Archives de catégorie : vins et vignerons

La Percée du vin jaune 4 mardi, 8 février 2005

Le lendemain, nous nous rendons à Arlay avec notre ami suisse pour visiter la maison Jean Bourdy, dont nous avions envahi le stand provisoire de Saint-Lothain. Elle a le double privilège d’être un grand vigneron et le gardien d’une cave de vins anciens unique. La famille Bourdy est propriétaire du domaine depuis 1470. La dix-huitième génération est aux commandes, et la conservation d’un trésor est une tradition qui obéit à des règles familiales strictes. On sait ce que l’on garde, et l’on ne fait pas les changements de bouchon au hasard. Jean-François et Jean-Philippe, deux frères, ont bien l’intention de conserver intactes les méthodes qui ont permis à ces vins de traverser l’histoire : la plus ancienne bouteille qu’ils boiront sans doute un jour et qui sera sûrement bonne est un vin jaune de 1781. Dans la cave, un alignement de toutes les formes possibles qui ont accueilli les vins du Jura. Apparemment, avant d’arriver au Clavelin, on a tout essayé. On me dit que les plus vieux flacons (vides) sont du 14ème siècle. Est-ce vrai ?

Jean-François m’avait prévenu : après avoir goûté dimanche de grandes années, on goûterait ensemble des années difficiles. Ce qui aura permis aux deux frères de réviser quelques jugements. Le Côtes du Jura blanc Bourdy 1966 a une belle attaque. Il est assez austère, pas très flamboyant mais bien solide. Un vin qui a de la garde et satisferait plus d’un palais. Le Château Chalon Bourdy 1982 a un nez de caramel et de beurre. En bouche, c’est assez beau. Une grande astringence précède un goût de pomme verte. Le vin est un peu court.

Le Château Chalon Bourdy 1976 a un nez très typé, très musqué. La couleur est très ambrée. Le goût change, passant du doucereux au vert acidulé. La trace en bouche est assez linéaire et un peu courte. Il est meilleur que ce qu’on pourrait attendre. Le Côtes du Jura vin jaune 1957 a un nez bien affirmé. L’attaque est séduisante. Le vin est rond, accompli. Très acide, il annonce une belle garde. Le Château Chalon Bourdy 1952 a un nez magnifique. L’acidité est plus faible. Il y a un petit manque de matière, mais il est élégant, presque féminin.

Si ces années doivent être qualifiées de difficiles, il n’y a pas de souci à se faire, car je trouve chez toutes un beau potentiel de vieillissement. Pour se faire pardonner – mais de quoi ? – Jean-François nous servit un vin de paille Bourdy 1947, petite merveille de vin de paille accompli qui a gardé toute sa jeunesse. Ce vin est fait à 90% de Poulsard. La couleur est de thé brun, de Porto. Le nez est de fruit, de pruneau. En bouche, c’est la combinaison de pruneaux et de vin doux, et d’élégantes touches d’agrumes qui le rendent léger. Un vrai plaisir.

Nous déjeunons ensuite au restaurant le plus proche, une belle maison rurale gentiment décorée où un jeune couple offre une cuisine et un service de grande tenue. Nous avons bien mangé, sur de belles recettes. La tarte de Morteau est bien exécutée, et mon sandre avait du goût. Le Poulsard Arbois 2001 de Lucien Aviet m’a bluffé. Ce  vin assez rosé a une immense expression. Il envahit la bouche, l’occupe, la tapisse, et sait se couler dans le sillage des plats pour former des sensations très excitantes. Voilà un type de vins que j’hésiterais à ouvrir à Paris, et qui raconte des choses passionnantes. Le vin de l’Etoile domaine de Montbourgeau 2000 est une masse d’énigmes. Il explore des milliers de directions aromatiques. C’est particulièrement excitant. Je n’ai pas pu en profiter complètement car c’était le Poulsard qui nageait sur mes plats comme le dauphin qui précède le navire. Mais j’ai ressenti un potentiel de divagations gustatives grandement poétiques.

Madame Bourdy mère collait les étiquettes sur les bouteilles poussiéreuses que j’avais achetées tout en racontant des histoires passionnantes du temps jadis. Ces gestes qui perpétuent plusieurs siècles de rites ont un grand pouvoir d’émotion. Les vins du Jura, par cette percée du vin jaune fort généreusement bonhomme, par ses goûts intrinsèques, par la passion de ses vignerons et par cette oenothèque unique, vont conquérir les palais de la planète. J’en serai un troubadour. Avec enthousiasme.

