Archives de catégorie : vins et vignerons

Déjeuner au restaurant Le Chiberta samedi, 26 octobre 2019

Au restaurant Le Chiberta qui fait partie des restaurants de la galaxie Guy Savoy, je retrouve Gilles de Larouzière, président du groupe qui possède entre autres les champagnes Henriot et la maison Bouchard Père & Fils. Je lui avais demandé si je pouvais apporter un vin et il m’a fait savoir que je pouvais.

Que choisir en cave ? Son groupe est actif en Champagne et en Bourgogne, il est donc exclu que je choisisse dans ces régions. Comme nous déjeunons, j’élimine les liquoreux peu propices au travail postprandial. Que reste-t-il ? J’arpente des allées en cave et mes yeux se portent sur une bouteille de Vin d’Alsace Léon Beyer qui indique « Rouge d’Alsace » Pinot. La bouteille est assez sale et opaque, avec un verre teinté mais par transparence je vois un liquide clairet qui s’inscrirait plus dans le camp des rosés que celui des vins rouges. Il n’y a pas de millésime mais on peut penser aux années 60 voire un peu avant. Voici une bouteille énigmatique qui conviendrait bien à ce repas.

J’arrive en avance et mon hôte avait déjà fait ouvrir une bouteille. Je demande la permission d’ouvrir la mienne et je l’obtiens. Le nez de mon vin est très expressif et engageant. Gilles arrive et nous commandons les mêmes plats : noix de Saint-Jacques de Normandie en fine chapelure de sarrasin, mousseline de topinambour, salade amère, sauce diable au cresson / faux-filet de bœuf Angus rôti, légumes comme un pot-au-feu, vinaigrette moelle-estragon.

Nous goûtons le Rouge d’Alsace, Pinot Léon Beyer années 60 et le nez puissant est sympathique. Il n’est pas incompatible avec le nez d’un vin rouge. En bouche, au début, j’ai du mal à imaginer un vin rouge, mais Gilles reconnaît sans conteste le pinot. Et le vin s’assemble, ne montrant pas de véritables traces d’âge. Il est riche, rond, et plus il s’épanouit, plus il évoque pour moi les vins de la Romanée Conti d’une année frêle, car il y a dans le finale le sel qui est un marqueur fort des vins du domaine. S’il en a le sel, il n’a pas, bien sûr, les complexités des vins de la Romanée Conti, mais il a beaucoup de charme. Ce vin se montre gastronomique et porteur de plaisir. Jamais je n’aurais cru qu’on obtiendrait un résultat aussi agréable. Plus il va évoluer dans le temps, plus je reconnais un vin rouge d’une région froide, comme l’Alsace ou le Jura. Son acidité est superbe et ses amers et sa râpe sont fort agréables. En fait, je me mets à l’aimer.

Pour la viande, nous goûtons le Bonnes-Mares Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2009. Le nez est élégant, avec de jolies notes veloutées. L’attaque est superbe, riche et équilibrée. C’est d’Artagnan quand il est sage. Le finale est un peu plus court, ce que Gilles ne pense pas, et effectivement, sur le plat de viande, il gagne en longueur. C’est un vin extrêmement subtil et noble, dont j’apprécie le velours qui n’exclut pas la richesse.

La viande baignant dans son pot-au-feu n’est pas exactement le compagnon idéal pour le Bonnes-Mares, alors que le vinaigre de la sauce crée un accord magistral avec le vin d’Alsace qui s’épanouit dans cet accord. Pour prolonger le plaisir du vin de Bouchard nous prenons chacun une assiette de fromage et le Bonnes-Mares devient plus opulent et heureux de vivre.

Le Bonnes-Mares est sans conteste un plus grand vin mais j’ai les yeux de Chimène pour le vin d’Alsace qui nous a offert beaucoup plus que je n’espérais et a créé un accord avec le plat de viande de la plus belle complémentarité. Ce déjeuner nous a permis d’ébaucher de belles idées. Le restaurant est agréable pour l’espace entre les tables et pour le service. Nous n’aurions sans doute pas dû choisir une viande dans un bouillon, difficile à couper dans l’assiette creuse. Ce fut un beau déjeuner.

Déjeuner de presse autour des vins du domaine de l’Odylée au restaurant Marsan vendredi, 4 octobre 2019

Ayant envie d’explorer la cuisine d’Hélène Darroze en vue d’un de mes dîners, je réserve une table pour moi seul, afin que je puisse étudier quelques plats et travailler ensuite avec le chef et le sommelier au menu qui accompagnerait les vins que j’ai prévu d’ouvrir. Au moment où je sors du taxi pour entrer dans le restaurant Marsan, je vois un journaliste ami, qui a participé à plusieurs de mes dîners, qui s’apprête à faire de même. Il va assister à un déjeuner de presse consacré à un domaine viticole, et je lui dis que je déjeunerai seul. Il me propose de demander que je puisse participer à ce déjeuner.

Odile Couvert, la viticultrice propriétaire du Domaine de L’Odylée accepte ma présence. Elle est extrêmement dynamique et sympathique. Il y a dans l’agréable salon qui peut accueillir une vingtaine de personnes toute la fine fleur du journalisme du vin, dont plusieurs personnes que je connais. Le domaine de l’Odylée a été créé en 2015 par Odile Couvert qui a acheté une grande maison sur 18 hectares qui comprenait 15 hectares de vignes. Chasseur de têtes de son métier, elle s’est prise d’amour pour sa vigne et à l’entendre tout au long du repas, on a l’impression qu’elle est vigneronne depuis plus de trente ans. Elle est passionnée et son enthousiasme se retrouve dans ses vins.

