Montrachet Delagrange Bachelet 1995
Belle cuisine simple et Hermitage Chave rouge 1995
Montrachet Delagrange Bachelet 1995
Belle cuisine simple et Hermitage Chave rouge 1995
Nous remercions vivement nos deux hôtes du domaine de la Romanée Conti de leur générosité et nous improvisons un déjeuner au restaurant Ma Cuisine, tenu par des patrons extrêmement ouverts et sympathiques, Fabienne et Pierre Escoffier. Sur des terrines diverses, nous commençons par un Montrachet Delagrange Bachelet 1995. Le vin est doré, le nez est convenable. En bouche, il est rond, équilibré, mais il manque cruellement de complexité. Il faut dire qu’après celui du Domaine de la Romanée Conti, c’est assez difficile. Même quand il se développe dans le verre, il reste trop simple et sans conviction.
Sur un pigeon extrêmement goûteux de pure cuisine bourgeoise, nous buvons un Hermitage rouge Chave 1995. Ce vin est d’une simplicité d’approche qui me surprend toujours, apanage des vins du Rhône. C’est apparemment simple, mais c’est beau, frais en bouche, joyeusement excitant et complet.
L’heure est maintenant à la sieste avant les agapes de ce soir.
Par un ciel sans nuage et un soleil froid qui succède à une lune presque pleine, nous arrivons au domaine de la Romanée Conti. Aubert de Villaine m’avait prévenu la veille qu’un événement imprévu l’empêcherait de partager le déjeuner avec nous mais je n’avais pas écouté son message sur mon portable. Nous allons dans les chais de maturation où se trouvent les 2007 et les 2006. Chacun de nous porte son verre et Bernard Noblet est en charge de la pipette qu’il actionne au rythme que lui indique Aubert de Villaine. Nous commençons par le Vosne-Romanée Duvault Blochet Domaine de la Romanée Conti 2006, que je trouve très agréable à boire à ce stade de sa vie. Ce vin sert à nous préparer la bouche pour accueillir tous les rouges du domaine. L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2006 est nettement plus plaisant. Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2006 est encore plus plaisant que l’Echézeaux. La complexité est belle. Aubert de Villaine aime tout particulièrement le Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2006 qui malgré un nez austère a une magnifique subtilité. Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2006, a un nez très agréable mais se présente complètement fermé, tout en dévoilant des possibilités énormes. C’est l’inverse du La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2006 qui est ouvert, aguichant, et que je situe au même niveau que le Richebourg bien qu’il lui soit opposé. Les deux vins sont grands. Lorsque nous arrivons au moment de goûter la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 2006, je sens combien Aubert de Villaine aime ce vin. Ses yeux pétillent. Un sec « on ne crache pas la Romanée Conti » me rappelle à l’ordre et je m’exécute sans me faire prier. Aubert de Villaine nous dit qu’il est très rare qu’une Romanée Conti soit aussi ouverte à ce stade de son vieillissement. Nous buvons ce vin avec plaisir, conquis par son charme féminin et cette variation infinie des composantes qui fait rêver la planète.
Aubert de Villaine nous donne très peu d’explications techniques. Il indique que la mise en bouteilles au domaine se fait à certains moments de la lunaison et me signale un article écrit par Michel Le Gris, « de l’influence du climat sur la dégustation des vins », qui suggère que l’appréciation d’un vin change avec la pression atmosphérique ambiante.
Nous nous rendons en cave dans la petite pièce voûtée où l’on déguste à l’aveugle. Il faut voir la complicité qui existe entre Bernard Noblet et Aubert de Villaine. Le choix des bouteilles qui seront ouvertes, en fonction de la qualité des visiteurs ou de leur sympathie, est un exercice de mime qui se joue à d’imperceptibles mouvements des yeux. Lorsqu’il est question d’accéder aux vins du caveau, on sent dans les yeux de Bernard : « vraiment, on peut ? » et dans les yeux d’Aubert : « oui, tu peux ».
Le premier vin a un nez très expressif. En bouche j’aime le fruit d’un vin pur et de belle longueur. C’est un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2000. On sent que le vin sera bon dans une quinzaine d’années et que l’année n’est pas si petite que ce qui a été dit. Le deuxième vin a un nez un peu amer. Bernard Noblet grimace car les traces végétales ne sont pas loin d’un effet de bouchon. Malgré l’astringence et le léger défaut, le vin se boit correctement. C’est un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1991.
