Archives de catégorie : vins et vignerons

un foudre emblématique de la Mouline de Guigal lundi, 7 novembre 2005



Les trois grandes Côtes Rôties de Guigal sont des vins éblouissants que je bois avec un infini bonheur. Leur prix ne cesse de croître, rejoignant ceux des vins les plus rares de la planète.

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visite chez Marcel Guigal lundi, 7 novembre 2005

Un ami avait parlé de mes dîners à Marcel Guigal, et l’idée d’une rencontre avait été lancée. Sur le conseil d’un ami connu du monde du vin, je l’appelle et j’arrange un rendez-vous sur la route de retour du Sud après l’escapade chez Marc Veyrat (bulletin 158). Un déjeuner en commun est prévu.
Nous nous annonçons à une dame à la réception qui fait une moue dubitative et va en parler à une autre dame qui s’approche. Je dis que je viens voir Marcel Guigal et qu’il est question d’un déjeuner. La réponse claque comme un revers de Roger Federer : « ah, ça, ça m’étonnerait ». Nous attendons ma femme et moi, et quelques minutes plus tard, Marcel Guigal m’apprend qu’il a énormément de travail, qu’il ne s’appartient plus, que son fils Philippe rentre du Canada. Philippe est en train de faire goûter les vins récents à des acheteurs britanniques importants. Marcel nous suggère de nous joindre au petit groupe qui déguste. Mais de déjeuner point. Sa femme, puisque c’est sa femme qui m’avait smashé du fond du comptoir, avait vu juste. Les femmes ont toujours raison.
En cave, Philippe Guigal arbore une superbe casquette de joueur de base-ball et commente de façon fort agréable et souriante les vins de cette splendide propriété et ceux de son négoce. Mes notes sont au lance-pierre, car elles furent prises sur ma paume et sur mon palm.
Je goûte Saint-Joseph 2003 blanc, puis Saint-Joseph de Saint-Joseph 2004, mais j’avais mangé des petits bonbons qui arrachent la bouche lors du trajet en voiture. C’est donc une prise de connaissance aussi efficace que de lire un annuaire dans le noir. Le Condrieu 2004 recale mon palais, juste à temps pour le Condrieu la Doriane 2004 qui manifestement monte en densité. L’Hermitage blanc 2002 a un peu de grappes d’ex voto 2002 en lui puisque l’ex-voto ne fut pas millésimé en 2002. Il a une belle acidité et une fraîcheur remarquable.
Les rouges : Cotes du Rhône 2003 nez poivré, jolie bouche simple, Crozes Hermitage 2002 paradoxalement moins agréable, très poivré. Le Saint-Joseph 2002 est plus fin, plus délicat. Le Saint-Joseph vignes de l’hospice 2002 a 30 mois de fût neuf. Un nez boisé et dense très coulant et frais en bouche. Le Saint-Joseph de Saint-Joseph 2003 : nez de poivre, agressif, joli en bouche, viril, cassis. C’est sec, écorce de noix, anis étoilé, menthe.
Le Gigondas 2001 est flatteur et joyeux ! Il est court, mais riant et très épicé. Le vin sent la rafle. Le Châteauneuf du Pape 2001 a un nez fermé. En bouche il est un peu fermé, mais il sera bon. Très épicé. La Côte Rôtie brune et blonde 2001 est vraiment encore fermée, mais agréable, dotée d’un beau final bien frais. A ce stade, on sent des constantes : il y a dans tous ces vins des finales de cassis et d’épices. L’Hermitage 2002 est très joli. Un vin comme ça, ça me plait. La Côte Rôtie château d’Ampuis 2002 possède un beau nez d’une élégance rare. Le vin est beau et son final est un peu aqueux.
La Côte Rôtie la Mouline 2001 est bue très froide. Le vin est très épicé, de belle structure mais il ne se livre pas encore, à ce stade de son évolution. La Côte Rôtie La Turque 2001 a un nez plus cassis plus dense, plus agréable, plus chaleureux. Mais quand La Mouline s’ouvre, quelle élégance ! La Landonne 2001 apparait comme un vin plus vieux, plus mûr un peu plus léger, plus assis. A ce stade, et Dieu sait si je ne suis pas expert de ces bambins, c’est La Turque 2001 qui a le plus de charme maintenant pour moi, le vin au nez plus avancé montrant une belle élégance en bouche. Cela ne présage pas des évolutions futures. Philippe fit à ses visiteurs et à moi-même l’honneur d’une Côte Rôtie La Landonne 1982, beau vin déjà mur que l’on devrait boire à table plutôt qu’en cave. Mais on imagine sa valeur intense.
Pour nous être agréables, nous sommes retenus à déjeuner au restaurant Le Cloître à Vienne par un jeune responsable administratif de l’export de la maison Guigal. Alors que le restaurant a un nom fort pieux et se situe au pied d’une magnifique église, la décoration tient plus de la trattoria que du cloître. La cuisine est honnête, et le ravioli de homards, le sandre, sauce à la Syrah et une tarte à la noix accompagnent un Hermitage 1995 Guigal qui a vraiment le style maison. Un peu amer et court, il est tout de même plaisant.
Marcel et Philippe Guigal, sentant que ce déjeuner n’était pas forcément ce dont nous avions rêvé, ont tenu à nous voir quitter leur domaine avec des mots fort amicaux et porteurs de promesses de se revoir en prenant le temps. Cela nous a ravis.
Je comprends que ces vignerons aux vins redoutablement bons ont des agendas contraignants. Ça me plait assez que les vins de Guigal se fassent désirer. Seraient-ils des vins féminins ? Ce n’est pourtant pas comme cela qu’on les aurait décrits.

