Archives de catégorie : vins et vignerons

une main et Cheval Blanc 1947 dimanche, 2 mars 2003

Au Salon des Grands Vins, j’ai un stand pour que l’on parle de mes dîners. J’y fais aussi des conféreences avec des experts et sommeliers brillants.

Sur mon stand, que puis-je exposer ? Des bouteilles vides, hélas !

Il y a un magnum de Cheval Blanc 1947.

Une charmante dame vient me voir et me dit qu’elle est une des anciennes propriétaires de Cheval Blanc, vendu il y a seulement quelques années.

Et pour me montrer qu’elle dit vrai – ce dont je ne doute pas, elle pose sa main près de l’étiquette, car l’écusson sur sa bague est celui de Cheval Blanc.

SALON DES GRANDS VINS jeudi, 27 février 2003

Le Salon des Grands Vins constitue l’un des événements majeurs de la dégustation publique de vins de prestige. Je vais en raconter quelques petites anecdotes.
A l’entrée, une table artistiquement luxuriante dont le charmant désordre a été créé par Pascal Morabito. Une autre table à l’ordonnance plus orthodoxe butinée par des papillons, structurée sur des couverts et vaisselles de haute qualité. Tout cela crée une ambiance de fête de haut niveau qui sied au message des producteurs présents.
Des conférences passionnantes où les producteurs sont plus techniques que jamais et les experts plus experts que jamais. La générosité de certains domaines est quasi sans limite. Des Cheval Blanc de très bonne facture (96/98) et un second vin 2000 qui n’était pas à mon goût : les grands Bordeaux qui veulent imiter le Roussillon ou le Chili ne seront pas forcément gagnants (question de goût personnel). Un Mouton-Rothschild 1970 délicieux de finesse et d’intelligence, suivi de Mouton intermédiaires variables (le 86 est encore fermé, le 98 se forme), puis un Mouton 2000 totalement époustouflant. Ce Mouton a la marque du génie à l’état pur. Ce vin aura tout pour lui tout au long de sa longue vie. Un Fargues 1989 délicieusement accompli, qui offre déjà tout le plaisir qu’il va délivrer sur le siècle à venir, plus généreux et plaisant que de si aimables Sauternes si généreusement offerts aux palais des visiteurs. Petite mention pour Malle qui a présenté un très bon vin, Lafaurie Peyraguey toujours aussi typé et La Tour Blanche si élégant. Daumas Gassac 1988 splendide de justesse : il est des modes qui sont fondées sur du solide. Et puis, quand le Président du champagne Salon est venu sur mon stand, c’est comme si Zinédine Zidane venait me rendre visite ! A sa conférence, un champagne Delamotte tout en ésotérisme de message, et un Salon 1985 de rêve : toute la subtilité du champagne qui vous bouscule d’arômes iodés si complexes. J’ai goûté relativement peu de choses et au gré du hasard. Mon classement est le suivant : en 1 Mouton 2000 éblouissant, en 2 Salon 1985 parce que je suis accro, en 3 Fargues 1989 vin de grand plaisir et en 4 Daumas Gassac 1988 parce que ces efforts méritoires doivent être signalés. Ce qui ne m’aura pas empêché de goûter avec bonheur les Maury de Mas Amiel, des Sauternes de belle tenue, des Cheval Blanc bien faits. Faute de temps, j’ai raté l’Angélus et Domaine de Chevalier !
Le stand wine-dinners (je l’ai décidé par curiosité, c’est si loin du métier de mon autre vie) avait été décoré par une jeune artiste. Il fut remarqué. Les visiteurs avaient le plus souvent peur de ce qu’ils considéraient comme un luxe inaccessible, sauf les jeunes qui s’émerveillaient d’une idée si éloignée de leurs prochains loisirs, mais de très nombreux contacts ont été noués. Nicolas de Rabaudy m’a fait la gentillesse de me faire parler pendant une heure sur les vins anciens. J’ai fait goûter un Saint-Raphaël # 1935, un vieux grenache # 1930, un Banyuls au vieux Rancio rouge # 1920 et un blanc des mêmes années, et un Xeres Amantillado sec (oui) des années 1950. Ce fut une révélation, même pour des palais aguerris.
