Archives de catégorie : vins et vignerons

dégustation de vins de Nicolas Joly mercredi, 11 janvier 2006

Manifestation des caves Legrand. Exposé sur la biodynamie

Gérard Sibourd

Gérard Sibourd-Baudry m’annonçant le programme des prochaines dégustations des Caves Legrand, j’entends le nom de Nicolas Joly. Instantanément ma réponse fuse : « je viens ». Nous avions échangé des mails et des propos au téléphone. Je voulais donc enfin voir ce personnage du monde du vin.

Nicolas Joly venait de tenir la réunion annuelle de son groupe de vignerons qui pratiquent la biodynamie, au cours de laquelle sur 25 candidats, huit avaient été agréés dans ce saint des saints. Aussi eûmes-nous l’impression très vite que Nicolas Joly continuait avec les 17 participants de cette soirée dégustation le conseil d’administration qu’il avait tenu peu avant. Orateur infatigable, au verbe précis et volontiers poétique, aux phrases belles et sensées, au débit et aux tics de Fabrice Luchini, Nicolas Joly a captivé un auditoire de jeunes amateurs acquis à ses thèses, dévots de ses conceptions.

J’ai été captivé pendant les dix premières minutes – mes voisins pendant plus longtemps – car je n’aime pas trop que l’on affirme ses convictions en stigmatisant « les autres », qui n’auraient rien compris, détruiraient la planète, feraient des mauvais produits, etc. Le message aurait plus porté, à mon sens, sans cet excès ayatollesque. Mais le corps du message m’a emballé, et c’est le principal, parce que, mine de rien, on remet à l’honneur des pratiques ancestrales moins théorisées, mais pratiquées. L’exergue de mon livre comporte cette phrase : « ce livre est dédié aux vignerons des années 1000 à 1500 qui ont inventé les vins d’aujourd’hui ». Ce message gentiment provocateur voulait indiquer que ce sont mille ans d’expériences qui ont conduit au vin d’aujourd’hui et non pas seulement les trente dernières années où certains pensent que tout a été inventé. A ce titre, le message de Nicolas Joly, doté d’une belle dose de bon sens, d’une écologie saine, mérite l’intérêt et le respect.

Nous devions goûter huit vins, quatre de Nicolas Joly et quatre de vignerons biodynamiciens. Notre orateur étant arrivé au moment de faire sa conférence, les vins n’ayant pas respiré, ce que nous avons bu se présentait de la pire des façons. Il eût fallu cinq heures d’oxygène pour qu’ils délivrent le message attendu. Je ne les décrirai donc pas, pour ne pas critiquer de bons vins. Je signalerai seulement que les vins de Nicolas Joly lui ressemblent : ce sont des vins militants. Ils dégagent une personnalité extrême, sans concession, où le charme n’est pas recherché, mais une tonalité de terroir brutale, poussée à l’extrême. C’est certainement le temps qui donnera raison à ses choix, car j’imagine ses vins au sommet de leur art quand ils auront une vingtaine d’années de bouteille. Sur les huit vins, ce furent les deux derniers les plus beaux, signe de l’importance déterminante de l’oxygène. Le Vouvray « le Mont » demi-sec de Huet 2002 raconte des milliers d’histoires, c’est un bouquet de fleurs, un panier de fruit blanc. Ce vin est joyeux.

Le vin Les Calcinaires de Gauby de 1999 m’a poussé à écrire sur ma feuille de notes : « ça, c’est du vin ». Ça respire le vin joyeux, simple, un peu limité, mais tellement sincère.

C’est la première dégustation à laquelle j’assiste au cours de laquelle le conférencier ou l’animateur n’a pas dit un seul mot sur aucun des huit vins présentés. Je suis un peu resté sur ma faim, car ce personnage passionnant a de belles choses à dire. Son discours est affaibli par la critique systématique de tout ce qui n’est pas sa voie. La jeune assistance a adoré ses propos Bovéiens. C’est sans doute eux qui ont raison.

