Archives de catégorie : vins et vignerons

spectaculaire dîner au chateau La Gaffelière lundi, 4 avril 2005

Arrivé au château La Gaffelière, une fois la porte austère comme celle d’un cloître refermée, un jardin délicat, arboré avec goût, pousse à l’émerveillement. Deux Bugatti dans un garage orné de mosaïques antiques indiquent que le maître des lieux vit ses passions. L’impressionnante collection de tableaux de peintres flamands des périodes de gloire montre que l’exception et la joie de vivre sont les maîtres. La cuisine sera faite par le chef de l’hostellerie de Plaisance, où je loge, et c’est le mieux de ce qui peut se faire.

Passage obligé, puisque c’est la semaine des primeurs, nous goûtons les 2004. La Chapelle d’Aliénor qui se cherche un peu, Château Armens que j’avais aimé lors des dégustations du Cercle Rive Droite, Château Tertre Daugay déjà magnifique dans sa présentation actuelle où le fruit est élégant et la structure intelligente, et Château La Gaffelière moins présent que le Tertre Daugay, mais promettant de belles évolutions. Un blanc est inaccessible pour moi tant on est loin de ce qu’il sera.

Dans les riches salons, un champagne Pommery 1991, moins chaleureux que mon 1987 récent, étonne par sa personnalité. Il raconte des choses. Nous passons à table et je remarque les éblouissantes armoires d’acajou aux dimensions cyclopéennes. Le premier vin est le Tertre Daugay 1990. Je n’arrive pas à croire qu’un 1990 puisse être aussi jeune, tant le fruit sur un bois intense et vert semble indiquer un vin à peine né. Et en analysant, c’est bien un 1990 à la jeunesse folle.

La Gaffelière 1961 est l’expression de la perfection du vin jeune. C’est l’idéal. Le 1928 est époustouflant. Un nez d’une densité rare, une structure affirmée où les champignons abondent. Et un toast à la truffe caresse le vin de façon parfaite. C’est délicieusement rond.

Le premier 1904 sent mauvais et inamical, exhale le soufre, et nous suivons la progressive extinction de cette odeur, car en bouche, c’est une prodigieuse explosion de bonheur. Le vin qui ne sent pas bon est magnifique en bouche. Une deuxième bouteille de 1904 montre un nez plus civilisé, chaleureux, mais le vin n’a pas le coté « canaille » du premier.

J’avais dans ma voiture un 1929 que j’évoquai prudemment lorsque nous fûmes à table. Fallait-il l’ouvrir chez celui qui le produit ? L’ambiance étant amicale, on suggéra que je l’ouvrisse. Manifestement moins bien conservé que les bouteilles du château, ce vin montra malgré tout une noblesse extrême.

Un Guiraud 1983 conclut ce délicieux moment.

Mon classement, approuvé par des convives qui sont des professionnels du vin fut : le premier 1904, le 1928, le 1929 que j’avais apporté, le second 1904, et le 1961 qui se trouverait premier si l’on jugeait pour les palais d’aujourd’hui.

Nous fêtions Stéphane Derenoncourt qui conseille les vins de la famille Malet-Roquefort et avec qui j’ai partagé quelques analyses intéressantes. Générosité immense de chaleureux propriétaires de grands vins.

primeurs 2004 Cercle Rive Droite des Grands Vins de Bordeaux dimanche, 3 avril 2005