Voici le menu que nous avons partagé : des tastous pour titiller l’appétit : feuilles d’origan, anguille fumée, citron vert / panisse au yaourt fumé, herbes et fleurs // l’aubergine graffiti laquée au jus de miso blanc, prunelle sauvage confite, herbes et fleurs sauvages / le pigeonneau fermier cuit à la goutte de sang, flambé au capucin, betteraves, figues de Solliès, molé Poblamo / le chocolat, mon péché mignon (c’est Hélène qui l’écrit), le chocolat Carupano vient du Venezuela et s’associe au café arabica et à la citronnelle.

Tout dans ce repas m’a enchanté. Les amuse-bouches sont d’une mâche précise et le premier d’entre eux à l’anguille se marie parfaitement au Côtes du Rhône Domaine de l’Odylée Tempétueuse 2018. Ce vin en 100% syrah est simple, précis et ne veut pas sur-jouer. Je l’adore dans sa franchise.

On nous sert ensuite un Côtes du Rhône rosé Domaine de l’Odylée 2018 et je suis particulièrement impressionné par ce rosé très expressif. La vigneronne nous dira en cours de route qu’elle cherchera à améliorer ce rosé. J’aurais tendance à lui suggérer de ne rien faire, tant ce rosé a tout pour être apprécié tel qu’il est.

Nous continuons l’apéritif avec le Côtes du Rhône Domaine de l’Odylée L’Impétueuse 2018, aussi en 100% syrah qui me plait moins que le premier, mais va s’animer sur l’excellente aubergine dont la texture est remarquable. Nous aurons par la suite les vins suivants : Côtes du Rhône Domaine de l’Odylée Audacieuse 2017, Côtes du Rhône Domaine de l’Odylée Talentueuse 2017 et Côtes du Rhône Domaine de l’Odylée Généreuse 2017. Ils sont tous intéressants à des degrés divers, et mon chouchou restera le premier des rouges pour la précision de sa définition et surtout pour le fait qu’il ne veut pas trop en faire.

Ce qui me frappe, c’est la précision des accords. Les vins ont été chaque fois sublimés par les plats. Le pigeon est généreux et d’une tendreté extrême. Tout a été réussi dans ce repas, l’ambiance créée par la vigneronne est entraînante, et les deux plats majeurs ont été d’une justesse absolue. Le domaine de l’Odylée est promis à un bel avenir sous l’autorité d’Odile Couvert.

Ce repas est un bon présage pour le projet de repas que j’ai étudié ensuite avec le chef Hugo Bourny et avec le sommelier Baptiste Ducassou. A suivre.

Première présentation au domaine de Salon 2008 et Delamotte 2012 samedi, 29 juin 2019

Didier Depond, président des champagnes Salon et Delamotte reçoit des amis au siège de la société à Mesnil-sur-Oger pour la présentation officielle du Champagne Salon 2008. Il avait invité la veille un groupe de japonais qui se sont trompés de jour et qui viendront grossir notre groupe qui deviendra à majorité asiatique, de Chine, du Japon et de Corée du Sud. Dans le groupe prévu il y a des ambassadeurs, des académiciens, des restaurateurs étoilés et de simples amis comme Tomo, comme Teshi le talentueux chef du restaurant Pages dont je suis familier, et moi.

Nous nous regroupons dans la salle de dégustation où l’on nous fait goûter le Champagne Delamotte Blanc de Blancs 2012 qui lui aussi est présenté pour la première fois aujourd’hui. Sa bulle est forte et il y a une légère acidité liée à la jeunesse mais l’on sent que ce champagne, après quelques mois ou années en cave sera de très haut niveau. Comme nous sommes en canicule, les verres se réchauffent vite et le champagne un peu plus chaud est beaucoup plus charmant, joliment mis en valeur par de délicieuses gougères.

Nous passons à table dans la salle à manger et nous sommes vingt-deux. Je suis assis entre une très jolie coréenne qui travaille pour le champagne Salon depuis deux mois et à côté d’un jeune chinois de Pékin mais qui va souvent à Hong-Kong où avec ses amis, ils dégustent des vins de la plus haute hiérarchie des qualités et des prix. Il est assez probable que nous allons nous revoir.

Pour une fois, il n’y aura aucune énigme, les vins sont désignés en clair. Le menu prévu est : le saumon d’Isigny mi- cuit, émulsion de pomme de terre fumée, sauce champagne / volaille fermière de Challans sauce champagne / fromages / émulsion citron vert, gingembre, framboise, fromage blanc à la vanille, sorbet fruits rouges.

Tous les champagnes ont été dégorgés en janvier 2019. Le Champagne Salon magnum 2008 est impressionnant. J’ai eu la chance, grâce à l’amitié de Didier Depond, de découvrir les nouveaux millésimes au moment de leur apparition publique ; je peux donc comparer. Il y a une sérénité et un accomplissement dans ce champagne qui mérite le respect. Il y a des notes de noisettes et de brioche, mais ce n’est pas cela qui compte. C’est la largeur de la palette aromatique, la vivacité que l’on remarque. Et alors qu’il faut souvent attendre quelque temps avant de boire les champagnes récents, celui-ci est déjà de belle maturité. C’est un peu comme le Dom Pérignon 2008 qui est lui aussi prêt à faire sa vie sans attendre. Je suis très impressionné par ce magnifique champagne. Didier Depond et moi sommes d’accord pour signaler la similitude de ce 2008 avec le 1966. Nous différons ensuite car Didier voit des analogies avec 1982, alors que j’en vois avec 1988. Il faudra vite vérifier.

