Archives de catégorie : vins et vignerons

que tient Saint Pierre dans sa main? mardi, 19 avril 2005



On sait que sur l’étiquette de Pétrus il y a un Saint barbu. Mais que tient-il dans sa main ? Ce n’est pas un tastevin, c’est la clef du Paradis.

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rapide visite à chateau Palmer mardi, 5 avril 2005

A Palmer, les visites se succèdent au chronomètre. On se croirait dans un centre de thalassothérapie où l’on vous dit : « le bain d’algues : à 17 h 12 ». Une impressionnante cohorte de visiteurs de tous horizons et de tous pays vient découvrir le charme de l’Alter Ego de Palmer 2004 et l’élégance structurée de Château Palmer 2004. J’étais venu en ami bavarder de divers sujets. J’ai goûté ces beaux 2004. Je suis content d’avoir terminé sur eux ce périple épuisant de découverte des bébés vins qui seront sur les tables dans quelques années.

visite à Pichon Lalande et déjeuner privé mardi, 5 avril 2005

Direction rive gauche de la Gironde, par la route qui traverse Margaux, Saint-Julien et Pauillac. Je dois me rendre à Pichon Longueville où je suis attendu. Bien évidemment je me trompe de château, ce qui montre à quel point je suis peu assidu des châteaux qui ont fait les trésors qu’abrite ma cave. Je ne suis jamais allé à Latour, à Margaux, à Lafite, à Mouton car je n’aime pas déranger. Ce n’est pas parce que les châteaux font l’effort de recevoir ceux qui les visitent qu’il faut obligatoirement y aller. J’ai sans doute eu tort d’être trop discret jusqu’ici car des gens passionnants font les vins brillants que je vénère. Violaine de Lencquesaing m’accueille sur le sentier et nous rejoignons sa mère, pétulante femme qui sera bientôt octogénaire, mais a plus d’énergie pétillante que beaucoup de gens plus jeunes. Les chais sont impressionnants. Trois sculptures d’un bleu intense attirent mon regard par leur beauté. Une collection de verreries anciennes remontant à l’époque romaine est spectaculaire. C’est un hobby de May Eliane de Lencquesaing que je comprends, car je vis aussi l’avidité du collectionneur. De la terrasse qui coiffe les chais on découvre un panorama de rêve : toutes les terres alentour produisent des vins qui sont parmi les plus grandioses du monde : Pichon bien sûr, Latour, Léoville Las Cazes entre autres. Nous goûtons dans une orangerie exquise les vins du domaine de 2004 : le Bernadotte, la Réserve de la Comtesse, et le Pichon Longueville Comtesse de Lalande. Ces vins de la rive gauche me paraissent plus sereins que ce que j’ai ressenti sur la rive droite. Les équilibres se forment déjà. Il fait beau, nous arpentons les allées fleuries qui mènent au beau château qui séduit : c’est une demeure où l’on vit. La décoration est élégante, délicate, fournie. Elle exprime le bonheur. Les couleurs sont très féminines. La salle à manger accueille pour qu’on y mange bien.

la table dressée pour notre déjeuner

Tous les petits détails, le raffinement anglais dans le service de table, préparent le convive à déguster comme il convient ce vin de grand renom. Nous commençons par Pichon Longueville 1991, car de la toute petite récolte qui ne fut pas abîmée par des conditions climatiques épouvantables en début de cycle de la vigne, ce qui est resté est fort élégant. Léger, subtil, ce vin insiste pour nous dire : « je sais que je suis de 1991, mais voyez comme je vis bien ». Le 1986 qui suit me rappelle celui que j’ai bu tout récemment (bulletin 128). Comme le 1991, il est servi dans sa fraîcheur. Il se présente légèrement frais et peu ouvert. Nous discutons longuement de nos méthodes respectives de mise en valeur des vins. J’admets volontiers que l’on présente un athlète au moment où il se réveille. Son étirement matinal a du charme. J’ai plus le goût de le voir en piste, quand la sueur marque son front et signe l’effort pour gagner. Si l’on concevait bien que le 1986 se présente ainsi en jouant la jeune beauté surprise devant sa psyché – et l’on sait que Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1986 est un immense Pauillac – j’ai eu plus de mal avec le 1959. Voici un vin époustouflant, chef d’œuvre historique. J’ai moins envie de le voir en pyjama. Il le faut en Brummell.

avec May Eliane et Violaine, et le chien !