Etant invité à une réception dans un des prestigieux châteaux du bordelais, je tricote autour quelques rendez-vous. Mon séjour commence par une dégustation des 2004 (nous sommes le 3 avril 2005) organisée par le Cercle Rive Droite des Grands Vins de Bordeaux. Cela se passe au Château de Pressac, noble demeure aux remparts anciens et au bâtiment très Viollet-le-Duc, qui jouit d’une vue impressionnante sur de vastes vallées. Le charmant propriétaire qui a acheté le château en 1998 nous accueille d’un large sourire. Il prête sa demeure pour plusieurs séances de dégustation pendant la semaine des primeurs. Son saint-émilion grand cru sera parmi les vins jugés. Un cahier de 74 pages, à deux vins par page, nous est donné, afin qu’une brochette de journalistes de nombreux pays notent leurs impressions. Beaucoup le font directement sur leur ordinateur portable. Il y a deux générations de goûteurs. Les grands, les vrais, les purs, notent tout à l’aveugle, sur des échantillons. Chaque bouteille neutre porte le nom de l’appellation et un numéro. Je fais partie de l’autre groupe qui juge en connaissant les noms. Ce qui est évidemment un tout autre exercice.
J’aurai personnellement goûté 50 vins et annoté 49 vins. C’est une rude épreuve. Mes gencives, comme mes dents, comme celles de mes collègues juges, sont devenues violettes. J’ai compté mes dents en fin d’exercice pour savoir si tous ces tannins, toutes ses astringences, ne les avaient pas dissoutes. Je ne vous imposerai pas mes notes, car ce serait trop long, mais je me suis astreint à apprendre comment juger de tels vins. Une anecdote pour s’amuser. Je goûte un vin assez atypique. Je lui trouve un nez animal, très viande. Je m’en ouvre à deux journalistes britanniques. L’un lui trouve un nez floral, l’autre lui trouve un nez de fruit. En me penchant à nouveau, je sens un nez de fleur et de fruit, ce qui prouve mon aptitude au consensus européen.
D’une façon générale j’ai trouvé que les vins ont tendance à être de technique. Dans des petites appellations les vins ne représentent plus leur région, mais des vins travaillés. J’ai rencontré beaucoup de vins élégants, beaucoup de vins difficilement buvables. Paradoxalement je fus plus intéressé par les vins les plus ingrats, dont l’acidité et l’amertume préparent de futurs bons vins. Ce que ne seront sans doute pas forcément les vins déjà buvables. Une constatation intéressante : les vins qui sont faits par les œnologues dont tout le monde parle sont élaborés de façon extrêmement intelligente et n’en font pas trop. Ce sont naturellement les vins qu’on aimerait critiquer. Je leur ai trouvé un charme certain. Mon sentiment est que l’année 2004 aura beaucoup de déchets, car j’ai goûté plusieurs vins qui ont raté leur coup. Il sera indispensable de lire les bonnes feuilles de plusieurs experts pour déterminer les achats à suivre.
J’indique ici quelques vins qui m’ont plu : Château Marjosse, appellation Bordeaux, Château Tour de Mirambeau, Bordeaux Supérieur, Château Reynon, Premières Côtes de Bordeaux, Château Fougas Maldoror, Côtes de Bourg, Château Cap de Faugères, Côtes de Castillon, Château Joanin Bécot, Côtes de Castillon, Clos Puy Arnaud, Côtes de Castillon, Château Puygueraud, Côtes de Francs, Château Dalem, Fronsac, Château Fontenil, Fronsac, Château Canon de Brem, Canon Fronsac, Château Le Bon Pasteur, Pomerol, Domaine de l’Eglise, Pomerol, Château l’Enclos, Pomerol, Château Taillefer, Pomerol, Le Fer, Saint-Émilion Grand Cru, Château Franc Grâce Dieu, Saint-Émilion Grand Cru, Château Péby Faugères, Saint-Émilion Grand Cru, même s’il est « tendance ». En blanc, j’ai apprécié le Reignac et le Plaisance. Des vins extrêmement différents, des techniques souvent opposées. Il faudra bien choisir ses primeurs. Les Pomerols me sont apparus les plus authentiquement bons, mais j’aime les pomerols, pour la production rive droite de cette année.
François Mauss, président du Grand Jury Européen, dont des membres étaient présents dans la salle aux jugements à l’aveugle, publiera sans doute des analyses dans la lettre dont je vous ai adressé un exemplaire. Il y a de telles variations de réussite dans les vins de cette année où le Bordeaux perd un peu de son caractère qu’il faudra lire tous ces témoignages.

Dégustation de vins de la maison Henriot mercredi, 16 mars 2005

La journée du 16 mars, racontée dans le bulletin 134, avait été particulièrement active. A midi, repas bimestriel d’amis. Je les quitte pour me rendre au Plaza où Joseph Henriot et Bernard Hervet présentent avec leurs équipes les plus belles productions de leurs domaines. Il y a beaucoup de professionnels, car tout a été fait pour les attirer. Je me borne (si l’on peut dire) à goûter le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1988 que je trouve un peu en dedans de ce qu’il pourrait faire, et un Puligny Montrachet les Folatières 1955 dont je bois d’abord le fond d’une bouteille déjà largement aérée et le début d’une bouteille récemment ouverte. A mon grand plaisir, s’il y a effectivement un écart d’épanouissement, celui qui est encore fermé a aussi bien du charme. Deux expressions d’un blanc fort expressif, au nez de crème, de beurre et des saveurs assez exotiques qui ravissent le palais par une belle trace persistante.

Au rayon des champagnes, nul ne pourrait résister à deux fleurons de la maison. Le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1990 a une personnalité affirmée, et une espérance de vie qui semble illimitée. On dirait que le sprinter ne fait que s’ébrouer avant l’appel du starter. Le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1964 est tout simplement époustouflant. Là aussi je goûte le fond d’une bouteille et le début d’une autre. Contrairement à l’expérience faite avec le Puligny, il faut ici oublier le vin qui vient juste d’être ouvert pour ne savourer que celui qui s’est bien aéré. Sublime champagne à la trace en bouche infinie. L’imprégnation voluptueuse des papilles est un grand moment. Il fut suivi par le Salon 1985 du dîner chez Gérard Besson que j’ai raconté. On parle ici de champagnes d’exception.

Au sein de cette assemblée joyeuse j’ai retrouvé Yann, sommelier complice des belles bouteilles que l’on a vues sur France 2 à « Envoyé Spécial ». Comme deux combattants d’une guerre gagnée, nous étions heureux de nous remémorer les moments où nous obtînmes de fiers galons (Montrachet 1865 par exemple).

J’allais ensuite ouvrir les bouteilles du dîner chez Gérard Besson.

Salon des Grands Vins 3 samedi, 12 mars 2005

Je me retrouve le troisième jour assis aux cotés de Nicolas de Rabaudy et de Henri Lurton qui nous présente Brane-Cantenac, grand Margaux. Le 1989 est particulièrement brillant, élégant, au sommet de sa sensibilité, mais le 1959 (quelle générosité pour 120 personnes) est un vin de grande émotion, car cette année grandiose est en pleine exubérance. De grandes saveurs complexes que j’aide à expliquer, car le passage des goûts de 1989 à ceux de 1959 n’est pas facile pour tous les palais.