cette photo a une histoire lundi, 24 octobre 2005


Lorsque j’ai créé le site de wine-dinners, il fallait faire de belles photos. Pour mettre des bouteilles "en situation", j’ai ouvert cette bouteille et le liquide dans les verres est bien du Chypre 1845. Qu’on ne s’inquiète pas. Ce fut bu !

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Club des Professionnels du vin et rencontre vinicole 05 mardi, 18 octobre 2005

Les hommes politiques ont compris que l’on n’est plus jugé sur son efficacité mais sur des postures. Alors, la France est morose car elle n’est plus gérée. On ne cherche plus la pertinence d’un plan de relance mais ce qui taraude les dîners en ville, c’est la compétition entre des dauphins (c’était écrit avant les émeutes, je l’ai laissé). Ce climat se ressent au Club des Professionnels du vin où l’assistance est clairsemée et attentiste, malgré la qualité des domaines représentés. J’y vais plus pour croiser des amis que pour faire des études thématiques. Comme j’ai la chance que l’on m’indique de bonnes pistes, je découvre ici et là de grands vins. Citons-en quelques uns. Le champagne rosé Deutz 1996, les champagnes Bonnaire et Clouet deux familles liées de Buzy et Cramant, dont un 1992 qui aurait pu figurer dans le peloton de tête du concours du « Spectacle du Monde » (bulletin 154). Le Chablis Moutonne Grand Cru Long Dépaquit de Bichot 2000 se boit bien, un fort intéressant Corton Charlemagne de Chanson égaya le buffet de cochonnailles du Pavillon Dauphine, le Chambertin Bichot 2003 promet beaucoup. L’Armagnac 1945 de Laubade, généreusement offert à la dégustation m’a moins convaincu. Trop torréfié, réglissé à mon goût. Autour des stands, des cavistes, restaurateurs, agents et journalistes ont une approche moins papillonnante que la mienne. Ces salons sont nécessaires.
Le lendemain, une autre « rencontre vinicole 05 » à l’Espace Cardin rassemble une foule plus dense avec des vins de beau calibre, dont plusieurs sont les mêmes qu’au Pavillon Dauphine. Les délicieux champagnes Diebolt-Vallois que j’ai déjà racontés dans des millésimes rares (bulletin 138), de très orthodoxes blancs et rouges de Smith Haut Lafitte qui sont très bien faits, des vins originaux, typés, de Puech Haut, petites bombes d’épices, le Meursault 1999 du château de Meursault, bien marqué Meursault, et le Banyuls de l’Etoile 1993 séducteur comme pas deux.

concours du meilleur caviste indépendant par Laurent-Perrier lundi, 10 octobre 2005