Tout ce que je dis est évidemment à prendre à la marge, car le 1959 d’une longueur rare, choisi pour ce repas amical parce que l’année est d’un fort souvenir pour May Eliane de Lencquesaing, démontra tout naturellement qu’il est un très grand vin, à la garde quasi éternelle. J’espère que mes hôtes le goûteront encore ce soir, après une oxygénation supplémentaire, pour vérifier si cette forme différente leur plait aussi, alors qu’elles ont opté pour une présentation d’un vin dans la forme qui met en valeur d’abord sa jeunesse. Nos discussions furent animées, amicales et heureuses. J’ai visité la cave, goûté le chaud soleil dans le beau jardin où les fleurs de printemps explosent de couleurs et de joie de vivre. Une famille qui travaille à la pérennité d’un domaine au sol béni de Bacchus. Une volonté de bien faire dans l’esprit de la tradition. Une exigence. Et ce moment d’amitié. C’est là où la France est inégalable.

dégustations diverses à saint-emilion lundi, 4 avril 2005

Je m’effondrai dans mon lit après l’épuisante séance des 2004 et ce dîner copieux, me jurant qu’il était hors de question que j’approche mes lèvres du moindre vin le lendemain. J’arrive vers 10 heures à Cheval Blanc pour rencontrer Pierre Lurton. On me met en main d’autorité le Petit Cheval 2004, puis Cheval Blanc 2004. Impossible de juger ces grands vins prometteurs à cette heure de la journée. De nombreux visiteurs sont là, dont Hidé, un des éléments du charme de Hiramatsu, qui m’annonce qu’il quitte ce restaurant. J’en suis attristé et je suivrai ce grand professionnel où il fera son nid. Je vais le revoir par hasard le lendemain. Un des grands cavistes parisiens est là. Il m’entraîne à une dégustation dans un site privé qui appartient à Jean-Luc Thunevin. Comme disait Goebbels, quand j’entends le mot Valandraud, je sors, non pas mon revolver, mais toute idée d’abstinence. Et je me suis retrouvé devant des dizaines de stands aux vins plus intéressants les uns que les autres.
Un convaincu Hervé Bizeul, vigneron du Roussillon que j’avais vu tonique au salon des grands vins présente la petite Sibérie, le Clos des Fées, les Sorcières du Clos des Fées. Je ne peux pas dire que je suivrai toutes ces tendances ayatollesques. Un exercice beaucoup plus interpellant m’attend avec le Pintia Toro 2004, le Alion Ribera del Duero 2004 moins convaincant, le brillant Valbuena Ribera des Duero 2004 et l’immense Vega Sicilia Unico 2004 , magistrale indication de la grandeur des vins espagnols du plus haut niveau.
J’ai adoré un Château Petit Gravet Aîné Saint Emilion Grand Cru 2004 présenté par la charmante Catherine Papon-Nouvel, car il est atypique et ne veut pas démontrer plus qu’il ne peut. Le Château Valandraud 2004 à l’inverse est une bombe d’alcool et de concentration. C’est un cocktail Molotov aujourd’hui qui présage de redoutables performances plus tard. Pour s’amuser il y avait le vin de Bob, le Château Bellevue sur Vallée, vin d’un jeune américain. C’est gentil, quand son essai d’un vin sucré qui approche de saturations épouvantables doit être ignoré.

spectaculaire dîner au chateau La Gaffelière lundi, 4 avril 2005

Arrivé au château La Gaffelière, une fois la porte austère comme celle d’un cloître refermée, un jardin délicat, arboré avec goût, pousse à l’émerveillement. Deux Bugatti dans un garage orné de mosaïques antiques indiquent que le maître des lieux vit ses passions. L’impressionnante collection de tableaux de peintres flamands des périodes de gloire montre que l’exception et la joie de vivre sont les maîtres. La cuisine sera faite par le chef de l’hostellerie de Plaisance, où je loge, et c’est le mieux de ce qui peut se faire.

