Dîner de l’Académie du Vin de Francemercredi, 27 novembre 2002

Philippe Bourguignon invitait chez Laurent l’Académie du Vin de France. Il a eu l’heureuse idée de rajouter à ce groupe structuré quelques clients habitués du restaurant. Quelle joie que de retrouver des gens que j’admire : Jacques Puisais, Jean Pierre Perrin et Alain Senderens, trois complices d’un récent déjeuner (bulletin 47), Alexandre de Lur Saluces, et d’être présenté à des propriétaires de vins mythiques comme la Romanée Conti, Hugel, Pol Roger, Chave, Château d’Arlay, Huet, Château Simone, domaine de Cauhapé dont on a bu récemment les Jurançon et le président Jean Noël Boidron dont le fils m’avait adressé ce Calon 55 si bien fait (bulletin 21).
Que de discussions agréables avec des grands vignerons comme M. Hugel, comme Aubert de Villaine, M. Chave et d’autres. Je retrouve aussi de grands critiques renommés et des journalistes qui écrivent de si belles choses sur ces vins de rêve.
En première partie, chaque membre de l’Académie avait apporté ses productions les plus récentes. On raconte qu’un client a bu à lui tout seul près d’une bouteille de Romanée Saint-Vivant DRC 2001, quand il a vu quel trésor était présenté. Intéressante comparaison de ce DRC avec un Hermitage 2000 de Chave. Deux philosophies différentes. Très belles bouteilles offertes à nos palais avant le dîner : Gosset, Comte Lafon, Zind Humbrecht, les vins des propriétaires déjà cités ci-dessus et tant d’autres.
Lorsque nous passons à table, je remarque l’honneur qui m’est fait : Madame Gilberte Beaux, propriétaire du restaurant est entourée à sa droite de M. Hugel, le si dynamique propriétaire alsacien, et à sa gauche de votre serviteur qui a le second privilège d’être à la droite de Madame de Villaine, dont le mari est propriétaire du Domaine de la Romanée Conti (DRC). Ce n’était pas un hasard, mais le choix de Philippe Bourguignon. Il ne pouvait me faire plus grand plaisir.
Sur une araignée de mer dans ses sucs en gelée, un Riesling Jubilée en magnum 1996 de Hugel. Un nez merveilleux, une belle maturité et un meilleur accord sur le plat que le Vouvray « Le Haut Lieu » 1996 de Huet. La bouteille que nous avions était à mon goût trop fermée sur ce plat. Et, à âge égal, le Riesling est sans aucun doute le plus fort, alors que dans cinquante ans, le round pourrait changer de meneur.
Une Noix de Saint-Jacques en nage forestière délicieuse a permis un accord merveilleux avec le Meursault 1996 Comte Lafon absolument adapté et généreux. Sans doute le plus bel accord de la soirée. Plus concerné que le Château Simone 1996 de très belle structure mais qui ne trouvait pas là son meilleur emploi.
Une volaille de Bresse farcie au foie gras et macaronis dorés au four accueillait trois vins : le Grands Echézeaux DRC 1990, avec le Corbin Michotte 1990, vin du Président, et le Beaucastel 1990 de Jean Pierre Perrin. J’ai été d’une incroyable impolitesse avec Madame de Villaine en lui disant que son vin était trop fort, et trop généreux. Et c’est le vin lui-même qui a corrigé ma maladresse, car une heure plus tard, le nez de ce vin s’était complètement civilisé et avait retrouvé ces arômes que j’adore. Quel bonheur de retrouver ce DRC qu’une apparition brutale m’avait poussé à critiquer. J’espère que le brillant changement du vin m’aura fait pardonner. Sur le plat, c’est le Corbin Michotte qui était le plus adapté. Le DRC était trop puissant (au moment où il était servi), et le Beaucastel n’était pas parfaitement en situation (je l’ai bu le lendemain : il était alors dans sa vraie nature, avec sa pleine générosité).
Jacques Puisais faisait de la poésie sur chaque vin, trouvant des aspects qu’aucun d’entre nous ne découvrirait, et Philippe Bourguignon m’a signalé que d’une table à l’autre, les jugements variaient totalement. Comme il s’agit d’experts et de vignerons, on mesure à quel point le vin est une matière insaisissable !
Sur deux Comtés, l’un de 18 mois et l’autre de 36 mois, Château d’Arlay, Château Chalon 1990 Marquis de Laguiche. Toujours aussi précise association, plus flatteuse sur le 18 mois.
Deux mille feuilles, l’un à la vanille et l’autre à la mangue confite au piment d’Espelette, un Pinot Gris « Clos Jebsal » SGN (sélection de grains nobles) Zind Humbrecht 1996 et Yquem 1996. Aucun vin ne se marie vraiment à la vanille, comme j’en avais fait l’expérience au Bristol, mais avec la mangue, l’accord se faisait, contrarié toutefois par un piment incendiaire à mon palais. Est-ce la présence du SGN ou est-ce la bouteille ? Je n’ai pas senti le Yquem comme je l’aime habituellement. Peut-être était-ce le piment qui m’anesthésiait. J’ai bu de nouveau ce Yquem 96 au château. Celui-là m’allait.
Comme manifestement les soifs n’étaient pas éteintes – il y a dans cette Académie de solides constitutions – on a abondamment devisé avec du champagne Gosset rosé. Bavardages badins mais marqués d’une grande compétence. Apparemment, la fête s’est poursuivie largement au delà de mon départ. Comme j’organisais le jour même (nous avions franchi les heures tardives) et ici même un dîner de wine-dinners, Philippe Bourguignon a fait garder tous les fonds de bouteilles du Grands Echézeaux pour faire les sauces d’un des plats prévus. Quelle délicate attention !
Au cours du cocktail ou lors de conversations diverses, j’ai pu mesurer les mots aimables de ceux qui connaissent mon amour des vins anciens. Un honneur pour moi que de me trouver au milieu de ceux qui font les vins les plus beaux de la planète, et décident de l’évolution de leur fabrication, leurs choix déterminant ce que sera le vin français de demain.
On imagine volontiers que j’étais comme l’enfant à qui l’on ferait visiter une usine de sucettes. Les yeux brillent de fascination.
Une petite anecdote pour finir : un expert ami m’appelle et me dit : avez-vous lu l’article sur Alain Senderens dans la Revue du Vin de France ? (RVF, référence obligatoire). Il me dit : Alain Senderens interviewé dit que son coup de cœur récent est un Nuits Cailles Morin et Fils 1915. « Ça ne peut être que vous » me dit-il ! « c’était moi » répondis-je comme on répond à Bonaparte « j’y étais ». Et je lui raconte ce déjeuner de rêve (bulletin 45). Je suis content qu’Alain Senderens ait signalé cette merveilleuse bouteille que nous avions bue ensemble.
Après avoir côtoyé tant de vignerons que j’admire, j’ai bien dormi, la tête pleine de rêves. Le lendemain, un dîner de wine-dinners m’attendait chez Laurent.