Je contribue quelquefois à décrire les vins. Ma tâche devient fort simple quand un fringant jeune homme né en 1917, Thierry Manoncourt, fort de soixante millésimes auxquels il aura donné sa main apparaît sur scène. Il n’a besoin de personne et présente tout seul son grand vin qu’il aimerait tant voir classé comme Cheval Blanc. J’ai l’impertinence de signaler que la couleur de son Figeac 1989 est plutôt tuilée par rapport à ce que l’année devrait montrer. Je suis bardé de flèches par ses yeux péremptoires. Son vin est fort bon.

Ayant commencé la première dégustation du salon aux cotés de Pierre Lurton, je vais diriger la dernière, soutenu par Nicolas de Rabaudy. Le sujet est celui des vins anciens. On va goûter un Côtes du Jura Jean Bourdy 1967 de couleur dorée au message jurassique rare. Il est d’ailleurs à noter que je fus la seule personne de ce salon à défendre les vins du Jura alors que je n’ai ni cette vocation ni cette obligation. Un Coteaux du Layon Domaine Baumard 1981 surprend toute l’assemblée par la séduction extrême de ses arômes et de son goût mêlant le sucré et le  désaltérant. Deux doubles magnums de Côtes du Roussillon Villages Cazes 1989 étonnent eux aussi, tant ce vin, même s’il est plus court que certains grands crus d’autres régions plus capées, a de l’élégance et de la mâche. Un Liebfraumilch Johann Schenk 1974 délicieusement liquoreux séduit comme pas deux. Et un Maury 1959 des vignerons de Maury, sur de subtils carrés de chocolat Boissier distribués en même temps, conclut ce salon sur la note la plus voluptueuse de tout ce qui nous fut donné à goûter pendant le salon : sensualité lascive du Maury et du chocolat. Je voyais les yeux des dégustateurs pétiller tant ils profitaient de vins inattendus et manifestement intéressants. Beaucoup ont appris des pistes nouvelles. Les amoureux des vins anciens verront grossir leurs rangs de nouvelles recrues.

L’équipe de service des verres et des vins, sous la ferme autorité de Franck, sommelier que j’ai pratiqué dans de belles maisons, a fait un travail remarquable. Mais je dois dire – et ce n’est pas à leur passif, car ils ont agi soit sur les instructions qui leur ont été données, soit sans instruction – que mes vins étaient de loin ceux qui furent les mieux présentés. Ouverts à midi quand la conférence était à 17 heures, sans bouchons alors que tous les autres étaient rebouchés avant leur service, à température plus conforme que ce qui fut fait ailleurs, ils ont démontré qu’il faut parler de mes méthodes, même aux plus grands producteurs. Il n’y a aucune prétention de ma part mais de la pratique. L’écart était énorme avec plus d’un producteur sur deux entre ce qu’il aurait fallu faire et ce qui fut fait. Je suis prêt à ouvrir des débats (et des vins !).

Magistral salon où des amateurs ont approché des vins inaccessibles ailleurs qu’ici. Ambiance propice à de chaleureuses rencontres. Tout fut réussi.

Salon des Grands Vins 2 vendredi, 11 mars 2005

C’est le deuxième jour du Salon des Grands Vins. La première conférence est celle que je guette. On y parle des vins du domaine Bonneau du Martray. Jean Charles le Bault de la Morinière tient la plus brillante et émouvante conférence que l’on puisse imaginer. Tout y est. L’évocation historique où l’on sent que les passages de générations ne sont pas toujours des choses simples, le pouvoir ne se partageant pas. L’hommage aux équipes qui font le vin. L’hommage à la terre, au climat, aux orientations, au soleil, sans lesquels rien ne se ferait aussi bien. Les réflexions, les choix techniques pour que l’authenticité historique du vin soit assurément préservée. Le tout sur un fond de sensibilité qui conquiert l’auditoire. Il vole presque la vedette à ses vins merveilleux mais ce n’est pas possible. Trois Corton Charlemagne, le 1992, le 1997 et le 2002, différents et tous passionnants et le Corton rouge 2002 époustouflant, jeune, brillant, un beau vin qui pousse Michel Bettane à lui lancer les compliments les plus dithyrambiques.

Je visite de nombreux stands, sans chercher à faire des analyses structurées des vins présentés. Un champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1990 caché dans le recoin du stand Henriot me donne un immense plaisir, et la cuvée Henriot 1996 est d’une intensité qui mérite le respect. Quelle personnalité !

