Archives de catégorie : vins et vignerons

Michel Bettane et Thierry Desseauve aux Caves Legrand mardi, 9 septembre 2008

Aux Caves Legrand à Paris, Michel Bettane et Thierry Desseauve fêtent la parution de leur guide 2009. Ils ont réuni autour d’eux des amis et des vignerons venus nombreux. Dans une ambiance joyeuse, c’est une belle occasion de boire de beaux vins et de bavarder avec ceux qui les ont faits. J’ai pu tremper mes lèvres dans un champagne rosé Gonet de Mesnil-sur-Oger original, un champagne Pol Roger toujours aussi solide et direct, un champagne Jacquesson cuvée 732 d’une construction et un raffinement remarquables, un Nuits-Saint-Georges Clos de la Maréchale Jacques-Frédéric Mugnier 2005 absolument splendide, un Peyre Rose, Coteaux du Languedoc 2003 radicalement opposé au vin bourguignon et résolument moderne, un Château Ducru-Beaucaillou 2004 très agréable même si ce n’est pas sa meilleure année et un Riesling Grand Cru Engelberg Pfister 2006 magnifique de pureté. Les vendanges s’approchent et le millésime à venir et à faire occupe les conversations fort amicales d’une belle soirée.

Une prestigieuse dégustation des vins du domaine Liger-Belair lundi, 8 septembre 2008

Bipin Desai, qui venait de participer au 103ème dîner, cornaque un groupe d’américains amateurs pour lesquels il prépare deux à trois fois par an de beaux événements. Ce soir, au restaurant Taillevent, et dans la même salle qu’il y a quatre jours, Bipin accueille le Comte Louis-Michel Liger-Belair qui présente les vins de son domaine.

Nous sommes une vingtaine dans cette belle salle mais auparavant, nous trinquons sur du Champagne Taillevent qui est un Deutz fort agréable sur de goûteuses gougères. A table, le champagne accompagne un délicieux amuse-bouche, une omelette à la ciboulette qui allume des milliers de souvenirs d’enfance avec un gros dé de homard qui lui en allume beaucoup moins, car le homard n’était pas l’ordinaire à l’époque.

Louis-Michel Liger-Belair raconte brièvement l’histoire de sa famille où l’avenir des garçons était d’être général ou de travailler dans la vigne. Louis-Michel n’a pas choisi la carrière militaire. Il exploite depuis l’an 2000 le domaine que sa famille possède depuis 1815. Le premier millésime de la Romanée, fleuron prestigieux de ce domaine, qu’il ait fait lui-même est le 2002.

Le menu composé à cette occasion : Parfait de pigeon au chou et au foie gras / ravioli de cèpes et girolles / filet mignon de veau aux girolles / Ossau Iraty, confiture de cerises noires / fantaisie de fraises parfumée au citron.

Les vins seront servis en petits groupes de deux ou trois. D’habitude, je ne prends jamais de notes afin de ne restituer que ce qui m’a marqué. Devant assister à plusieurs événements à la suite, et voyant la profusion de vins, j’ai pris des notes. Je suis revenu plusieurs fois sur le même vin, aussi le commentaire évolue car je reviens de nombreuses fois sur les vins d’un groupe. Plutôt que de donner une synthèse pour chaque vin, je préfère livrer les commentaires au fil de la plume, ce qui changera un peu des comptes-rendus habituels.

La première série comprend : Vosne-Romanée « Clos du Château » Liger-Belair Monopole 2006 – 2004 – 2002 en magnum. Il s’agit d’un vin qui a l’appellation Vosne-Romanée, que Louis-Michel Liger-Belair qualifie de « Villages ». Le 2006 a un nez très ample. Le 2004 a un nez plus tranquille et le 2002 a un nez très bourguignon. Le 2006 a un goût doux et profond. Le 2004 est plus arrondi, le poivre est élégant. Ce vin rond est plutôt plaisant. Le 2002 est plus âpre, plus bourguignon. Il est assez agréable même s’il manque d’ampleur. L’accord ne se trouve pas du toute entre le plat et les vins.

