Dîner de vins en 9 au restaurant Tailleventjeudi, 17 janvier 2019

Olivier Bernard, l’heureux propriétaire du Domaine de Chevalier m’appelle et me dit : « j’aimerais que tu viennes dîner au Taillevent avec quelques personnes du monde du vin et Thierry Gardinier. Nous serons onze ». C’est sibyllin. Je m’étais imaginé qu’il s’agissait des vignerons qui ont avec lui racheté Guiraud, mais pas du tout. Je connais Thierry Gardinier dont la famille est propriétaire entre autres du Taillevent et des Crayères, Jean-Philippe Delmas dont son père et son grand-père, comme lui, « font » Haut-Brion et à part un ou deux autres, les convives me sont inconnus, consultants de domaines vinicoles, propriétaires ou ex-propriétaires de domaines fameux, négociants ou courtiers, et sans doute d’autres professions. Ce petit groupe d’amis a trente ans et pour fêter ces trente ans, tous les vins de ce soir fournis par les membres doivent avoir un millésime en « 9 ». Lorsqu’Olivier m’a annoncé la règle j’ai dit que j’apporterais un vin en 9 qui serait sans aucun doute le plus vieux. Olivier me répond : « pas sûr ». J’en étais sûr…

Le Champagne Egly-Ouriet Brut Grand Cru magnum millésime 2005 est bu debout dans le joli salon chinois du premier étage du restaurant Taillevent. Antoine Pétrus qui nous accueille participe au service du vin et les petites joutes verbales entre Thierry Gardinier et Antoine sont savoureuses. L’ambiance est à rire et à s’amuser. Ce champagne manque de cinglant. Il est un peu lourd, un peu farineux et manque de longueur, ce qui est étonnant pour un champagne de cette maison si réputée. Il s’anime un peu sur les petits fours.

Le menu préparé par David Bizet chef qui a été photographié avec tout le groupe est : fines feuilles d’artichaut, truffe noire, oignons doux caramélisé au madère / saint-pierre au plat à la poutargue, jus de crevette grise à la clémentine / consommé de poule faisane, raviole de foie gras / dos de chevreuil rôti au miel d’acacia, épaule confite, salsifis à l’ail maturé / fromages affinés / fruits exotiques en Pavlova à la crème cru rafraîchie aux herbes.

Nous passons à table et l’usage de ces amis est que l’on goûte à l’aveugle. Nous commençons par une difficulté, car la table se divisera en deux clans qui désignent soit bordeaux soit bourgogne et je ne répondrai pas car je suis perplexe. Le Château Haut-Brion blanc 1989 est en effet déroutant car il a un gras et une épaisseur qui ne sont pas faciles à situer en bordelais. Le vin est intense, profond. C’est un grand vin mais difficile à situer. Le plat est un peu compliqué, et si la truffe est sublime de goût, il y a une acidité un peu dérangeante et des goûts trop nombreux.

Le sublime saint-pierre à la chair parfaitement mise en valeur accueille deux vins. Si la Bourgogne a été facilement trouvée, personne, je crois n’a reconnu chablis. J’ai eu la chance d’être le premier à reconnaître Leflaive dans le deuxième vin. J’avais trouvé l’année du Chablis Grand Cru Valmur domaine François Raveneau 2009 à la couleur car elle est si blanche qu’elle ne peut appartenir qu’à l’année 2009. Le vin est vif, puissant et d’un charme certain.

Le Bienvenues Bâtard-Montrachet domaine Leflaive 1989 a des accents de Bâtard et une épaisseur qui appartient aux vins du domaine Leflaive. Il est solaire, chaud et joyeux.

L’avantage d’un consommé est qu’il réchauffe le palais qui devient plus accueillant. A la couleur, j’aurais bien dit que le Château Brane-Cantenac Margaux 1959 serait de 1929. En fait c’est un grand vin qui fait plus vieux que son âge, car un 1959 devrait être plus fringant. Il est quand même de belle tenue.

Le Château Lafite-Rothschild Pauillac 1979 accompagne aussi le consommé. Il est superbe et je n’aurais pas reconnu Lafite, partant sur une direction plus au sud du médoc, juste en dessous. Ce 1979 est beaucoup plus grand que les Lafite 1979 que j’ai pu boire. On dirait qu’il a enfin atteint sa grandeur. Il est brillant. Il a beaucoup de douceur cohérente.