Salon des Grands Vins 1 jeudi, 10 mars 2005

C’est le septième numéro du Salon des Grands Vins. Cette édition 2005 va s’affirmer comme un millésime de perfection. Des vignerons de renom, dont toute la récolte est automatiquement vendue, même dans les années de crise, font goûter des pépites, des joyaux de leur production. La veille, les stands se montent, par une armée de fourmis aux gestes précis et aux fonctions attribuées. Pas question qu’un acteur sorte de son champ de compétences. Tout s’assemble. Je vais exposer des bouteilles vides, évocatrices de ce que les vignerons ont fait de plus légendaire (Romanée Conti 1929, Cheval Blanc 1947 ou Yquem 1893) mais aussi, comme c’est ma philosophie, des étrangetés qui ont survécu au temps alors qu’on ne les attendait pas (Sidi Brahim 1942, Muscadet 1960,  Fleurie 1935). Ces bouteilles ont émerveillé les amateurs, souvent débutants, car beaucoup de jeunes, avides de savoir, peuplent les allées et les stands. Deux remarques sont les plus fréquentes : « oh, elles sont vides », ce qui implique une réponse humoristique de circonstance : « vous seriez passés il y a cinq minutes, vous auriez pu goûter à Romanée Conti 1929, on vient juste de la finir ». Et l’autre, quand je signale que j’ai bu toutes les bouteilles exposées : « vous en avez de la chance ». Ma réponse surprit beaucoup : « cette chance, je l’ai construite ». En une époque où les critères de réussite sont le Bachelor, la première compagnie ou le loft, la chance semble être le seul vecteur de la prospérité.

J’arrive le premier jour 45 minutes avant que les portes ne s’ouvrent et je vois une file d’attente de plus de cinq cents mètres qui ressemble à celle qui se forme aux portes du Louvre, mais cette fois du coté musée. C’est que tout le monde aimerait bien assister à la conférence-dégustation d’Yquem qui inaugure le salon. Seuls 120 élus auront droit à ce privilège. Eux aussi ont construit leur chance.

Avec Enrico Bernardo, meilleur sommelier du Monde 2004, que j’ai souvent apprécié au Cinq, avec Georges Lepré, brillant sommelier et homme d’esprit, Pierre Lurton doit présenter trois millésimes. Il me demande d’être à ses cotés. Dans une ambiance enjouée nous allons parler tour à tour de ce vin prodigieux. Nicolas de Rabaudy, écrivain du vin, va guider la majeure partie des 27 conférences. Ici, il n’a pas beaucoup d’effort à faire, tant nous avons de belles choses à dire sur ce vin mythique. Le Yquem 1999 est lourd, chaud, fait de miel et d’abricots. Il sent le sucre. Le Yquem 1998 au nez plus fermé est nettement plus profond. Les figues, les coings, les abricots, les poires sont parmi les facettes de ce vin où je trouve un peu de sel. Le Yquem 1996 est plus floral, au nez d’agrume. Son final de zeste d’orange est un peu plus court. Pierre Lurton indique que son équipe considère le 1996 comme le plus traditionnel des trois. Il faudra que j’en discute avec eux, car à mon sens, c’est nettement le 1998, de ce que j’ai ressenti, qui est l’Yquem  qui s’inscrit dans la ligne historique. Le 1998 me fait penser aux belles années vingt, quand le 1996 plus léger m’évoque les années trente. Nous en reparlerons sur place avec ces équipes compétentes lorsque je les rencontrerai, car il sera intéressant de croiser nos repères.

La conférence suivante est tenue par Jean Pierre Perrin co-propriétaire de Beaucastel qui présente ses vins avec Michel Bettane. Je ne décrirai pas tous les vins goûtés pendant ces événements, me limitant à quelques remarques. Ici, c’est l’émouvante présentation d’un vin rare, le Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1995, vin d’une petite parcelle, dédié au père de Jean Pierre Perrin. C’est l’expression la plus belle du Chateauneuf du Pape noble. J’en ai raconté des expériences (bulletin 65 et 118). Il est très acide, voire brutal, mais fortement prometteur.

Pierre Lurton m’ayant donné une bouteille d’Yquem 1996 pour égayer mon déjeuner et Jean Pierre Perrin ayant pris avec lui une bouteille d’Hommage 1995, nous voilà arrivant à l’hôtel Meurice, Jean Pierre Perrin et moi, tels deux clochards dont les litrons dépassent de la poche. Yannick Alléno nous attendait. Une tarte aux truffes et un risotto de langoustines, tels des inspecteurs de police acharnés, ont réussi à faire avouer à l’Hommage le secret de son talent. Il vibra plus sur la langoustine que sur la truffe. L’Yquem se régala de la viande de veau pour nous faire des caresses coquines. Le chef avait goûté l’Yquem à notre arrivée pour adapter la sauce de la côte de veau à la jeunesse de ce nectar. Ce fut divin.

Je quittai Jean Pierre Perrin dans la précipitation car je devais assister Pierre Lurton pour la présentation de Cheval Blanc. Il n’avait évidemment pas besoin de moi, mais j’avais quelques anecdotes pour rappeler l’histoire du goût de ce grand vin. Le Cheval Blanc 1998 a un nez sublime. Je ne pouvais m’arrêter de le sentir, tellement captivé – comme cela m’arrive – que l’odeur magique paralyse mon bras qui voudrait me désaltérer. L’odeur m’occupa cinq bonnes minutes, me procurant un immense plaisir, la bouche rappelant que le vin est jeune, et fort grand. J’ai trouvé le Cheval des Andes 2002 en fort progrès par rapport à ce que j’avais bu.