Comme l’année dernière, un gentil petit monsieur à qui l’on donnerait trois sous vint me voir avec dans son petit panier un Barsac 1920, enveloppé dans une vielle serviette éponge, qu’il veut vendre pour un prix qui est à peu près dix fois le prix que je paierais. Je le reverrai sans doute l’an prochain, promenant à nouveau son trésor. Mes achats pendant ce salon furent plutôt atypiques par rapport à ceux des visiteurs puisque des experts, sachant que j’étais là, m’ont attendri avec un Gilette crème de tête 1945 et un Château Lafite Rothschild 1869 en très bon état.
A la conférence sur Cheval Blanc, on a parlé du mythe : Cheval Blanc 1947 que j’ai eu la chance de boire de nombreuses fois. J’ai demandé à Madame de Labarre de m’accompagner sur mon stand pour voir le magnum de 1947 que j’exposais (vide bien sûr à cause des sunlights). Madame de Labarre, ancienne propriétaire de Cheval Blanc, qui a le souvenir d’un goût de banane dans ce 1947, a délicatement posé sa main le long de la bouteille pour me montrer que le blason de sa chevalière était le même que celui de la bouteille. Ce geste charmant m’a procuré une émotion rare. J’ai fait peu après une photo de la beauté de ce geste si porteur de pensées émouvantes sur les aléas de la propriété des grands châteaux.
Madame de Lancquesaing fit une conférence brillante comme chaque fois. Elle est le bonheur de tout intervieweur qui peut se mettre en RTT, et d’un auditoire qui boit ses paroles aussi brillantes et historiques que ses vins.
L’anecdote la plus amusante est sans doute celle-ci : les dégustations faites aux conférences nécessitent un long travail de préparation : mise à la bonne température, ouverture, service en verres. Les châteaux éliminent les bouteilles imparfaites. Le lendemain de la conférence sur Mouton, un ami sommelier m’apporte une bouteille de Mouton 1970 et une de Mouton 1986 écartées pour goût de bouchon. Elles avaient bien évidemment perdu tous leurs infimes défauts (le goût de bouchon s’évapore) après une nuit d’oxygénation. Sur le stand, nous avons déjeuné d’un sandwich arrosé de Mouton 1970. Quand des visiteurs demandaient ce que nous faisions, je répondais que je considérais que sur un sandwich il était inconcevable de boire autre chose que Mouton 1970. J’en plaisantais, j’en suis maintenant convaincu.
Fatigués par ces longues journées sur le stand, nous sommes allés dîner au restaurant « chez Pauline » où, sur une honnête cuisine bourgeoise assez traditionnelle nous avons appauvri la cave de leur dernier Château Latour 1978, un vin délicieux, si juste, si jeune et étonnant, car il ressemble à un vin de 1998 qui aurait été fait par Michel Rolland. C’est d’un modernisme précurseur rare pour cette année, tout en ayant la perfection que l’on attend et aime chez Latour.
J’ai été vraiment impressionné par la qualité des conférences (lorsque je pouvais quitter mon stand), par la générosité des domaines et châteaux, par la qualité de la manifestation qui fait honneur à l’élite du vin français. Le journaliste et les experts ont été les propagateurs d’une masse d’informations passionnantes qui nous faisaient vivre l’histoire des domaines que nous adorons. J’ai pu partager des moments intenses avec des grands noms du monde du vin qui me font le plaisir d’encourager ma démarche de mise en valeur de leurs plus nobles réalisations. Cerise sur le gâteau, j’ai eu un reportage sur ma passion qui est passé au journal de 13 heures de France 2.
J’ai une fois de plus enrichi mon livre de souvenirs avec un bouquet rare de moments précieux.
Ce salon 2003 fut à mes yeux une belle réussite, même si pour plusieurs domaines on y vend moins que dans d’autres foires ou salons. Mais c’est le prestige et l’image du vin français qui sont ici défendus d’élégante façon.