La percée du vin jaune 3 lundi, 7 février 2005

Fatigué par cette journée où avaient alterné des atmosphères chaudes et très froides – les parisiens ne sont plus habitués au froid – je ne fus pas assez matinal le dimanche pour la procession et la messe. Embarqué dans une gigantesque transhumance, j’arrivai à temps pour la cérémonie symbolique et solennelle de l’ouverture du tonneau de vin jaune – sa percée – qui libère le liquide emprisonné six ans et trois mois. Bruit de marteau, applaudissements, le vin est généreusement versé dans les verres pour quelques milliers de communiants de cet accouchement. Le nez est fort expressif malgré le froid, et quand le verre se réchauffe on a un vin de bien belle expressivité, cette ardeur qui suit immédiatement la sortie de tonneau. Il faut savoir ce qu’il y a dans ce tonneau. Je croyais qu’on prenait un fût de l’un des vignerons, différent à chaque percée. Ce n’est pas cela. Plus de 70 vignerons de la confrérie ont percé leurs tonneaux il y a deux jours et ont apporté deux bouteilles. Celles-ci sont mélangées dans le tonneau. Bien malin celui qui dirait : « je reconnais Tissot ou je reconnais Macle ». Cette combinaison de toutes les productions a fort belle allure. Et donne un résultat d’une redoutable expression. Les vignerons disent même que ce mélange est meilleur !

Une foule infranchissable s’égaye dans les stands, saucissonnant, trinquant, et quand l’heure s’avance, chante à pleine voix. Il est prévu que je signe mon livre sous un chapiteau où un dynamique cuisinier allait donner un cours de cuisine. Une foule immense se presse, certains pour suivre le cours, d’autres pour manger un petit bout de plat, d’autres pour se réchauffer, le plus grand nombre pour jeter un œil. A ma grande surprise  plusieurs personnes furent réellement intéressées par mon livre. Je dis surprise, car le profil général du promeneur qui passe de stand en stand pour goûter des saveurs attirantes n’est pas naturellement celui du lecteur de mes carnets. Je pus dédicacer mon livre à un consul et un ambassadeur japonais.

Ayant manié la plume il était temps de lever le coude d’autant que le président de l’association des sommeliers de la région m’entraîna au stand 41, celui de la maison Jean Bourdy, où Jean François Bourdy avait préparé quatre Côtes du Jura blanc. Je suis ravi d’avoir pu boire ces vins, qui démontrent – s’il en était besoin – comme le temps agit bien sur ces magnifiques breuvages. Le 1949 a une belle enveloppe bien ronde. Bien installé en bouche sans en faire trop, il est presque crémeux. Le 1945 plus masculin laisse une trace en bouche d’une belle signature. Le 1942 est magistral de bel accomplissement. Il est généreux. Et le 1934 au nez d’une race extrême développe, plus il se réchauffe, la beauté archétypale de la perfection d’un vin du Jura à son apogée. C’est une leçon de choses. J’ai aimé le final du 1945, la générosité du 1942 et la perfection synthétique du 1934, le plus grand de pure noblesse. Le stand de Jean Bourdy était installé dans ce qui pourrait être un garage. Nous étions au fond de la salle, derrière le comptoir, et je pouvais constater la pression du pack des amateurs, se bousculant pour boire ces trésors. L’avidité bon enfant de ce public hétéroclite qui participe et crée la fête fait plaisir à voir. Cet enthousiasme d’une foule bigarrée est un excellent signe.

Le retour au bercail est aussi compliqué que la Vendée Globe, la seule différence étant qu’à la Vendée Globe on est solitaire. Visiblement, je ne l’étais pas.

Une règle souvent vérifiée veut qu’on ouvre d’autant plus facilement les vins qu’on en a beaucoup. Je viens d’acquérir de quoi regarnir certaines étagères. On verra encore plus le Jura dans mes dîners.

