Salon des Grands Vins 3samedi, 12 mars 2005

Je me retrouve le troisième jour assis aux cotés de Nicolas de Rabaudy et de Henri Lurton qui nous présente Brane-Cantenac, grand Margaux. Le 1989 est particulièrement brillant, élégant, au sommet de sa sensibilité, mais le 1959 (quelle générosité pour 120 personnes) est un vin de grande émotion, car cette année grandiose est en pleine exubérance. De grandes saveurs complexes que j’aide à expliquer, car le passage des goûts de 1989 à ceux de 1959 n’est pas facile pour tous les palais.

Je contribue quelquefois à décrire les vins. Ma tâche devient fort simple quand un fringant jeune homme né en 1917, Thierry Manoncourt, fort de soixante millésimes auxquels il aura donné sa main apparaît sur scène. Il n’a besoin de personne et présente tout seul son grand vin qu’il aimerait tant voir classé comme Cheval Blanc. J’ai l’impertinence de signaler que la couleur de son Figeac 1989 est plutôt tuilée par rapport à ce que l’année devrait montrer. Je suis bardé de flèches par ses yeux péremptoires. Son vin est fort bon.

Ayant commencé la première dégustation du salon aux cotés de Pierre Lurton, je vais diriger la dernière, soutenu par Nicolas de Rabaudy. Le sujet est celui des vins anciens. On va goûter un Côtes du Jura Jean Bourdy 1967 de couleur dorée au message jurassique rare. Il est d’ailleurs à noter que je fus la seule personne de ce salon à défendre les vins du Jura alors que je n’ai ni cette vocation ni cette obligation. Un Coteaux du Layon Domaine Baumard 1981 surprend toute l’assemblée par la séduction extrême de ses arômes et de son goût mêlant le sucré et le  désaltérant. Deux doubles magnums de Côtes du Roussillon Villages Cazes 1989 étonnent eux aussi, tant ce vin, même s’il est plus court que certains grands crus d’autres régions plus capées, a de l’élégance et de la mâche. Un Liebfraumilch Johann Schenk 1974 délicieusement liquoreux séduit comme pas deux. Et un Maury 1959 des vignerons de Maury, sur de subtils carrés de chocolat Boissier distribués en même temps, conclut ce salon sur la note la plus voluptueuse de tout ce qui nous fut donné à goûter pendant le salon : sensualité lascive du Maury et du chocolat. Je voyais les yeux des dégustateurs pétiller tant ils profitaient de vins inattendus et manifestement intéressants. Beaucoup ont appris des pistes nouvelles. Les amoureux des vins anciens verront grossir leurs rangs de nouvelles recrues.

L’équipe de service des verres et des vins, sous la ferme autorité de Franck, sommelier que j’ai pratiqué dans de belles maisons, a fait un travail remarquable. Mais je dois dire – et ce n’est pas à leur passif, car ils ont agi soit sur les instructions qui leur ont été données, soit sans instruction – que mes vins étaient de loin ceux qui furent les mieux présentés. Ouverts à midi quand la conférence était à 17 heures, sans bouchons alors que tous les autres étaient rebouchés avant leur service, à température plus conforme que ce qui fut fait ailleurs, ils ont démontré qu’il faut parler de mes méthodes, même aux plus grands producteurs. Il n’y a aucune prétention de ma part mais de la pratique. L’écart était énorme avec plus d’un producteur sur deux entre ce qu’il aurait fallu faire et ce qui fut fait. Je suis prêt à ouvrir des débats (et des vins !).

Magistral salon où des amateurs ont approché des vins inaccessibles ailleurs qu’ici. Ambiance propice à de chaleureuses rencontres. Tout fut réussi.