Le plat de saumon est magnifiquement réalisé, de très haute qualité et gourmand, et l’accord avec le 2008 est superbe.

Le Champagne Salon 2007 met en valeur le 2008. Car ce champagne aura besoin de beaucoup d’années pour révéler ses qualités. Ce 2007 est un Salon à maturation lente. Il a de belles qualités mais il est encore un peu coincé.

Le Champagne Salon 2006 est une petite merveille de délicatesse et de subtilité. Il est parfaitement prêt à boire, léger, charmeur, romantique. C’est celui-ci que je compare au 1982 dont j’aime le romantisme. Il se boit magnifiquement avec les fromages.

Nous avons aussi sur les fromages un Tiano & Nareno Vin d’Argentine de Mendoza magnum 2013. Ce vin est fait par Ariel Savina un ami argentin de Didier dont les grands parents italiens ont émigré en Argentine pour faire ce vin. Il y a donc une belle histoire et le vin à majorité de Malbec associé à du cabernet franc, qui titre 14,5° mais donne l’impression d’en avoir un peu plus, est une bombe de fruits noirs qui fort heureusement a un finale léger et mentholé. On ne peut pas s’empêcher de penser à Vega Sicilia Unico. Ce vin riche a beaucoup de présence mais à mon goût il n’a pas la complexité de Vega Sicilia Unico. Il a certainement un grand avenir.

Le dessert aux couleurs blanches et rouges est accompagné par le Champagne Salon 2004. La première bouteille qui m’est servie manque de précision, comme si le vin n’était pas assemblé. Je le juge alors de façon critique. Heureusement une deuxième bouteille vient changer ma première impression et je le trouve plus cohérent, mais demandant encore beaucoup de temps pour qu’il atteigne ce qu’il promet. Il me semble que le dessert aurait eu un accord plus pertinent avec la Cuvée Alexandra rosée de Laurent-Perrier.

On peut dire que cette présentation du 2008 est absolument réussie. Ce champagne promet d’être dans le peloton de tête des plus grands Salon. Mon classement serait : 2008 pour la largeur de sa palette, le 2006 pour son romantisme émouvant, le 2004 car il est une belle promesse, et le 2007 qui devra attendre pour jouer dans la cour des grands.

Le climat créé par Didier Depond est très amical. Les discussions ont été passionnantes. Voilà qui enfonce encore le clou – s’il en était besoin – de mon amour pour Salon.


armoiries dans le bureau de Salon Delamotte

la salle de dégustation

présentation à déjeuner

la table avant / après

Un dîner le 28 juin à Aix dimanche, 9 juin 2019

Un dîner le 28 juin à Aix

Un lecteur assidu du blog et grand amateur de vin organise un dîner en présence d’un vigneron le 28 juin à Aix-en-Provence. Tout est dit and le document ci-dessous :

Grand Cru Wine Dinner #02 – Le Pigonnet 2019-06-28

On contacte l’organisateur à ce mail : gc.wineconsult@gmail.com

Manifestez-vous si ce dîner vous fait envie.

déjeuner et dîner à l’hôtel Royal Champagne vendredi, 24 mai 2019

Je suis invité à un déjeuner à l’hôtel Royal Champagne pour mieux connaître un champagne d’exception dont le projet a été lancé il y a dix ans. Je connaissais le Royal Champagne. Il est complètement transformé, façon blockhaus. L’immeuble fait très froid et le lieu est réchauffé par l’incroyable vue sur les vignes en pente et sur la vallée d’Epernay. La terrasse est spectaculaire.

La salle à manger est d’une même froideur qu’un couloir d’aéroport. La table est agréable et le service est pertinent. La carte des menus ne me semble pas à la hauteur des ambitions qu’un tel hôtel pourrait avoir. Je choisis de prendre des huîtres spéciales Gillardeau n° 3 / asperges rôties, œuf parfait, copeaux de magret, crémeux chaource / dos de cabillaud doré, lentillons bio de la Champagne / cheesecake framboise, sablé pistache et framboises fraîches. La cuisine est bonne.

Ne sachant pas si le plan de communication de cette maison permet que j’en parle. Mais je signalerai que leur volonté de perfection est certaine. Ils visent d’être présents dans les endroits les plus prestigieux du monde, car leur production est limitée. Ils font tout pour correspondre aux envies d’une clientèle exigeante. Je leur souhaite de réussir.

Le 236ème dîner était hier, le 237ème dîner est demain. J’ai prévu de rester dans cet hôtel pour la nuit. J’ai un après-midi pour me reposer. Ma chambre est spacieuse et très belle. Les alentours intérieurs sont très beaux. Le spa est gigantesque et je profite du hammam, du sauna et d’un massage très vivifiant. Je me présente au restaurant pour dîner et qui vois-je ? Daniel le sommelier du restaurant Laurent qui m’avait accompagné dans de très nombreux dîners. Il me sourit et me dit : ce midi je faisais le service dans une autre partie de l’hôtel et tout-à-coup j’ai entendu un rire qui ne pouvait être que le vôtre. Daniel est heureux. Il me fait porter un verre de Champagne Lenoble Brut Grand Cru Blanc de Blancs fait sur une base de 2014. Il ne savait pas que j’avais encore les restes des quatre champagnes du déjeuner ! Ce Lenoble est un beau blanc de blancs qui manque peut-être un peu de vivacité. Il est transcendé par le meilleur des quatre champagnes de cette maison que je ne cite pas.

