Déjeuner au restaurant Apicius lundi, 20 janvier 2003

J’avais préparé un dîner chez Patrick Pignol en prenant un repas d’avance. Je fais de même chez Apicius. Un Savennières, Clos de la Coulée de Serrant de Nicolas Joly 1990 est d’une précision extrême. Mais il est en plus comme la danse des sept voiles : chaque gorgée révèle de nouvelles séductions. C’est l’embarquement pour Cythère. Décidément, voilà un vin de plus qui fait chanter les truffes et que les truffes font chanter, comme un couple au patinage artistique où chaque danseur fait briller l’autre. Puis, La Conseillante 1994. Quelle maîtrise, quel brillant résultat. Ce vin a tout pour lui. Et qui dirait qu’il s’agit d’une année incomplète ? A ce stade d’accomplissement, ce La Conseillante me faut penser à 1934 ou 1953, années qui lui ressemblent (et c’est un compliment) quand le vin est bien fait. Je l’ai goûté sur un pigeon dont la qualité est exceptionnelle. Une tendreté remarquable. En fin de repas, pour le dessert, je prends un Rivesaltes 50 ans d’âge de Sauvy, juste pour me remémorer ce si agréable voyage en Roussillon.

réunion de l’Union des Grands Crus de Bordeaux lundi, 20 janvier 2003

Grande réunion de l’Union des Grands Crus de Bordeaux qui présentait les vins du millésime 2000, sauf Carbonnieux, qui, ayant sans doute mal lu son plan de vol, faisait goûter son rouge 1995, largement plus ouvert, donc non comparable. Quand on goûte des 2000, qui ont tellement de puissance et de tannins, très rapidement on atteint le seuil de saturation, et il n’est plus possible de juger, sauf au nez. C’est donc au feeling qu’on se plait à faire des différences qui ne résisteraient sans doute pas à un examen plus approfondi. On place évidemment en tête des chouchous : La Conseillante, Haut-Bailly. On découvre de très bons vins : Phélan Ségur qui comme en 1999 est très bien réussi, Maucaillou qui est largement plus agréable maintenant que des vins plus charnus. Des convives alentour cèdent au charme des vins tout en puissance : Clinet, Pichon Longueville, Léoville Barton, Smith Haut Lafitte. Et, au fil des présentations, on se plait avec La Lagune, Pape Clément, Beychevelle, Talbot et tant d’autres merveilles qui vont éclore.
A table, nous sommes placés à la table de Pape Clément et La Tour Carnet. Le Pape Clément blanc 1999, dès qu’il a pris un peu de chaleur, a un gras fort agréable. Peut-être un peu trop généreux. Quelques années vont le domestiquer. Sans doute un peu monolithique pour un Bordeaux blanc. Le Pape Clément 1996 rouge a une belle attaque, puis s’éteint tout de suite. Etait-ce la bouteille ? Le représentant du groupe de M. Magrez le trouvait normal. Une bouteille de La Conseillante 1996, fruit d’une rapine obscure n’a pas montré tout le génie de ce vin, et c’est en fait, des trois rouges de la table, le La Tour Carnet 1998 qui est apparu comme le plus adapté à ce moment là. En fin de repas, un aimable Nairac 1999 a rappelé le charme du Sauternes. Belle soirée à l’Automobile Club où la fine fleur des producteurs de Bordeaux nous faisait le plaisir d’être personnellement présente. Profusion de 2000 année exceptionnelle qui promet des merveilles mais qui, à cet âge, donne des différenciations qui vont forcément évoluer jusqu’au moment où les vins seront épanouis.