Deux phrases que j’ai glanées au sein de propos sur les champs magnétiques, l’influence des planètes, les forces de gravité et de vie : « la vigne adore la présence des animaux », et « la cave n’est pas une usine quand la vigne a bien travaillé ». On ne se lasserait pas d’écouter de tels propos s’ils n’éreintaient pas tout autour. C’est un homme à suivre.

Vingt et un millésimes de Pichon Longueville Comtesse de Lalande vendredi, 16 décembre 2005

Bipin Desai avait organisé cette fabuleuse dégustation de 38 millésimes de Montrose que j’ai racontée dans le bulletin 151. Il m’appelle et m’annonce : 16 décembre, déjeuner à Taillevent avec May-Eliane de Lencquesaing. Je n’en demande pas plus. Je sais que ce sera grand. J’arrive au restaurant Taillevent dont le premier étage sera occupé par notre petit groupe de vingt personnes. Il n’y a pas d’endroit plus agréable. Un délicat salon où l’on imagine que des alliances interdites se sont scellées avec l’appui explicite de joailliers parisiens et de champagnes capiteux nous tend ses bras complices. Je revois avec plaisir Wolfgang Grünewald, un grand amateur avec lequel j’ai partagé des flacons immémoriaux, Michael Fridjohn, qui s’intéresse aux vins d’Afrique du Sud, John Kapon, ce redoutable organisateur de dégustations folles à New York, Serena Sutcliffe, l’expert de Sotheby’s et son mari David Peppercorn, grand écrivain du vin, Michel Bettane en grande forme, Gildas d’Ollone, le directeur général de Pichon Longueville Comtesse de Lalande et Thomas Dô-Chi-Nam, qui fait ce vin délicat qui sera à l’honneur aujourd’hui, dont Michel Bettane vantera plus tard de façon fort vibrante l’immense réussite du 2003, Clive Coates, auteur de nombreuse revues sur le vin, qui fut de nouveau mon voisin de table, retiré aujourd’hui en charolais, et d’autres amis. Je suis présenté à Hugh Johnson auteur d’ouvrages de référence sur le vin. Jan-Erick Paulson que je rencontre pour la première fois, est un suédois vivant en Allemagne, expert en vins anciens. Je salue bien sûr Bipin Desai et May-Eliane de Lencquesaing toujours éblouissante d’énergie. Après le champagne Taillevent, élaboré par Deutz d’une aérienne élégance, nous passons à table dans la salle lambrissée d’un raffinement extrême où Jean-Claude Vrinat a eu l’élégance de mêler des éléments ultramodernes comme l’éclairage, à la distinction naturelle du lieu. Les tons de la décoration de la table vont mettre en valeur le sang très pur qui abreuvera nos cœurs enthousiastes. Bipin Desai explique que n’ayant pu se rendre aux manifestations marquant le 80ème anniversaire de May Eliane de Lencquesaing, dont j’ai raconté le faste dans le bulletin 147, il tenait à rendre un hommage à notre hôtesse avec une dégustation originale de ses vins, dont il a réglé l’ordonnancement en trois séries de sept vins. Il a demandé à deux convives de commenter chaque série. Devant parler de la première, je sortis mon petit carnet. M’exprimer devant des sommités du vin, je me suis dit que mon apport serait plus intéressant si je parlais de la cuisine, plus que du vin, qu’ils connaissent cent fois mieux que moi. Le menu de ce repas qui dura cinq heures est le suivant : amuse-bouche crème de lentille et truffes / ravioli de champignons, bouillon de pot-au-feu truffé / royale de foie gras de canard, cappuccino de châtaignes / quasi de veau aux légumes d’automne / brie de Meaux affiné à la noix / gourmandises aux marrons et à la mandarine. Quel repas subtil ! Tout dans des tons d’automne que rehaussait la décoration de la table. Une apparente simplicité, marque d’une maturité extrême, a porté les vins aux nues. Voici ce que j’ai déclaré devant cette docte assemblée pour la série annoncée ainsi : 34, 55, 64, 75, 78, 90, 2001 : pensant que le premier vin était le 1934, j’eus un choc olfactif. Comment un vin peut-il avoir cette folle