La conférence suivante, sur les vins de cépages autochtones d’Europe, fut pour moi un moment mémorable. On m’avait demandé de figurer, plus souvent que je ne l’aurais dû, à la table des conférenciers parce que l’intervenant principal, l’âme générale de ces rencontres, ne pouvait être présent comme il l’aurait voulu. Je me suis donc trouvé près d’Olivier Poussier, premier sommelier du Monde 2000, et je tombai sous le charme de son invraisemblable érudition. Que pouvais-je ajouter à ce qui fut une immense leçon sur des vins intimes et rares caractérisés par le respect de leur origine historique. Des vins intéressants, pas toujours dans les voies gustatives que j’aime explorer, mais sans nul doute un bestiaire amoureusement constitué par Olivier.

C’est en spectateur que j’assistai à la conférence de Jean Louis Chave sur ses vins dont je suis tant amoureux. L’homme est jeune, respecte l’histoire mais affirme ses choix personnels. Tout en lui exsude la recherche de l’excellence absolue. Cet homme est un roc de volonté et c’est impressionnant. Il arrive  la fois à exprimer du sentiment, de la continuité, mais aussi cette quête du parfait qui ne le quittera jamais. Très réservé, on sent que l’on n’a pas intérêt à venir dans son pré carré. Compte tenu de son âge, il nous mènera encore vers des niveaux insoupçonnés de perfection. L’Hermitage Chave blanc 1995 est somptueux. Il est très long. C’est un vin magnifique de gastronomie. L’Hermitage rouge Chave 1998 (je ne cite pas tout ce que l’on a bu) est rond, séducteur, et malgré sa jeunesse, déjà beau. C’est sa plénitude qui me fascine.

Les organisateurs du congrès retiennent à dîner, à des tables animées par quelques producteurs, de grands vignerons, des professionnels du vin, la presse et quelques people. Michel Bettane et Thierry Desseauve vont décerner des prix pour récompenser des vignerons méritants selon des critères qu’ils ont choisis. On en lira sans doute dans la presse les nominations. Je suis à la table de Joseph Henriot avec des personnalités de tous horizons. Nous parlons de vin, de ses techniques, de son futur. Le repas est particulièrement réussi par Lenôtre pour près de 220 personnes. C’est Olivier Poussier qui surveille tous les détails.

Tant de domaines étant représentés, certains vins seront sur toutes les tables quand d’autres n’en réjouiront que deux ou trois. Nous profitons du Meursault Genévrières Bouchard Père et fils 2000 dont le gouleyant accompli fut encore développé par la présence à notre table de celui qui l’a fait. Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1994 est d’une année relativement moyenne, mais il est tellement bien fait qu’on en jouit sur un plat un peu fort pour lui. Le Château Palmer 1995 est très élégant, quand le Château Cheval Blanc 1995 est tout simplement renversant. C’est un vin dont le raffinement est la caractéristique principale. Je voyais les Yquem 1997 qui passaient devant notre table pour atterrir sur celles des officiels ou des people. Mais le Château de Malle 1997  confirma une fois de plus que ce sauternes est bien construit, long et de plaisir. L’année 1997 étant grande, on profitera de ce vin bien plus tard. Magistral dîner et choix de vins. Ce n’est pas très compliqué quand on a rassemblé la fine fleur du vignoble français.

Du salon des grands vins, c’était le premier jour. Les deux autres sont palpitants. A suivre…

La Percée du vin jaune 4 mardi, 8 février 2005

Le lendemain, nous nous rendons à Arlay avec notre ami suisse pour visiter la maison Jean Bourdy, dont nous avions envahi le stand provisoire de Saint-Lothain. Elle a le double privilège d’être un grand vigneron et le gardien d’une cave de vins anciens unique. La famille Bourdy est propriétaire du domaine depuis 1470. La dix-huitième génération est aux commandes, et la conservation d’un trésor est une tradition qui obéit à des règles familiales strictes. On sait ce que l’on garde, et l’on ne fait pas les changements de bouchon au hasard. Jean-François et Jean-Philippe, deux frères, ont bien l’intention de conserver intactes les méthodes qui ont permis à ces vins de traverser l’histoire : la plus ancienne bouteille qu’ils boiront sans doute un jour et qui sera sûrement bonne est un vin jaune de 1781. Dans la cave, un alignement de toutes les formes possibles qui ont accueilli les vins du Jura. Apparemment, avant d’arriver au Clavelin, on a tout essayé. On me dit que les plus vieux flacons (vides) sont du 14ème siècle. Est-ce vrai ?

Jean-François m’avait prévenu : après avoir goûté dimanche de grandes années, on goûterait ensemble des années difficiles. Ce qui aura permis aux deux frères de réviser quelques jugements. Le Côtes du Jura blanc Bourdy 1966 a une belle attaque. Il est assez austère, pas très flamboyant mais bien solide. Un vin qui a de la garde et satisferait plus d’un palais. Le Château Chalon Bourdy 1982 a un nez de caramel et de beurre. En bouche, c’est assez beau. Une grande astringence précède un goût de pomme verte. Le vin est un peu court.

Le Château Chalon Bourdy 1976 a un nez très typé, très musqué. La couleur est très ambrée. Le goût change, passant du doucereux au vert acidulé. La trace en bouche est assez linéaire et un peu courte. Il est meilleur que ce qu’on pourrait attendre. Le Côtes du Jura vin jaune 1957 a un nez bien affirmé. L’attaque est séduisante. Le vin est rond, accompli. Très acide, il annonce une belle garde. Le Château Chalon Bourdy 1952 a un nez magnifique. L’acidité est plus faible. Il y a un petit manque de matière, mais il est élégant, presque féminin.