La Percée du Vin Jaune mercredi, 5 février 2003

Nous décidons d’aller à la Percée du Vin Jaune, dirigée par Alain de Laguiche à Arlay. On sait que le vin jaune mûrit en fût, et reste sans aucune intervention pendant six ans et trois mois. Cette peine de prison est si lourde qu’on comprend mieux pourquoi ce vin aime faire exploser ses arômes dans nos verres, et brutaliser nos papilles par des saveurs si inhabituelles. Pendant cette lourde peine un voile pudique se forme, qui permet des réactions non stables entre ce beau liquide, le voile et la lie, jusqu’au moment où on le tire, avec ce mystère annuel : sera-t-il bon ? On va percer le 1996, et une certaine anxiété existe. Nous arrivons au château de Germigney à Port Lesney, patrie de Edgar Faure, l’un des cerveaux les plus brillants de notre pays, et cette maison arrangée par des décorateurs de talent est d’un accueil charmant. Tout le personnel est d’une gentillesse extrême. Le chef fait une cuisine d’une précision rare, et la truffe a une générosité qui dépasserait même celle de Bruno ! On goûte « forcément » la cuvée locale, cuvée Port Lesney du Cotes du Jura 1999 du Domaine de la Pinte. Vin de grande maîtrise et déjà bien agréable, et l’on goûte le plus vieux des Château Chalon de la carte, un Château Chalon 1967 de chez Henri Bouvret à Poligny. Une couleur dorée, un nez très intense, alcoolique, et une belle onctuosité portée par une densité extrême. Sur la truffe, ce vin danse. Et il accompagne même très bien une viande rouge délicieuse, si bien traitée par le chef pour le vin. Bu de nouveau le lendemain, les caractéristiques s’extrémisent encore : l’acidité est forte, en même temps que la profondeur.
Visite au Domaine de la Pinte avec Philippe Châtillon, qui nous fait goûter un Cotes du Jura rouge 1959 Domaine de la Pinte. A l’ouverture, goût de moisi. Nous emportons la bouteille à Arbois au restaurant La Balance tenu par un jeune chef porteur d’espoirs, et la puanteur disparaît. Par instants on a des goûts fulgurants de perfection, mais souvent la blessure se rouvre, limitant la félicité que devrait apporter ce vin intéressant par la multiplicité de ses facettes. Sur un pigeon on goûte deux vins de paille de 1998, un du Domaine de la Pinte (la vision de ces grappes qui sèchent dans un grenier, sur des clayettes ou suspendues, est évocatrice du travail patient et magique de ces hommes voués à la perfection), et un du domaine la Renardière. Très difficile de départager les deux sur le pigeon car c’est en fait le rouge 1959 qui fait le meilleur mariage. Sur deux Comtés, les différences se voient mieux. L’un est plus orthodoxe, l’autre plus généreux. Mais à quoi bon juger, car les choses se mettront en place, si on veut bien les goûter comme ils le méritent, dans plusieurs dizaines d’années. A noter que le vin de paille va mieux sur un Comté plus sec que sur un Comté plus onctueux.
Promenade à Baume les Messieurs, où l’abbaye a trouvé sa place dans un large canyon (nous y rencontrons la petite fille des anciens propriétaires du château de Germigney – décidément le Jura est une grande famille), à Château Chalon, qui surveille toute la région, et au milieu de ces vignes que l’on soigne même en ces temps de gelée. Premier jour de la Percée du Vin Jaune. L’accès à la si jolie ville d’Arlay est difficile, tant sont nombreux les jurassiens qui veulent profiter de leurs si bons vins. La ville est dominée par le château, de belles demeures très anciennes ouvrent tous grands leurs hangars pour accueillir tous les domaines et leurs vins. Des fleurs et décorations de papier, oeuvre de tant de bénévoles donnent l’envie de faire la fête. Vente aux enchères des vins anciens. J’achète pratiquement tous les vins de plus de 50 ans, et cette magique bouteille de 1864 qui excitait les envies. On me félicite d’avoir valorisé les vins de la région, et TF1, Paris Match et des journaux locaux m’interrogent sur les motifs de mes achats. J’explique que c’est exclusivement l’envie de les boire. Ayant promis d’ouvrir une des bouteilles achetées en vente avec des viticulteurs locaux, nous allons au château d’Arlay où la bouche se prépare avec un bien agréable vin jaune d’Arlay 1996. Mais mon achat récent, Vin de l’Etoile de Philippe Vandelle 1964 en surprend plus d’un : vin facile, simple à comprendre, ouvert et généreux, il procure un plaisir immédiat. J’ai fini la bouteille lors du dîner sur la truffe qu’il accompagne élégamment. Il émerveillait par sa générosité et sa facile jovialité. On dirait presque que c’est l’antinomie du vin du Jura, qui cherche d’abord à vous dérouter avant de vous séduire. Là, la courtisane est clairement séductrice. A propos de générosité, toutes les personnes que nous avons rencontrées dans ce Jura ensoleillé ont été d’un accueil et d’un sourire qui mérite mention. Il est rare qu’une région ouvre à ce point les bras.