Faute de plats qui me tenteraient, je reprends strictement le même menu que ce midi et c’est curieux de constater les très grandes différences dans l’exécution des plats entre le midi et le soir. L’œuf était parfait ce midi et il est plutôt mollet ce soir. Les asperges sont plus croquantes et vivantes ce soir. Le cabillaud est beaucoup plus épais ce soir et mieux cuit, c’est-à-dire peu. Seul le cheesecake est aussi parfait et constant.

La nuit fut bonne. Direction les Crayères, pour le 237ème dîner.

la merveilleuse vue

Visite de ma cave et déjeuner sur place jeudi, 9 mai 2019

Jeannie Cho Lee a été la première femme d’Asie à être nommée Master of Wine. Cela lui donne une aura particulière qui la conduit à animer de nombreux événements et à être consultante en vins pour de grandes organisations comme les compagnies aériennes ou les groupes hôteliers. Elle a été une des premières à diffuser en Chine et en Corée des vidéos dans lesquelles j’explique mes dîners et ma méthode d’ouverture des vins.

De passage à Paris pour un voyage dans les vignobles français elle a souhaité me rencontrer. Pourquoi ne pas le faire dans ma cave autour d’un petit pique-nique « sur le pouce ». J’ai prévu un peu de caviar, du foie gras, des fromages et un cake au citron. Après la visite de cave j’ouvre un Champagne Dom Pérignon 1973. Le bouchon sort aisément, sans le moindre pschitt. La couleur est plutôt ambrée et le pétillant est presque indicible. Au premier contact le vin fait plus vieux que son âge. Il est rond, ensoleillé, mais plutôt vieux. En fait il a besoin de s’épanouir dans le verre car très rapidement on ne sent plus aucune trace de fatigue ni d’âge et l’on a un beau vin plus qu’un beau champagne, fait de jolis fruits dorés par le soleil. Il cohabite bien avec le caviar mais on aurait aimé un peu plus de vigueur, il est parfait avec le foie gras, compagnon idéal et je suis heureux qu’il ait vibré sur le camembert, car c’est le signe de son adaptabilité. Son acidité, sa vigueur se sont développées au fil du temps, montrant un champagne d’une rare énergie.

Les premiers jugements ne sont pas toujours les bons, car ce champagne a fini en fanfare, comme un rayon de soleil, avec l’amertume qu’aurait un grand bourgogne.

Dégustation des vins récents du groupe Vega Sicilia mardi, 29 janvier 2019

Chaque année la société Les Vins du Monde fait découvrir les vins du groupe Tempos Vega Sicilia. La présentation est faite en français par Gonzalo Ituriaga qui est le directeur de la vinification de l’ensemble des domaines depuis 2015. Elle se tient dans un salon de l’hôtel George V. Ceux qui participent sont surtout des sommeliers et des gens du vin. J’en connais plusieurs. Michel Bettane est présent à cette dégustation.

Gonzalo rappelle quelques éléments d’histoire, la création de Vega Sicilia en 1864 par Eloy Lecanda, qui a planté les premières vignes, l’achat de la propriété par la famille Alvarez, qui a mis Pablo Alvarez à la tête du domaine et dont une des premières décisions en 1983 fut de supprimer les herbicides, ce qui était avant-gardiste.

Pour la première fois, la dégustation sera accompagnée de petits canapés. Elle ne sera pas la même sans plat et avec plat, mais les sommeliers sauront juger dans les deux cas. Le programme est : Mandolas Tokaji dry Oremus 2015 + fraîcheur de gambas à la pomme verte / Pintia 2014 + Alion 2015 + pain soufflé au Manchego / Valbuena 2014 + tartelette au caviar d’aubergines et canard séché / Vega Sicilia Unico 2009 + Vega Sicilia Unico Reserva Especial faite en 2019 (base de 2006 + 2007 + 2009) + bœuf, betterave et sauce vin rouge / Tokaji Late Harvest Oremus 2017 + cheesecake citron / Tokaji Aszu 3 Puttonyos Oremus 2014 + Tokaji Aszu 5 Puttonyos Oremus 2010 + tartelette exotique.

Le Mandolas Tokaji dry Oremus 2015 a une couleur très claire. Le nez est jeune, de miel, et le vin est bien construit. Il est simple, agréable, de belle acidité avec un peu de gras et de citron mais il est un peu court. L’accord avec la gamba est pertinent. Compte tenu d’un prix très abordable, il fera un aimable vin de table.

Le Pintia 2014 a un nez riche et lourd. L’attaque est chaleureuse. Il y a une petite astringence dans le finale. Le vin est généreux mais peut-être un peu trop strict et peu porteur d’émotion. L’accord avec le pain est très porteur pour le vin.

L’Alion 2015 a un nez fort, plus racé que celui du Pintia. La bouche est douce et fluide. Le vin est beaucoup plus intéressant que le Pintia. Je l’aime beaucoup car il me parle. Il est plus fluide et élégant. Gonzalo dit que ces deux vins peuvent vieillir quinze ans mais pas beaucoup plus, sauf pour les grandes années.

Le Valbuena 2014 a un nez droit et intense. Ce vin a beaucoup de velours et un finale très long. C’est un vin très doux. De mémoire je crois que c’est le meilleur Valbuena que j’aie bu. L’accord avec la tartelette donne de la tension au vin qui devient plus vif et moins doucereux. C’est pour moi une très belle surprise que le Valbuena soit à ce niveau. Il faut dire que passant après les deux précédents, cela le met en valeur.

Le Vega Sicilia Unico 2009 a un parfum d’un très gros potentiel mais très retenu. On sent sa richesse. La bouche est toute de fraîcheur. Le grain du vin est fin et le miracle est dans le finale tellement frais, comme pour tous les grands Unico. Mais on ne sent pas encore le finale mentholé. Le vin est plus en devenir que le Valbuena déjà épanoui.