Si ces années doivent être qualifiées de difficiles, il n’y a pas de souci à se faire, car je trouve chez toutes un beau potentiel de vieillissement. Pour se faire pardonner – mais de quoi ? – Jean-François nous servit un vin de paille Bourdy 1947, petite merveille de vin de paille accompli qui a gardé toute sa jeunesse. Ce vin est fait à 90% de Poulsard. La couleur est de thé brun, de Porto. Le nez est de fruit, de pruneau. En bouche, c’est la combinaison de pruneaux et de vin doux, et d’élégantes touches d’agrumes qui le rendent léger. Un vrai plaisir.

Nous déjeunons ensuite au restaurant le plus proche, une belle maison rurale gentiment décorée où un jeune couple offre une cuisine et un service de grande tenue. Nous avons bien mangé, sur de belles recettes. La tarte de Morteau est bien exécutée, et mon sandre avait du goût. Le Poulsard Arbois 2001 de Lucien Aviet m’a bluffé. Ce  vin assez rosé a une immense expression. Il envahit la bouche, l’occupe, la tapisse, et sait se couler dans le sillage des plats pour former des sensations très excitantes. Voilà un type de vins que j’hésiterais à ouvrir à Paris, et qui raconte des choses passionnantes. Le vin de l’Etoile domaine de Montbourgeau 2000 est une masse d’énigmes. Il explore des milliers de directions aromatiques. C’est particulièrement excitant. Je n’ai pas pu en profiter complètement car c’était le Poulsard qui nageait sur mes plats comme le dauphin qui précède le navire. Mais j’ai ressenti un potentiel de divagations gustatives grandement poétiques.

Madame Bourdy mère collait les étiquettes sur les bouteilles poussiéreuses que j’avais achetées tout en racontant des histoires passionnantes du temps jadis. Ces gestes qui perpétuent plusieurs siècles de rites ont un grand pouvoir d’émotion. Les vins du Jura, par cette percée du vin jaune fort généreusement bonhomme, par ses goûts intrinsèques, par la passion de ses vignerons et par cette oenothèque unique, vont conquérir les palais de la planète. J’en serai un troubadour. Avec enthousiasme.

La percée du vin jaune 3 lundi, 7 février 2005

Fatigué par cette journée où avaient alterné des atmosphères chaudes et très froides – les parisiens ne sont plus habitués au froid – je ne fus pas assez matinal le dimanche pour la procession et la messe. Embarqué dans une gigantesque transhumance, j’arrivai à temps pour la cérémonie symbolique et solennelle de l’ouverture du tonneau de vin jaune – sa percée – qui libère le liquide emprisonné six ans et trois mois. Bruit de marteau, applaudissements, le vin est généreusement versé dans les verres pour quelques milliers de communiants de cet accouchement. Le nez est fort expressif malgré le froid, et quand le verre se réchauffe on a un vin de bien belle expressivité, cette ardeur qui suit immédiatement la sortie de tonneau. Il faut savoir ce qu’il y a dans ce tonneau. Je croyais qu’on prenait un fût de l’un des vignerons, différent à chaque percée. Ce n’est pas cela. Plus de 70 vignerons de la confrérie ont percé leurs tonneaux il y a deux jours et ont apporté deux bouteilles. Celles-ci sont mélangées dans le tonneau. Bien malin celui qui dirait : « je reconnais Tissot ou je reconnais Macle ». Cette combinaison de toutes les productions a fort belle allure. Et donne un résultat d’une redoutable expression. Les vignerons disent même que ce mélange est meilleur !

Une foule infranchissable s’égaye dans les stands, saucissonnant, trinquant, et quand l’heure s’avance, chante à pleine voix. Il est prévu que je signe mon livre sous un chapiteau où un dynamique cuisinier allait donner un cours de cuisine. Une foule immense se presse, certains pour suivre le cours, d’autres pour manger un petit bout de plat, d’autres pour se réchauffer, le plus grand nombre pour jeter un œil. A ma grande surprise  plusieurs personnes furent réellement intéressées par mon livre. Je dis surprise, car le profil général du promeneur qui passe de stand en stand pour goûter des saveurs attirantes n’est pas naturellement celui du lecteur de mes carnets. Je pus dédicacer mon livre à un consul et un ambassadeur japonais.

Ayant manié la plume il était temps de lever le coude d’autant que le président de l’association des sommeliers de la région m’entraîna au stand 41, celui de la maison Jean Bourdy, où Jean François Bourdy avait préparé quatre Côtes du Jura blanc. Je suis ravi d’avoir pu boire ces vins, qui démontrent – s’il en était besoin – comme le temps agit bien sur ces magnifiques breuvages. Le 1949 a une belle enveloppe bien ronde. Bien installé en bouche sans en faire trop, il est presque crémeux. Le 1945 plus masculin laisse une trace en bouche d’une belle signature. Le 1942 est magistral de bel accomplissement. Il est généreux. Et le 1934 au nez d’une race extrême développe, plus il se réchauffe, la beauté archétypale de la perfection d’un vin du Jura à son apogée. C’est une leçon de choses. J’ai aimé le final du 1945, la générosité du 1942 et la perfection synthétique du 1934, le plus grand de pure noblesse. Le stand de Jean Bourdy était installé dans ce qui pourrait être un garage. Nous étions au fond de la salle, derrière le comptoir, et je pouvais constater la pression du pack des amateurs, se bousculant pour boire ces trésors. L’avidité bon enfant de ce public hétéroclite qui participe et crée la fête fait plaisir à voir. Cet enthousiasme d’une foule bigarrée est un excellent signe.