Le troisième vin a tout ce qui fait la signature du domaine. La salinité très présente, le caractère strict, le poivré, le style monacal. J’aime le fruit distingué et la fraîcheur mentholée. C’est surtout la fraîcheur d’attaque qui est remarquable. Il s’agit le La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956. Il convient de signaler que nous buvons tous ces vins ouverts sur l’instant et frais, à température de cave. Il faut donc attendre un peu, et l’on remarque l’expansion que prend ce 1956, dont le fruit devient joyeux. L’écart entre le début et la fin de l’approche du vin est spectaculaire. Les fruits rouges abondent et le final devient brillant, contredisant tous les discours sur les vins du Domaine de la Romanée Conti de 1956.
Les regards se croisent entre Aubert et Bernard, et le quatrième vin est un blanc. Le nez évoque celui des sauternes, tout en étant sec, ce qui suggère un botrytis supérieur à la normale. En bouche il y a des traces de sucre, du caramel, de la brioche, et ce qui frappe, c’est la complexité extrême. Il est un peu fumé, doté d’une très belle acidité, opulent, au final de pamplemousse rose poêlé. Plus il s’ouvre et plus il devient grand. C’est un Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1987. Bernard Noblet prend des notes comme nous, qui vont enrichir les archives du Domaine.
J’y étais !
Le caveau, dont le nombre de trésors est très faible.
Bernard Noblet prêt à ouvrir une bouteille. Mon objectif en est tout ému et pleure !
En rentrant à l’hôtel après le dîner avec Jean-Nicolas Méo et son épouse, un américain assez hirsute m’accoste et me dit à quel point il est sensible à mes écrits et admiratif de mes idées sur le vin. Ayant vu mon nom sur la liste des clients de l’hôtel, il m’attendait comme les fans d’une star à la sortie d’un théâtre. Il serait heureux de me montrer quelques pépites qui sont en cave. Nous descendons par curiosité et il y a effectivement des vins de légende qui souvent peuplent mes rêves. Après une courte promenade digestive dans le froid de la ville endormie, lorsque nous rentrons, l’un de mes amis a déjà versé dans des verres Château Angélus 1990. Ce vin d’une jeunesse folle est au sommet de son art. On l’aime pour son immense plénitude. Il est jeune, dense, quasiment noir, puissant. C’est la définition du bordeaux royal. Voyant l’américain proche de nous je lui propose de goûter l’Angélus après en avoir demandé la permission à mon ami, et l’américain inconnu demande s’il peut nous ouvrir un vin. Il revient avec un Charmes-Chambertin Louis Chevallier 1949. Le nez est fantastique et me bouleverse. Le goût est fumé, de jambon fumé, mais aussi avec un abondant fruit de prune. Je tombe amoureux de ce vin d’une incomparable fraîcheur. Il apporte à l’attaque en bouche la même fraîcheur qu’un bonbon mentholé.
En passant de l’un à l’autre, on s’aperçoit qu’ils ne se détruisent pas. Les deux sont merveilleux et totalement disparates. Alors que l’Angélus m’apparaît comme un bloc indestructible je constate que le 1949 a une plus grande longueur que lui. L’Angélus est d’une pure sérénité, un bloc de marbre. Le Charmes-Chambertin d’une folle séduction féminine est une fumerie d’opium, à la sensualité suggérée et esquissée. Voilà un voyage qui démarre dans l’inattendu !
Le voyage commence par un apéritif impromptu pris à l’hôtel de Beaune avant d’aller dîner. L’un de mes amis américains a commandé un Meursault Henri Boillot 2000 qui est aguichant et d’une rare pureté. On ne dirait jamais qu’il s’agit d’un simple Meursault tant il est plaisant et raffiné.
Nous nous présentons au domicile de Nathalie et Jean-Nicolas Méo, copropriétaire du domaine Méo Camuzet. Leurs trois garçons qui reviennent comme eux tout juste des sports d’hiver se présentent en souriant. Le champagne Cuvée William Deutz de Deutz 1995 est très expressif. Des notes de caramel et de nougat sont très plaisantes.