Sur le chevreuil très bien exécuté et de belle chair, il y a trois vins et Olivier nous demandera de les hiérarchiser. Les vins sont de la même année alors que j’aurais eu tendance à penser que le troisième est beaucoup plus vieux que les deux autres. N’ayant pas pris de notes, ce qui est mon habitude, ma mémoire est trompée par le fait que j’ai pu partir dans de mauvaises directions à l’aveugle, or ce sont les premiers contacts avec un vin qui s’impriment dans ma mémoire. Ce que je sais, c’est que j’ai été très impressionné par le deuxième vin servi, le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande Pauillac 1989, qui me semble être un bordeaux parfait, d’un équilibre rare. J’ai classé ensuite le premier vin servi, le Cos d’Estournel Saint-Estèphe 1989, vin de très belle énergie et en troisième le troisième servi, le Château Kirwan Margaux 1989 dont des amis ont dit qu’il souffrait d’un léger défaut. Mais globalement cette série de trois est idéale pour la chair gourmande du chevreuil. Olivier nous dit que le Cos est globalement classé légèrement devant le Pichon.

Le Château La Mission Haut-Brion Pessac Léognan 1989 a été séparé des autres 1989 car Jean-Philippe Delmas ayant eu une brutale envie de prendre un deuxième service de purée de pomme de terre à la truffe, nous en avons tous profité avec ce vin. Nous n’avons pas pensé à le classer avec les trois précédents, mais je le mettrais volontiers deuxième derrière le Pichon 1989.

Le saint-nectaire est accompagné de deux superbes vins, le Château Léoville Poyferré Saint-Julien 1929 peut-être un peu plus vieux qu’il ne faudrait et le Cos d’Estournel Saint-Estèphe 1929 qui confirme la grandeur de cette année mythique.

Pendant tout le repas, Thierry Gardinier nous a impressionnés par sa capacité à reconnaître les vins. Toutes ses pistes ont été cohérentes. J’ai assez souvent vasouillé et voici que la chance me sourit. Quand le vin est servi, je dis que la couleur est certainement de 1929. Je hume, je bois, et j’annonce : ‘suivons la première idée qui vient, et je pense que c’est Coutet 1929’. L’apporteur de ce vin me regarde étonné et confirme qu’il s’agit du Château Coutet Haut-Barsac 1929. Son nez est miraculeux. Il a un gras superbe et une profondeur merveilleuse. C’est un immense sauternes.

Ma gloire warholienne ne dura qu’une seule minute car je n’ai même pas reconnu le Château Climens Barsac 1979, car mon palais n’était pas préparé à un vin aussi jeune après le Coutet. Une fois que je l’ai su, je m’en suis voulu de ne pas avoir reconnu ce vin que j’adore. Le dessert est superbe pour accompagner les liquoreux, et s’est remarquablement marié au Coutet.

C’est alors qu’apparaît mon vin que je débouche devant mes honorables convives, un Vin de Chypre 1869. C’est une merveille et je suis content que tous l’aient apprécié. C’est une bombe de poivre. C’est un vin doux naturel mais il est sec comme un Xérès. Il a des notes légères de réglisse, et une persistance en bouche infinie. Sa couleur combinant un or jaune ensoleillé et un or acajou est belle comme celle d’une pierre précieuse aux multiples facettes.

J’avais ouvert hier un Marc de rosé d’Ott domaine d’Ott 1929 qui apparaissait d’une douceur infinie à côté du très viril marc de champagne Oudinot des années 20. Quelle n’est pas ma surprise de voir cette honorable assemblée ressentir ce marc comme très fort. Il est en effet très titré en alcool mais il est doux tant on est sur des fruits frais. Il a beaucoup plus de charme que lorsque je l’ai bu hier. Il est tout velours.

Je pensais n’être qu’un convive parmi d’autres mais on m’a beaucoup fait parler et je pense avoir un peu étonné ces grands connaisseurs de vin lorsque j’ai parlé de vins de plus d’un siècle, qui donnent à ma vision du vin une certaine profondeur de champ. Tous ont été à mon égard d’une extrême gentillesse.

Le service du Taillevent est exemplaire. Antoine Pétrus a eu l’occasion ici et là de nous montrer l’étendue de son savoir. Thierry Gardinier m’a impressionné par sa capacité de goûter à l’aveugle. Le saint-pierre m’a ébloui. Une gentille querelle a été lancée sur le thème ‘carafer ou ne pas carafer’ les vins anciens. Ces hommes du monde du vin sont de grands enfants.


Mon apport de vins en 9

comme il n’y a pas d’étiquette pour le Chypre 1869, j’ai photographié, pour preuve, la zone où je garde les Chypre 1869

Notre honorable assemblée avec le chef au milieu

les vins

la beauté des couleurs des vins sur table