Le Vega Sicilia Unico Reserva Especial est fait en 2019
sur une base de 2006 + 2007 + 2009
, mais Gonzalo nous dit que chaque millésime pouvant avoir quelques pourcents d’autres millésimes, il y a plus de trois millésimes dans cette Reserva. Le nez est très noble et le vin est très doux. Le vin n’a pas de fraîcheur dans le finale. Il est riche et truffé. Je préfère nettement le 2009 qui a beaucoup plus de fraîcheur. Il faudra voir ce que ces deux vins donnent dans quelques années. La betterave s’accorde divinement bien avec les deux et la viande amplifie la noblesse du 2009.

Le Tokaji Late Hervest Oremus 2017 fait un choc assez dur après les vins rouges. Le nez est citronné, Gonzalo dit que c’est un vin assez commercial. Il a la douceur d’un vin de glace. Il est frais mais ses goûts vont dans tous les sens, comme un bonbon anglais.

Le Tokaji Aszu 3 Puttonyos Oremus 2014 a une magnifique fraîcheur, il est très agréable et se boit comme un vin jeune très fluide.

Le Tokaji Aszu 5 Puttonyos Oremus 2010 est beaucoup plus dans l’esprit Tokaji. Michel Bettane préfère de loin le 5 puttonyos qui pour moi mériterait de vieillir avant qu’on ne le goûte. Il dit que le 3 puttonyos pourrait être oublié dans le programme Oremus, mais j’ai apprécié sa fluidité. Le 5 puttonyos profite beaucoup de l’accord avec la tartelette et gagne beaucoup.

Cette dégustation est très intéressante et les plats préparés par le restaurant du Cinq sont absolument délicieux. Gonzalo est très chaleureux et on sent qu’il aime les vins qu’il fait, avec une grande lucidité. Cette dégustation est un régal.

les délicieux canapés d’un grand raffinement

Gonzalo Ituriaga

Visite des champagnes Henriot et déjeuner au restaurant Le Millénaire mercredi, 23 janvier 2019

C’est la première fois que je visite la maison de champagne Henriot, à l’invitation de son président, Gilles de Larouzière, qui est aussi président de la maison Bouchard Père & Fils et des autres domaines de son groupe. Nous visitons les salles où d’immenses cuves inox de 46.000 litres ou plus contiennent des vins en vieillissement, dont la fameuse Cuve 38 qui contient des champagnes de 1990 jusqu’à la dernière vendange et qui est soutirée selon les années de 3 à 20% de son contenu. C’est dans le même esprit que la technique de la solera par laquelle on ajoute dans un fût le vin de l’année qui compense ce que l’on vient de soutirer.

Béatrice, la responsable des relations extérieures, nous propose de goûter un verre du vin tranquille de la Cuve 38. Le nez est celui du champagne, alors que la bouche montre un peu de fleurs blanches mais surtout un caractère lacté. Tenant en main chacun notre verre, nous descendons dans les caves à 18 mètres sous terre. C’est toujours impressionnant et la réserve des vieux millésimes est ce qui fait battre mon cœur un peu plus fort.

Nous remontons et dans la jolie salle de dégustation j’ouvre le vin que j’ai apporté, Un Vin de l’Etoile de la Coopérative Vinicole de l’Etoile 1973, car j’aimerais que nous puissions vérifier s’il y a une fécondation possible entre ce type de vin et l’un des champagnes Henriot. Béatrice ouvre un Champagne Henriot Cuvée Hemera 2005 qui est le premier millésime de la cuvée phare de la maison Henriot et se substitue à la cuvée des Enchanteleurs. Cette cuvée est à parts égales en chardonnay et pinot noir, et composée uniquement de grands crus. Son ambition est d’être un vin lumineux comme la déesse Hemera est la déesse de la lumière du jour. Le champagne est frais, précis, mais je le trouve sacrément guerrier pour un vin lumineux. Il est d’une très belle expression, tendu, vif, et sera un vin de haute gastronomie.

Le Vin de l’Etoile de la Coopérative Vinicole de l’Etoile 1973 a une attaque curieuse, évoquant la pierre ronde d’un cours d’eau de montagne et des saveurs iodées. C’est dans le finale qu’il s’anime le plus, avec de beaux fruits jaunes mais aussi un peu de fruits rouge clair. Lorsque l’on revient au champagne, on s’aperçoit que le champagne est plus large, plus ample et la fécondation que j’aime se produit. Dans le sens inverse, lorsque l’on retrouve le vin du Jura, il n’y a pas de fécondation et le champagne n’arrive pas à rendre plus aimable l’attaque de ce vin qui brille surtout par son finale joyeux.

La neige vient de tomber sur Reims et nous allons déjeuner au restaurant Le Millénaire de Laurent et Thibault Laplaige. Nous avons pris la bouteille du 1973 avec nous et demandons la permission de la boire à notre table de deux, Gilles et moi.

Le menu que je choisis est : langoustines à la plancha, velouté de lentillons de Champagne aux châtaignes, espuma jambon de Reims / le turbot rôti, ravioles de poireaux ricotta et citron vert, émulsion champagne / tarte amande-mirabelle, poire pochée, gel tonka et sorbet mirabelle.