jeunesse ? C’était le 2001 (rires dans la salle). Le 2001 (il s’agit, on l’imagine volontiers, uniquement des vins de Pichon Longueville Comtesse de Lalande)a un nez épicé, très élégant. Le 1990 à la couleur très généreuse a u nez nettement plus évolué. Il est même légèrement bouchonné. Le 1978, par contraste a un nez éblouissant de vin en pleine force de l’âge. Il est capiteux, velouté, ce nez. Je porte les vins à mes lèvres. Le 2001 est encore un enfant, rêche, rugueux, fougueux, son bois est austère, mais il promet. Le 1990 n’a pas l’effet du bouchon en bouche. Il est toutefois un peu bridé. Le 1978 a une expression généreuse, c’est un vin chantant qui glisse en bouche avec un vrai bonheur. Le 1975 a un nez du même style que le 1978, moins capiteux, un peu plus animal. Il est râpeux en bouche, excitant comme un Bourgogne (rires de nouveau dans la salle). Sa belle trace est profonde en bouche. Ce coté plutôt inhabituel me plait. Le 1964 a un nez qui se cherche un peu. On l’imagine dans une période transitoire. En bouche, il est passionnant. C’est un vin vieux déjà, mais d’une jeunesse éblouissante. On me sert un nouveau verre de 1990 qui est absolument parfait. Le 1955 a un nez très typé. Quel grand vin ! La bouche est assez acide, ce vin est plus sérieux que généreux. Le 1934 a une couleur magnifique. Le nez est assez discret. En bouche, c’est du bonheur. Car l’équilibre entre l’épanouissement et l’acidité se fait admirablement. La longueur est extrême et sa trace est d’une élégance rare. Il convient de noter que devant parler, j’avais jugé les vins très vite, avant qu’ils ne s’épanouissent dans le verre. Tous sont devenus plus charmants par la suite. J’adore le 1978, le plus sexy de cette série, le 1934 pour son élégance et le deuxième 1990 très opulent. Sur l’amuse-bouche aux lentilles, c’est le 1934 qui parade. Il est fabuleux. Le 1975 est aussi très à l’aise. Les 1978 et 1990 ne sont pas avantagés. Et ce qui est amusant, c’est que sur le plat avec ce délicat bouillon, je sens l’appel du 1990 qui devient magistral. Le 1990 refuse la lentille et se marie au ravioli. Le 1978 est aussi attiré, quand le 2001 reste dans son coin. Le 1934 est d’une évocation rare sur les deux. Le plat est fait pour 1990 et 1934. C’est donc le 1934 qui aura mes faveurs de cette série. Cette analyse un peu inhabituelle a intéressé quelques convives. Wolfgang Grünewald qui partage une approche des vins assez similaire donna des impressions comparables, ce qui conforta mon analyse. Ne voulant pas me mettre en vacance d’analyse, voici la suite de mes constatations. Le 1996 a un nez superbe, épanoui. Le 1995 est joli aussi, peut-être plus riche. Le premier nez du 1989 est assez serré et boisé. Le 1986 est extrêmement subtil, le 1985 a un nez très expressif et boisé. Les 1995 et 1996 sont plus intenses que les 1986 et 1985 que l’on peut opposer deux par deux dans chaque décennie selon que l’on aime les vins masculins ou féminins. Le 1953 me parait très alcoolique au nez. Sa couleur est impressionnante de jeunesse. Le 1926 a un nez un peu animal et une belle couleur. A ce stade, je n’avais rien bu de cette série. Le 1996 est puissant, rêche, de bois sec. Je n’aime pas le 1995 dont la bouteille ne doit pas être bonne, malgré son nez avenant. Le 1989 est élégant, accompli, quel grand vin ! Le 1986 est magistral, brutal, « militaire ». Le 1985 est sexy, très passionnant. Le 1953 a un léger bouchon. Sa bouche est très fraîche, très bonbon à la menthe, si on ose l’imager ainsi. Le 1926 est éblouissant. Sur le plat de foie gras et châtaignes, c’est le 1926 qui est grandiose, le 1953 magistral. Je fais un classement personnel en mettant, malgré le désappointement passager le 1953 en premier, puis, 1926, 1989, 1986 et 1985 ensemble car lequel des deux préférer ? Le 1953 m’a enthousiasmé par sa belle maturité.