Au dîner, quelques essais au verre : Arbois cuvée des Poètes domaine Ligier 1998. Vin qui veut faire moderne et à cet âge, remet une copie hors du sujet. Vin jaune de Jacques Tissot 1992 : une bombe d’alcool au premier nez après carafage, très typé et finalement très agréable quand l’alcool se fond, assez rapidement. Extrême différence du nez du fond de verre entre ce 92 et le 64 si raffiné. Vin de paille Désiré Petit 1997. Un nez assez déstructuré comme on trouve en Baumes de Venise. Assez belle charpente promettant un beau vieillissement. Mais il faut absolument ne pas boire ces vins à ces âges si l’on veut connaître le charme exquis des vieux vins de paille.
Journée de relâche, car les navettes pour Arlay sont un repoussoir. Les salines d’Arc et Sénans, la citadelle de Besançon, travail de touriste. Le soir, une envie de Bordeaux. La Mission Haut-brion 1990. D’une cave trop froide, un tiers de la bouteille se débat avec ses tannins. Sur la truffe, alors que le vin s’ouvre, découverte étonnante : la truffe et La Mission suivent des chemins parallèles, aucun ne détruit l’autre, mais aucun n’embellit l’autre. Il faut une pièce de boeuf à la truffe pour que le Mission s’affirme : c’est magnifiquement fait. On sent un travail parfait. Cela reste pour moi, malgré tout, un plaisir d’esthète, et pas un plaisir de jouisseur. On a le bois, on a le cuir, on a le bouc en rut (pour aller dans l’analyse charnelle des meilleurs experts), mais où est le plaisir ? Le vin de l’Etoile 1964 d’hier avait plus de spontanéité chaleureuse que ce vin encensé par toutes les critiques, même si évidemment on ne parle pas des mêmes vins. Où est la vérité ? Dira-t-on qu’elle est dans le verre, c’est à dire dans la générosité plus que l’intellect ? La Mission devra faire des efforts pour de nouveau me séduire, quand j’ai en tête des Mission 28, 29 et autres merveilles de construction et de spontanéité si chaleureuses de ces millésimes de rêve.
Lendemain de la Percée. On traverse un Arlay qui a encore ses habits de fête. Le lieu a été protégé des profanations. Nous allons à la cave Jean Bourdy qu’une même famille gère depuis 1475. La plus vieille bouteille de leur collection privée date de 1781. Je goûte un Cotes du Jura blanc Jean Bourdy 1942 qui résume très bien le Jura dans son idéal : il y a ce goût de fumé, cette amertume, mais fondus suffisamment pour qu’il ne reste que l’intensité du plaisir d’un vin profond et persistant. C’est bien fait, et simplement fait. Au nez, c’est beau. Un vin à sortir beaucoup plus souvent dans des repas. Puis on goûte un étonnant Macvin Galant des Abbesses 1995 Jean Bourdy fait selon une recette ancestrale, avec l’adjonction de onze herbes ou épices. On a l’impression d’un ratafia qui aurait frayé avec une Chartreuse. C’est délicieux, et prometteur d’accords magiques sur des desserts. Le fond de verre sent les pruneaux à la cannelle. Après un détour chez un fromager caviste, nous arrêtons là cette Percée que nous avons faite en Jura, terre à l’accueil chaud et aux vins ensoleillés, dont la complexité est un plaisir immense, surtout lorsque l’âge apporte son concours. Nous repartons les poches pleines de vieux millésimes que nous ferons partager. Belle visite.
Dernier dîner à ce merveilleux hôtel de Port Lesney. Un Arbois, Cotes du Jura blanc Domaine de la Pinte 1976 n’aura pas réussi à se défaire de son acidité amère, celle qui rebute tant les « anti-Jura », malgré un beau passage sur un foie gras marié à divers fruits confits. On s’est consolé sur un Marc de la même année, marc 1976 du Domaine de la Pinte, merveilleux marc aux belles et brutales évocations des vins de cette belle région que l’on mettra, à coup sûr, sur nos prochaines tables.