Les vins sont bus à l’aveugle. Le premier vin, un blanc, est un vin « qui n’existe pas », car la parcelle a été cédée par le père de Jean-Nicolas au début des années 80. Il s’agit d’un Pinot blanc de Vosne-Romanée Domaine Méo Camuzet vers 1978 qui n’a jamais été commercialisé. D’un nez très expressif il affiche une personnalité très passionnante. Il est dense avec des évocations de fruits jaunes. Assez fumé, il est d’une belle longueur. J’avais donné une réponse qui n’était pas mauvaise car j’avais suggéré un Nuits-Saint-Georges blanc, qui comme le vin que nous goûtons est en pinot blanc. Sur le jambon et la viande des grisons rapportés de Val d’Isère, le vin est joyeux mais aussi profond.
Le Nuits-Saint-Georges 1er cru les Boudots 1990 est extrêmement jeune, plaisant, bien assis en bouche. Il est très pur et expose un beau fruit. Assez strict, il a l’élégance britannique. J’aime sa fraîcheur. Il est bien mis en valeur par le bœuf aux abricots aux délicates épices et goûts de fruits secs.
Le Richebourg domaine Méo Camuzet 1973 a le nez minéral et salin que j’adore dans les vins bourguignons. Jean-Nicolas le trouve même entrailles de gibier. En cherchant l’année nous pensons à beaucoup plus vieux que cette année, car le vin affiche une maturité plus grande que son millésime ne donne habituellement. Le vin s’étoffe avec le temps dans le verre. Les dernières gorgées sont d’un grand plaisir et d’une belle émotion. Et surtout, c’est la pureté bourguignonne qui nous réjouit.
Mon ami collectionneur américain a sorti de sa musette un Château Coutet 1949 que nous n’aurions jamais imaginé aussi âgé. Délicieux, d’un équilibre rare, d’un classicisme total, il est l’enfant qui obtient le prix d’honneur car il ne chahute jamais. Sucre et caramel, poivre, tabac, il décline ces saveurs avec calme. Contrairement à mon impression première, la poire au vin et sorbet cassis ne bride pas le vin.
Mes amis ont particulièrement apprécié cette atmosphère familiale de grande simplicité.
Lors du déjeuner à la Cagouille avec Frédéric Engerer, nous avons parlé de choses et d’autres, dont le restaurant El Bulli. Frédéric me dit : « je reçois le propriétaire du restaurant dans quelques jours. Il y aura des choses intéressantes à déguster. Vous devriez venir ». Je viens.
Par un beau soleil froid du début février, l’avion glisse délicatement sur le tarmac. A l’arrivée, un chauffeur portant sur ses bras un bois de caisse de Château Latour m’attend. Il me conduit aux bureaux de Château Latour, site que je visite pour la première fois. Après une courte visite explicative conduite par Sonia qui me permet de remarquer la simplicité et l’efficacité des installations respectables, je rejoins un petit groupe formé de Frédéric Engerer, président de Latour, Pierre-Henri Chabot, maître de chai que j’avais croisé dans les chais lors de ma visite, un négociant et un courtier solidement installés dans le monde bordelais du vin et le propriétaire de El Bulli. Je reconnais avec joie le courtier qui était assis à ma droite lors du dîner de la Fête de la Fleur au Château Smith Haut Lafitte. Le monde est petit.
Nous allons goûter des vins de dix parcelles différentes qui ont été assemblés pour former le Château Latour 2007. Il y a deux parcelles de merlot et huit parcelles de cabernet sauvignon, ce qui ne préjuge en rien de la composition finale du vin, car les proportions de chaque parcelle sont très variables. Nous boirons ensuite trois vins assemblés, le Pauillac 2007 du château, les Forts de Latour 2007 et Château Latour 2007. L’expérience est surtout intéressante pour les professionnels qui ont déjà bu il y a plusieurs jours des composantes du grand vin, et reviendront les goûter à la fameuse semaine des primeurs où la presse mondiale vient juger les vins de l’année précédente en début avril ou fin mars. Le propriétaire d’El Bulli achète les vins de la cave très intelligemment constituée de ce restaurant. Il vient plus pour se forger des idées et par amitié.