Serena Sutcliffe et Bipin Desai

La troisième série démarre par un enfant. Le 2003 a un nez plutôt aqueux, le 2000 est brut comme du marbre, le nez du 1982 est élégant et raffiné, le 1961 est très élégant et concentré. Le 1959 sent le papier, il est un peu coincé, mais c’est le premier nez, le 1945 montre au nez qu’il est déjà ancien, et le 1929 a déjà des traces animales désagréables. J’ai demandé un deuxième verre du 1929 ayant ainsi un clair et un foncé. Les deux avaient ce coté animal qui m’avait gêné il y a peu avec un madère de 1870. Je fus étonné de voir autant de convives aussi laudatifs pour un vin qui n’avait pas eu son oxygène. Je m’en ouvris à Gildas d’Ollone, car ce vin deviendrait splendide avec deux à trois heures de plus. Le quasi de veau est un plat absolument magistral. C’est de la « cuisine de grand-mère » portée au firmament. Quelle sérénité ! Le 2003 est éblouissant, ahurissant, un vin d’une puissance infinie qui va devenir un monstre dans quarante ans, monstre de bonheur. Je suis assez content, car ce qui précède, c’est les notes que j’ai prises à la volée. Or Michel Bettane encensera ce 2003 avec une insistance appuyée, signe qu’il aime le travail de Thomas Dô-Chi-Nam. Le 2000 est magnifique maintenant. On sent le potentiel, mais il se boit magnifiquement bien aujourd’hui. Il a un charme fou. Le 1982 est éblouissant. C’est le plus accompli des 1982 que j’ai bus. Je ne peux pas dire comment il va évoluer, mais il est éblouissant ici. Le 1961 se cherche. Il va intégrer ses composantes dans quelques années ? Le 1959 est un grand vin. Il est d’une décontraction parfaite. J’ai noté l’idée qui me venait : c’est Grace Kelly à trente ans, en jeans. Le 1945 est déjà un vin vieux. Il a la marque des vins vieux. Il sent la cave antique, la caverne d’Ali Baba. Il est plus intéressant par le symbole que par le goût. Le 1929 clair est magique. C’est le vin ancien qui décourage tous les gens qui ne vont pas vers eux. Quand on accepte, quelle complexité. Le 1929 foncé, au nez presque agréable mais marqué a en bouche une acidité trop forte qui gêne. Légèrement perlant, il montre la mauvaise gestion de l’oxygénation. Je reviens aux vins de cette éblouissante série. Le 2003 sera fou. Du bois, de la concentration. Le 2000 sera plus subtil mais ne durera pas autant. Le 1982 est intéressant. Il a déjà pris un manteau de vieux. Le 1961 s’ouvre de plus en plus et me plait plus. Le 1959 est grand, définitivement grand. Le 1945 reste trop fatigué. Le 1929 clair est charmant en bouche avec ce nez insistant de viande. Le 1929 a perdu de l’intérêt. Pour cette série de légende, je vais vers les plus jeunes : 1959 et 1982. Au final les vins qui émergent pour moi (sachant que les performances varient d’une bouteille à l’autre) sont le 1926, 1934, 1959, 1989, 1990. Aucun ne peut vraiment être leader unique. Cette manifestation en hommage à une grande dame du vin qui a fait beaucoup pour son vin mais aussi pour le vin en général fut une réussite absolue. L’organisation par Bipin Desai fut exemplaire, la cuisine de Taillevent magistrale et sereine. Le cadre unique, les convives plus intéressants les uns que les autres. Le seul point qui me parait à améliorer, parce que c’est mon dada, c’est l’oxygénation des vins. Ce qui n’enlève rien au caractère exceptionnel de l’événement. Je suis reconnaissant à May-Eliane et Bipin de m’avoir inclus dans ce cercle de privilégiés de leurs cœurs.

