La Percée du vin jaune 2dimanche, 6 février 2005

La Percée du vin jaune, ça se mérite. Pour accéder au village de Saint-Lothain, siège de la Percée, il faut utiliser des navettes et oublier sa voiture. Comme nous sommes des dizaines de milliers de personnes à avoir la même idée au même moment, on imagine que les choses ne sont pas simples. Quelque deux heures pour parcourir les dix kilomètres qui séparent l’hôtel du village. Comme chaque année, le village est entièrement décoré de fleurs en papiers et de scènes villageoises qui créent une agréable atmosphère. C’est enjoué, c’est bon enfant, mais c’est surtout un véritable événement populaire. Chacun reçoit un verre et des tickets de « rationnement » pour éviter les excès, car plus de cinquante vignerons sont là pour nous tenter. La foule est heureuse de composer la fête, beaucoup de jeunes en groupes ou en couples s’intéressent aux vins de leur région.

Avant la vente aux enchères, tradition du premier jour, petit casse croûte sous un froid jurassien avec un vin d’Arbois de Ligier Père & Fils 2000, fort décent par ce froid. Sous un chapiteau, un alignement de plus de trois cents bouteilles du Jura qui couvrent une palette rare des plus grands vins de la région. Je ne crois pas qu’on trouverait dans une seule vente aux enchères à Paris autant de vins si vieux, même en considérant toutes les régions d’origine. Ce qui est un paradoxe de plus, c’est que je ne connais pas d’autre région où l’on paie aux enchères les vins plus cher dans leur région qu’on ne le fait ailleurs. Si l’on veut acheter des vins du Jura à des prix décents, il vaut mieux être à Paris. Ce qui m’attire, c’est que des flacons rarissimes ne sont présentés qu’ici, à cette vente annuelle. Je retrouve avec plaisir un ami, grand collectionneur suisse, et nous nous asseyons côte à côte pour éviter que dans le feu de l’action nous ne joutions sur des cibles communes. Un de ses amis a raflé tous les marcs. Je me suis concentré sur les vins de l’Etoile que j’aime particulièrement, sur les vins de paille qui sont rares et goûteux, et surtout sur quelques flacons parmi les plus anciens.

Il est certain que mon attitude contribue à pousser la cote des vins de cette région : si j’ai enchéri jusqu’à 2.300€ pour une bouteille, cela n’est pas neutre. Mais je ne suis pas le seul, car de féroces batailles se livrèrent, poussant des vins à des hauteurs de Spitzberg. Pas un seul vin ne représenta ce qu’on appelle une « bonne affaire ». La demande était trop forte.

On ne quitta pas la vente comme cela, car les organisateurs, fort contents, retinrent les enchérisseurs les plus frénétiques pour déguster quelques vins représentatifs ouverts sur un tonneau que le commissaire priseur avait damé tant il abattait son marteau. Ambiance de chaude complicité entre les organisateurs, les vignerons locaux et les amateurs acquéreurs de merveilles. Les commentaires furent simples, de pur partage.

Le Poulsard de Robert Jeannin Cotes du Jura 1967 est un vin presque rosé, qui ne peut se boire que si on accepte la logique des vins ultra typés. Comme j’aime, j’adhérai à la spontanéité râpeuse de ce vin sans concession que je classai en numéro 2 de ce court échantillon. Le Cotes du Jura rouge 1985 domaine « Grand Frères », vin d’assemblage, allait au contraire trop loin dans l’ésotérisme pour que mon palais fût séduit. Le Cotes du Jura blanc domaine « Grand Frères » 1979 avait tout pour me plaire. J’aime ces vins naturels qui s’expriment sans complexe et je le classai en numéro 1, séduit par la spontanéité de cette grande année. Le vin de L’Etoile de la coopérative vinicole de l’Etoile 1961 n’était pas à son vrai niveau. Un peu bouchonné, ce qui est rare pour un vin du Jura, je l’aurais sans doute apprécié avec quelques heures d’oxygène de plus. Le château d’Arlay 1969, vin jaune assez acide était une bouteille faible de ce domaine. Il vaut mieux garder le souvenir d’autres bouteilles du château d’Arlay, dont je suis friand.

Mon ami collectionneur ayant rassemblé ses achats et moi les miens, nous prîmes la direction de l’hôtel de Germigney pour partager un dîner d’une fort agréable exécution mais sur une carte de peu de choix. J’attendais de débuter ma truffothérapie, mais la tubercule était aux abonnés absents. Un Trousseau « les Corvées » Arbois de Jean-Louis Treuvey 1999 se présentait comme le Poulsard de tout à l’heure, avec une typicité farouche. Les amateurs que nous étions adhérant à ce rouge redoutable, nous pûmes profiter d’accords de grand niveau. Un vin jaune d’Arbois de Jacques Puffeney 1995, de belle et chaleureuse présentation, accompagna fort aisément un filet mignon ainsi qu’un Comté de 36 mois très fort. Il ne faut pas  choisir des Comtés de plus de 18 mois sur des Château Chalon, car lorsque le Comté devient de plus en plus expressif, il n’accompagne plus, il se livre à une lutte de suprématie. Un vin de paille Arbois de Jacques Puffeney 1999 encore fort jeune avait déjà une belle personnalité. Il racontait de jolies choses sur un dessert complexe et élégant.