Passage obligé, puisque c’est la semaine des primeurs, nous goûtons les 2004. La Chapelle d’Aliénor qui se cherche un peu, Château Armens que j’avais aimé lors des dégustations du Cercle Rive Droite, Château Tertre Daugay déjà magnifique dans sa présentation actuelle où le fruit est élégant et la structure intelligente, et Château La Gaffelière moins présent que le Tertre Daugay, mais promettant de belles évolutions. Un blanc est inaccessible pour moi tant on est loin de ce qu’il sera.

Dans les riches salons, un champagne Pommery 1991, moins chaleureux que mon 1987 récent, étonne par sa personnalité. Il raconte des choses. Nous passons à table et je remarque les éblouissantes armoires d’acajou aux dimensions cyclopéennes. Le premier vin est le Tertre Daugay 1990. Je n’arrive pas à croire qu’un 1990 puisse être aussi jeune, tant le fruit sur un bois intense et vert semble indiquer un vin à peine né. Et en analysant, c’est bien un 1990 à la jeunesse folle.

La Gaffelière 1961 est l’expression de la perfection du vin jeune. C’est l’idéal. Le 1928 est époustouflant. Un nez d’une densité rare, une structure affirmée où les champignons abondent. Et un toast à la truffe caresse le vin de façon parfaite. C’est délicieusement rond.

Le premier 1904 sent mauvais et inamical, exhale le soufre, et nous suivons la progressive extinction de cette odeur, car en bouche, c’est une prodigieuse explosion de bonheur. Le vin qui ne sent pas bon est magnifique en bouche. Une deuxième bouteille de 1904 montre un nez plus civilisé, chaleureux, mais le vin n’a pas le coté « canaille » du premier.

J’avais dans ma voiture un 1929 que j’évoquai prudemment lorsque nous fûmes à table. Fallait-il l’ouvrir chez celui qui le produit ? L’ambiance étant amicale, on suggéra que je l’ouvrisse. Manifestement moins bien conservé que les bouteilles du château, ce vin montra malgré tout une noblesse extrême.

Un Guiraud 1983 conclut ce délicieux moment.

Mon classement, approuvé par des convives qui sont des professionnels du vin fut : le premier 1904, le 1928, le 1929 que j’avais apporté, le second 1904, et le 1961 qui se trouverait premier si l’on jugeait pour les palais d’aujourd’hui.

Nous fêtions Stéphane Derenoncourt qui conseille les vins de la famille Malet-Roquefort et avec qui j’ai partagé quelques analyses intéressantes. Générosité immense de chaleureux propriétaires de grands vins.

primeurs 2004 Cercle Rive Droite des Grands Vins de Bordeaux dimanche, 3 avril 2005