dégustation de Dom Pérignon de 1998 à 1976 mardi, 29 novembre 2005

Gérard Sibourd-Baudry m’avait dit : es-tu inscrit à la dégustation de Dom Pérignon ? N’ayant reçu aucune information, je dis non. Ayant l’habitude de réagir assez vite, j’en fus et je fis bien.
J’arrive un peu en avance aux Caves Legrand, ce qui me permet d’échanger quelques mots avec Richard Geoffroy, chef de cave de Dom Pérignon, qui va nous présenter Dom Pérignon comme personne ne serait capable de le faire. Il a la sensibilité de chaque composante de ce vin. Si cette dégustation devait ajouter à la gloire de Dom Pérignon, elle a atteint son objectif. Je n’étais pas un bizut puisque j’avais participé au jury qui avait consacré par de lourds lauriers le Dom Pérignon 1996 (bulletins 120 et 121). Il en fallait beaucoup pour que je fusse subjugué. Je le fus.
J’ai trouvé en Richard Geoffroy un chantre de son vin particulièrement enthousiaste. Il commença par nous dire : « je vais vous parler de la subjectivité de Dom Pérignon ». J’aime quand on démarre comme cela, dans des registres qui dépassent de loin la technique.
Le Dom Pérignon 1998 est un petit prodige de jeunesse, sans doute le Dom Pérignon de demain. Bien sûr il faut se méfier de ce que nous réserve le réchauffement climatique, car des réussites comme Yquem 2001, on risque d’en voir beaucoup d’autres à l’avenir. Mais ce 1998 est là et bien là. Comme pour le 1998 bu il y a quelques jours, ce qui est fabuleux, c’est le milieu de bouche. Ce qui m’a émerveillé, c’est que la truffe blanche d’un agréable risotto a fait apparaître des fruits blancs dans le panorama de ce Dom Pérignon subtil. Blanc sur blanc de la truffe et de ce goût de pêche blanche, c’est l’esprit des couleurs. La bulle est active, d’autant plus canaille que le riz la modère. La trace en bouche de la truffe blanche semble éternelle. Voilà un de ces accords d’une justesse absolue.
Sur un Jabugo bien dosé où le gras est calme, la première gorgée du Dom Pérignon 1996 m’assomme. Je suis groggy et Richard en rit car il a vu ma réaction. Ce 1996 est un produit du diable. C’est la Dame de Shangaï. C’est la sensualité énigmatique de Rita Hayworth. Le Selles sur Cher est plus le partenaire du Dom Pérignon 1995. Merveilleux Dom Pérignon, profond, linéaire, très clair dans son discours, mais plus volontiers dans la ligne du parti, il s’oppose catégoriquement au 1996 totalement canaille. Le 1995 est Richelieu, le 1996 est Arsène Lupin.
Le caviar sur une pomme de terre excite le Dom Pérignon Œnothèque 1990. Il lui donne une direction d’expression saline. Et le caviar influence le 1990. C’est intéressant mais maintes fois exploré. Je ne suis pas sûr que cet accord dépasse le stade du symbole de l’aventurier mondain lady killer. Quand cette trace gustative typée s’assagit on se rend compte que le 1990 est un grand champagne. Il est magnifique de simplicité, ce qui est ici un compliment. On peut se demander comment il est possible d’atteindre des niveaux de qualité élevés sur de tels volumes de production (gardés secrets, marketing oblige). Mais la vérité est là : c’est un grand champagne. Le caviar devait aussi accompagner le Dom Pérignon rosé 1990 servi en magnum. La répulsion est immédiate. Pas de copinage possible. On cherche à imaginer ce que ce beau rosé aimerait. Il me vient immédiatement l’envie de la chair d’une biche, sans aucun accompagnement. Plus le temps passe et plus le rosé montre une forte personnalité. Dom Ruinart rosé 1990 est grand. Ce Dom Pérignon rosé est de la même veine.
Le Dom Pérignon Œnothèque 1976 doit susciter trois accords. Avec les deux foies gras, on cherche mais on ne trouve pas. Le foie gras ne fait pas se trémousser ce champagne dont j’attendais plus de fanfare. La sourdine est mise. Mais avec le loukoum, c’est un réveil et un bel accord. La sécheresse apparente du 1976 et la subtilité troublante du loukoum se marient fort bien. C’est la pistache qui est la clé de cette excitation.
Quand Richard Geoffroy a parlé de fenêtres d’émotion pour les Dom Pérignon, qui s’épanouissent à 7 ans, puis à 14 ans, puis à 30 ans, je buvais du petit lait car je ne cesse de parler de ces moments où les vins s’expriment. C’est en ce moment que les rouges de 1953 et 1955 sont éblouissants, comme le sont de façon magistrale les 1928 et 1929. Ne pas linéariser l’histoire d’un vin, c’est ce que je clame. Que j’aie la même idée que le maître de caves d’un vin connu de la planète me comble de joie.
J’étais placé à coté d’une japonaise venue spécialement de Tokyo pour cette seule dégustation. Nous nous étions déjà rencontrés lors de l’historique dégustation de Pétrus (bulletin 120) pour laquelle elle avait aussi fait ce même long voyage pour un seul but. Elle m’a raconté qu’elle a bu Pétrus 1943, 1945, 1947. Cette volonté d’être là pour un vin représente la forme ultime de la passion du vin. Quelle leçon pour beaucoup d’amateurs mâles !
Ce fut une magnifique soirée avec des vins qui ne sont pas seulement réservés aux agents secrets qui sauvent la planète mais aussi aux amateurs qui recherchent des grands champagnes expressifs, intelligents et de charme.