Tours-sur-Marne est une coquette bourgade de la champagne, perdue au milieu des vignes. Au cœur de l’automne, quand les ceps ont fini de livrer leurs trésors, les feuilles se parent de mille couleurs pour un dernier spectacle de pure beauté : le vert bien sûr, pour rappeler que les vignes furent jeunes, le jaune doré et le rouge sang pour suggérer les liquides magiques qu’elles ont donnés et le noir d’encre pour que l’homme qui dompte ces lianes se souvienne que tout ici est mortel. Un joli soleil fait briller cette féerie. Nous arrivons au siège de Laurent Perrier, devant une devise comminatoire : « ne buvez pas d’eau ». Le jury du concours du meilleur caviste indépendant du monde se retrouve après la préparation que nous avions faite au « Petit Verdot » (bulletin 152). Les dix candidats cavistes sont de sérieux phénomènes pour avoir passé l’épreuve d’un questionnaire qui aurait certainement éliminé bon nombre de membres du jury (moi bien sûr) du fait de l’extrême complexité et de l’étendue des sujets. Ils sont tous fébriles, anxieux, car l’épreuve qui vient est la description et la reconnaissance de sept vins. Le jury les goûte en sachant ce qu’ils sont et prend des notes pour pouvoir jauger la pertinence des descriptions. Chaque caviste a le choix entre trois réponses pour un vin, ce qui est déjà une précieuse indication. Malgré cela, l’épreuve est si difficile, même pour des gens très doués, que le taux de découverte des vins ne dépassera pas 50%. Les descriptions sont amusantes. Parfois d’une exactitude remarquable, souvent d’un lyrisme scolaire, et quelquefois totalement à coté du vin goûté. La palme revient à un candidat qui a trouvé de la tige de pivoine (pas la fleur, la tige) dans un vin. Les réponses furent globalement très compétentes pour des vins difficiles : Jasnières Domaine Renvoisé 2001, Mendoza, Torrontes Santa Julia 1999, Brouilly domaine Longuefay 2004, Amarone della Valpolicella domaine Righetti 2001, Carmenere Tabali reserva, Chili 2002, Moscato di Pantelleria liquoroso « Tanit » domaine Miceli Sicilia, single malt Scotch Whisky caol-ila Dun Bheagan 12 ans. Inutile de dire que ce n’était pas simple.
Un succinct déjeuner avec les candidats et nous dépouillons les réponses pendant que l’épreuve d’un questionnaire se déroule. La partie la plus passionnante sera la présentation du coup de cœur. Chaque caviste a apporté un vin qu’il aime et le justifie au jury. Certains vins furent des découvertes assez époustouflantes car ces malins gaillards ont déniché des petits trésors. J’en cite deux ou trois.
Un Saumur 2000 Clos Rougeard « Brézé » qui titre 12,5°. Ce blanc a un nez d’une puissance rare, beurré de mille fleurs, presque salin. En bouche très floral, iodé, passionnant. Le Grasberg 2002 de Marcel Deiss titre 13° et se compose de trois cépages alsaciens. Le nez de fruits exotiques précède une amplitude en bouche élégante, florale, saline qui finit en bonbon acidulé.
Un caviste a apporté une Commandaria de Chypre St John non millésimée absolument délicieuse évoquant au nez les Banyuls les plus délicats. Il eut cette phrase admirable : « sentez ce vin, il sent le billet d’avion qui vous emporte vers d’autres mondes ».
Le Jurançon 1991 cuvée la Quintessence du Domaine Bru-Baché titre 13,5°. Un nez très opulent, franc, séducteur. En bouche, le coing, le fruit élégant, frais, à peine sucré. Quelle présence en bouche ! Fort et imprégnant, c’est un exemple du beau Jurançon.
Une des présentations, très technique, insista sur un jeune vigneron atypique qui fait tout à contrecourant, soignant ses allées à la pince à épiler, chouchoutant ses bourgeons à la lampe à bronzer. Le résultat est un jus de cassis poivré moins bon que s’il était fait avec du cassis. Je ne citerai pas ce vin du pays de l’Héraut, dont seul l’intitulé « garance » avait une gueule d’atmosphère.
La lecture de la liste des quatre finalistes est aussi cruelle que lors de la désignation de Miss France. On dit aux jeunes et jolies filles : « même si tu n’es pas nommée, tu souris ». Le sourire forcé de ces beautés est presque insoutenable de souffrance intime. Là, les déçus ne cachent pas leur sentiment d’injustice. Ils font bonne figure peu après, mais on sent la blessure profonde du candidat écarté.
La dernière épreuve est un jeu de rôle. Le candidat a cinq minutes pour conseiller Enrico Bernardo, mis à contribution car il reste deux italiens en piste qui s’exprimeront dans leur langue, qui veut acheter des vins pour un dîner. Voir le meilleur sommelier du monde 2004 répondre à un caviste : « vous savez, je n’y connais pas grand-chose, je m’en remets à vous » vaut le détour. Le gagnant fut un caviste italien au charme certain soutenu par une connaissance extrême car il avait entre autres gagné l’épreuve de la description et reconnaissance des vins à l’aveugle.
Comme dans tous les albums d’Astérix l’histoire se finit par un festin, mais là, contrairement aux ripailles gauloises, on laissa les bardes chanter à tue-tête, puisque Georges Lepré, chanteur au talent achevé, montra au lauréat que le bel canto, c’est en France qu’on sait le pratiquer. Et le président de la fédération des cavistes troussa joliment un air d’opérette, en duo avec Georges.
Un médaillon de lotte, un carré de veau de lait sous la mère, un millefeuille de framboises mettent en valeur les champagnes de la maison Laurent Perrier dont un très intelligent ultra brut, un brut millésimé 1996 en magnum délicat et une opportune cuvée Laurent Perrier rosé brut en magnum. Cela ponctuait une bien belle journée qui a mis en valeur la compétence de cavistes brillants.