Etant invité à une réception dans un des prestigieux châteaux du bordelais, je tricote autour quelques rendez-vous. Mon séjour commence par une dégustation des 2004 (nous sommes le 3 avril 2005) organisée par le Cercle Rive Droite des Grands Vins de Bordeaux. Cela se passe au Château de Pressac, noble demeure aux remparts anciens et au bâtiment très Viollet-le-Duc, qui jouit d’une vue impressionnante sur de vastes vallées. Le charmant propriétaire qui a acheté le château en 1998 nous accueille d’un large sourire. Il prête sa demeure pour plusieurs séances de dégustation pendant la semaine des primeurs. Son saint-émilion grand cru sera parmi les vins jugés. Un cahier de 74 pages, à deux vins par page, nous est donné, afin qu’une brochette de journalistes de nombreux pays notent leurs impressions. Beaucoup le font directement sur leur ordinateur portable. Il y a deux générations de goûteurs. Les grands, les vrais, les purs, notent tout à l’aveugle, sur des échantillons. Chaque bouteille neutre porte le nom de l’appellation et un numéro. Je fais partie de l’autre groupe qui juge en connaissant les noms. Ce qui est évidemment un tout autre exercice.
J’aurai personnellement goûté 50 vins et annoté 49 vins. C’est une rude épreuve. Mes gencives, comme mes dents, comme celles de mes collègues juges, sont devenues violettes. J’ai compté mes dents en fin d’exercice pour savoir si tous ces tannins, toutes ses astringences, ne les avaient pas dissoutes. Je ne vous imposerai pas mes notes, car ce serait trop long, mais je me suis astreint à apprendre comment juger de tels vins. Une anecdote pour s’amuser. Je goûte un vin assez atypique. Je lui trouve un nez animal, très viande. Je m’en ouvre à deux journalistes britanniques. L’un lui trouve un nez floral, l’autre lui trouve un nez de fruit. En me penchant à nouveau, je sens un nez de fleur et de fruit, ce qui prouve mon aptitude au consensus européen.
D’une façon générale j’ai trouvé que les vins ont tendance à être de technique. Dans des petites appellations les vins ne représentent plus leur région, mais des vins travaillés. J’ai rencontré beaucoup de vins élégants, beaucoup de vins difficilement buvables. Paradoxalement je fus plus intéressé par les vins les plus ingrats, dont l’acidité et l’amertume préparent de futurs bons vins. Ce que ne seront sans doute pas forcément les vins déjà buvables. Une constatation intéressante : les vins qui sont faits par les œnologues dont tout le monde parle sont élaborés de façon extrêmement intelligente et n’en font pas trop. Ce sont naturellement les vins qu’on aimerait critiquer. Je leur ai trouvé un charme certain. Mon sentiment est que l’année 2004 aura beaucoup de déchets, car j’ai goûté plusieurs vins qui ont raté leur coup. Il sera indispensable de lire les bonnes feuilles de plusieurs experts pour déterminer les achats à suivre.
J’indique ici quelques vins qui m’ont plu : Château Marjosse, appellation Bordeaux, Château Tour de Mirambeau, Bordeaux Supérieur, Château Reynon, Premières Côtes de Bordeaux, Château Fougas Maldoror, Côtes de Bourg, Château Cap de Faugères, Côtes de Castillon, Château Joanin Bécot, Côtes de Castillon, Clos Puy Arnaud, Côtes de Castillon, Château Puygueraud, Côtes de Francs, Château Dalem, Fronsac, Château Fontenil, Fronsac, Château Canon de Brem, Canon Fronsac, Château Le Bon Pasteur, Pomerol, Domaine de l’Eglise, Pomerol, Château l’Enclos, Pomerol, Château Taillefer, Pomerol, Le Fer, Saint-Émilion Grand Cru, Château Franc Grâce Dieu, Saint-Émilion Grand Cru, Château Péby Faugères, Saint-Émilion Grand Cru, même s’il est « tendance ». En blanc, j’ai apprécié le Reignac et le Plaisance. Des vins extrêmement différents, des techniques souvent opposées. Il faudra bien choisir ses primeurs. Les Pomerols me sont apparus les plus authentiquement bons, mais j’aime les pomerols, pour la production rive droite de cette année.
François Mauss, président du Grand Jury Européen, dont des membres étaient présents dans la salle aux jugements à l’aveugle, publiera sans doute des analyses dans la lettre dont je vous ai adressé un exemplaire. Il y a de telles variations de réussite dans les vins de cette année où le Bordeaux perd un peu de son caractère qu’il faudra lire tous ces témoignages.