Salon des vignerons indépendants lundi, 28 novembre 2005

Le salon des vignerons indépendants est une institution. Une foule immense s’y presse pour apprendre une région, dénicher un vigneron qui fait un bon vin, et faire de belles emplettes. Quand je vois ces visiteurs qui tirent le diable par la … poignée, avec des cartons de vins qui me sont le plus souvent inconnus, et quand je vois leur mine fière comme celle immortalisée par Cartier-Bresson en 1952, de cet enfant qui rapporte fièrement deux litrons à son père, je me dis que le vin a une dimension culturelle, historique et patrimoniale. Quel contraste entre la mine réjouie de ceux qui sont persuadés d’avoir déniché « la » pépite et ceux qui poussent le caddie le samedi. Or ce sont les mêmes personnes.
Je m’y rends pour dire un amical bonjour à quelques vignerons que j’apprécie, et ça me fait sourire quand l’un ou l’autre me dit : « dites donc, vous ne parlez pas souvent de mes vins dans vos bulletins », alors qu’ils savent que je les mentionne. Je rencontre aussi de solides amateurs, qui me donnent de bons tuyaux. On repère tout de suite autour d’un stand les amateurs avec lesquels on a envie de parler. Je vais voir le Domaine Cazes en Rivesaltes, la Coume du Roy en Maury comme Mas Amiel, le Monbazillac de René Monbouché, château Caillou, château Filhot, tous les vins du Jura et je vais me présenter à M. Dupasquier qui fait cette si belle Roussette que j’avais dégustée dans sa version 1988 chez Marc Veyrat. Je découvre un château Cadet, un Côtes de Castillon fort agréable présenté par des vigneronnes ravissantes (il faut toujours avoir, en matière de vin, des critères de sélection cohérents). Il faudrait des années pour découvrir tous ces beaux vins. Ce salon est fort utile.