Riquewihr jeudi, 6 octobre 2005


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Visite rendue au Domaine Hugel à Riquewihr jeudi, 6 octobre 2005

Le village de Riquewihr est une merveille absolue. Des maisons du seizième siècle plus belles les unes que les autres et au centre de la zone piétonne, une noria de camions vient décharger les raisins des vignes de la maison Hugel, forte de quatre siècles dans la même famille. Jean Hugel, qui vient de fêter ses 81 ans, est devant le portail pour m’attendre. Après que j’ai capté sur un fil téléphonique ma moisson de mails qui ne peuvent pas attendre – signe des temps – il me conduit à son domicile pour déjeuner. On entre par la porte de derrière où des cadavres de canettes montrent qu’on ne boit pas ici que du Riesling. Pas de chichis, c’est l’amitié pure. Jean me montre des souvenirs de dégustations prestigieuses pendant que nous nous rafraîchissons d’un Muscat Hugel 2004, floral, léger, vin simple très agréable, et Jean va engager une croisade verbale, comme ces missionnaires à Tombouctou qui voulaient imposer la religion catholique. Là, il s’agit de me prouver l’Alsace que Jean trouve sous-représentée dans mes dîners. Le Léoville Barton 1982 bu sur la cuisine de Simone son épouse – qui adore le Muscat 2004 – est destinée à montrer que l’alsacien n’est pas sectaire. Le bordeaux est fort pénétrant et boisé, au final un peu sec et au discours assez monolithique mais il convient bien à la cuisine familiale de madame Hugel. Le Gewurztraminer Hugel vendanges tardives 2000 est beau, riche, bien adapté à une délicieuse tarte aux pommes saupoudrée d’un soupçon de cannelle. Visite des caves en centre ville. On a du mal à imaginer les flux de grappes, de liquides et de bouteilles qui grouillent dans les entrailles de coquettes maisons de cinq cents ans. Les foudres ancestraux sont impressionnants comme celui qui arbore un brevet d’inscription au Guinness Book of Records, le plus ancien fût toujours en activité, qui aura connu des récoltes de près de trois siècles et porte une date historique majeure : 1715. Jean a préparé une liste de quatorze vins tous récents qu’il me faudrait goûter. Voyant que je m’effraie de cet exercice il me proposera de me limiter à un examen des rieslings, et ce sera bien. Le Riesling Hugel Classique 2004 a un nez encore fermé. Il est à peine perlant. Bien citronné il a une longue trace. Mais il faut le laisser s’arrondir. Le Riesling Jubilee Hugel 2001 a un nez de riesling plus franc. Ce qui frappe, c’est sa définition précise. Citronné, encore acide au premier contact. Les épices et les fleurs arrivent en fin de bouche. Le Riesling Vendanges Tardives (VT) Hugel 1998 a un nez subtil. Et pour un VT, il joue dans la discrétion. Chaud, doux, vin de plaisir très pur et élégant. Evoquer les litchis ou les pamplemousses roses serait restrictif. Le Riesling SGN (sélection de grains nobles) 2000 a un nez ingrat. En bouche, c’est du pur miel fondu. Très sucré, pâte de fruit, bonbon acidulé, c’est peut-être à faire vieillir, mais ce n’est pas mon goût. Je veux remettre ma bouche en place