réunion de l’Union des Grands Crus de Bordeaux lundi, 20 janvier 2003

Grande réunion de l’Union des Grands Crus de Bordeaux qui présentait les vins du millésime 2000, sauf Carbonnieux, qui, ayant sans doute mal lu son plan de vol, faisait goûter son rouge 1995, largement plus ouvert, donc non comparable. Quand on goûte des 2000, qui ont tellement de puissance et de tannins, très rapidement on atteint le seuil de saturation, et il n’est plus possible de juger, sauf au nez. C’est donc au feeling qu’on se plait à faire des différences qui ne résisteraient sans doute pas à un examen plus approfondi. On place évidemment en tête des chouchous : La Conseillante, Haut-Bailly. On découvre de très bons vins : Phélan Ségur qui comme en 1999 est très bien réussi, Maucaillou qui est largement plus agréable maintenant que des vins plus charnus. Des convives alentour cèdent au charme des vins tout en puissance : Clinet, Pichon Longueville, Léoville Barton, Smith Haut Lafitte. Et, au fil des présentations, on se plait avec La Lagune, Pape Clément, Beychevelle, Talbot et tant d’autres merveilles qui vont éclore.
A table, nous sommes placés à la table de Pape Clément et La Tour Carnet. Le Pape Clément blanc 1999, dès qu’il a pris un peu de chaleur, a un gras fort agréable. Peut-être un peu trop généreux. Quelques années vont le domestiquer. Sans doute un peu monolithique pour un Bordeaux blanc. Le Pape Clément 1996 rouge a une belle attaque, puis s’éteint tout de suite. Etait-ce la bouteille ? Le représentant du groupe de M. Magrez le trouvait normal. Une bouteille de La Conseillante 1996, fruit d’une rapine obscure n’a pas montré tout le génie de ce vin, et c’est en fait, des trois rouges de la table, le La Tour Carnet 1998 qui est apparu comme le plus adapté à ce moment là. En fin de repas, un aimable Nairac 1999 a rappelé le charme du Sauternes. Belle soirée à l’Automobile Club où la fine fleur des producteurs de Bordeaux nous faisait le plaisir d’être personnellement présente. Profusion de 2000 année exceptionnelle qui promet des merveilles mais qui, à cet âge, donne des différenciations qui vont forcément évoluer jusqu’au moment où les vins seront épanouis.

Voyage à Rivesaltes et Maury dimanche, 12 janvier 2003

Voyage à Rivesaltes et Maury où je retrouve des amis : Olivier Decelle de Mas Amiel, qui invente de si beaux vins tout en conservant les valeurs historiques et Bernard Cazes ainsi que son frère André, du Domaine Cazes qui donnent à Rivesaltes des lettres de noblesse. Je commence à goûter les nouvelles créations de ces deux magnifiques domaines, et je suis impressionné par le sérieux de leur approche, mais surtout par cette obsession de la perfection. Les écouter parler de l’évolution de leurs techniques est un vrai plaisir. Hasard de l’histoire, nous atterrissons pour dîner au sein d’un groupe de dégustateurs qui ont pris pour thème les vins de M. Chapoutier. Nous décidons de leur emboîter le pas. Aller à Perpignan pour boire des Chapoutier avec les propriétaires de Mas Amiel et de Domaine Cazes. Quelle idée ! Le lendemain, déjeuner plus orthodoxe, avec la Cuvée Aimé Cazes 1976 qui est un pur chef d’œuvre. Les Cotes de Roussillon Cazes 1982 et 1979 sont des vins accomplis comme le pourraient être de grands Hermitage, pour faire un petit clin d’œil à M. Chapoutier qui produit aussi des vins de la région de Perpignan (c’est d’ailleurs le Cotes de Roussillon Villages de Chapoutier 2000 que j’avais préféré de toute la série des Chapoutier, comme si un vin n’était jamais aussi bon que lorsqu’il est bu sur ses terres : voir par exemple ce qui se passe pour les vins de Provence). Le Libre Expression Domaine Cazes 1996 est un petit bijou de complexité, avec ce charme qui évoque les fulgurances des meilleurs Jura.
L’amitié aidant, Bernard et André ont ouvert les Maury Doré de Paule de Volontat 1948 et 1932. Ces Maury sont de vraies merveilles que je connaissais déjà et que j’ai en cave, et qui se goûtent si bien, vins de chaleur et de plaisir. Imaginerait-on des viticulteurs qui offrent des vins d’un de leurs voisins ? Dans cette région bénie, l’amitié authentique est à l’aune de la chaleur des vins.
Le plus étonnant du voyage fut d’aller visiter l’Ermitage de Consolation construit autour d’une chapelle du XVème siècle. Aucun des occupants de ce lieu magique n’avait entendu parler du Banyuls qui porte ce nom (j’ai de magnifiques 1925), alors que l’un d’entre eux y vit depuis plus de 60 ans. Comment peut-on ignorer un vin au nom si particulier ? J’ai bien du mal à le croire. Les hôtes du lieu ont regardé les photos de ces bouteilles comme l’apparition de la Vierge de Consolation.

