Bar moucheté en fine croûte citronnée
Fricassée de girolles et févettes
Les premiers cèpes marinés, le chapeau poêlé
Et le pied en petit pâté chaud
Canette de Challans flanquée de foie gras caramélisé,
Le filet poêlé, la peau laquée, la cuisse compotée en rouleau croustillant
Quelques vieux fromages du moment
La pêche dans tous ses états, rôtie au poivre, glacée à l’eau de rose,
Macérée au marasquin et accompagnée de blanc-manger

Dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants jeudi, 19 septembre 2002

Par une fort belle journée d’automne, wine-dinners faisait sa rentrée le jour où s’ouvrait la Biennale des antiquaires. Occasion de relativiser les choses humaines : quelques centimètres de toile ou quelques petits cailloux transparents valent le travail de plusieurs vies. Peu soucieuse de ces considérations métaphysiques, la France profonde, celle de nos plus belles provinces chargées d’histoire, celle que le Gouvernement d’en bas veut mettre en avant avait décidé de venir en force au Carré des Feuillants. Onze convives dont trois jolies femmes étaient décidés à succomber au talent d’Alain Dutournier qui avait prévu de nous faire accomplir un étonnant et merveilleux voyage :
Amuse-bouches, petite friture, Gambas en salade « minute », billes de melon dans leur chutney, Homard breton, fenouil et amandes en escabèche, Fraîcheurs du jardin, pince en bouillon glacé au lait d’amande, Dos de Bar moucheté en fine croûte citronnée, Fricassée de girolles et févettes, Les premiers cèpes marinés, le chapeau poêlé, Et le pied en petit pâté chaud. Canette de Challans flanquée de foie gras caramélisé, Le filet poêlé, la peau laquée, la cuisse compotée en rouleau croustillant Quelques vieux fromages du moment, La pêche dans tous ses états, rôtie au poivre, glacée à l’eau de rose, Macérée au marasquin et accompagnée de blanc-manger.
Quel programme ! Plaisir esthétique, car les assiettes sont ordonnancées avec recherche, maîtrise des techniques, quelques belles inventions et une recherche de beaux accords. Un enchantement. Pour prévoir d’éventuels retards, un Laurent Perrier rosé dont le bouchon et le goût donnaient 15 à 18 ans d’age. Bien équilibré, déjà bien accompli, c’est un champagne d’agrément, très rassurant. Tel n’était pas le cas du Krug 79 qui allait troubler plus d’un convive. Une force vineuse imposante, la puissance qui rebondit sur la belle bulle, et cet ajout énigmatique du début de madérisation que j’aime tout particulièrement. Je fus le seul à le mettre dans mon tiercé.
Le Bâtard-Montrachet Albert Morey 1986 est un Bâtard caractéristique. Il impressionne par sa structure solide. C’est élégant comme un Bâtard sait l’être, et aussi très fort. Le Puligny-Montrachet Clos de la Mouchère, Nicolas 1980 allait offrir une des plus belles surprises. La pointe de citron du dos de bar donnait, par un effet de catapulte, une longueur inouïe au Puligny. Et ce qui était surprenant, et tout à l’honneur d’Alain Dutournier : le Puligny dansait sur le dos de bar, alors que le Bâtard s’éteignait, ce qui montre la pertinence du choix. Puligny aérien, flatteur, et d’une longueur étonnante. Magnifique Puligny de finesse.
Ausone est l’un des vins les plus complexes du bordelais. Enigmatique quand il le veut. Plusieurs convives ont adoré ce Ausone 1978, car dès qu’on a trouvé le mot de passe, on comprend toute sa race. Le Carbonnieux 1928 rouge, que j’ai déjà bu plusieurs fois, avec la constatation de son étonnante réussite, est apparu lourd, dense, capiteux, vin de charme extrême. Une expérience étonnante : il offre un nez superbe, velouté, et dès que le plat est servi, le nez s’arrête. C’est curieux de voir comme l’odeur du cèpe agit comme un filet de camouflage sur l’odeur du vin : instantanément tout a disparu. En bouche, Carbonnieux est une vraie merveille, au goût chaleureux et imprégnant. Une réussite de l’année 1928. Quand j’ai parlé de courtisane orientale, tout le monde a ri, car peu de temps avant, j’avais dit éviter ces formules ronflantes d’experts.