avec le VT puisqu’un grand programme m’attend, mais Jean Hugel me dit : « gardez cette impression en bouche. Si mon « Gentil » est bon après un SGN, c’est qu’il est bon. Le Gentil, c’est un vin de mélange, comme l’Edelswicker que j’aimais jadis. Bien sûr c’est simple. Mais ce gentil « Gentil » passa bien l’examen. Il ne faudrait pas passer sous silence la visite des vignes en pleines vendanges. Jean n’est pas le premier vigneron à me raconter son attachement à l’histoire, son souci de comprendre la terre, de maîtriser l’indiscipline de la vigne, cet insoumis qui préfère l’école buissonnière et la paresse que lui offre une terre trop facile. Mais c’est toujours émouvant, comme la vibration que dégage cette ville de Riquewihr très touristique, dont les maisons ancestrales (histoire, toujours l’histoire) offrent une beauté à la taille de l’homme. Je pense aux vignerons de l’âge de Jean, dont les grands parents leur ont raconté les vendanges de la fin du 19ème siècle, eux qui ont connu les ruptures que les guerres ont causées au travail de la vigne. J’aimerais parfois que le temps s’arrête pour qu’on ne perde pas le souvenir de périodes où, avec dix fois moins de techniques qu’aujourd’hui, on a fait des vins qui m’ont fait presque pleurer. Les pieds crottés nous revenons dans les murs de la société, et descendant les marches d’une cave qui ne paie pas de mine, de vilains casiers de plastique cachent quelques trésors. Jean prélève un Riesling VT (vendanges tardives) Hugel 1935. Belle couleur au brun cuivré. Le nez est très pur et séduisant. En bouche, c’est merveilleux. La belle acidité porte le vin, extraordinairement expressif. On pourrait évoquer la noix ou la cire d’abeille, mais ce qui compte, c’est la profondeur du message. Un couple de suédois venus acheter une bouteille n’en revenaient pas qu’on leur propose de goûter un tel nectar puisque nous étions assis tranquillement dans la boutique, Jean ne pouvant s’empêcher de faire l’article à tout arrivant. Alsace, quand tu nous tiens ! Sentant qu’il y avait un goût de trop peu, Jean m’invite à redescendre en cave. Je saisis un 1934. « Ce sera pour la prochaine fois, pour que vous ayez envie de revenir ». Un Gewurztraminer VT 1943 remonta de cave, avec un autre cadeau : un Kummel de 1943 qu’un soldat allemand avait demandé à Jean ou l’un de ses frères de garder pour lui. Quelle saveur aura ce qui est paradoxalement l’inverse d’une prise de guerre ? Le Gewurztraminer VT 1943 a un nez d’une élégance rare. Surprise en bouche, le vin est très léger. Il y a une petite amertume épicée qui limite le plaisir. Un couple d’américains eut la bonne idée de passer là au bon moment. La surprise de ce vin léger explique, mieux que tout commentaire, celle qu’ont eue les académiciens du 4 octobre qui ont été surpris par le VT 1961 qui leur fut donné de boire. La bouche séduite encore par ce Riesling 1935 d’immense charme je regagnai ma chambre pour me reposer le corps et les oreilles, car le Jean, quand il a quelque chose à dire – et il en a tout le temps – vous entraîne dans un tourbillon verbal impressionnant.