Dîner au château d’Yquem vendredi, 20 décembre 2002

Dîner au château d’Yquem est toujours pour moi un événement. C’est la concrétisation d’un rêve d’enfant. Avant le dîner, je rencontre la nouvelle direction, et à l’apéritif, je retrouve Bipin Desai et quelques amis américains. Le magnum de Krug 1989 ne m’a pas donné la sensation que m’avait donnée le magnum de Krug 1988. C’est évidemment bien, mais sans émotion.
Le thème du dîner était : « on peut très bien faire tout un repas avec Yquem ». Alexandre de Lur Saluces jouait gagnant, car il n’avait que des hôtes conquis depuis longtemps à cette idée. Je me suis amusé à juger les plats et les vins, en disséquant comme le fait Alain Senderens, mais évidemment à mon modeste niveau. Le Yquem 1996, beaucoup plus accompli et chaleureux que celui du dîner de l’Académie du Vin de France allait mieux sur la chair du homard que sur la sauce lourde et farcie.
Au contraire la chair du pigeon vibrait moins sur le Yquem 1942 que la sauce, mariage divin. Ce Yquem 1942 est puissant, complètement équilibré, et représente le rêve de tout vigneron. Qui ne rêverait, dans tout le monde viticole, qu’un vin soixante ans après la récolte soit dans cet état de perfection ?
Lorsque le Yquem 1928 est apparu, j’ai failli me pâmer tant sa couleur est d’une beauté invraisemblable. Même si le Président des producteurs de Sauternes, présent à la table, me disait que le jugement sur les couleurs est subjectif, j’étais en extase : cette couleur de pèche (différente de l’impression visuelle laissée par le Dom Ruinart rosé) est une apparition. Cela tient du miracle. Le vin était si léger à la première gorgée que plusieurs convives préféraient le 1942. Mais je savais que ce 1928 allait se révéler. Et ce fut le cas. Après quelques minutes, une merveille de subtilité, de finesse représentative d’un goût à la complexité qui immerge l’amateur dans le bonheur absolu. J’ai gardé mon verre lorsque nous sommes passés au salon, et le 28 ne cessait de s’améliorer, prenant de plus en plus de puissance et de subtilité. Alexandre de Lur Saluces a osé une chose que je n’aurais jamais imaginée : une tarte aux myrtilles. Même les murs du château en frissonnent encore.
Il aurait fallu que l’on me voie lors du retour à l’hôtel : j’avais le sourire béat de « lou ravi », l’idiot du village, porté par une félicité inattaquable et indémontrable : un fait, au sens « révélation », comme les tables de la Loi.

Salon des Vignerons indépendants dimanche, 15 décembre 2002

Le Salon des Vignerons indépendants. Belle occasion de rencontrer des vignerons amis que m’ont fait connaître Philippe Parès et d’autres amis. Une impressionnante concentration de grands viticulteurs. Je n’achète qu’une chose : Rêve d’Automne, une cuvée spéciale 1997 du Domaine de la Pinte en Arbois. C’est cher comme ce n’est pas possible, mais c’est délicieusement bon.