Le 2006 a beaucoup de charme. Il est fort en alcool. Le 2004 est bien équilibré et s’arrondit. Elégant, son final est très pruneau. Le 2002, très bourguignon, donne une impression d’incomplet. L’ordre de préférence est 2006, 2004, 2002. Pour schématiser je dirais que le 2006 est beau, le 2005 équilibré et le 2002 bourguignon.

La deuxième série comprend : Vosne-Romanée premier cru « Aux Reignots » Liger-Belair 2006 – 2003 – 2002 en magnum. Les couleurs des trois vins sont plus belles, plus rubis que les précédentes. Les trois vins ont des nez fermés. Le 2006 a un nez minéral le 2003 a un nez amer et m’évoque l’artichaut, le 2002 a un nez minéral, de pétrole.

En bouche, le 2006 est très charmant, puissant, flatteur, précis, fort en alcool. Le 2003 a un très bel équilibre. Je vois des fruits bleus ou noirs, la myrtille, la mûre. Le 2002 est puissant, très riche, mais comme pour la série précédente, je sens qu’il manque d’un je ne sais quoi. Le plat est absolument divin avec ces trois vins. Le 2006 se régale avec les cèpes et avec la sauce. Il montre sa joie. Le 2003 progresse et gagne un équilibre majeur. Il évoque les pruneaux et les prunes. Le 2002 est pierre à fusil. Il est râpeux mais me plait,  quoiqu’à la longue, le minéral me gêne. Le fruit du 2003 est plaisant et le 2006 est généreux, opulent, sûr de lui. Mon ordre de préférence : 2006, 2003, 2002. Sur ces deux séries, les meilleurs sont les plus jeunes. Au-delà de l’effet millésime, cela semble démontrer la pertinence du travail de Louis-Michel.

Le Vosne-Romanée premier cru « les Brûlées » 2006 en magnum qui nous est servi est une grande curiosité, car ce vin n’est mis en bouteilles qu’en magnum ou en formats plus grands. Il n’est jamais vendu, et sa destination principale est de figurer dans des dîners caritatifs. Il est servi avec l’Echézeaux Liger-Belair 2006 et La Romanée Liger-Belair Monopole 2006 – 2002 en magnum.

Ces vins de grande classe me paraissent insuffisamment ouverts, stockés sans doute trop froids avant le dîner. Le nez de l’Echézeaux est fermé, l’alcool domine, ainsi que la pierre à fusil. La Romanée 2006 a une couleur plus claire que l’Echézeaux. L’alcool domine dans l’odeur de la Romanée 2002. Le Vosne Romanée a un nez très fin. En bouche, il a beaucoup de fruit. Sur le veau, ce vin est très beau, avec une légère astringence.

L’Echézeaux est vraiment un très grand vin. Il donne du plaisir sans compter. Il est profond, beau, d’un poivre élégant. La Romanée 2006 a un nez très délicat maintenant, et j’adore son goût d’un équilibre superbe. J’aime ce vin-là. La Romanée 2002 est plus plat, plus en demi-teinte, mais il est grand quand même. On l’aurait seul à un dîner, on serait ravi. En comparaison, on extrémise les différences. Il faut dire qu’il se boit à côté de grands vins de 2006.

La Romanée 2006, c’est le raffinement, mais mon cœur balance en faveur de l’Echézeaux. Les Brûlées est un vin superbe. Je classe dans cet ordre : Echézeaux 2006, La Romanée 2006, Les Brûlées 2006, La Romanée 2002. Mais comme dans les courses de chevaux, venant du diable vauvert, Les Brûlées ne serait pas loin de ramasser la mise, tant son charme se développe avec un poivre subtil et omniprésent.

Louis-Michel nous présente maintenant des vins qu’il n’a pas faits, qui donneront une perspective historique intéressante. Il s’agit de : La Romanée Liger-Belair Monopole 1996 – 1988 – 1974.

La couleur du 1974 est la plus tuilée. Le 1996 a un nez subtil, le 1988 a un nez plus fermé et le 1974 dégage un parfum bourguignon où je sens le sel. Les nez sont plus structurés que ceux des vins récents, mais il faut dire aussi que les bouteilles sont ouvertes depuis plus longtemps.