Dîner de wine-dinners au restaurant « le Relais d’Auteuil », « Patrick Pignol » jeudi, 16 janvier 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant « le Relais d’Auteuil », « Patrick Pignol » le 16 janvier 2003
Bulletin 60

Les vins :
Champagne Besserat de Bellefon Rosé 1964
Bâtard Montrachet Delagrange Bachelet 1983
Bâtard Montrachet Antonin Rodet 1989
Château Beauséjour Montagne Saint Emilion 1959
Château Beychevelle 1959
Gevrey Chambertin Bouchard 1983
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956
La Romanée Thomas Bassot 1937
Côtes de Jura Château d’Arlay 1972
Yquem 1987
Monbazillac Château Fontvieille Réserve du Theulet 1947

Le menu, créé par Patrick Pignol :

Oeuf d’oie en coque et Chantilly à la truffe noire de Carpentras.
Diptyque violet de Méditerranée : rémoulade de cerfeuil tubéreux iodée et sa tartine d’oursin.
La noix de Saint-Jacques dans sa simplicité.
Langoustine et ris de veau croustillants aux senteurs de cardamome.
Poitrine et cuisse de pigeon servis en deux services, jus à la presse.
Comté Saint Antoine.
Gourmandise de saison (à base d’agrumes confits),
et une fin de voyage dans le Sud Ouest.

Dîner au restaurant « le Relais d’Auteuil », « Patrick Pignol » jeudi, 16 janvier 2003