Dîner de l’Académie du Vin de France mercredi, 27 novembre 2002

Philippe Bourguignon invitait chez Laurent l’Académie du Vin de France. Il a eu l’heureuse idée de rajouter à ce groupe structuré quelques clients habitués du restaurant. Quelle joie que de retrouver des gens que j’admire : Jacques Puisais, Jean Pierre Perrin et Alain Senderens, trois complices d’un récent déjeuner (bulletin 47), Alexandre de Lur Saluces, et d’être présenté à des propriétaires de vins mythiques comme la Romanée Conti, Hugel, Pol Roger, Chave, Château d’Arlay, Huet, Château Simone, domaine de Cauhapé dont on a bu récemment les Jurançon et le président Jean Noël Boidron dont le fils m’avait adressé ce Calon 55 si bien fait (bulletin 21).
Que de discussions agréables avec des grands vignerons comme M. Hugel, comme Aubert de Villaine, M. Chave et d’autres. Je retrouve aussi de grands critiques renommés et des journalistes qui écrivent de si belles choses sur ces vins de rêve.
En première partie, chaque membre de l’Académie avait apporté ses productions les plus récentes. On raconte qu’un client a bu à lui tout seul près d’une bouteille de Romanée Saint-Vivant DRC 2001, quand il a vu quel trésor était présenté. Intéressante comparaison de ce DRC avec un Hermitage 2000 de Chave. Deux philosophies différentes. Très belles bouteilles offertes à nos palais avant le dîner : Gosset, Comte Lafon, Zind Humbrecht, les vins des propriétaires déjà cités ci-dessus et tant d’autres.
Lorsque nous passons à table, je remarque l’honneur qui m’est fait : Madame Gilberte Beaux, propriétaire du restaurant est entourée à sa droite de M. Hugel, le si dynamique propriétaire alsacien, et à sa gauche de votre serviteur qui a le second privilège d’être à la droite de Madame de Villaine, dont le mari est propriétaire du Domaine de la Romanée Conti (DRC). Ce n’était pas un hasard, mais le choix de Philippe Bourguignon. Il ne pouvait me faire plus grand plaisir.
Sur une araignée de mer dans ses sucs en gelée, un Riesling Jubilée en magnum 1996 de Hugel. Un nez merveilleux, une belle maturité et un meilleur accord sur le plat que le Vouvray « Le Haut Lieu » 1996 de Huet. La bouteille que nous avions était à mon goût trop fermée sur ce plat. Et, à âge égal, le Riesling est sans aucun doute le plus fort, alors que dans cinquante ans, le round pourrait changer de meneur.
Une Noix de Saint-Jacques en nage forestière délicieuse a permis un accord merveilleux avec le Meursault 1996 Comte Lafon absolument adapté et généreux. Sans doute le plus bel accord de la soirée. Plus concerné que le Château Simone 1996 de très belle structure mais qui ne trouvait pas là son meilleur emploi.
Une volaille de Bresse farcie au foie gras et macaronis dorés au four accueillait trois vins : le Grands Echézeaux DRC 1990, avec le Corbin Michotte 1990, vin du Président, et le Beaucastel 1990 de Jean Pierre Perrin. J’ai été d’une incroyable impolitesse avec Madame de Villaine en lui disant que son vin était trop fort, et trop généreux. Et c’est le vin lui-même qui a corrigé ma maladresse, car une heure plus tard, le nez de ce vin s’était complètement civilisé et avait retrouvé ces arômes que j’adore. Quel bonheur de retrouver ce DRC qu’une apparition brutale m’avait poussé à critiquer. J’espère que le brillant changement du vin m’aura fait pardonner. Sur le plat, c’est le Corbin Michotte qui était le plus adapté. Le DRC était trop puissant (au moment où il était servi), et le Beaucastel n’était pas parfaitement en situation (je l’ai bu le lendemain : il était alors dans sa vraie nature, avec sa pleine générosité).
Jacques Puisais faisait de la poésie sur chaque vin, trouvant des aspects qu’aucun d’entre nous ne découvrirait, et Philippe Bourguignon m’a signalé que d’une table à l’autre, les jugements variaient totalement. Comme il s’agit d’experts et de vignerons, on mesure à quel point le vin est une matière insaisissable !
Sur deux Comtés, l’un de 18 mois et l’autre de 36 mois, Château d’Arlay, Château Chalon 1990 Marquis de Laguiche. Toujours aussi précise association, plus flatteuse sur le 18 mois.
Deux mille feuilles, l’un à la vanille et l’autre à la mangue confite au piment d’Espelette, un Pinot Gris « Clos Jebsal » SGN (sélection de grains nobles) Zind Humbrecht 1996 et Yquem 1996. Aucun vin ne se marie vraiment à la vanille, comme j’en avais fait l’expérience au Bristol, mais avec la mangue, l’accord se faisait, contrarié toutefois par un piment incendiaire à mon palais. Est-ce la présence du SGN ou est-ce la bouteille ? Je n’ai pas senti le Yquem comme je l’aime habituellement. Peut-être était-ce le piment qui m’anesthésiait. J’ai bu de nouveau ce Yquem 96 au château. Celui-là m’allait.
Comme manifestement les soifs n’étaient pas éteintes – il y a dans cette Académie de solides constitutions – on a abondamment devisé avec du champagne Gosset rosé. Bavardages badins mais marqués d’une grande compétence. Apparemment, la fête s’est poursuivie largement au delà de mon départ. Comme j’organisais le jour même (nous avions franchi les heures tardives) et ici même un dîner de wine-dinners, Philippe Bourguignon a fait garder tous les fonds de bouteilles du Grands Echézeaux pour faire les sauces d’un des plats prévus. Quelle délicate attention !
Au cours du cocktail ou lors de conversations diverses, j’ai pu mesurer les mots aimables de ceux qui connaissent mon amour des vins anciens. Un honneur pour moi que de me trouver au milieu de ceux qui font les vins les plus beaux de la planète, et décident de l’évolution de leur fabrication, leurs choix déterminant ce que sera le vin français de demain.
On imagine volontiers que j’étais comme l’enfant à qui l’on ferait visiter une usine de sucettes. Les yeux brillent de fascination.
Une petite anecdote pour finir : un expert ami m’appelle et me dit : avez-vous lu l’article sur Alain Senderens dans la Revue du Vin de France ? (RVF, référence obligatoire). Il me dit : Alain Senderens interviewé dit que son coup de cœur récent est un Nuits Cailles Morin et Fils 1915. « Ça ne peut être que vous » me dit-il ! « c’était moi » répondis-je comme on répond à Bonaparte « j’y étais ». Et je lui raconte ce déjeuner de rêve (bulletin 45). Je suis content qu’Alain Senderens ait signalé cette merveilleuse bouteille que nous avions bue ensemble.
Après avoir côtoyé tant de vignerons que j’admire, j’ai bien dormi, la tête pleine de rêves. Le lendemain, un dîner de wine-dinners m’attendait chez Laurent.