Dégustation de vins de la maison Henriot mercredi, 16 mars 2005

La journée du 16 mars, racontée dans le bulletin 134, avait été particulièrement active. A midi, repas bimestriel d’amis. Je les quitte pour me rendre au Plaza où Joseph Henriot et Bernard Hervet présentent avec leurs équipes les plus belles productions de leurs domaines. Il y a beaucoup de professionnels, car tout a été fait pour les attirer. Je me borne (si l’on peut dire) à goûter le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1988 que je trouve un peu en dedans de ce qu’il pourrait faire, et un Puligny Montrachet les Folatières 1955 dont je bois d’abord le fond d’une bouteille déjà largement aérée et le début d’une bouteille récemment ouverte. A mon grand plaisir, s’il y a effectivement un écart d’épanouissement, celui qui est encore fermé a aussi bien du charme. Deux expressions d’un blanc fort expressif, au nez de crème, de beurre et des saveurs assez exotiques qui ravissent le palais par une belle trace persistante.

Au rayon des champagnes, nul ne pourrait résister à deux fleurons de la maison. Le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1990 a une personnalité affirmée, et une espérance de vie qui semble illimitée. On dirait que le sprinter ne fait que s’ébrouer avant l’appel du starter. Le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1964 est tout simplement époustouflant. Là aussi je goûte le fond d’une bouteille et le début d’une autre. Contrairement à l’expérience faite avec le Puligny, il faut ici oublier le vin qui vient juste d’être ouvert pour ne savourer que celui qui s’est bien aéré. Sublime champagne à la trace en bouche infinie. L’imprégnation voluptueuse des papilles est un grand moment. Il fut suivi par le Salon 1985 du dîner chez Gérard Besson que j’ai raconté. On parle ici de champagnes d’exception.

Au sein de cette assemblée joyeuse j’ai retrouvé Yann, sommelier complice des belles bouteilles que l’on a vues sur France 2 à « Envoyé Spécial ». Comme deux combattants d’une guerre gagnée, nous étions heureux de nous remémorer les moments où nous obtînmes de fiers galons (Montrachet 1865 par exemple).

J’allais ensuite ouvrir les bouteilles du dîner chez Gérard Besson.

Salon des Grands Vins 3 samedi, 12 mars 2005

Je me retrouve le troisième jour assis aux cotés de Nicolas de Rabaudy et de Henri Lurton qui nous présente Brane-Cantenac, grand Margaux. Le 1989 est particulièrement brillant, élégant, au sommet de sa sensibilité, mais le 1959 (quelle générosité pour 120 personnes) est un vin de grande émotion, car cette année grandiose est en pleine exubérance. De grandes saveurs complexes que j’aide à expliquer, car le passage des goûts de 1989 à ceux de 1959 n’est pas facile pour tous les palais.

Je contribue quelquefois à décrire les vins. Ma tâche devient fort simple quand un fringant jeune homme né en 1917, Thierry Manoncourt, fort de soixante millésimes auxquels il aura donné sa main apparaît sur scène. Il n’a besoin de personne et présente tout seul son grand vin qu’il aimerait tant voir classé comme Cheval Blanc. J’ai l’impertinence de signaler que la couleur de son Figeac 1989 est plutôt tuilée par rapport à ce que l’année devrait montrer. Je suis bardé de flèches par ses yeux péremptoires. Son vin est fort bon.

Ayant commencé la première dégustation du salon aux cotés de Pierre Lurton, je vais diriger la dernière, soutenu par Nicolas de Rabaudy. Le sujet est celui des vins anciens. On va goûter un Côtes du Jura Jean Bourdy 1967 de couleur dorée au message jurassique rare. Il est d’ailleurs à noter que je fus la seule personne de ce salon à défendre les vins du Jura alors que je n’ai ni cette vocation ni cette obligation. Un Coteaux du Layon Domaine Baumard 1981 surprend toute l’assemblée par la séduction extrême de ses arômes et de son goût mêlant le sucré et le  désaltérant. Deux doubles magnums de Côtes du Roussillon Villages Cazes 1989 étonnent eux aussi, tant ce vin, même s’il est plus court que certains grands crus d’autres régions plus capées, a de l’élégance et de la mâche. Un Liebfraumilch Johann Schenk 1974 délicieusement liquoreux séduit comme pas deux. Et un Maury 1959 des vignerons de Maury, sur de subtils carrés de chocolat Boissier distribués en même temps, conclut ce salon sur la note la plus voluptueuse de tout ce qui nous fut donné à goûter pendant le salon : sensualité lascive du Maury et du chocolat. Je voyais les yeux des dégustateurs pétiller tant ils profitaient de vins inattendus et manifestement intéressants. Beaucoup ont appris des pistes nouvelles. Les amoureux des vins anciens verront grossir leurs rangs de nouvelles recrues.