A l’ouverture des vins avec Nicolas, sommelier si attentif, la plus grande générosité est celle du Montagne St Emilion 1959, et le plus bel épanouissement est la Romanée 1937. Le Monbazillac trompette de bonheur. L’évolution du nez de la Romanée étant si rapide, j’ai rebouché pour ne rouvrir que vers 20 heures. Extrême déception à l’ouverture du Richebourg, qui montrait l’état de fatigue d’un vin d’au moins trente ans de plus : jamais un bouchon de 1956 ne devrait être dans cet état là.
Tout le monde est d’une ponctualité parfaite, et, autour d’une belle table, hommes et femmes sont d’une parité jospinienne : 5 contre 5, ou 5 avec 5 selon la profession de foi d’ethnologie sociale que l’on adopte.
Le menu conçu par Patrick Pignol : oeuf d’oie en coque et Chantilly à la truffe noire de Carpentras. Diptyque violet de Méditerranée : rémoulade de cerfeuil tubéreux iodée et sa tartine d’oursin. La noix de Saint-Jacques dans sa simplicité. Langoustine et ris de veau croustillants aux senteurs de cardamome. Poitrine et cuisse de pigeon servis en deux services, jus à la presse. Comté Saint Antoine. Et les desserts n’ont pas de titre : pour l’Yquem : gourmandise de saison (à base d’agrumes confits), et une fin de voyage dans le Sud Ouest.
Nous goûtons un Besserat de Bellefon rosé 1964 que j’avais fait ouvrir vers 19 heures. Couleur de lilas en fin de floraison, pas de bulle, ce champagne est usé. J’avais hésité à le remplacer, j’aurais dû. Sur l’oeuf et la truffe, le Bâtard Montrachet Delagrange Bachelet 1983 mis en premier car à l’ouverture il était plus frêle que le 89. Divine surprise, ce Bâtard est une petite merveille. Si jeune, il est tout en finesse. Beau Bâtard avec des tas d’évocations que la truffe, mais aussi l’émulsion élargissent encore. Un des meilleurs oursins que j’aie mangé, sur un Bâtard Montrachet Antonin Rodet 1989. Quelle différence ! Ce Bâtard là semble vendangé de la veille. Tout en puissance, Bâtard absolu. On se disputa aimablement sur les deux. Une amie viticultrice mit ce 89 en premier vin de son vote, pour son goût généreux, alors que beaucoup, dont je fus, préféraient le 83 : finesse et légèreté contre puissance et jeunesse. Le débat reste ouvert. La tartine de Patrick Pignol est à l’oursin ce que celle de Michel Rostang est à la truffe.
Le Château Beauséjour, Montagne Saint-Emilion 1959 est une surprise complète : merveilleuse couleur d’une jeunesse et d’une profondeur rassurante, un nez noble, et en bouche, un accomplissement très largement au dessus de Montagne. Bien épanoui, large et réjouissant. Bien évidemment, quand le Château Beychevelle 1959 arrive, on comprend que l’on franchit une étape. Ce Beychevelle a une rondeur exceptionnelle. J’ai préféré la couleur du Beauséjour, mais la texture du Beychevelle est une réussite. A peine un petit manque de puissance par rapport aux plus grands vins de 1959. Accord excitant entre langoustine, ris de veau et ce réjouissant Beychevelle. Le Gevrey Chambertin Bouchard 1983 allait faire la ponctuation du changement de paragraphe. Bu seul, pour une petite pause, je l’ai trouvé particulièrement réussi. Jamais on ne dirait qu’il a presque vingt ans. Bien rond, chaleureux, généreux, il ravit le palais par une simplicité de bon aloi. Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1956 fut la déception de la soirée. Ce vin a dû souffrir de stockages indélicats, avec des chaleurs excessives. Il laissait deviner les qualités qu’il aurait pu avoir, mais cela tenait plus du visage de Michael Jackson que de celui de Jean Marais. Tout allait reprendre sa place avec un magnifique La Romanée Thomas Bassot 1937, vin d’une rareté extrême. Une couleur d’une invraisemblable jeunesse, un nez d’un raffinement recherché, et en bouche, le Bourgogne dans toute sa splendeur sur un pigeon très affirmé. C’est rond, profond, intense, construit. Une petite leçon de Bourgogne. Bien évidemment, grand étonnement des convives – ils sont nombreux dans ce cas – qui ne pouvaient pas imaginer qu’un vieillard ait cette tenue et puisse être si grandiose. Ce vin est la justification de wine-dinners. Le Côtes de Jura Chateau d’Arlay 1972 a été ajouté. Petite surprise et petit cadeau à des convives que j’apprécie, mais aussi pour faire connaître ce vin si difficile à comprendre. Je l’ai trouvé plus agréable en milieu d’après-midi qu’en fin de repas. Le Comté lui va bien. Très difficile à aborder, mais au moins deux convives l’ont inclus dans leur vote. Patrick Pignol avait ajusté son dessert sur le degré de puissance du Yquem 1987 quand nous l’avons goûté à 16 heures. Très léger, aérien, il aurait presque des tonalités de Y tant la sucrosité est discrète. J’aime ces Yquem légers, car on peut faire des mariages gustatifs de rêve. Ce fut le cas avec des agrumes. Et même si ce Yquem n’a pas la persistance aromatique de ses puissants aînés, je l’aime, comme j’avais aimé ce si discret mais présent Yquem 1932. Le Monbazillac Château Fontvieille Réserve du Theulet 1947 s’est présenté dans des conditions idéales. Une couleur ambrée comme celle d’un vieux cognac, Un nez valant celui du plus raffiné des Sauternes, et en bouche cette jouissance : c’est doux, c’est chaud comme la plus aimable confiture. On est en gourmandise. Nous avons voté, et la disparité des qualités a concentré plus que de coutume les votes des participants. Les plus cités furent le 47 et le 37, les Bâtard et Beychevelle, mais aussi plusieurs autres. Mon vote personnel fut : La Romanée 1937 / Monbazillac 1947 / Beauséjour 1959 / Beychevelle 1959. J’ai mis le Montagne devant le Beychevelle, pour l’encourager.
Des convives extrêmement sympathiques, un sommelier attentif, et tout un personnel dynamique et motivé, et un Patrick Pignol toujours joyeux ayant réalisé une cuisine d’une justesse affirmée et ciselée au service du vin, tout était là pour un vrai succès. Pourtant, j’ai eu un goût un peu amer, car c’était la première fois qu’il y avait deux vins fatigués. Bien sûr les neuf autres portaient tellement de bonheur que personne ne se sentait contrarié, mais ayant eu la chance qu’en deux ans de dîners il n’y ait eu aucun rejet, j’aurais aimé continuer ce parcours sans faute. Je vais isoler tous les DRC 56 de la même provenance. Si vous avez le goût du risque, faites moi signe. On se sacrifiera ensemble pour éliminer ces rebelles. Malgré mon petit regret, ce La Romanée 1937 est un grand moment de l’histoire du vin. Il justifie les expériences auxquelles je vous convie.