Le retour au bercail est aussi compliqué que la Vendée Globe, la seule différence étant qu’à la Vendée Globe on est solitaire. Visiblement, je ne l’étais pas.

Une règle souvent vérifiée veut qu’on ouvre d’autant plus facilement les vins qu’on en a beaucoup. Je viens d’acquérir de quoi regarnir certaines étagères. On verra encore plus le Jura dans mes dîners.

Repos le lendemain, car l’accumulation des vins dégustés et les passages de grand froid à grand chaud sont des ennemis de la dégustation calme. Un autre ami suisse, fidèle de mes dîners (il a participé à certains des plus grands) me rejoint au château de Germigney, juste pour le plaisir d’être ensemble. Pour fêter sa venue, je commande un Krug Grande Cuvée, pensant à ceux que j’ai. Quelle surprise de voir la différence entre ce jeunet et mes Krug d’âge canonique ! Il est certain que ce champagne non millésimé doit dormir en cave plus de quinze ans. C’est alors qu’il expose tout ce qu’il sait dire. Là, ce bambin montre du talent, mais c’est le nigaud boutonneux. Puis, quand l’oxygène fait son œuvre, de belles promesses apparaissent et le champagne prend de l’ampleur. Belle bulle, belle intensité aromatique, et cette acidité qui démontre que dix à quinze ans vont le rendre sublime. Sur une délicieuse volaille en vessie traitée de façon fort élégante, nous essayâmes le vin suggéré par le jeune sommelier, un vin de pays de Franche-Comté, Chardonnay « cuvée de la canicule » 2003 Ruranim qui titre 14,2°. Il commence dans des expressions chiliennes. On remarque l’exercice de style, sans être le moins du monde intéressé. Puis, quand les réserves d’usage ont été faites, on se laisse aller à la romance entonnée par le vin et on trouve que l’association est belle et que le vin existe. On fut bon public l’espace d’un instant. Pourquoi pas ? Il n’y a pas d’avenir dans ces excès d’alcool. Mais on se laisse aller. La fin du repas se fit sur le Krug lançant par instant de belles fulgurances sur un fond de juvénilité.

le grand conseil après le coup de marteau

La Percée du vin jaune 2 dimanche, 6 février 2005

La Percée du vin jaune, ça se mérite. Pour accéder au village de Saint-Lothain, siège de la Percée, il faut utiliser des navettes et oublier sa voiture. Comme nous sommes des dizaines de milliers de personnes à avoir la même idée au même moment, on imagine que les choses ne sont pas simples. Quelque deux heures pour parcourir les dix kilomètres qui séparent l’hôtel du village. Comme chaque année, le village est entièrement décoré de fleurs en papiers et de scènes villageoises qui créent une agréable atmosphère. C’est enjoué, c’est bon enfant, mais c’est surtout un véritable événement populaire. Chacun reçoit un verre et des tickets de « rationnement » pour éviter les excès, car plus de cinquante vignerons sont là pour nous tenter. La foule est heureuse de composer la fête, beaucoup de jeunes en groupes ou en couples s’intéressent aux vins de leur région.

Avant la vente aux enchères, tradition du premier jour, petit casse croûte sous un froid jurassien avec un vin d’Arbois de Ligier Père & Fils 2000, fort décent par ce froid. Sous un chapiteau, un alignement de plus de trois cents bouteilles du Jura qui couvrent une palette rare des plus grands vins de la région. Je ne crois pas qu’on trouverait dans une seule vente aux enchères à Paris autant de vins si vieux, même en considérant toutes les régions d’origine. Ce qui est un paradoxe de plus, c’est que je ne connais pas d’autre région où l’on paie aux enchères les vins plus cher dans leur région qu’on ne le fait ailleurs. Si l’on veut acheter des vins du Jura à des prix décents, il vaut mieux être à Paris. Ce qui m’attire, c’est que des flacons rarissimes ne sont présentés qu’ici, à cette vente annuelle. Je retrouve avec plaisir un ami, grand collectionneur suisse, et nous nous asseyons côte à côte pour éviter que dans le feu de l’action nous ne joutions sur des cibles communes. Un de ses amis a raflé tous les marcs. Je me suis concentré sur les vins de l’Etoile que j’aime particulièrement, sur les vins de paille qui sont rares et goûteux, et surtout sur quelques flacons parmi les plus anciens.

Il est certain que mon attitude contribue à pousser la cote des vins de cette région : si j’ai enchéri jusqu’à 2.300€ pour une bouteille, cela n’est pas neutre. Mais je ne suis pas le seul, car de féroces batailles se livrèrent, poussant des vins à des hauteurs de Spitzberg. Pas un seul vin ne représenta ce qu’on appelle une « bonne affaire ». La demande était trop forte.