Ce qui m’a frappé en goûtant ces dix composantes du grand vin, c’est l’incroyable diversité des vins assemblés. Certains sont végétaux d’autres sont fruités. Certains sont amers et astringents, d’autres ont déjà une rondeur confortable. L’un d’entre eux, atypique, a un nez de pâte de fruit, un autre de cerise, un autre de cassis, un autre de poivre. Une anecdote est amusante. Celui qui me plait le plus est le vin qui provient de la parcelle « la pièce du château », entre les chais et le château. Il se trouve que sur le chemin qui joint les deux bâtiments, d’anciens propriétaires avaient l’habitude d’alléger leur vessie. Est-ce que le recyclage de Latour de plus d’un siècle a bonifié la parcelle ? Les ADN doivent être maintenant indécelables.
Après ce tour de piste d’une diversité assez remarquable, nous goûtons les trois vins de 2007. Le Pauillac 2007 a un nez assez végétal, et en bouche, on constate immédiatement une plus grande homogénéité que pour les vins de parcelles uniques. On sent en bouche un peu d’orange sèche qui, me dit-on, disparaîtra dans quelques jours. Le vin est équilibré, rond, doucereux, mais j’ai beaucoup de mal à en dire plus.
Le Forts de Latour 2007 est beaucoup plus élégant. Le nez est calme. En bouche il est carré, poivré, fruité, de belle longueur.
Le Château Latour 2007 montre, et c’est heureux, un écart qualitatif sensible. Le nez est intéressant. L’ampleur en bouche est belle. Le vin est dans une phase calme mais on sent qu’il ne demande qu’à s’ouvrir. Je le trouve beau, sobre, pur, élégant.
Je reviens un instant au vin de la parcelle « pièce du château » que je trouve très beau. Et en retournant au Château Latour assemblé, je mesure combien il est plus complet et élégant que chacune des parcelles. C’est la magie de l’assemblage, et en entendant les propos de Frédéric Engerer, je prends conscience de la difficulté de faire les bons choix, car préjuger de l’effet d’un des vins dans l’assemblage final est tout un art.
Bravo à tous ceux qui font ces choix cruciaux.
Est-ce que cette expérience me permet de donner un avis sur 2007 ? Bien évidemment non, et il faut attendre les experts qui viendront dans un mois. Mais ayant eu la chance de boire des 2005 en mars 2006, je peux sentir que 2007 n’a pas ce calibre là.
On voit les vignes par la trappe d’arrivée des raisins.
cuves en inox pour chaque parcelle
un panneau en inox sur lequel s’inscrivent les données de contrôle des cuves
environ 18 mois de vieillissement en fûts de chêne neuf de onze provenances françaises
La cave des vieux millésimes. Je m’y suis cru !!!
A gauche, les trois vins assemblés et à droite, les dix parcelles dont nous goûtons les vins
Chaque rangée est pour l’un des participants
très belle cuisine
C’est un dessert bling-bling, une fois en rouge, une fois en vert !
sous les platanes et un chaud soleil, nous avions du mal à nous quitter tant le moment fut intense et amical.
Après avoir dégusté treize vins de 2007, nous passons dans l’aile de réception et nous goûtons à l’aveugle un vin blanc qui a des accents âgés. La robe est d’un or encore jeune, le vin a des complexités déroutantes au premier contact, mais c’est intéressant. Je reconnais qu’il s’agit d’un vin de Bordeaux, et je suis bien embarrassé pour citer une année. Il s’agit de Domaine de Chevalier blanc 1966 qui a des saveurs de fruits blancs. Il s’anime réellement sur les toasts au saumon délicieux, et devient de plus en plus agréable. L’acidité est belle, le vin est très sec et citronné.
Frédéric nous propose un exercice à l’aveugle. Nous allons comparer deux vins différents sur trois millésimes identiques pour les deux vins. Chaque année est servie l’une après l’autre. Ce qui m’a amusé et ce d’autant plus que j’ai trouvé, c’est que j’ai trouvé Latour pour la première année au goût, pour la deuxième série, au nez et pour la troisième série à l’œil, car dès que les verres furent posés, je n’avais pas besoin de savoir lequel était Latour.