dîner avec Jean Hugel à l’auberge de l’Ill jeudi, 6 octobre 2005

Simone Hugel, Jean et moi allons dîner à l’auberge de l’Ill. C’est ici qu’il y a près de quarante ans j’ai le souvenir impérissable de ma première truffe entière. J’étais peu revenu en cet endroit, car ayant dans cette région plusieurs filiales du groupe que je présidais, c’était une halte interdite au comptablement correct. Jean et Simone sont comme en famille et Serge Dubs, meilleur sommelier du monde est le gardien d’un beau trésor de cave de la famille Haeberlin.
Nous avons débuté par un Riesling Jubilée 1998 Hugel que Madame Hugel et moi avons apprécié sur une sardine au caviar. Heureusement qu’elle lit mes bulletins, car elle aurait trouvé étrange qu’à sa table on se pâme, se trémousse, glousse, jubile : l’accord était parfait. Et quand un accord est parfait, l’alchimie est si forte que le plat et le vin s’envolent. Et mon plaisir se voit. Délicat Riesling raffiné, frêle et distingué propulsé par une sardine presque crue que le caviar met sur son trente et un. Plat magistral – Alain Senderens n’aurait plus le monopole de la sardine ? – et vin transcendé par cette association.
Quand le maître d’hôtel prend les commandes, généralement, la puissance invitante ordonne en dernier. La truffe n’est pas un plat pour les classes moyennes, celles qui font l’objet de toutes les séductions politiques, aussi Simone et moi ordonnâmes des plats qu’on ne peut pas pour autant qualifier de plats de pauvres. Et voilà Jean qui nous dit : « et bien moi, ce sera la truffe ». « Scandale ! » crie Simone, bien sûr pour rire. Taraudé que j’étais par une irrépressible lutte des classes, je fis jouer l’ascenseur social et choisis de suivre Jean dans son appétit de luxe. Autant dire que le souvenir de quarante ans revint immédiatement avec cette truffe sous la cendre d’un plaisir absolu. Là-dessus, le Pinot Noir Hugel « les neveux » 1990 est tout simplement éblouissant. Je savais ce qu’il y avait dans la carafe mais je me suis amusé à penser à l’aveugle. C’est immédiatement le Bordeaux qui vient à l’esprit, et un grand. Quand j’évoquais par la suite la Californie, Simone le prit comme une injure. J’expliquai que non. Ce vin à l’équilibre joyeux, remplissant la bouche de goûteuse façon et que la truffe n’écrase pas, est irréel. Intemporel. Nous nous dîmes avec Serge Dubs que personne ne reconnaîtrait un tel vin, piège absolu. Dans lequel je suis prêt à souvent retomber, s’il reste encore de ce nectar.
Trouver un dessert pour le Gewurztraminer SGN Hugel 1967 est un exercice difficile. J’essayai la poire, mais c’est son feuilleté qui convenait le mieux. Un liquide à l’or rose, presque comme un flash de boîte de nuit. Un nez séducteur, intense. En bouche, j’eus plus de mal à trouver mon bonheur. Ce vin est parfait, mais j’ai trop en tête les sauternes de 1967 dont le récent Yquem, pour que je puisse en faire abstraction et me laisser séduire par ce grand vin. J’avais ce soir beaucoup plus de plaisir avec les deux vins précédents, de pure originalité. L’ambiance de ce restaurant familial est enjouée, la cuisine est bonne. C’est une halte de plaisir.
On indiqua à Jean une table d’anglais qu’il alla saluer. L’un d’entre eux se leva alors pour venir à son tour me saluer. C’était un des participants de la folle dégustation des 38 millésimes de Montrose qui m’approcha avec une attitude toute britannique : « j’étais avec vous à cette belle dégustation. Je n’ai pas votre expérience de ces vins, mais j’ai beaucoup apprécié les remarques pertinentes que vous avez faites ». Le monde, à l’anglaise, est délicieusement agréable, n’est-il pas ?
Je quittai cette belle région où Jean Hugel m’a renforcé dans mon amour des vins d’Alsace. Sa générosité, son immense dynamisme et sa conviction sont un bonheur pour toute sa région.

dégustation de champagne Delamotte au nouveau siège de Fogon mercredi, 5 octobre 2005

La presse qui compte dans le domaine du vin et de la gastronomie se retrouve au nouveau siège de Fogon, délicieux restaurant espagnol inventif et raffiné pour accorder des tapas aux champagnes de la maison Delamotte. Beignets de poisson, jambon gras qui est excité par une bulle altière, chips légères, pomme de terre trempant dans une sauce épicée, sobre riz, et j’ai un déclic. Alors que je déguste le délicieux Delamotte 1997, blanc de blanc expressif, on me tend une minuscule tartelette au poivron façon Tatin. Et je pense que ce poivron est fait pour du champagne rosé. Intuition très liée à la couleur rouge tendre du poivron. On me tend à nouveau l’exquise galette quand j’ai en main le Delamotte rosé. L’accord est parfait. Souvent l’harmonie des couleurs accroche bien entre mets et vins. Sauf pour la truffe et le caviar, évidemment, qui réclament des couleurs contraires.