VINS DIVERS mercredi, 15 janvier 2003

Le lendemain de mon retour de Perpignan, on m’ouvre un Maury Mas Amiel 1985 du temps de Charles Dupuy. Et on dira que les coïncidences n’existent pas ! Un Clos l’Eglise 1990 bien aimable Pomerol de Jean Pierre Moueix confirme que 1990 va bien aux Pomerols. Un délicieux pied de porc (eh oui encore) lui convenait parfaitement, la délicate astringence du vin collant au gras du plat.
Au détour de repas, un Château Haut Sarpe 1989 a montré des qualités que je n’attendais pas, alors qu’un Giscours 1990 laisse apparaître quelques limites malgré l’année. Un Château Coustolle Canon Fronsac 1982 montre, s’il en était besoin, la justesse de confection de ce vin exemplaire, et parfaitement rond à cet âge. Un Beaune Premier Cru Bressandes Chanson 1991 confirme que cette année est vraiment agréable, discrète mais intense en même temps. Vin de soif qui coule en bouche.

Déjeuner chez Laurent mardi, 14 janvier 2003

Déjeuner chez Laurent, toujours aussi plaisant. Un Chablis Premier Cru Butteaux 1995 est extrêmement bien fait. Accompli et bien rond. Le Vosne Romanée Cros Parentoux Henri Jayer 1991 est une institution. Mais je l’ai trouvé nettement moins à mon goût que les précédents. Pourtant, un délicieux pied de porc lui allait comme un gant.

Voyage à Rivesaltes et Maury dimanche, 12 janvier 2003

Voyage à Rivesaltes et Maury où je retrouve des amis : Olivier Decelle de Mas Amiel, qui invente de si beaux vins tout en conservant les valeurs historiques et Bernard Cazes ainsi que son frère André, du Domaine Cazes qui donnent à Rivesaltes des lettres de noblesse. Je commence à goûter les nouvelles créations de ces deux magnifiques domaines, et je suis impressionné par le sérieux de leur approche, mais surtout par cette obsession de la perfection. Les écouter parler de l’évolution de leurs techniques est un vrai plaisir. Hasard de l’histoire, nous atterrissons pour dîner au sein d’un groupe de dégustateurs qui ont pris pour thème les vins de M. Chapoutier. Nous décidons de leur emboîter le pas. Aller à Perpignan pour boire des Chapoutier avec les propriétaires de Mas Amiel et de Domaine Cazes. Quelle idée ! Le lendemain, déjeuner plus orthodoxe, avec la Cuvée Aimé Cazes 1976 qui est un pur chef d’œuvre. Les Cotes de Roussillon Cazes 1982 et 1979 sont des vins accomplis comme le pourraient être de grands Hermitage, pour faire un petit clin d’œil à M. Chapoutier qui produit aussi des vins de la région de Perpignan (c’est d’ailleurs le Cotes de Roussillon Villages de Chapoutier 2000 que j’avais préféré de toute la série des Chapoutier, comme si un vin n’était jamais aussi bon que lorsqu’il est bu sur ses terres : voir par exemple ce qui se passe pour les vins de Provence). Le Libre Expression Domaine Cazes 1996 est un petit bijou de complexité, avec ce charme qui évoque les fulgurances des meilleurs Jura.
L’amitié aidant, Bernard et André ont ouvert les Maury Doré de Paule de Volontat 1948 et 1932. Ces Maury sont de vraies merveilles que je connaissais déjà et que j’ai en cave, et qui se goûtent si bien, vins de chaleur et de plaisir. Imaginerait-on des viticulteurs qui offrent des vins d’un de leurs voisins ? Dans cette région bénie, l’amitié authentique est à l’aune de la chaleur des vins.
Le plus étonnant du voyage fut d’aller visiter l’Ermitage de Consolation construit autour d’une chapelle du XVème siècle. Aucun des occupants de ce lieu magique n’avait entendu parler du Banyuls qui porte ce nom (j’ai de magnifiques 1925), alors que l’un d’entre eux y vit depuis plus de 60 ans. Comment peut-on ignorer un vin au nom si particulier ? J’ai bien du mal à le croire. Les hôtes du lieu ont regardé les photos de ces bouteilles comme l’apparition de la Vierge de Consolation.