Le menu absolument délicieux composé par un traiteur nous a ravis, y compris le propriétaire d’El Bulli qui n’est pas tenté de faire le difficile : cassolette de noix de Saint-Jacques aux truffes / bar pélagique, glacé au vin rouge et petits légumes / plateau de fromages / soupe de clémentines au Grand-Marnier.
Le vin 1 a un nez de gibier, le 2 a un nez plus élégant. En bouche, le 2 est bien plus rond. Si le 1 est un peu fatigué, on sent sous cette impression une beauté particulière. Je serai sur chaque série très proche de l’année sans jamais la trouver, comme mes convives. Le 1 est plus flatteur, le 2 est plus grand. J’avais pensé 1937. En fait c’est pour le 1 Château Lafite-Rothschild 1934 et pour le 2 Château Latour 1934. Frédéric Engerer reviendra souvent sur le Lafite 1934 au cours de ce repas, pour se remémorer la trace de ce vin qu’il adore, d’autant plus que ce n’est pas le sien. Je suis un peu gêné par l’aspect giboyeux du Lafite 1934 même si sa structure est belle. Le Latour gagne du fait de sa conservation meilleure. Sinon ce serait Lafite qui gagnerait. Les couleurs des deux vins sont très disparates, ce qui se verra sur les trois vins. Les Lafite sont plus orange brun tuilé et les Latour plus rouge sang.
Le vin 3 a un nez magnifique marqué par la pureté de fruits rouges. Pas besoin d’aller plus loin, je sais que c’est Latour. Le vin 4 a la couleur du 1, un peu plus vivace. Le nez est encore marqué de viande. Le 3 est magnifique de jeunesse quand le 4 fait plus fatigué et giboyeux. Le Latour gagne ici sans conteste. Le jeune courtier le préfère de loin. Je devine la décennie mais me trompe de chiffre. Il s’agit de Château Latour 1950 et de Château Lafite-Rothschild 1950. Tout semble parfait et généreux dans le Latour et le Lafite est trop fatigué pour ce millésime sain.
Il n’y a plus d’énigme quand on pose les verres. Le 5 a une couleur plus tuilée. Le 6 n’a pas un nez qui plait à Frédéric aussi fait-il ouvrir une autre bouteille, nettement meilleure. Sur cette série, les deux vins sont à égalité. Je trouve la bonne décennie et j’exclue un instant l’année qui est la bonne, car j’avais un meilleur souvenir du Lafite de cette année. Il s’agit de Château Latour 1949 et de Château Lafite-Rothschild 1949, deux vins très subtils, de belle longueur, qui sont dans une phase sereine.
Il m’est venu une réflexion. Les Lafite que nous avons goûtés proviennent d’échanges traditionnels que se font les grands châteaux. Les six vins que nous avons bus ont donc reposé dans la cave de Latour depuis leur origine. Nous profitons ainsi des meilleures conditions possibles de conservation. Eh bien, l’effet de la bonne conservation est bien moindre que l’effet de l’ouverture. Car ces vins ouverts une heure avant le service et carafés vingt minutes avant manquaient d’un oxygène indispensable qui aurait rehaussé les Lafite et arrondi les Latour. Le Lafite 1950 ne cessait de progresser dans son verre. C’est bien la preuve que l’oxygénation est un facteur crucial de ces exercices. Il est très probable qu’il n’eût point été nécessaire d’ouvrir une autre Latour 1949 si la première avait respiré. Cette remarque n’est pas obsessionnelle de ma part, mais les constatations que je fais sont édifiantes.
J’ai procédé à un classement personnel : 1 – Latour 1950, 2 ex aequo – Lafite et Latour 1949, 4 – Latour 1934. La jeunesse du Latour 1950 le place très au dessus des cinq autres vins.
L’ambiance de notre groupe de cinq fut très amicale, joyeuse, le restaurateur espagnol ayant un humour particulièrement fin. Le repas fut sobre mais d’une grande qualité, les produits étant traités avec élégance et justesse. Cette confrontation a montré – sur ces exemples – que Latour a une meilleure conservation historique que Lafite, que le terroir de Lafite est doué d’immenses qualités, car il y a une sérénité et une richesse de trame qui imposent le respect et que Latour a une franchise et une séduction qui ravissent le palais. Frédéric me fit remarquer comme il est facile de passer des 2007 à ces vins mûrs. A ce niveau de qualité, le saut dans le temps est un vrai plaisir.