Quel intérêt chaque fois d’analyser le passage du Bordeaux au Bourgogne ! Le Chambolle Musigny les Amoureuses P. Miserey & Frères 1981 est un bon vin généreux, et nettement mieux fait que ce que j’attendais. Seul dans un dîner, il trônerait. Car l’age lui va bien, avec une belle consistance. Mais quand un vin se situe entre une réussite de 1928 et un succès de 1947, que peut-il faire ? Toutes les envies se tournaient vers ce merveilleux Chambolle Musigny Louis Grivot 1947. A l’ouverture cinq heures avant, un nez « de vieux », mais qui s’améliore très vite. J’avais donc laissé peu de place à l’oxygénation. Et lorsqu’on le sert, miracle de la Bourgogne, c’est parfait. Un équilibre rare entre toutes ses composantes. Ce vin est une récompense. Un bijou.
Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1983 m’a aussi agréablement surpris, et il a ravi les convives. C’est étonnamment facile, rond, séducteur. Pas une grande profondeur, mais une belle présence. Et ça « pète le feu ». Une bonne conclusion qui ne faisait pas oublier le si merveilleux 1947. Christophe, l’attentionné sommelier a réglé le service des vins avec une précision extrême. C’est un plaisir d’ouvrir les vins avec lui, et j’apprends des petits trucs bien utiles, comme avec d’autres grands professionnels de ces maisons amies.
Le Climens 1967 est un très beau Sauternes, mais dans tout repas, il y a des moments de respiration. L’émotion avait été si grande avec les 5 rouges qu’on se calmait avec ce gentil Sauternes. J’en ai profité pour faire voter. Comme d’habitude les tiercés varient. Une préférence assez générale pour deux vins, le Chambolle 1947 et le Carbonnieux 28. Puis tous les votes divergent, chaque vin ayant son supporter : Batard, Puligny, Ausone, Grands Echézeaux, ou Krug pour moi.
Nous avons eu ensuite le cadeau de la soirée. Alexandre de Lur Saluces à qui j’avais raconté mon excitation de boire Yquem 1932 avait accepté de nous rejoindre, car la curiosité le tenait lui aussi. J’ai ouvert cette belle bouteille jamais rebouchée, et la remarque immédiate d’Alexandre de Lur Saluces fut intéressante : « il est probable qu’aujourd’hui,on aurait vinifié le millésime d’une toute autre façon ». C’est très caractéristique, car Alexandre de Lur Saluces, soucieux de sa récolte en cours ou à commencer, pense au travail qui est fait. La démarche de wine-dinners est de se concentrer sur le témoignage. Il fallait que les convives profitent de cette année si rarement ouverte. C’est le témoignage, quoi qu’il délivre, qui est souhaité avant tout. On sait en buvant 1932 que ce ne sera pas 1929, année grandiose. Mais c’est le 1932 qu’il faut découvrir. Un nez très Yquem, doucereux, fruité et affirmé, et en bouche, l’étonnement : c’est presque un vin sec. On n’a pas le charnu, le fruité d’un Yquem généreux, mais quel plaisir de découverte. Alexandre de Lur Saluces nous a fait le plaisir de nous faire partager son analyse et son approche et de nous raconter des anecdotes passionnantes sur ce qui est le plus grand vin du monde. Alain Dutournier a fait un repas de rêve, avec cette fantastique association du dos de bar et du Puligny. Les épices abondantes de la canette sont difficiles pour les vins, alors que le foie gras faisait rayonner le Chambolle 1947. Merveilleuse soirée avec des convives charmants. Un évident goût de revenez-y.
Dans un prochain repas (complet) chez Laurent on célébrera Yquem 1967, réussite célèbre, puis chez Guy Savoy, un petit groupe de collectionneurs se retrouvera. De prochains dîners sont programmés sur octobre et novembre. Téléphonez moi pour vous inscrire, car pour deux prochains dîners, tout est encore très ouvert. Un dîner de novembre au Bristol est déjà complet.

Des vins de l’été dimanche, 1 septembre 2002

L’été fut propice à de belles découvertes locales, la Provence gardant encore dans ses caves quelques bouteilles de grand intérêt : Rimauresq des années 80, La Courtade récent mais bien joli. Au fil des découvertes, on voit que ceux qui travailleront trop leur vin au détriment du terroir n’iront pas bien loin, quelle que soit la flatterie qu’apporte la technique poussée à l’excès. Bien sûr, de temps en temps, on se laisse aller à un Haut-Brion 1967 miraculeux, un Lafite-Rothschild 1971 accompli pour se rappeler qu’il existe ailleurs des vins magiques. Mais la Provence fut généreuse cet été, par des vins de très belle expression.