Déjeuner chez Patrick Pignol vendredi, 10 janvier 2003

Devant organiser un dîner dont le cadre serait le restaurant de Patrick Pignol, je décide de lui rendre visite pour mettre au point le menu. Chef toujours souriant, mais dont le sérieux s’est révélé dans tous les compartiments du jeu. A la tête d’une cave respectable, c’est un amoureux du vin. Sur un plat d’aubergine et tourteau, un Vouvray sec Domaine Huet 1998. C’est extrêmement intéressant. C’est une forme de vin très monolithique, mais en même temps d’une précision comme une sculpture antique : les veines ressortent sous la peau. Pour voir notre réaction Patrick Pignol nous a fait goûter des truffes sur ce vin. Cela donne le même plaisir entraînant que lors d’un essai avec un Vin Jaune. On est transporté. Sur un ris de veau, une bouteille d’un ravissement sans retenue : Côte Rôtie La Mouline Guigal 1991. Ce qui est étrange, c’est que ce vin est simplifié comme une épure, mais donne un sentiment d’accomplissement rare. Si je devais être exilé à Sainte Hélène, j’emporterais des caisses de ces Côte Rôtie si facilement parfaits.

Dîner d’amis au restaurant le Cinq vendredi, 10 janvier 2003

Ce bulletin raconte un dîner merveilleux au souvenir indélébile. L’organisateur est Jean Luc Barré, expert en vins, qui m’a formé à la découverte des vins anciens. Eric Beaumard, directeur et sommelier du Cinq a imaginé comment créer de beaux accords sur la liste de vins, et Philippe Legendre a produit une cuisine d’un niveau hors du commun. Joël Robuchon a été le seul chef auquel je n’ai jamais trouvé le moindre défaut (à un certain niveau, plus rien ne se discute. Qui oserait dire que Michel Ange aurait dû adopter une autre disposition des personnages sur sa toile ? Il est un niveau de génie que la critique ne doit pas troubler). On avait, ce soir là, un Philippe Legendre qui entrait dans la même légende.
Il ne faudrait pas oublier un quatrième personnage complétant ces trois Mousquetaires : l’hôtel George V. Car la majesté du lieu a ajouté au bonheur parfait : une entrée d’hôtel que des fleurs innombrables rendent magique, un salon impressionnant, lambrissé, de hauteur immense, orné d’une magnifique tapisserie et d’une cheminée monumentale, où un buffet délicatement champêtre offrait un champagne Henriot, réserve du Baron Philippe de Rothschild 1975. Et la table parsemée d’évocations de vignes et d’orchidées blanches et rouge sang du même sang que les pétales de roses jetées comme en semailles. Tout frémissait de plaisir parfait. Rajoutez à cela un service d’une précision chirurgicale, et le tableau est dressé. Le Henriot 75 glisse en bouche comme un champagne de soif. L’âge n’a pas de prise. Il a bien fallu deux bouteilles pour attendre des convives bloqués dans les embarras parisiens.
Sur une « tarte d’artichaut et de truffe au Périgord », nous avons eu un Corton Charlemagne Louis Latour 1945 et deux bouteilles successives de Montrachet Diard 1949. Le Corton Charlemagne a un nez immense, d’une grande complexité. Le nez d’un des Montrachet était fermé, mais l’autre est certainement l’un des plus grands blancs que j’ai bus. Un poids, une intensité, et surtout une longueur immenses. Un vin à ne jamais oublier.
Sur un « homard en coque rôti, fumé aux châtaignes de Corrèze », nous avons eu un magnifique Gruaud Larose 1921 qui créait un accord parfait avec les châtaignes, et nous avons découvert le vin le plus surprenant du dîner : Malartic Lagravière 1916 qui dansait avec la chair du homard. Ce Malartic a la couleur d’un vin des années 80. En bouche, il a la jeunesse d’un vin des années 70, comme si le temps avait décidé de s’arrêter pendant plus d’un demi-siècle. Un vin de fruit et de générosité que beaucoup de convives ont placé en numéro un.