Gilles avait fait livrer une bouteille dont la forme m’est connue mais dont je ne vois pas l’année. Nous sommes servis et nous goûtons et Gilles me demande quelle est l’année. Je réfléchis et le premier chiffre que je propose est 1964. Gilles me tape dans la main : c’est 1964. Je ne suis pas peu fier. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1964 combine une très grande vivacité avec une sérénité accomplie, toute en douceur. Le champagne est à la fois rond et profond et d’une personnalité extrême. Bu seul, on sent son dosage agréable et prononcé. Dès qu’il accompagne un plat, il gagne en tension.

Le vin du Jura lui aussi prend de l’étoffe avec les plats délicieux. Les langoustines sont d’une cuisson parfaite, les raviolis mettent en valeur la belle chair du turbot et le dessert convient idéalement au champagne. C’est une cuisine de très haut niveau. Le cadre est agréable et joli. Le service est un peu austère mais cette table me fait une excellente impression. Le patron dont Gilles me disait qu’il sort rarement de sa cuisine est venu nous saluer deux fois en cours de repas en souriant. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1964 est un champagne de très haut niveau dans une gamme de goûts généreux qui correspondent à ce que j’aime le plus. Plus gourmand, je crois qu’il n’y a pas. Faudrait-il le garder à côté de la Cuvée Hemera ? Je ne dirais pas non, si c’est possible.

Les discussions ont été riches. Ce repas est un grand repas illuminé par un champagne d’exception dans une de ses plus belles années.


visite en cave

la fameuse cuve 38

la salle de dégustation

Dîner de vins en 9 au restaurant Taillevent jeudi, 17 janvier 2019

Olivier Bernard, l’heureux propriétaire du Domaine de Chevalier m’appelle et me dit : « j’aimerais que tu viennes dîner au Taillevent avec quelques personnes du monde du vin et Thierry Gardinier. Nous serons onze ». C’est sibyllin. Je m’étais imaginé qu’il s’agissait des vignerons qui ont avec lui racheté Guiraud, mais pas du tout. Je connais Thierry Gardinier dont la famille est propriétaire entre autres du Taillevent et des Crayères, Jean-Philippe Delmas dont son père et son grand-père, comme lui, « font » Haut-Brion et à part un ou deux autres, les convives me sont inconnus, consultants de domaines vinicoles, propriétaires ou ex-propriétaires de domaines fameux, négociants ou courtiers, et sans doute d’autres professions. Ce petit groupe d’amis a trente ans et pour fêter ces trente ans, tous les vins de ce soir fournis par les membres doivent avoir un millésime en « 9 ». Lorsqu’Olivier m’a annoncé la règle j’ai dit que j’apporterais un vin en 9 qui serait sans aucun doute le plus vieux. Olivier me répond : « pas sûr ». J’en étais sûr…

Le Champagne Egly-Ouriet Brut Grand Cru magnum millésime 2005 est bu debout dans le joli salon chinois du premier étage du restaurant Taillevent. Antoine Pétrus qui nous accueille participe au service du vin et les petites joutes verbales entre Thierry Gardinier et Antoine sont savoureuses. L’ambiance est à rire et à s’amuser. Ce champagne manque de cinglant. Il est un peu lourd, un peu farineux et manque de longueur, ce qui est étonnant pour un champagne de cette maison si réputée. Il s’anime un peu sur les petits fours.

Le menu préparé par David Bizet chef qui a été photographié avec tout le groupe est : fines feuilles d’artichaut, truffe noire, oignons doux caramélisé au madère / saint-pierre au plat à la poutargue, jus de crevette grise à la clémentine / consommé de poule faisane, raviole de foie gras / dos de chevreuil rôti au miel d’acacia, épaule confite, salsifis à l’ail maturé / fromages affinés / fruits exotiques en Pavlova à la crème cru rafraîchie aux herbes.

Nous passons à table et l’usage de ces amis est que l’on goûte à l’aveugle. Nous commençons par une difficulté, car la table se divisera en deux clans qui désignent soit bordeaux soit bourgogne et je ne répondrai pas car je suis perplexe. Le Château Haut-Brion blanc 1989 est en effet déroutant car il a un gras et une épaisseur qui ne sont pas faciles à situer en bordelais. Le vin est intense, profond. C’est un grand vin mais difficile à situer. Le plat est un peu compliqué, et si la truffe est sublime de goût, il y a une acidité un peu dérangeante et des goûts trop nombreux.

Le sublime saint-pierre à la chair parfaitement mise en valeur accueille deux vins. Si la Bourgogne a été facilement trouvée, personne, je crois n’a reconnu chablis. J’ai eu la chance d’être le premier à reconnaître Leflaive dans le deuxième vin. J’avais trouvé l’année du Chablis Grand Cru Valmur domaine François Raveneau 2009 à la couleur car elle est si blanche qu’elle ne peut appartenir qu’à l’année 2009. Le vin est vif, puissant et d’un charme certain.

Le Bienvenues Bâtard-Montrachet domaine Leflaive 1989 a des accents de Bâtard et une épaisseur qui appartient aux vins du domaine Leflaive. Il est solaire, chaud et joyeux.

L’avantage d’un consommé est qu’il réchauffe le palais qui devient plus accueillant. A la couleur, j’aurais bien dit que le Château Brane-Cantenac Margaux 1959 serait de 1929. En fait c’est un grand vin qui fait plus vieux que son âge, car un 1959 devrait être plus fringant. Il est quand même de belle tenue.

Le Château Lafite-Rothschild Pauillac 1979 accompagne aussi le consommé. Il est superbe et je n’aurais pas reconnu Lafite, partant sur une direction plus au sud du médoc, juste en dessous. Ce 1979 est beaucoup plus grand que les Lafite 1979 que j’ai pu boire. On dirait qu’il a enfin atteint sa grandeur. Il est brillant. Il a beaucoup de douceur cohérente.