Richard Geoffroy, l’homme qui crée Dom Pérignon, est de passage à Paris. Il me donne rendez-vous au restaurant l’Arpège. Alain Passard est en voyage, ce que nous regrettons, car nous aurions aimé l’un et l’autre bavarder avec lui. Son équipe jeune et motivée nous a permis de passer un fort agréable dîner. Le petit amuse-bouche de bienvenue plante le décor : nous aurons ce soir des saveurs raffinées. L’œuf à la coque au vinaigre balsamique et au sirop d’érable permet au champagne Dom Périgon 1999 de montrer son adaptabilité. Richard avait lu mes commentaires sur ce champagne lors de sa sortie publique. Je n’avais pas été ébloui. Richard a voulu me faire réviser mon analyse et il a eu raison. Le champagne a mûri, a des épaules plus larges et sur la cuisine délicate de l’Arpège, il montre ses facultés gastronomiques.
Nous commençons par un gratin d’oignon blanc à la truffe, parmiggiano reggiano. Le plat arrive trop chaud et le champagne trop froid, ce qui crée un blocage gustatif majeur qui va gentiment s’estomper quand le plat se refroidit. L’oignon castre la truffe peu envahissante. Le très agréable maître d’hôtel eut une bonne réaction lorsqu’il connut l’erreur de température : il fit préparer deux nouvelles portions.
Le plat suivant est le foie gras de canard de la madeleine de Nonancourt, datte et citron confit. La chair du foie est absolument merveilleuse et ce qui me séduit le plus, c’est que la datte, très adoucie, forme une continuité avec la chair du foie. Le champagne se régale et offre des évocations de miel, de caramel, de beurre et de brioche. Il s’épanouit.
Un ris de veau de Corrèze aux châtaignes effilées, fondue de truffe noir, accueille maintenant le champagne Dom Pérignon Oenothèque 1993. Le ris en tranches un peu fines est un peu trop cuit à mon goût mais il est délicieux. Le champagne agréable, léger essaie de suivre ce plat, mais c’est surtout le 1999 qui s’adapte à sa poésie. On aurait pu envisager un vin jaune sur ce plat goûteux.
La deuxième portion du gratin d’oignon à la truffe se présente un peu moins chaude, et je ne vois pas du tout ce que l’un apporte à l’autre, du blanc et du noir. Il n’y a aucun effet multiplicateur. Le 1993 est surtout à l’aise avec les lamelles de truffes seules.
Le plat le plus éblouissant, c’est la volaille du Pathy, endives au lard fumé, car la chair du volatile est d’une trame précieuse et d’un goût ravissant. Cette poule est élevée au lait de vache, ce qui, pour le moins, est original. Le goût est envoûtant, et les légumes montrent un talent exceptionnel. Il y a dans tous les plats une recherche de pureté qui est de bon augure pour le dîner que je compte faire un jour avec Alain Passard. Le 1993 a montré des affinités gastronomiques moins étendues que le 1999. Il joue dans une discrétion particulière. Le Comté de quatre ans de Bernard Antony est astucieusement tranché en fines lamelles ce qui le rend plus délicieux. C’est le type de saveurs qui convient au Dom Pérignon 1993, car il y a une vibration qui se crée. C’est peut-être même plus subtil que l’accord traditionnel avec un vin jaune.
Nous avons abondamment parlé de thèmes qui nous tiennent à cœur. Richard vit chaque seconde de sa vie pour la création du Dom Pérignon parfait. Il me fait penser au roman de Patrick Süskind, le Parfum, où le héros du livre est à la recherche du parfum absolu. Richard a la même quête. J’espère qu’il n’ira pas comme Jean-Baptiste Grenouille jusqu’au meurtre pour obtenir le Dom Pérignon parfait. Beaucoup de considérations sur la gastronomie nous rapprochent, ce qui multiplie le plaisir d’être ensemble. Ce fut un beau dîner dans un beau cadre, avec un service trendy de grande qualité.