Sur un « bar au poireau et vin rouge », nous avons eu un Cheval Blanc 1934 et un Cheval Blanc 1945. La combinaison avec le poisson a été éblouissante. Qui le penserait ? Je considère que ce 1934 est une des plus grandes émotions que j’ai eues avec des vins de Bordeaux. Ce vin me parlait. Il me questionnait. Il me disait : « est-ce que vous m’aimez ? » Et je suis tout simplement tombé dans ses rets. Il me submergeait d’émotion, la légère acidité étant là pour prouver qu’il s’agissait d’un vin réel. Bien sûr, le 1945, si parfaitement fait, si authentiquement Cheval Blanc aurait été la star absolue de plus d’un repas. Mais ce soir là, c’était ce 1934 qui me parlait, m’envoûtait, me prenait en otage consentant. Je ne pense pas avoir eu dans les derniers six mois un Bordeaux de cette qualité. Comme Margaux 1934 a été l’éblouissement d’un autre repas (voir prochain bulletin), cela constitue un signe sur la valeur actuelle des 1934.
Sur un « carré de chevreuil rôti, dragées au chocolat sauce poivrade », nous attendions la star de ce dîner : Château Ausone 1900, que devait accompagner un magnum de Carbonnieux 1928. L’Ausone avait un mauvais nez de bouchon et malgré une décantation longue, ne l’avait pas perdu. En bouche, très acceptable, mais nous n’avions pas le mythe que nous attendions. L’accord avec la dragée au chocolat améliorait l’Ausone, et nous avons déchiffré religieusement ce qui était lisible du message. Avec la chair du chevreuil, le Carbonnieux brillait. La couleur était presque aussi jeune que celle du Malartic 1916, et le vin, sûr de lui, équilibré comme chacun des Carbonnieux 28 que j’ai bus, donnait l’impression à chaque convive qu’il s’agissait presque d’un vin familier, “ami de la famille”. S’il n’était si rare, on en ferait son ordinaire de perfection.
Sur une « truffe au chou en cocotte lutée » nous avons bu mon Haut-Brion chéri : Haut-Brion 1926, associé avec un partenaire redoutable : La Mission Haut-Brion 1961. Ce 1926 montrait quelques signes d’âge, mais on pouvait aisément reconnaître sa magique perfection, de velours et de rondeur. Alors qu’avec La Mission on aurait attendu une rupture de goût due à l’écart d’âge, pas du tout : le jeune athlète n’écrasait pas les seniors. On restait dans les mêmes registres de très haute qualité. Ces deux vins ont accompagné aussi un « Saint-nectaire » et une « Mimolette » de trois ans.
Sur un « blanc manger au lait d’amande et à la confiture d’oranges amères », deux bijoux, Climens 1928 et Climens 1929. Le premier est doré, le second est brun. Le premier est la représentation ultime du Sauternes idéal, le second est plus caramélisé. Mais l’un comme l’autre sont des expressions rares des Sauternes que l’on adore, inimitables lorsqu’il y a cette maturité.
Nous avons fini sur une Fine Champagne 1830 qui me rappelait presque exactement l’un de mes cognacs des années 1880. Les deux ont la même expression du cognac de pleine intensité et de densité hors norme.
Les convives ont eu des classements très concentrés sur six vins. Mon choix partagé par un seul convive a été : Cheval Blanc 1934 / Montrachet 1949 / Malartic 1916.
Un lieu de rêve, un chef au sommet de la création, des accords justes et des vins légendaires. Un nouveau dictionnaire devrait donner cela comme définition du paradis.

galerie 1989 jeudi, 9 janvier 2003

Chateau Mouton-Rothschild 1989 bu à la maison. Le dessin de Baselitz est un des plus audacieux, faisant allusion à la chute du Mur de Berlin. En plus, le vin est bon.

This picture made by Baselitz is very audacious as it is inspired by the destruction of the Berlin’s Wall. And the wine is great !

Chateau de Fargues 1989, un des préférés d’Alexandre de Lur Saluces, qui l’aime, car le cousinage avec Yquem a été rarement aussi prononcé.

 

Voici le "cousin", Yquem 1989, bu au Chateau de Germigney le 4 février 2007 avec une poularde au vin jaune. Un accord sublime.