Le 1996 évoque les fruits à l’eau de vie. Il est un peu amer. Le 1988 est fruité, rond. J’aime assez le final qui est plus puissant que ce que le millésime suggère. Il remplit la bouche avec beaucoup de fruit et un soupçon d’acidité et d’astringence. Le 1974 est plus discret, calme, un peu en sourdine mais il est équilibré et plaisant. Il se développe largement dans le verre.

Louis-Michel Liger-Belair nous dit qu’il fait les vins qu’il aime boire. Un grand cru, ce doit être une symphonie. Un grand cru se caractérise par la longueur. Il peut être moins puissant qu’un premier cru, mais doit être plus symphonique et plus long en bouche. Le 1974 est très différent des autres, et je préfère le 1988 dans ce groupe. Les trois vins qui émergent de cette dégustation sont La Romanée 2006, L’Echézeaux 2006 et le Vosne-Romanée « Les Brûlées » 2006.

Sur un dessert absolument délicieux le Riesling Frédéric Emile Trimbach 2000 est à son aise, mais je lui trouve un certain manque d’équilibre.

Ce qui m’a le plus marqué de cette soirée, c’est l’implication de Louis-Michel Liger-Belair. La Romanée qui appartenait à sa famille a été vinifiée par d’autres. Elle revient dans la famille sous son autorité et cela lui donne une grande ambition. Les 2006 des différents vins que nous avons bus sont tous réussis. Il se dégage de cette dégustation que ce domaine a une envie d’excellence qui le portera au firmament des vins les plus recherchés de Bourgogne.

présentation de vins de Liger-Belair – photos lundi, 8 septembre 2008

Omelette à la ciboulette avec un gros dé de homard

Parfait de pigeon au chou et au foie gras

ravioli de cèpes et girolles

filet mignon de veau aux girolles

fromage et délicieux dessert fondant en bouche

Vosne-Romanée Les Brûlées Domaine du Comte Liger-Belair 2006, bouteille rarissime

Louis-Michel Liger-Belair peut être fier des vins qu’il a faits.

les verres de la dégustation

hommage lundi, 11 août 2008

Hommage

Les vignerons ayant le sens de l’histoire familiale, on voit parfois des cuvées faites en l’hommage d’un parent ou d’un ancêtre. Je pense à l’une des plus célèbres d’entre elle, la cuvée de Beaucastel « hommage à Jacques Perrin », lorsque ses enfants ont décidé de vinifier une parcelle spéciale en hommage à leur père, créant ainsi une cuvée d’exception.

Jean-Pierre Perrin raconte l’histoire de cette cuvée avec émotion.

De même, Bernard Cazes, l’un des grands vignerons de Rivesaltes raconte avec plaisir la cuvée Aimé Cazes, en l’honneur de d’Aimé qui mourut à cent ans tous ronds.

Ces rappels historiques ont quelque chose de sympathique et d’attachant.

Mais il y a des hommages qui surprennent.

Buvant un champagne Henri Giraud Grand Cru d’Aÿ je constate qu’il s’agit d’un hommage à François Hemart. Jusque là, pas de problème, mais ce François est né en 1625 et mort en 1705.

Si l’on voit des monuments aux morts des deux dernières guerres mondiales, il est assez peu fréquent de voir un monument aux morts d’Azincourt ou de la guerre de cent ans. Cela paraîtrait étrange.

En fait il s’agit tout simplement d’exprimer que la famille Giraud-Hemart est propriétaire du même domaine à Aÿ depuis douze générations. On peut en être fier et le dire. Pas forcément en utilisant un « hommage », car ce vénérable personnage mort il y a 303 ans est plus un symbole qu’un sujet d’hommage.

La fibre familiale poussée à ce point méritait d’être signalée.

