Déjeuner au sauternes au restaurant Lasserresamedi, 22 décembre 2018

Nicolas de Rabaudy, écrivain et journaliste qui a accompagné mon parcours dès le début de mes aventures dans le vin, me transmet une invitation d’Alexandre de Lur Saluces pour un déjeuner au restaurant Lasserre. Lorsque je pénètre dans le restaurant, des milliers de souvenirs me reviennent du temps où je venais en ce lieu, jadis trois étoiles, où Malraux comme Dali avaient des tables attitrées. Je n’y ai pas vu Malraux mais ma femme et moi avons vu plusieurs fois Salvador Dali dîner avec Amanda Lear.

A la table réservée pour Alexandre de Lur Saluces il y a son fils Philippe, Stéphane, le directeur du développement commercial du château de Fargues, Jean-Claude Ribaud, journaliste éminent qui a officié notamment au Monde et avait écrit sur mes dîners au tout début, Nicolas et moi. Je reconnais en salle des sommelières ou sommeliers que j’ai connus en d’autres endroits.

Le menu a été composé par le restaurant avec Nicolas pour se marier avec des vins de Fargues. Il y aura : poireaux de M. Riant cuits sur braise, mousse de pommes de terre ratte, sabayon au Marsala, truffe blanche / poularde de la Cour d’Armoise sur un lit de navets glaçons fumés, bouillon lié au beurre de sarrasin, algue kombu / fourme d’Ambert / blanc-manger / mangue.

Le Château de Fargues Sauternes 2015 est une merveille de fraîcheur. Il est intense mais aérien. Comme Alexandre nous a longuement parlé d’asperges qu’il produit à grande échelle sur ses terres, j’ai pris les poireaux à la cape verte pour des asperges, ne reconnaissant pas leur goût, ni d’ailleurs celui du poireau ! Le plat est agréable et convient au sauternes qui n’a rien d’un liquoreux tant il est fluide. La truffe blanche lui sied bien et l’on aurait pu faire l’économie du sabayon au Marsala.

Je n’ai pas reconnu le poireau car j’étais influencé par le discours sur les asperges et je n’ai pas reconnu les navets alors que je suis un fan de ce légume aux multiples facettes. La poularde est goûteuse et le Château de Fargues 1988 d’un or magnifique est absolument superbe. Il est riche, puissant mais il a aussi la fraîcheur qui en fait un compagnon parfait du plat.

La fourme d’Ambert est de belle qualité et suffisamment jeune pour accompagner le précieux sauternes. Philippe de Lur Saluces préfère le 1988 sur le blanc-manger alors que je le préfère avec la mangue. C’est une question de goût.

Nous avons bavardé sur les moyens à adopter pour faire aimer le sauternes comme compagnon de gastronomie. Alexandre pense que le sauternes doit être mis en début de repas car on a alors le palais réceptif à ce type de vins. Les sauternes ont une grande rémanence en bouche et la difficulté pour les vins qui suivraient est facilement résolue en servant un bouillon de poule qui a le grand mérite de recalibrer le palais. C’est ce que j’ai fait en m’inspirant de cette astuce créée par Alexandre lorsque j’ai fait un dîner au Crillon où j’avais mis des Yquem à trois moments différents du repas.

A cette exception près, je suis plutôt favorable aux liquoreux en fin de repas, et sur 230 dîners, j’ai mis 449 liquoreux, donc près de 2 par repas, dont 349 de la région de Bordeaux. L’idée de mettre le sauternes à trois moments d’un repas gastronomique me semble bonne, car il fait entrecouper le repas avec d’autres vins, rouges ou blancs. J’envisage d’en faire l’expérience lors d’un prochain dîner.

Nos avis divergeaient souvent car je suis un amoureux inconditionnel des vieux sauternes – la moyenne d’âge des sauternes dans mes repas est de 65 ans – alors que mes compagnons de table pensent plus aux jeunes sauternes qu’il faut faire aimer.

Une autre question est celle de la vertu démonstrative de ce repas. Il est d’une évidence que ce repas montre que le sauternes peut soutenir et embellir un repas. Mais celui qui fait cette expérience sautera-t-il le pas ? Sera-t-il désireux de le refaire chez lui avec des amis ? Une chose est sûre, c’est que les liquoreux ont toute leur place dans la gastronomie. Il faut les faire aimer, il faut convaincre et si je peux aider, comme je l’ai fait pour les vins du Jura, je le ferai.

le légendaire toit ouvrant