Repos le lendemain, car l’accumulation des vins dégustés et les passages de grand froid à grand chaud sont des ennemis de la dégustation calme. Un autre ami suisse, fidèle de mes dîners (il a participé à certains des plus grands) me rejoint au château de Germigney, juste pour le plaisir d’être ensemble. Pour fêter sa venue, je commande un Krug Grande Cuvée, pensant à ceux que j’ai. Quelle surprise de voir la différence entre ce jeunet et mes Krug d’âge canonique ! Il est certain que ce champagne non millésimé doit dormir en cave plus de quinze ans. C’est alors qu’il expose tout ce qu’il sait dire. Là, ce bambin montre du talent, mais c’est le nigaud boutonneux. Puis, quand l’oxygène fait son œuvre, de belles promesses apparaissent et le champagne prend de l’ampleur. Belle bulle, belle intensité aromatique, et cette acidité qui démontre que dix à quinze ans vont le rendre sublime. Sur une délicieuse volaille en vessie traitée de façon fort élégante, nous essayâmes le vin suggéré par le jeune sommelier, un vin de pays de Franche-Comté, Chardonnay « cuvée de la canicule » 2003 Ruranim qui titre 14,2°. Il commence dans des expressions chiliennes. On remarque l’exercice de style, sans être le moins du monde intéressé. Puis, quand les réserves d’usage ont été faites, on se laisse aller à la romance entonnée par le vin et on trouve que l’association est belle et que le vin existe. On fut bon public l’espace d’un instant. Pourquoi pas ? Il n’y a pas d’avenir dans ces excès d’alcool. Mais on se laisse aller. La fin du repas se fit sur le Krug lançant par instant de belles fulgurances sur un fond de juvénilité.

le grand conseil après le coup de marteau

La Percée du vin jaune 2 dimanche, 6 février 2005

La Percée du vin jaune, ça se mérite. Pour accéder au village de Saint-Lothain, siège de la Percée, il faut utiliser des navettes et oublier sa voiture. Comme nous sommes des dizaines de milliers de personnes à avoir la même idée au même moment, on imagine que les choses ne sont pas simples. Quelque deux heures pour parcourir les dix kilomètres qui séparent l’hôtel du village. Comme chaque année, le village est entièrement décoré de fleurs en papiers et de scènes villageoises qui créent une agréable atmosphère. C’est enjoué, c’est bon enfant, mais c’est surtout un véritable événement populaire. Chacun reçoit un verre et des tickets de « rationnement » pour éviter les excès, car plus de cinquante vignerons sont là pour nous tenter. La foule est heureuse de composer la fête, beaucoup de jeunes en groupes ou en couples s’intéressent aux vins de leur région.

Avant la vente aux enchères, tradition du premier jour, petit casse croûte sous un froid jurassien avec un vin d’Arbois de Ligier Père & Fils 2000, fort décent par ce froid. Sous un chapiteau, un alignement de plus de trois cents bouteilles du Jura qui couvrent une palette rare des plus grands vins de la région. Je ne crois pas qu’on trouverait dans une seule vente aux enchères à Paris autant de vins si vieux, même en considérant toutes les régions d’origine. Ce qui est un paradoxe de plus, c’est que je ne connais pas d’autre région où l’on paie aux enchères les vins plus cher dans leur région qu’on ne le fait ailleurs. Si l’on veut acheter des vins du Jura à des prix décents, il vaut mieux être à Paris. Ce qui m’attire, c’est que des flacons rarissimes ne sont présentés qu’ici, à cette vente annuelle. Je retrouve avec plaisir un ami, grand collectionneur suisse, et nous nous asseyons côte à côte pour éviter que dans le feu de l’action nous ne joutions sur des cibles communes. Un de ses amis a raflé tous les marcs. Je me suis concentré sur les vins de l’Etoile que j’aime particulièrement, sur les vins de paille qui sont rares et goûteux, et surtout sur quelques flacons parmi les plus anciens.

Il est certain que mon attitude contribue à pousser la cote des vins de cette région : si j’ai enchéri jusqu’à 2.300€ pour une bouteille, cela n’est pas neutre. Mais je ne suis pas le seul, car de féroces batailles se livrèrent, poussant des vins à des hauteurs de Spitzberg. Pas un seul vin ne représenta ce qu’on appelle une « bonne affaire ». La demande était trop forte.

On ne quitta pas la vente comme cela, car les organisateurs, fort contents, retinrent les enchérisseurs les plus frénétiques pour déguster quelques vins représentatifs ouverts sur un tonneau que le commissaire priseur avait damé tant il abattait son marteau. Ambiance de chaude complicité entre les organisateurs, les vignerons locaux et les amateurs acquéreurs de merveilles. Les commentaires furent simples, de pur partage.