 

 

les jeudis des Caves Legrand, artistes et vins – le 50ème jeudi, 26 juin 2008

Les caves Legrand Filles et Fils organisent des soirées où Aladin Reibel, comédien, mêle avec talent des spectacles artistiques avec la présentation de vins. L’atmosphère y est extrêmement sensible, conviviale et passionnée. La délicatesse est de grande inspiration. Ce soir, Aladin fête son cinquantième jeudi et a fait venir de nombreux artistes qui se sont produits ici-même, ainsi que plusieurs vignerons, heureux de se retrouver entre eux mais aussi de fêter Aladin. Des habitués, jeunes et vieux vibrent aux chants, aux voix, aux textes, et le ballet des verres qui viennent se remplir au bar est d’une chorégraphie gourmande. Gérard Sibourg-Baudry, l’heureux animateur propriétaire des caves est tout sourire, laissant libre cours aux improvisations des artistes et des vignerons. La maison de champagne Tarlant fait goûter son non millésimé qui est le champagne des caves Legrand, son Prestige millésime 1998 et son rosé 1998. Mélanie Tarlant vient m’expliquer avec enthousiasme la foi qui anime son frère et elle-même. Le champagne Prestige 1998 Tarlant est plein d’âme. Je goûte un Cornas 1998 fait par une association de vignerons dont Marcel Richaud. C’est la première année d’un vin qui se cherche un peu mais promet, car il y a tout ce qu’il faut pour que ce soit grand. Il y a tant d’artistes heureux de se produire et tant d’applaudissements de joie que c’est fort tard que nous nous rendons à la Brasserie Le Colbert où un dîner attend les tardives Cendrillon que nous sommes. Les vignerons présents sont généreux. Je goûte un Pibarnon rouge 2006 ensoleillé et chantant, un La Rectorie 2006 puissant comme un Sumo, un délicieux Charmes-Chambertin de Geantet-Pansiot 2003, sereinement et magnifiquement bourguignon. J’ai de belles discussions avec André Ostertag et son épouse sur les vins et la gastronomie. Quand je quitte fort tard cette riante assemblée, je sens que le cinquantième jeudi de Legrand se finira à l’heure du laitier. Art et vin font bon ménage. Bravo Aladin.

Des Krug encore chez un caviste vendredi, 6 juin 2008

Des Krug encore chez un caviste

Le lendemain matin de ma visite à Reims, je publie le compte-rendu sur un forum et l’un des membres m’annonce qu’un caviste du 12ème arrondissement organise une dégustation de Krug Grande Cuvée et de Krug 1995. Alors que je viens de boire ces deux vins, j’aurais pu décliner mais je dis oui, par caprice de saisir une occasion apparemment inutile. Je rencontre le jeune amateur et le sympathique caviste qui me fait faire un tour de cave. Je repère une bouteille de Vega Sicilia 1980 qui ne me paraît pas chère, et j’ai l’idée de l’emporter pour l’ouvrir à dîner le soir même.

visite à Krug et déjeuner aux Crayères jeudi, 5 juin 2008

Lorsqu’à Vinexpo en juin 2007, dans un splendide hall musée, l’aristocratie du vin de France avait attiré ceux qui achètent ou jugent le vin, j’avais rencontré Olivier Krug à la table où le Gotha du champagne exposait ses plus beaux joyaux. Promesse de se revoir, mais, mais, dans ces grands groupes, les impératifs commerciaux déterminent les emplois du temps. Un jour de juin, près d’un an après, la fenêtre de tir entrouvre ses volets et je me présente au siège de Krug. Un jeune ambassadeur anglais me fait patienter et Olivier rejoint la salle de réunion. Il parle du vin qui porte son nom avec un enthousiasme communicatif. Tout ce qui fait l’exception de Krug m’est exposé avec passion. Nous visitons la salle de fûts dont l’âge de certains dépasse quarante ans, puis la cave imposante où dorment des trésors, et nous remontons dans une petite pièce qui évoque ce que pourrait être un petit musée de la tonnellerie. Il y a chez Krug un minimalisme qui ressemble à celui de la Romanée Conti.

Alors qu’à Dom Pérignon on m’avait entraîné vers les 1973 ou les 1959, ce sont des fioles de 2007 qui vont être dégustées. J’ai pris des notes qui ne sont que des flashs éphémères, car ces vins vont évoluer à chaque mois de leur vie. Ce qui compte surtout, c’est le chemin qui conduit à l’assemblage du champagne Grande Cuvée. Voici ce que j’ai écrit sur ces vins clairs :

Mesnil 2007 : nez de miel et de caramel, belle acidité. Très buvable, agréable, citron vert.