L’équipe de service des verres et des vins, sous la ferme autorité de Franck, sommelier que j’ai pratiqué dans de belles maisons, a fait un travail remarquable. Mais je dois dire – et ce n’est pas à leur passif, car ils ont agi soit sur les instructions qui leur ont été données, soit sans instruction – que mes vins étaient de loin ceux qui furent les mieux présentés. Ouverts à midi quand la conférence était à 17 heures, sans bouchons alors que tous les autres étaient rebouchés avant leur service, à température plus conforme que ce qui fut fait ailleurs, ils ont démontré qu’il faut parler de mes méthodes, même aux plus grands producteurs. Il n’y a aucune prétention de ma part mais de la pratique. L’écart était énorme avec plus d’un producteur sur deux entre ce qu’il aurait fallu faire et ce qui fut fait. Je suis prêt à ouvrir des débats (et des vins !).

Magistral salon où des amateurs ont approché des vins inaccessibles ailleurs qu’ici. Ambiance propice à de chaleureuses rencontres. Tout fut réussi.

Salon des Grands Vins 2 vendredi, 11 mars 2005

C’est le deuxième jour du Salon des Grands Vins. La première conférence est celle que je guette. On y parle des vins du domaine Bonneau du Martray. Jean Charles le Bault de la Morinière tient la plus brillante et émouvante conférence que l’on puisse imaginer. Tout y est. L’évocation historique où l’on sent que les passages de générations ne sont pas toujours des choses simples, le pouvoir ne se partageant pas. L’hommage aux équipes qui font le vin. L’hommage à la terre, au climat, aux orientations, au soleil, sans lesquels rien ne se ferait aussi bien. Les réflexions, les choix techniques pour que l’authenticité historique du vin soit assurément préservée. Le tout sur un fond de sensibilité qui conquiert l’auditoire. Il vole presque la vedette à ses vins merveilleux mais ce n’est pas possible. Trois Corton Charlemagne, le 1992, le 1997 et le 2002, différents et tous passionnants et le Corton rouge 2002 époustouflant, jeune, brillant, un beau vin qui pousse Michel Bettane à lui lancer les compliments les plus dithyrambiques.

Je visite de nombreux stands, sans chercher à faire des analyses structurées des vins présentés. Un champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1990 caché dans le recoin du stand Henriot me donne un immense plaisir, et la cuvée Henriot 1996 est d’une intensité qui mérite le respect. Quelle personnalité !

Salon des Grands Vins 1 jeudi, 10 mars 2005

C’est le septième numéro du Salon des Grands Vins. Cette édition 2005 va s’affirmer comme un millésime de perfection. Des vignerons de renom, dont toute la récolte est automatiquement vendue, même dans les années de crise, font goûter des pépites, des joyaux de leur production. La veille, les stands se montent, par une armée de fourmis aux gestes précis et aux fonctions attribuées. Pas question qu’un acteur sorte de son champ de compétences. Tout s’assemble. Je vais exposer des bouteilles vides, évocatrices de ce que les vignerons ont fait de plus légendaire (Romanée Conti 1929, Cheval Blanc 1947 ou Yquem 1893) mais aussi, comme c’est ma philosophie, des étrangetés qui ont survécu au temps alors qu’on ne les attendait pas (Sidi Brahim 1942, Muscadet 1960,  Fleurie 1935). Ces bouteilles ont émerveillé les amateurs, souvent débutants, car beaucoup de jeunes, avides de savoir, peuplent les allées et les stands. Deux remarques sont les plus fréquentes : « oh, elles sont vides », ce qui implique une réponse humoristique de circonstance : « vous seriez passés il y a cinq minutes, vous auriez pu goûter à Romanée Conti 1929, on vient juste de la finir ». Et l’autre, quand je signale que j’ai bu toutes les bouteilles exposées : « vous en avez de la chance ». Ma réponse surprit beaucoup : « cette chance, je l’ai construite ». En une époque où les critères de réussite sont le Bachelor, la première compagnie ou le loft, la chance semble être le seul vecteur de la prospérité.