Le Poulsard de Robert Jeannin Cotes du Jura 1967 est un vin presque rosé, qui ne peut se boire que si on accepte la logique des vins ultra typés. Comme j’aime, j’adhérai à la spontanéité râpeuse de ce vin sans concession que je classai en numéro 2 de ce court échantillon. Le Cotes du Jura rouge 1985 domaine « Grand Frères », vin d’assemblage, allait au contraire trop loin dans l’ésotérisme pour que mon palais fût séduit. Le Cotes du Jura blanc domaine « Grand Frères » 1979 avait tout pour me plaire. J’aime ces vins naturels qui s’expriment sans complexe et je le classai en numéro 1, séduit par la spontanéité de cette grande année. Le vin de L’Etoile de la coopérative vinicole de l’Etoile 1961 n’était pas à son vrai niveau. Un peu bouchonné, ce qui est rare pour un vin du Jura, je l’aurais sans doute apprécié avec quelques heures d’oxygène de plus. Le château d’Arlay 1969, vin jaune assez acide était une bouteille faible de ce domaine. Il vaut mieux garder le souvenir d’autres bouteilles du château d’Arlay, dont je suis friand.

Mon ami collectionneur ayant rassemblé ses achats et moi les miens, nous prîmes la direction de l’hôtel de Germigney pour partager un dîner d’une fort agréable exécution mais sur une carte de peu de choix. J’attendais de débuter ma truffothérapie, mais la tubercule était aux abonnés absents. Un Trousseau « les Corvées » Arbois de Jean-Louis Treuvey 1999 se présentait comme le Poulsard de tout à l’heure, avec une typicité farouche. Les amateurs que nous étions adhérant à ce rouge redoutable, nous pûmes profiter d’accords de grand niveau. Un vin jaune d’Arbois de Jacques Puffeney 1995, de belle et chaleureuse présentation, accompagna fort aisément un filet mignon ainsi qu’un Comté de 36 mois très fort. Il ne faut pas  choisir des Comtés de plus de 18 mois sur des Château Chalon, car lorsque le Comté devient de plus en plus expressif, il n’accompagne plus, il se livre à une lutte de suprématie. Un vin de paille Arbois de Jacques Puffeney 1999 encore fort jeune avait déjà une belle personnalité. Il racontait de jolies choses sur un dessert complexe et élégant.

la Percée du vin jaune 1 samedi, 5 février 2005

Départ à la Percée du vin jaune. Voyage par un soleil radieux qui se couvre de brouillard dès qu’on entre dans le Jura. Le château de Germigney à Port-Lesney, hôtel délicieusement décoré, nous accueille avec le sourire. Nous serrons des mains heureuses de nous savoir là. La belle chambre nous rappelle des souvenirs de bonheur. Tout se présente bien. Nous allons au restaurant de Jean-Paul Jeunet, le deux étoiles d’Arbois. La carte est alléchante et nous choisissons les huîtres Gillardeau à la saucisse de Morteau ainsi que le homard, ayant en tête un accord possible avec les vins de la région. Il est assez étonnant d’ailleurs de constater que presque toutes les tables de ce restaurant ont choisi un vin local. Proportion qu’on ne retrouverait pas certainement ailleurs. Dans la généreuse carte des vins, j’opte pour un vin jaune de l’Etoile du Château de l’Etoile 1986, domaine JH. Vandelle et fils. Le sympathique et compétent sommelier, que j’avais affronté il y a deux ans dans des enchères toniques pour capter quelques trésors, approuve et commente intelligemment mon choix. Les amuse bouche sont de remarquable qualité et le vin jaune colle à la queue de bœuf tandis qu’il ignore une coque goûteuse. Le mariage de l’huître avec la saucisse ne me convainc pas. Et le vin de l’Etoile semble de mon avis : il reste dans son coin. Quand le homard arrive, il sort une trompette de son étui et se met à improviser comme le plus fou des jazzmen. Ce vin doré, cuivré, aux senteurs d’une lourdeur de flamboyant a une présence immense. En le dégustant je me voyais bien planter ma tente dans cette région, pour me rassasier de saveurs qui me contentent au-delà de l’imaginable. Aimant foncièrement qu’un vin m’attaque, me dérange, pousse mes papilles dans leurs retranchements, j’ai avec les vins jaunes une complicité coupable. Le homard fut fort bon et copieux, traité pour flatter le vin jaune. On devrait arrêter de boire le vin jaune quand le plat est fini, car le bonheur qu’il procure s’éteint avec les desserts. Il vaudrait mieux finir le repas sur un comté que sur ces douceurs complexes et audacieuses.

Pour notre jour d’arrivée dans le Jura, j’avais choisi une perle, un de ces vins dont je n’arrête pas de jouir, conquis par leur brutale et arrogante complexité. La Percée du vin jaune démarrait le lendemain. Son récit, ainsi que celui du séjour en Jura se lira dans le prochain numéro.