Villers-Marmery 2007 : nez qui est plus pâte de fruits, un peu perlant, évoque les fleurs blanches et les groseilles blanches. Très belle acidité un peu mentholée. Acidité de cassis.

Ay  2007 : nez floral élégant et raffiné, mais plus simple en bouche. Il est fruité, de fruits roses, très goulu, aux accents de pêches, très goûteux et sexy, bonbon acidulé.

Ambonnay 2007 : nez discret, floral, subtil et racé. La puissance en bouche est spectaculaire. C’est fabuleux. L’équilibre est énorme. Il y a des fruits, des fleurs, des fruits confits et même des légumes verts. J’aime ce vin d’une grande fraîcheur.

Sainte-Gemme 2007 : nez très fin, subtil, presque indéfinissable. L’équilibre en bouche est joli. Il y a des fruits doux, jaunes et encore du bonbon acidulé. J’aime la fraîcheur de ce vin plus classique.

L’Ay 2004 a un nez nettement minéral par opposition à tous les 2007. L’attaque est merveilleuse. C’est doux comme de la soie et minéral come de l’ardoise. Puis apparaissent les fruits, les pêches et un soupçon de beurre et de toasté. Il est très joli, épicé, et j’aime sa fraîcheur.

L’Oger 2001 a un nez très rond, ensoleillé de fruits rouges et une trace de beurre. En bouche il y a des fleurs et des fruits classiques. Il joue un peu en dedans, d’une personnalité moins marquée, un peu conventionnelle, et je me demande si ce n’est pas moi qui sature à ce stade. Le citron vert et la groseille à maquereau lui donnent une fraîcheur remarquable.

Le Verzenay 1996 a un nez très pur, de cassis. Le vin a un bel équilibre, accompli, fait de fraîcheur et d’acidité jolie. Il y a des agrumes et des zestes, mais c’est la fraîcheur qui est confondante.

Nous arrivons enfin au Krug Grande Cuvée assemblage de ce qui précède, mais pas uniquement. Il y a en effet 118 vins différents dans l’assemblage, de sept millésimes remontant jusqu’en 1995. Le nez est plus vineux avec des légumes verts. Il est subtil. L’attaque est très belle, ronde, et plus joyeuse que chacun. Le milieu de bouche est structuré, plus feutré, mais va s’ouvrir. La fraîcheur est là, de fruits rouges et d’agrumes. Le final est long et complexe. Bien sûr, il faut que le vin se forme, car son bal des débutants, c’est dans six ans au moins. Sa rondeur joyeuse et sa fraîcheur de fleurs blanches sont déjà prometteurs.

Nous goûtons par contraste le Krug Grande Cuvée mis en bouteille tout récemment, qui a donc à peu près six ans de plus. Le premier changement, c’est la bulle, qui était en filigrane jusque là. Le nez est très Krug, le goût est très Krug, pur, typé, élégant et subtil en bouche. Il a un goût de revenez-y qui ne trompe pas. J’ai senti des notes fumées proches de l’infusion.

Si la soif de Krug est intarissable, les propos enflammés d’Olivier le sont aussi. En souriant il me dit : « si je parle trop, tirez sur la prise ». Je n’en aurai pas besoin, car tout ce qu’il dit parle de passion.

Nous allons déjeuner au restaurant les Crayères ou Didier Elena et Philippe Jamesse, chef sommelier, voulaient infléchir le jugement que j’avais eu lors du séjour qui suivait le centième dîner. Le jeune sommelier qui nous accueille nous emmène en cuisine saluer le chef, prêt pour un nouveau challenge.