J’arrive le premier jour 45 minutes avant que les portes ne s’ouvrent et je vois une file d’attente de plus de cinq cents mètres qui ressemble à celle qui se forme aux portes du Louvre, mais cette fois du coté musée. C’est que tout le monde aimerait bien assister à la conférence-dégustation d’Yquem qui inaugure le salon. Seuls 120 élus auront droit à ce privilège. Eux aussi ont construit leur chance.

Avec Enrico Bernardo, meilleur sommelier du Monde 2004, que j’ai souvent apprécié au Cinq, avec Georges Lepré, brillant sommelier et homme d’esprit, Pierre Lurton doit présenter trois millésimes. Il me demande d’être à ses cotés. Dans une ambiance enjouée nous allons parler tour à tour de ce vin prodigieux. Nicolas de Rabaudy, écrivain du vin, va guider la majeure partie des 27 conférences. Ici, il n’a pas beaucoup d’effort à faire, tant nous avons de belles choses à dire sur ce vin mythique. Le Yquem 1999 est lourd, chaud, fait de miel et d’abricots. Il sent le sucre. Le Yquem 1998 au nez plus fermé est nettement plus profond. Les figues, les coings, les abricots, les poires sont parmi les facettes de ce vin où je trouve un peu de sel. Le Yquem 1996 est plus floral, au nez d’agrume. Son final de zeste d’orange est un peu plus court. Pierre Lurton indique que son équipe considère le 1996 comme le plus traditionnel des trois. Il faudra que j’en discute avec eux, car à mon sens, c’est nettement le 1998, de ce que j’ai ressenti, qui est l’Yquem  qui s’inscrit dans la ligne historique. Le 1998 me fait penser aux belles années vingt, quand le 1996 plus léger m’évoque les années trente. Nous en reparlerons sur place avec ces équipes compétentes lorsque je les rencontrerai, car il sera intéressant de croiser nos repères.

La conférence suivante est tenue par Jean Pierre Perrin co-propriétaire de Beaucastel qui présente ses vins avec Michel Bettane. Je ne décrirai pas tous les vins goûtés pendant ces événements, me limitant à quelques remarques. Ici, c’est l’émouvante présentation d’un vin rare, le Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1995, vin d’une petite parcelle, dédié au père de Jean Pierre Perrin. C’est l’expression la plus belle du Chateauneuf du Pape noble. J’en ai raconté des expériences (bulletin 65 et 118). Il est très acide, voire brutal, mais fortement prometteur.

Pierre Lurton m’ayant donné une bouteille d’Yquem 1996 pour égayer mon déjeuner et Jean Pierre Perrin ayant pris avec lui une bouteille d’Hommage 1995, nous voilà arrivant à l’hôtel Meurice, Jean Pierre Perrin et moi, tels deux clochards dont les litrons dépassent de la poche. Yannick Alléno nous attendait. Une tarte aux truffes et un risotto de langoustines, tels des inspecteurs de police acharnés, ont réussi à faire avouer à l’Hommage le secret de son talent. Il vibra plus sur la langoustine que sur la truffe. L’Yquem se régala de la viande de veau pour nous faire des caresses coquines. Le chef avait goûté l’Yquem à notre arrivée pour adapter la sauce de la côte de veau à la jeunesse de ce nectar. Ce fut divin.