Sur le chevreuil très bien exécuté et de belle chair, il y a trois vins et Olivier nous demandera de les hiérarchiser. Les vins sont de la même année alors que j’aurais eu tendance à penser que le troisième est beaucoup plus vieux que les deux autres. N’ayant pas pris de notes, ce qui est mon habitude, ma mémoire est trompée par le fait que j’ai pu partir dans de mauvaises directions à l’aveugle, or ce sont les premiers contacts avec un vin qui s’impriment dans ma mémoire. Ce que je sais, c’est que j’ai été très impressionné par le deuxième vin servi, le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande Pauillac 1989, qui me semble être un bordeaux parfait, d’un équilibre rare. J’ai classé ensuite le premier vin servi, le Cos d’Estournel Saint-Estèphe 1989, vin de très belle énergie et en troisième le troisième servi, le Château Kirwan Margaux 1989 dont des amis ont dit qu’il souffrait d’un léger défaut. Mais globalement cette série de trois est idéale pour la chair gourmande du chevreuil. Olivier nous dit que le Cos est globalement classé légèrement devant le Pichon.

Le Château La Mission Haut-Brion Pessac Léognan 1989 a été séparé des autres 1989 car Jean-Philippe Delmas ayant eu une brutale envie de prendre un deuxième service de purée de pomme de terre à la truffe, nous en avons tous profité avec ce vin. Nous n’avons pas pensé à le classer avec les trois précédents, mais je le mettrais volontiers deuxième derrière le Pichon 1989.

Le saint-nectaire est accompagné de deux superbes vins, le Château Léoville Poyferré Saint-Julien 1929 peut-être un peu plus vieux qu’il ne faudrait et le Cos d’Estournel Saint-Estèphe 1929 qui confirme la grandeur de cette année mythique.

Pendant tout le repas, Thierry Gardinier nous a impressionnés par sa capacité à reconnaître les vins. Toutes ses pistes ont été cohérentes. J’ai assez souvent vasouillé et voici que la chance me sourit. Quand le vin est servi, je dis que la couleur est certainement de 1929. Je hume, je bois, et j’annonce : ‘suivons la première idée qui vient, et je pense que c’est Coutet 1929’. L’apporteur de ce vin me regarde étonné et confirme qu’il s’agit du Château Coutet Haut-Barsac 1929. Son nez est miraculeux. Il a un gras superbe et une profondeur merveilleuse. C’est un immense sauternes.

Ma gloire warholienne ne dura qu’une seule minute car je n’ai même pas reconnu le Château Climens Barsac 1979, car mon palais n’était pas préparé à un vin aussi jeune après le Coutet. Une fois que je l’ai su, je m’en suis voulu de ne pas avoir reconnu ce vin que j’adore. Le dessert est superbe pour accompagner les liquoreux, et s’est remarquablement marié au Coutet.

C’est alors qu’apparaît mon vin que je débouche devant mes honorables convives, un Vin de Chypre 1869. C’est une merveille et je suis content que tous l’aient apprécié. C’est une bombe de poivre. C’est un vin doux naturel mais il est sec comme un Xérès. Il a des notes légères de réglisse, et une persistance en bouche infinie. Sa couleur combinant un or jaune ensoleillé et un or acajou est belle comme celle d’une pierre précieuse aux multiples facettes.

J’avais ouvert hier un Marc de rosé d’Ott domaine d’Ott 1929 qui apparaissait d’une douceur infinie à côté du très viril marc de champagne Oudinot des années 20. Quelle n’est pas ma surprise de voir cette honorable assemblée ressentir ce marc comme très fort. Il est en effet très titré en alcool mais il est doux tant on est sur des fruits frais. Il a beaucoup plus de charme que lorsque je l’ai bu hier. Il est tout velours.

Je pensais n’être qu’un convive parmi d’autres mais on m’a beaucoup fait parler et je pense avoir un peu étonné ces grands connaisseurs de vin lorsque j’ai parlé de vins de plus d’un siècle, qui donnent à ma vision du vin une certaine profondeur de champ. Tous ont été à mon égard d’une extrême gentillesse.

Le service du Taillevent est exemplaire. Antoine Pétrus a eu l’occasion ici et là de nous montrer l’étendue de son savoir. Thierry Gardinier m’a impressionné par sa capacité de goûter à l’aveugle. Le saint-pierre m’a ébloui. Une gentille querelle a été lancée sur le thème ‘carafer ou ne pas carafer’ les vins anciens. Ces hommes du monde du vin sont de grands enfants.


Mon apport de vins en 9

comme il n’y a pas d’étiquette pour le Chypre 1869, j’ai photographié, pour preuve, la zone où je garde les Chypre 1869

Notre honorable assemblée avec le chef au milieu

les vins

la beauté des couleurs des vins sur table

Dîner de Rhône Vignobles au restaurant Michel Chabran jeudi, 17 janvier 2019

Dans le cadre des festivités de Rhône Vignobles, nous avons participé à 21 à un atelier de vins anciens avec 18 bouteilles de tous horizons. Nous sommes prêts pour le dîner où 31 convives seront répartis en trois tables.

Le Champagne Louis Roederer Jéroboam années 60 apporté par Georges est servi à l’apéritif. Il est d’une belle couleur claire. Il est agréable, bien équilibré et joyeux. Il est surtout sans âge tant il est agile, ce qui surprend plusieurs vignerons peu familiers des champagnes anciens. C’est un champagne franc et sympathique.