Le Salon des Grands Vins s’annonce vendredi, 4 février 2005

Le Salon des Grands Vins s’annonce. Cette manifestation annuelle regroupe des vignerons d’un niveau exceptionnel. Leur générosité, les vins offerts à la dégustation sont hors du commun. A part Vinexpo qui est massif et exhaustif, je ne vois pas d’autre salon de ce niveau. Cela se passe au Carrousel du Louvre les 11, 12 et 13 mars.

Le 11 mars, je vous suggère de venir écouter Pierre Lurton et Jean Pierre Perrin quand ils présenteront leurs vins prestigieux, et le 13 mars, à 17 h, je tiendrai une conférence sur les vins anciens, agrémentée de quelques vins anciens de ma cave. Il est évident que d’autres sujets et d’autres producteurs vont aussi nous passionner. N’hésitez pas à m’annoncer votre venue, car j’y serai présent. Nous pourrons bavarder et trinquer aux stands de vignerons amis.

Saint Vincent à Mesnil sur Oger mardi, 25 janvier 2005

La Saint Vincent se fête à Mesnil sur Oger, le fief des plus grands blancs de blancs de champagne. Le regroupement se fait à la mairie, diverses confréries arborant leurs tenues distinctives. Les maîtres du Mesnil sont vêtus de vert. Leur coiffe est à bords arrondis. Un fort contingent du calvados venait en ami et en habit. Ils avaient prévu de partager de redoutables provisions de bouche de leur région, sans doute cachées dans leurs basques. Le maire fait un discours sobre et circonstanciel et le cortège en procession se rend à la magnifique église d’une belle élégance qu’aucune ajoute moderne n’a massacrée. Encore un de ces trésors de notre histoire qui disparaîtra dans peu de temps si l’on ne traite pas rapidement de méchantes fissures. Un jeune prêtre d’origine polonaise va officier. Les références bibliques pouvant être vineuses, il ne manqua pas d’en user, confessant avec candeur que sa position ecclésiastique ne lui avait pas interdit d’explorer les subtilités du Chardonnay local. Une chorale élégante sut mêler en ces lieux bénits le sacré et le discrètement bachique, séparation ignorée par un groupe de jazz de bel entrain aux accents ostensiblement païens.

La confrérie tenait assemblée dans la salle du pressoir de la maison Gonet où moult discours furent égrenés. Je fis partie de la nouvelle promotion, adoubé à l’épée et baptisé au champagne « le Mesnil », champagne de la coopérative locale que j’ai trouvé fort bon. Quatre cents personnes se retrouvent à la salle des fêtes pour un repas goûteux réalisé par un traiteur de la région. L’avantage d’être à Mesnil-sur-Oger est que l’on ne se fait pas de souci pour la boisson. Tout ce qui vient de cette commune est la crème de la crème. Un champagne de la maison Martell trop dosé me parut moins bon que le champagne de coopérative très « nature » que je repris avec plaisir. Un champagne de l’un des Audois était plus floral, joyeux, mais je continuais à préférer le coopératif. Il fallut un champagne Cazals 1998 au nez plus généreux pour que je trouve une intensité  supérieure, de nature à m’aguicher. Le champagne Delamotte NM en magnum  confirma sa justesse de ton et je remarquai la belle élégance du champagne Gonet proposé. Le groupe de jazz dont le clarinettiste a un talent certain anima joyeusement cette belle assemblée où je rencontrai des personnes sympathiques et enjouées. Le dessert de ce déjeuner n’étant toujours pas servi à l’heure où l’on commence à siffler l’apéritif du soir, je quittai cette confrérie de plus en plus animée, ravi de cette cérémonie au rite collégial et formel qui a l’intelligence de ne pas en faire trop. Le charme de ces blancs de blancs a de nouveau opéré. C’était certainement ce qui était recherché. Ce fut réussi.

la Saint-Vincent au Mesnil, c’est sérieux vendredi, 21 janvier 2005



On reconnait Didier Depond, président des champagnes Salon et Delamotte au centre de la rangée du haut. Qui dirait que les champagnes du Mesnil-sur-Oger sont verts?

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Présentation des vins Hugel à Hiramatsu vendredi, 3 décembre 2004

Devant préparer une conférence qui se tiendrait le lendemain, j’avais prévu de déjeuner avec Nicolas de Rabaudy, co-initiateur de cet événement. Nous réglons quelques sujets d’intendance et il m’annonce : je ne peux pas déjeuner avec vous. Ah, bon ! Mais que faites vous ? Je vais déjeuner avec Jean Frédéric Hugel chez Hiramatsu. Estimant que ce déjeuner ne pouvait se faire sans moi, je priai Nicolas de me prendre dans ses bagages. J’ai pu participer à un déjeuner de rêve.