On ne quitta pas la vente comme cela, car les organisateurs, fort contents, retinrent les enchérisseurs les plus frénétiques pour déguster quelques vins représentatifs ouverts sur un tonneau que le commissaire priseur avait damé tant il abattait son marteau. Ambiance de chaude complicité entre les organisateurs, les vignerons locaux et les amateurs acquéreurs de merveilles. Les commentaires furent simples, de pur partage.

Le Poulsard de Robert Jeannin Cotes du Jura 1967 est un vin presque rosé, qui ne peut se boire que si on accepte la logique des vins ultra typés. Comme j’aime, j’adhérai à la spontanéité râpeuse de ce vin sans concession que je classai en numéro 2 de ce court échantillon. Le Cotes du Jura rouge 1985 domaine « Grand Frères », vin d’assemblage, allait au contraire trop loin dans l’ésotérisme pour que mon palais fût séduit. Le Cotes du Jura blanc domaine « Grand Frères » 1979 avait tout pour me plaire. J’aime ces vins naturels qui s’expriment sans complexe et je le classai en numéro 1, séduit par la spontanéité de cette grande année. Le vin de L’Etoile de la coopérative vinicole de l’Etoile 1961 n’était pas à son vrai niveau. Un peu bouchonné, ce qui est rare pour un vin du Jura, je l’aurais sans doute apprécié avec quelques heures d’oxygène de plus. Le château d’Arlay 1969, vin jaune assez acide était une bouteille faible de ce domaine. Il vaut mieux garder le souvenir d’autres bouteilles du château d’Arlay, dont je suis friand.

Mon ami collectionneur ayant rassemblé ses achats et moi les miens, nous prîmes la direction de l’hôtel de Germigney pour partager un dîner d’une fort agréable exécution mais sur une carte de peu de choix. J’attendais de débuter ma truffothérapie, mais la tubercule était aux abonnés absents. Un Trousseau « les Corvées » Arbois de Jean-Louis Treuvey 1999 se présentait comme le Poulsard de tout à l’heure, avec une typicité farouche. Les amateurs que nous étions adhérant à ce rouge redoutable, nous pûmes profiter d’accords de grand niveau. Un vin jaune d’Arbois de Jacques Puffeney 1995, de belle et chaleureuse présentation, accompagna fort aisément un filet mignon ainsi qu’un Comté de 36 mois très fort. Il ne faut pas  choisir des Comtés de plus de 18 mois sur des Château Chalon, car lorsque le Comté devient de plus en plus expressif, il n’accompagne plus, il se livre à une lutte de suprématie. Un vin de paille Arbois de Jacques Puffeney 1999 encore fort jeune avait déjà une belle personnalité. Il racontait de jolies choses sur un dessert complexe et élégant.

la Percée du vin jaune 1 samedi, 5 février 2005

Départ à la Percée du vin jaune. Voyage par un soleil radieux qui se couvre de brouillard dès qu’on entre dans le Jura. Le château de Germigney à Port-Lesney, hôtel délicieusement décoré, nous accueille avec le sourire. Nous serrons des mains heureuses de nous savoir là. La belle chambre nous rappelle des souvenirs de bonheur. Tout se présente bien. Nous allons au restaurant de Jean-Paul Jeunet, le deux étoiles d’Arbois. La carte est alléchante et nous choisissons les huîtres Gillardeau à la saucisse de Morteau ainsi que le homard, ayant en tête un accord possible avec les vins de la région. Il est assez étonnant d’ailleurs de constater que presque toutes les tables de ce restaurant ont choisi un vin local. Proportion qu’on ne retrouverait pas certainement ailleurs. Dans la généreuse carte des vins, j’opte pour un vin jaune de l’Etoile du Château de l’Etoile 1986, domaine JH. Vandelle et fils. Le sympathique et compétent sommelier, que j’avais affronté il y a deux ans dans des enchères toniques pour capter quelques trésors, approuve et commente intelligemment mon choix. Les amuse bouche sont de remarquable qualité et le vin jaune colle à la queue de bœuf tandis qu’il ignore une coque goûteuse. Le mariage de l’huître avec la saucisse ne me convainc pas. Et le vin de l’Etoile semble de mon avis : il reste dans son coin. Quand le homard arrive, il sort une trompette de son étui et se met à improviser comme le plus fou des jazzmen. Ce vin doré, cuivré, aux senteurs d’une lourdeur de flamboyant a une présence immense. En le dégustant je me voyais bien planter ma tente dans cette région, pour me rassasier de saveurs qui me contentent au-delà de l’imaginable. Aimant foncièrement qu’un vin m’attaque, me dérange, pousse mes papilles dans leurs retranchements, j’ai avec les vins jaunes une complicité coupable. Le homard fut fort bon et copieux, traité pour flatter le vin jaune. On devrait arrêter de boire le vin jaune quand le plat est fini, car le bonheur qu’il procure s’éteint avec les desserts. Il vaudrait mieux finir le repas sur un comté que sur ces douceurs complexes et audacieuses.

Pour notre jour d’arrivée dans le Jura, j’avais choisi une perle, un de ces vins dont je n’arrête pas de jouir, conquis par leur brutale et arrogante complexité. La Percée du vin jaune démarrait le lendemain. Son récit, ainsi que celui du séjour en Jura se lira dans le prochain numéro.