mon amour des vieux Sauternes jeudi, 24 novembre 2005



Dans cette cave qui n’existe plus (les bouteilles ont été transférées ailleurs) j’aimais contempler les couleurs ambrées de très vieux Sauternes

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YQUEM 2001 AU GRAND PALAIS jeudi, 17 novembre 2005

Bon, je n’ai pas eu mon Beaujolais Nouveau, alors je vais au cercle dont je suis familier. Au bar, mon barman préféré me dit : « mais monsieur, ici on n’a que du vin ». Déçu de l’avoir à nouveau raté, je me rends au Grand Palais à une visite privée de l’exposition de peintres de Vienne, Klimt, Kokoschka, Schiele et Moser. C’est LVMH qui est le mécène de l’exposition et je retrouve une foule ciblée, d’amis de Cheval Blanc et Yquem. La combinaison d’une chaude sensualité et d’une froide sophistication des tableaux de Klimt, dont cette Judith II qui glace les sangs quand la femme à la voilette appelle les sens, les délires proches de la folie de Egon Schiele dont un autoportrait quasi insoutenable, tout cela provoque de belles émotions commentées par une guide passionnante et sensible. Au buffet, décidément, je n’aurai pas mon beaujolais nouveau ! On goûte Cheval Blanc 1995 qui est d’une belle maturité. Chaud, rond, au bois intelligent, il m’étonne d’être déjà si chaleureux. Je discute avec des visiteurs que je ne connais pas et je saisis un verre d’Yquem 2001. Je fais « ah ! », et mes voisins se demandent si je viens d’avoir une attaque. Cet Yquem qui agite tous les acheteurs du monde est d’une beauté redoutable. Le nez est encore peu affirmé, même s’il est élégant, mais c’est en bouche que tout se passe. Un milieu de bouche rempli de fruits confits, de pâtes de fruit et d’agrumes, envoûte le palais. Je ne peux m’empêcher d’aller le dire à Sandrine Garbay, cette jolie vigneronne qui « fait » Yquem. Pierre Lurton m’avait raconté que ce bébé était si précoce qu’il avait décidé que son stage en fût de vieillissement serait raccourci. Ce fut une bonne décision si j’en juge par l’extrême personnalité de cette future légende. Retenez Yquem 2001, car il vaudra mieux l’oublier et le boire vers 2040, en résistant à sa séduction avant cette date, car il serait, dès maintenant, déjà éblouissant.

dégustation de champagnes à l’Intercontinetal mardi, 15 novembre 2005

Un site de vente de vins par internet, dirigé par deux tenaces et efficaces jeunes entreprenants organise une soirée de dégustation de champagnes. Je cite ce site parce que leur démarche mérite d’être encouragée, c’est 1855.com. La réunion se tient à l’hôtel Intercontinental dans le magnifique salon Opéra où, semble-t-il Garnier s’est fait la main avant de construire l’Opéra. Cette salle spectaculaire est l’écrin parfait pour goûter de beaux champagnes, les bruts non millésimés de grandes maisons. On rencontre des gens connus et j’ai le plaisir de bavarder avec un grand collectionneur de vins, avec qui je me suis souvent battu pour acquérir des vins uniques. Dans le domaine des vins très rares et historiques, c’est-à-dire de 1780 à 1870, je suis en culottes courtes par rapport à lui, car il a bu des vins rarissimes dont il me raconte à quel point il les a aimés. Cela donne encore plus de motivation à ma démarche. Nous nous sommes promis de partager quelques raretés chez un restaurateur ami des deux. J’en salive d’avance. De stand en stand on goûte de beaux vins. Je ne citerai que quelques uns qui m’ont particulièrement attiré : le Gosset d’une belle pureté, le Charles Heidsieck, le Pol Roger et le Veuve Cliquot. Quand on a le palais marqué par ces non millésimés, l’arrivée du Dom Pérignon 1998, vraie raison de cette foule abondante, se passe comme sur un tapis rouge. L’expression et la délicieuse note d’agrumes en milieu de bouche emportent l’adhésion. On parle, on retrouve des amis et on boit de beaux champagnes dans un lieu magique. Belle initiative.