Je suis accueilli chaleureusement par Hide de Hiramatsu et par Jean Frédéric Hugel qui, comme Maurice Chevalier quand il annonçait tous les mois sa retraite, fête dix fois plutôt qu’une son quatre-vingtième anniversaire. Le repas fut d’une belle conception, les saveurs inventives mettant en valeur des vins particulièrement beaux. J’aurai pu constater lors de ce repas la belle réalisation d’une cuisine intelligente, et l’ampleur imaginative des vins d’Alsace, dont les grands vins devraient plus souvent trôner sur nos tables, y compris avec des plats qu’on ne leur associerait pas spontanément.

Voici le menu raffiné offert à la fine fleur de la presse vineuse : homard breton mi-cuit, crème de noisettes caramélisées, dans son jus de corail, noix de Saint-Jacques poêlées et rhubarbe en brick, sauce champagne aux baies roses, foie gras poêlé, confiture d’oranges amères, canard de Challans fumé et pané au pain d’épice, sauce à la violette, Tatin caramélisée, glace Earl Grey et coulis exotique à l’aneth.

Le choix des vins fut éclectique et intelligent, destiné à séduire le palais le plus difficile. Le Riesling Hugel Vendange Tardive  1998 est beau, rond, expressif et jeune. Il a un beau gras en bouche. Le Riesling Hugel Vendange Tardive 1961 en magnum a un nez très prononcé. Un goût de miel aussi beau que sa couleur, des évocations légères de miel, de fumé, de pâte de fruit. Le  Riesling Hugel 2003, vin ordinaire s’il en est, a un joli nez alsacien. En bouche, c’est un bonbon acidulé. Sa caractéristique, c’est une grande pureté. Le Riesling Hugel Jubilée 1998 est d’un ascétisme rare. C’est l’expression totalement pure, sans aucune fioriture, du beau Riesling. Ce sont deux Riesling très typés qui nous sont offerts, intéressants dans leur définition authentique. Le Jubilée a un beau final. Le Pinot Gris Hugel Vendange Tardive  2001 forme avec l’endive orangée une association de rêve parce que rien ne peut normalement dompter l’endive. Belle pirouette culinaire, et belle persuasion du Pinot. Le Pinot Gris Hugel Vendange Tardive  1961 en magnum est explosif de perfection arrondie. C’est un concentré parfait de ce que doit être ce vin quand il est accompli. Le 2001 est exubérant de jeunesse pré pubère et le 1961 a la certitude de la maturité. Voilà du grand vin. Le Pinot Gris Hugel les neveux 2003 a un nez intéressant, mais ce vin est vraiment trop jeune pour moi tel qu’il est là. Je ne peux pas juger. Le Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 1997 « S » est magnifique de fruits confits. Il y a de l’orange, de la prune confite. Le  Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 1976 a un nez unique. C’est d’une noblesse rare. Il n’y a pas que les grains qui sont nobles, il y a aussi le résultat final. Si le 97 évoque le caramel, le prodigieux 76 est un beau fruit.

Jean Frédéric Hugel adore parler et il dispense généreusement son savoir immense, fondé sur un bon sens indestructible, doublé d’une expérience frottée aux savoirs ancestraux. On devrait noter tout ce qu’il dit, avec truculence bien sûr, mais surtout avec pertinence. Il aura réussi par ce déjeuner à nous faire aimer encore plus les beaux vins d’Alsace, si complets dans leurs expressions complexes.

Présentation de vins samedi, 27 novembre 2004

Les ventes aux enchères se succèdent à un rythme fou en cette période de fin d’année. Pour faire la différence, les sociétés de vente choisissent des lieux flatteurs et des événements connexes. Artus, accolé à Chateauonline, fait une vente à l’Hôtel Meurice suivie d’un cocktail. J’en profite pour aller dire bonjour à Yannick Alléno dans son bureau en sous-sol, irrespirable tant de magiques truffes noires et blanches (une fortune étalée comme chez un diamantaire) explosent d’odeurs enivrantes. Je croque quelques hosties noires et contemple émerveillé les toutes dernières créations de la nouvelle carte. Quelle joie de vivre se dégage de ce chef enthousiaste et convaincu. Auprès de lui je me sens bien, rassuré que la grande cuisine soit incarnée par sa belle personnalité. Je remonte dans les ors et les stucs où des vignerons présentent de bien beaux vins expliqués par Jean-Michel Deluc, l’expert sommelier attaché à Chateauonline. Ce n’est pas la première fois que je l’entends expliquer les vins, et j’avoue que j’aime ses discours toujours positifs, qui savent avec sérénité faire apparaître les beaux aspects des vins. Le savoir est discrètement saupoudré pour ne pas lasser, les descriptions sont expansives, poussant à la limite de l’imagination les analogies. Car, avouons-le, comme j’aurais du mal à reconnaître certaines épices si on me les présentait seules, on comprendra que j’hésite à les trouver dans un vin. Mais c’est avec une belle élégance que Michel Duluc élargit notre champ de vision sur de beaux breuvages. Le champagne Delamotte non millésimé est très élégant. Il est de belle stature. J’ai un peu de mal à m’habituer à Salon 1995, tant ses aînés ont du talent quand le vineux s’exprime. Il va dans peu de temps se révéler magistral (je sens déjà une évolution depuis le dernier essai d’il y a deux mois). Mais c’est encore trop dur à boire, alors que Didier Depond l’aime déjà comme cela. Ce que je peux concevoir, sur une cuisine plutôt rebelle.