Pendant que nous prenons l’apéritif, un ami vient avec la bouteille de Château Grillet 1981 que Georges n’avait pas voulu servir. Le vin n’a, ni au nez ni en bouche, la moindre trace de bouchon. Il est excellent, avec un joli gras et une belle expression que je ressens comme authentiquement Grillet. C’est le miracle du vin qui est capable de se reconstituer tant l’oxygénation lente fait des merveilles. Il aurait été classé dans les tout premiers de l’atelier s’il avait eu le temps de renaître.

Le menu composé par Michel Chabran est : pommes de terre « ratte » écrasées aux truffes / noix de coquilles Saint-Jacques à la plancha, risotto crème de mascarpone et mimolette, truffe de notre région / retour de chasse sur une crique ardéchoise / chèvre frais aux éclats de picodon, huile de truffe ‘maison’, la vraie / entremets chocolat et marrons Imbert, crème glacée à la vanille / petits fours et friandises.

Le Corton-Charlemagne Caves de La Reine Pédauque Jéroboam 1949 que j’ai apporté est servi en carafes par Georges dos Santos, du fait du volume important du flacon. La couleur est à peine ambrée. Elle est engageante. Le nez est pur, précis. La bouche est belle et curieusement, elle évoque des fruits rouges, soit des framboises, soit des groseilles, mais non aigrelettes car l’acidité du vin est très équilibrée. Le vin est puissant et on serait bien embarrassé de lui donner un âge. Certains ont préféré le Corton-Charlemagne 1942 que nous avions bu lors de la dégustation à 17 heures mais je préfère le 1949 pour son affirmation, sa puissance convaincante et ce délicieux goût de fruits rouges qui le rend original. Je suis content que ma bouteille se soit montrée à un tel niveau. La qualité des truffes est exceptionnelle, et l’accord avec le Corton-Charlemagne est magistral.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti Jéroboam 1957 ouverte à 10 heures ce matin avait un nez discret à l’ouverture mais sans défaut perceptible. Je l’ai sentie plusieurs fois pendant la journée et le parfum a mis du temps à éclore. Juste avant le service du repas je commençais à me dire que le vin allait être grand. Georges me verse le premier verre et je me retiens de crier ma joie. Ce vin est parfait et surtout il a toutes les caractéristiques qui font le génie des vins de la Romanée-Conti, la rose et le sel. Ce vin est émouvant. Je vois avec plaisir que chacun est subjugué par la transcendance de ce vin, dont les complexités sont infinies et la grâce extrême. J’en jouis et je suis content que mon fils puisse lui aussi profiter de cette bouteille d’exception. Les oiseaux sont traités en gibier, avec une farce magnifiquement faite mais forte. J’ai pris le risque que La Tâche soit sur ce plat et je pense que j’ai eu raison. Ce vin fait partie des plus grands La Tâche que j’ai eu l’occasion de boire. Je l’ai bu cinq fois en bouteilles et je mesure l’apport très positif du format du flacon, qui donne une sérénité supplémentaire.

Le Château La Gaffelière Saint-Emilion Jéroboam 1964 n’est pas mauvais, mais passer après La Tâche est mission impossible. Il existe, il est buvable, mais il n’est pas porteur d’une grande émotion. Et le chèvre ne l’aide pas beaucoup à briller. On le boit, bien sûr, mais le cœur n’y est pas.

Le Château Branaire (Duluc-Ducru) Saint-Julien double Magnum 1979 qui avait eu un accident de bouchon m’étonne, car il n’a aucun défaut olfactif. Comme La Gaffelière, il est buvable, carré, mais il est sans émotion.

Le Châteauneuf-du-Pape Domaine de Beaurenard magnum 1969 a été ajouté par Daniel Coulon pour honorer mon fils qui est de ce millésime. C’est non seulement une charmante attention mais aussi un vin d’une maturité exceptionnelle. C’est un vin charpenté, équilibré, à la trace profonde en bouche. Il est expressif et porteur de bonheur.

D’autres vins ont été apportés ici et là.

Sur le dessert où le marron domine par rapport au chocolat, le Porto Niepoort & Cie Colheita 1908 apporté par Georges se présente très trouble et plutôt pâle. Le nez est assez éteint mais le vin s’anime en bouche et plus le temps passe et plus il prend de l’ampleur. Il est très agréable, mais comme le précise Georges, il a ouvert d’autres 1908 nettement meilleurs.

Les deux alcools que j’ai apportés se boivent debout pour que de nouvelles discussions éclosent. Le Marc de Champagne Oudinot & Fils à Avize années 20-30 est incolore comme de l’eau. Son nez est impressionnant de force. En bouche, c’est l’archétype d’un grand marc, précis, fort, et ciselé. Je le trouve très raffiné.

A côté de lui, le Marc de rosé du domaine d’Ott 1929 a un nez doucereux et paraît beaucoup plus féminin, de grâce douce. Il est moins affirmé que ceux que j’ai bus de bouteilles différentes du même lot. Mais les deux marcs se complètent tant ils sont dissemblables. Ce soir ma préférence va au marc de champagne, tellement il représente l’idéal du marc.

Je n’ai pas suivi le groupe Rhône Vignobles pour la deuxième journée au domaine Courbis. Un dîner m’attendait au restaurant Taillevent et je voulais m’y rendre. Cette journée passée avec des vignerons charmants, amicaux et généreux m’a plu. Georges a fait un travail considérable et nous a raconté de belles anecdotes sur les vins. Je suis tellement fier que La Tâche 1957 dans ce format si rare se soit aussi bien comporté au point d’être transcendant que cette journée sera marquée pour toujours dans ma mémoire. Vive Rhône Vignobles.