soirée Grand Siècle au Pavillon d’Armenonville lundi, 14 novembre 2005

Le champagne Laurent-Perrier organise chaque année un dîner où est remis le trophée ou plutôt le Prix Grand Siècle, qui couronne une personnalité aux qualités humaines remarquables. J’avais raconté une précédente cérémonie dans le bulletin 97. Simone Veil sera ce soir la femme de l’année.
Au Pavillon d’Armenonville les voitures se succèdent pour libérer des beautiful people en habit de soirée. L’aboyeur qui annonce les noms à Bernard de Nonancourt, son épouse, ses filles et Yves Dumont et son épouse, alignés pour nous accueillir, cela a un petit air « hors d’âge » pour les jeunes loups et louves qui rajeunissent la soirée. Le champagne Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle en magnum, servi à profusion, est un champagne de charme. Il se boit bien, il est expressif, et il a un goût de revenez-y redoutable. On bavarde avec des gens connus ou moins connus. L’ambiance est chaleureuse.
Le menu est le suivant, pour plus de 400 personnes : tarte fine aux cèpes et bolets, gâteau moelleux et crème de persil / salmis de palombe, gratin florentine / tomme crayeuse / vacherin d’automne, coulis de poire d’automne. Ce fut remarquablement exécuté, les cuissons furent précises pour les deux plats. Le chef d’un restaurant deux étoiles de Toulouse, Michel Sarran, présent à notre table, goûtait avec son sens critique aiguisé ce qui se présentait dans nos assiettes. Il opina, d’autant que le chef du Pavillon est un de ses amis et camarade de rugby.
Il est intéressant de constater que le repas fut grand, marqué par une générosité évidente, mais le dialogue des plats et des vins fut assez limité. La correspondance n’était pas facile. Les cèpes allaient évidemment très bien avec le Grand Siècle en magnum que nous avions adoré à l’apéritif, mais la crème de persil lui limait le plaisir.
Imaginez une brigade de soixante serveurs en gants blancs qui portent chacun un magnum de château Latour 1988. C’est extrêmement impressionnant de largesse. Cela me remémora l’entrée en scène, quasi identique, d’une cinquantaine d’Yquem 1967 lors d’un dîner au château d’Yquem (bulletin 148). Mais le Latour 1988 est un vin difficile. Celui de mon verre est surboisé, brutal, amer, rude, et comme Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde 2004 était à la table voisine, je suis allé lui porter mon verre pour qu’il le sente. Nous échangeâmes nos verres et incontestablement le sien était plus chaleureux, élégant. Il est donc probable que l’accord avec la délicieuse palombe était meilleur pour lui que pour moi.
La couleur du champagne Laurent-Perrier rosé Alexandra 1997, du nom de la ravissante fille de Bernard de Nonancourt, est d’une sensualité rare. Ce sont des pétales de rose qui volent au vent des bulles vagabondes. Avec le chef galonné de notre table, nous avons parlé des accords liés à la couleur. Le dessert a des couleurs d’automne, alors que le champagne délicieux a des couleurs de printemps. On aurait bien vu des fruits roses puisque la couleur du vin les appelle. Le dessert fut bon, le champagne fut bon, chacun de son coté.
L’essentiel est bien sûr la générosité de Laurent-Perrier et la nomination de Simone Veil. Jeanne Moreau, d’une voie sépulcrale fit son hagiographie. La réponse de Simone Veil fut plus amène. On se leva deux fois pour applaudir ces admirables personnes. Après le dîner, sur un Porto Taylor Old Tawny de 20 ans d’âge, les discussions avec les nouveaux amis de notre table se poursuivirent au-delà du couvre-feu. Ce fut une grande, belle et généreuse soirée.