Olivier Humbrecht présente un très joli Pinot Gris Windsbuhl Zind-Humbrecht 2002 au nez d’une belle personnalité. Ce vin déjà goûteux va gagner une joie de vivre resplendissante avec quelques années. Ces beaux Alsace ont des choses à dire. Je ne comprends pas bien comment Jean-Michel Deluc peut préférer Clinet 2001 à Pétrus 2001. C’est évidemment un beau Pomerol, mais Pétrus est Pétrus. Comme c’est une question de goût, je peux l’admettre, mais ce Clinet puissant n’est pas, pour l’instant, dans les goûts que je chante.

Taylor’s présente trois vins de Porto de types radicalement différents. Mon Dieu que ces vins ont des choses à dire. Quelle expression, quel charme, quelle jouissance sous-jacente. Bien sûr l’alcool aide. Mais l’impression de ces fruits noirs que l’on croque avec gourmandise, que c’est bon. Si un 20 ans d’âge est rassurant, c’est le coté canaille d’un Quinta de Vargellas vintage 2001 qui me surine de sa brutalité interlope. Antonin Rodet présentait hors programme un bourgogne ordinaire vanté par Jean-Michel Deluc. Franchement je n’ai pas compris ce choix. Un ésotérisme qui m’échappe. Ce qui ne dévalorise en rien cette grande maison.

Je quittais cette belle assemblée car un autre commissaire priseur m’attendait au Fouquet’s. Là, on avait prévu de biens bons petits fours, mais on avait sans doute oublié que l’on recevait des collectionneurs de vins (ou au contraire on le savait), car aucun breuvage ne pouvait retenir l’attention. En revanche les collectionneurs rencontrés avaient du talent. C’est peut-être ce raffinement là qui était visé.

L’Académie du Vin de France mercredi, 17 novembre 2004

L’Académie du Vin de France se réunit pour son dîner de Gala au restaurant Laurent. C’est l’occasion de goûter les vins des membres de l’Académie dans leurs productions récentes de 2003, 2002 ou 2001 selon les vins. Où pourrait-on en quelques pas seulement passer de Zind-Humbrecht à Cauhapé, de Château Simone à la Maison Huet, de la Romanée Conti à Haut-brion, du Domaine Leflaive à Fargues ? Nulle part ailleurs. De plus, on trinque avec les propriétaires. Ce que j’ai fait pour La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2002 dont j’ai apprécié le nez d’une belle élégance et le goût qui commence à se structurer. Hubert de Montille, la star de cinéma (Mondovino) était tout sourire ainsi que de nombreux propriétaires  satisfaits de leur année comme le sont les élèves au bon carnet scolaire. Ici, toutes vendanges étaient faites. Je suis placé à une table prestigieuse puisque s’y trouvent les propriétaires ou gérants de la Romanée Conti, de Haut-Brion, de Bonneau du Martray, de Château Simone, de la Commanderie de Peyrassol. Les discussions passionnantes furent précédées par de sobres mais denses discours du président sortant, Jean Noël Boidron justement acclamé et du nouveau président Jean Pierre Perrin au dynamisme connu.

Jacques Puisais fut le Monsieur Loyal du beau dîner conçu par un Alain Pégouret particulièrement brillant. Jacques commenta les vins et les mets avec un langage qui n’appartient qu’à lui, où la science des goûts le dispute au brio. Les blancs étaient de 1997 et les rouges de 1989. Voici ce qu’il en fut.