Je quittai Jean Pierre Perrin dans la précipitation car je devais assister Pierre Lurton pour la présentation de Cheval Blanc. Il n’avait évidemment pas besoin de moi, mais j’avais quelques anecdotes pour rappeler l’histoire du goût de ce grand vin. Le Cheval Blanc 1998 a un nez sublime. Je ne pouvais m’arrêter de le sentir, tellement captivé – comme cela m’arrive – que l’odeur magique paralyse mon bras qui voudrait me désaltérer. L’odeur m’occupa cinq bonnes minutes, me procurant un immense plaisir, la bouche rappelant que le vin est jeune, et fort grand. J’ai trouvé le Cheval des Andes 2002 en fort progrès par rapport à ce que j’avais bu.

La conférence suivante, sur les vins de cépages autochtones d’Europe, fut pour moi un moment mémorable. On m’avait demandé de figurer, plus souvent que je ne l’aurais dû, à la table des conférenciers parce que l’intervenant principal, l’âme générale de ces rencontres, ne pouvait être présent comme il l’aurait voulu. Je me suis donc trouvé près d’Olivier Poussier, premier sommelier du Monde 2000, et je tombai sous le charme de son invraisemblable érudition. Que pouvais-je ajouter à ce qui fut une immense leçon sur des vins intimes et rares caractérisés par le respect de leur origine historique. Des vins intéressants, pas toujours dans les voies gustatives que j’aime explorer, mais sans nul doute un bestiaire amoureusement constitué par Olivier.

C’est en spectateur que j’assistai à la conférence de Jean Louis Chave sur ses vins dont je suis tant amoureux. L’homme est jeune, respecte l’histoire mais affirme ses choix personnels. Tout en lui exsude la recherche de l’excellence absolue. Cet homme est un roc de volonté et c’est impressionnant. Il arrive  la fois à exprimer du sentiment, de la continuité, mais aussi cette quête du parfait qui ne le quittera jamais. Très réservé, on sent que l’on n’a pas intérêt à venir dans son pré carré. Compte tenu de son âge, il nous mènera encore vers des niveaux insoupçonnés de perfection. L’Hermitage Chave blanc 1995 est somptueux. Il est très long. C’est un vin magnifique de gastronomie. L’Hermitage rouge Chave 1998 (je ne cite pas tout ce que l’on a bu) est rond, séducteur, et malgré sa jeunesse, déjà beau. C’est sa plénitude qui me fascine.

Les organisateurs du congrès retiennent à dîner, à des tables animées par quelques producteurs, de grands vignerons, des professionnels du vin, la presse et quelques people. Michel Bettane et Thierry Desseauve vont décerner des prix pour récompenser des vignerons méritants selon des critères qu’ils ont choisis. On en lira sans doute dans la presse les nominations. Je suis à la table de Joseph Henriot avec des personnalités de tous horizons. Nous parlons de vin, de ses techniques, de son futur. Le repas est particulièrement réussi par Lenôtre pour près de 220 personnes. C’est Olivier Poussier qui surveille tous les détails.

Tant de domaines étant représentés, certains vins seront sur toutes les tables quand d’autres n’en réjouiront que deux ou trois. Nous profitons du Meursault Genévrières Bouchard Père et fils 2000 dont le gouleyant accompli fut encore développé par la présence à notre table de celui qui l’a fait. Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1994 est d’une année relativement moyenne, mais il est tellement bien fait qu’on en jouit sur un plat un peu fort pour lui. Le Château Palmer 1995 est très élégant, quand le Château Cheval Blanc 1995 est tout simplement renversant. C’est un vin dont le raffinement est la caractéristique principale. Je voyais les Yquem 1997 qui passaient devant notre table pour atterrir sur celles des officiels ou des people. Mais le Château de Malle 1997  confirma une fois de plus que ce sauternes est bien construit, long et de plaisir. L’année 1997 étant grande, on profitera de ce vin bien plus tard. Magistral dîner et choix de vins. Ce n’est pas très compliqué quand on a rassemblé la fine fleur du vignoble français.

Du salon des grands vins, c’était le premier jour. Les deux autres sont palpitants. A suivre…