La salle à manger est de toute beauté, et les tons de gris ocre sont apaisants. Je n’ai pas le temps de m’asseoir qu’une charmante femme vient m’embrasser. Elle déjeune avec son mari. C’est la responsable d’un des vignobles d’Ile de France, le vin de Villiers-sur-Marne, dont je suis membre de la confrérie. Olivier suggère que nous goûtions le Krug rosé. Il a une phrase admirable lorsque je dis que je ne suis normalement pas fanatique de champagnes rosés : « c’est justement pour cela que nous avons fait Krug rosé ». J’adore. Olivier propose que nous goûtions le Krug Grande Cuvée. Je suggère que nous abordions aussi un millésimé. Olivier pense au 1995. Philippe demande dans quel ordre déguster. J’imagine que nous boirons les trois ensemble. Le décor est planté. Le maître d’hôtel demande ce que nous souhaiterions déjeuner. Nous nous en remettons à Didier Elena. Le bateau est lancé.

Il n’est pas tellement question de juger chaque vin, car chaque saveur va le faire varier, mais plutôt d’analyser les comportements. Sur un petit biscuit au chaource, le Krug rosé réagit comme le public quand un crooner esquisse les trois premières notes d’un standard. Sa couleur de rose saumonée appelle des saveurs de même couleur. Le cromesquis au champagne  vibre bien sur le Krug Grande Cuvée. Seul l’amuse bouche qui comporte un granité alcoolisé impose de boire de l’eau.

Dès que l’on présente devant mes yeux les langoustines, je sais que l’on a changé de monde. Nous sommes dans « ma » gastronomie. Le « ma » ne veut pas dire que j’en serais propriétaire mais plutôt qu’elle est celle que j’appelle de mes vœux. La chair de la langoustine est divine. Elle fait vibrer le Krug 1995 d’une impériale sérénité. Ce champagne est assis sur son trône, écoute ses sujets, et leur annonce que son règne ne se compte ni en septennats ni en quinquennats mais en siècles. Champagne taillé pour l’éternité il affirme son emprise sur nos sens. D’autres langoustines dans une pâte croustillante se trempent dans une rouille qui est un appel au Krug rosé. Ce plat aux cuissons exactes, à la lisibilité totale, nous fait entrer dans un monde qui est celui du vrai Elena.

Alors que Philippe m’avait dit que le pigeon que j’espérais pour le Krug rosé n’était pas présent à l’appel, voilà que l’on nous sert un pigeon sur un canapé flanqué d’un foie gras à peine poêlé. La chair du pigeon seule, sans sauce est un hymne à l’amour avec le Krug rosé qui gagne en noblesse. Le raffinement est total. Le foie gras quant à lui, d’une tendreté exemplaire, cohabite aussi bien avec le millésimé 1995 qu’avec la Grande Cuvée. Cette cuisine bourgeoise est un appel au bonheur.

J’essaie trois fromages différents pour chacun des Krug et le choix fait à l’œil se trouve justifié au palais. L’essai d’un roquefort au miel est plus ludique que gastronomique. Une tarte à la fraise des bois vient clore l’expérience dans un politiquement correct assumé.

Que dire des champagnes ? Le rosé a sa vie propre, capable de soutenir de nombreux plats, à condition que l’on reste dans un certain code de saveurs, car sa flexibilité est plus étroite que celle des blancs. Le Grande Cuvée est un champagne assuré, solide, à l’aise, mais il a quand même un peu souffert de la présence du 1995. Car ce champagne, c’est Stonehenge, c’est les pyramides d’Egypte, d’une solidité qui ne supporte aucune contradiction, taillé pour l’histoire, inébranlable ce qui n’est pas antinomique d’une capacité à créer l’émotion. Car ce champagne imperturbable sait se marier au foie gras, à la langoustine, et à une myriade de goûts.

Didier Elena est venu à notre table et je lui ai dit à quel point j’étais heureux que cette expérience corrige mon impression récente. Partager une journée avec Olivier Krug est un privilège auquel je suis infiniment sensible. Y ajouter l’expérience d’une cuisine qui tutoie les sommets, c’est  un couronnement à Reims.

visite de la maison Krug – photos jeudi, 5 juin 2008

Les établissements au centre de Reims

les fûts de vieillissement d’âges variables jusqu’à plus de quarante ans. A droite on voit des fûts neufs qui arrivent.

Je veux bien être fidèle à Krug, mais faut-il aller jusqu’à me marquer au fer ?

la petite salle de dégustation avec des vestiges de tonnelier et les vins clairs que nous avons dégustés.