Des coquilles Saint Jacques avec des copeaux de noix et des traces de moutarde accompagnaient un délicieux Côtes de Jura du Château d’Arlay 1997. La virilité de ce blanc avec les noix me plait, quand ma voisine Madame Delmas (Haut-Brion) a du mal à entrer dans sa logique. Sur une autre préparation de coquilles Saint-Jacques présentée dans la même assiette, mêlant l’amer au sucré le Palette Château Simone 1997 fut particulièrement brillant sur le sucré naturel de la coquille, lui associant sa typicité poivrée. Belle profondeur de goût et l’occasion de tester deux accords très différents.

Une pince de homard (voire deux), aux haricots coco et coquillages, émulsion de fleurette citronnée est un plat qui m’a enchanté. Et le Puligny Montrachet « les Pucelles » Domaine Leflaive 1997 a trouvé une densité marquée, soulignée par la légèreté de l’émulsion et l’expressivité des haricots. La queue du homard, facile prétexte à l’humour Puisaissien gentiment gaulois, au beurre demi-sel sur une farce au corail avait la force qui convenait pour soutenir le puissant et alcoolique Hermitage blanc 1997 de Chave. Quelle force ! Ce plat puissant aurait d’ailleurs pu aussi s’accommoder d’un vin rouge.

Sur un magnifique exercice de style sur le thème du lièvre, intitulé par Philippe Bourguignon en toute sobriété : « lièvre dans tous ses états, pâtes fraîches » trois vins que des régions et des personnalités séparent allaient nous raconter de bien belles histoires. Les trois acceptions du lièvre étaient primitivement prévues chacune pour un vin, mais on s’amusa à brouiller les cartes, pour la plus grande joie de nos papilles en éveil. Le Beaucastel rouge 1989 a une générosité naturelle rare. Il emplit la bouche, s’y sent à l’aise, et décoche du fruité de pur plaisir. Le Bandol « Cuvée Cabassaou » 1989 Château Tempier de M. Peyraud, voisin de table, me plut particulièrement, car il tenait bien sa place à coté de ses illustres voisins de verre. Une belle trame, une joyeuse densité et une longueur respectable. Un beau vin. Et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1989 au nez d’une particulière intelligence compléta le trio avec des variations de saveurs généreuses. Sur le râble, La Tâche s’amuse à faire des gammes de goûts, variant sa force et sa finesse avec un talent consommé. Cette dégustation était cependant assez difficile car les verres avaient une odeur désagréable que mes voisins vignerons attribuaient au carton d’emballage mais que je reliais plus volontiers à la méthode de séchage. Plusieurs milliers de verres posent des problèmes logistiques. Ils posèrent des problèmes d’odeurs et de saveurs. Et Patrick Lair, pour des raisons que je comprenais parfaitement, faisait servir les vins très frais. C’est justifié si le vin reste en verre, mais quand on est gourmand comme à notre table, le vin n’a même pas le temps de se réchauffer. Et La Tâche trop frais, ça limite assez le plaisir. Fort heureusement, en y mettant du sien, c’est-à-dire en « vinant » les verres et en attendant que le vin se réchauffe, tout alla bien. La maison « Laurent » fut parfaite à son habitude et la sommelière de notre table, Christèle, fit un travail de grand professionnalisme. Sur un délicieux Saint Nectaire fermier, le Corbin-Michotte, Saint-Emilion 1989 prouva à quel point Jean Noël Boidron avait mérité d’être président. Ce vin de couleur beaucoup plus foncée que les autres rouges, dense mais charmeur à la fois, d’une trame d’une légèreté séductrice me causa une forte émotion. Je l’ai particulièrement apprécié.

Les palmiers (en pâtisserie) du restaurant Laurent n’auront jamais le temps de nous faire de l’ombre, car on les dévore avec une voracité coupable au masochisme pondéral assumé. Avec le Tokay Pinot Gris « Clos Jebsal » sélection de grains nobles Zind-Humbrecht 1997, on est en plein péché, car les saveurs de grains de raisin délicieusement brûlés par le soleil, les arômes de pain d’épices, de thé et de caramel se bousculent sous les palmiers avec une volupté rare. L’équipe d’Alain Pégouret, toute toquée est venue au moment du Tokay se faire applaudir à juste titre tant la cuisine fut exacte et sensible. Une belle leçon.

Quels vins retenir ? Difficile exercice tant les vins différent. Je mettrais en premier le Corbin Michotte 1989 pour la pureté de son image, en deux le Tokay Zind Humbrecht pour sa volupté, en trois La Tâche DRC pour son élégance et sa complexité et en quatre l’Hermitage blanc de Chave pour son assurance et sa sérénité. Mais le Bandol, le Puligny, le Chateauneuf et tous les autres eurent aussi beaucoup de charme.