Rhône en Seine vendredi, 15 novembre 2002

Des vignerons venus en capitale s’appellent « Rhône en Seine ». C’est bien joli comme titre. Je retrouve dans les somptueux salons du George V André Roméro et ses si bons Rasteau. Je mange du chêne à pleine bouche avec un Côte Rôtie 1996 du domaine Gangloff, et, comme les vins récents ne sont pas mon domaine de prédilection ou de spécialisation, je me limite à comparer Château Rayas 2000 avec Beaucastel 2000. Contrairement à un expert, au jugement unanimement reconnu, je ne suis pas d’accord de juger en « blanc / noir ». Ce Rayas 2000 semble avoir laissé faire la nature, et à l’aveugle, je suis à peu près sûr que j’aurais dit un ancien Aloxe Corton. Quand au Beaucastel 2000, c’est la générosité du fruit d’un terroir gâté par la nature.
Faut-il préférer un Chateauneuf du Pape à l’autre, quand on goûte les deux plus beaux et les deux plus célèbres en même temps ? Non pour moi. Ce sont deux philosophies distinctes et je les respecte autant, même si l’un perd un peu de sa puissance et l’autre gagne peut-être un peu trop en goût moderne, malgré le résultat si réussi.
Bien évidemment, mon avis sur ces vins n’a pas de valeur, quand je vois le sérieux de vrais professionnels. Quelle sûreté d’analyse quand David Biraud, meilleur sommelier de France raconte ce qu’il entrevoit. Que de cavistes et de sommeliers sérieux viennent juger ces trésors !