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Comparaison pour 1934, 1950 et 1949 de Lafite et Latour vendredi, 8 février 2008

Après avoir dégusté treize vins de 2007, nous passons dans l’aile de réception et nous goûtons à l’aveugle un vin blanc qui a des accents âgés. La robe est d’un or encore jeune, le vin a des complexités déroutantes au premier contact, mais c’est intéressant. Je reconnais qu’il s’agit d’un vin de Bordeaux, et je suis bien embarrassé pour citer une année. Il s’agit de Domaine de Chevalier blanc 1966 qui a des saveurs de fruits blancs. Il s’anime réellement sur les toasts au saumon délicieux, et devient de plus en plus agréable. L’acidité est belle, le vin est très sec et citronné.

Frédéric nous propose un exercice à l’aveugle. Nous allons comparer deux vins différents sur trois millésimes identiques pour les deux vins. Chaque année est servie l’une après l’autre. Ce qui m’a amusé et ce d’autant plus que j’ai trouvé, c’est que j’ai trouvé Latour pour la première année au goût, pour la deuxième série, au nez et pour la troisième série à l’œil, car dès que les verres furent posés, je n’avais pas besoin de savoir lequel était Latour.

Le menu absolument délicieux composé par un traiteur nous a ravis, y compris le propriétaire d’El Bulli qui n’est pas tenté de faire le difficile : cassolette de noix de Saint-Jacques aux truffes / bar pélagique, glacé au vin rouge et petits légumes / plateau de fromages / soupe de clémentines au Grand-Marnier.

Le vin 1 a un nez de gibier, le 2 a un nez plus élégant. En bouche, le 2 est bien plus rond. Si le 1 est un peu fatigué, on sent sous cette impression une beauté particulière. Je serai sur chaque série très proche de l’année sans jamais la trouver, comme mes convives. Le 1 est plus flatteur, le 2 est plus grand. J’avais pensé 1937. En fait c’est pour le 1 Château Lafite-Rothschild 1934 et pour le 2 Château Latour 1934. Frédéric Engerer reviendra souvent sur le Lafite 1934 au cours de ce repas, pour se remémorer la trace de ce vin qu’il adore, d’autant plus que ce n’est pas le sien. Je suis un peu gêné par l’aspect giboyeux du Lafite 1934 même si sa structure est belle. Le Latour gagne du fait de sa conservation meilleure. Sinon ce serait Lafite qui gagnerait. Les couleurs des deux vins sont très disparates, ce qui se verra sur les trois vins. Les Lafite sont plus orange brun tuilé et les Latour plus rouge sang.

Le vin 3 a un nez magnifique marqué par la pureté de fruits rouges. Pas besoin d’aller plus loin, je sais que c’est Latour. Le vin 4 a la couleur du 1, un peu plus vivace. Le nez est encore marqué de viande. Le 3 est magnifique de jeunesse quand le 4 fait plus fatigué et giboyeux. Le Latour gagne ici sans conteste. Le jeune courtier le préfère de loin. Je devine la décennie mais me trompe de chiffre. Il s’agit de Château Latour 1950 et de Château Lafite-Rothschild 1950. Tout semble parfait et généreux dans le Latour et le Lafite est trop fatigué pour ce millésime sain.

Il n’y a plus d’énigme quand on pose les verres. Le 5 a une couleur plus tuilée. Le 6 n’a pas un nez qui plait à Frédéric aussi fait-il ouvrir une autre bouteille, nettement meilleure. Sur cette série, les deux vins sont à égalité. Je trouve la bonne décennie et j’exclue un instant l’année qui est la bonne, car j’avais un meilleur souvenir du Lafite de cette année. Il s’agit de Château Latour 1949 et de Château Lafite-Rothschild 1949, deux vins très subtils, de belle longueur, qui sont dans une phase sereine.

Il m’est venu une réflexion. Les Lafite que nous avons goûtés proviennent d’échanges traditionnels que se font les grands châteaux. Les six vins que nous avons bus ont donc reposé dans la cave de Latour depuis leur origine. Nous profitons ainsi des meilleures conditions possibles de conservation. Eh bien, l’effet de la bonne conservation est bien moindre que l’effet de l’ouverture. Car ces vins ouverts une heure avant le service et carafés vingt minutes avant manquaient d’un oxygène indispensable qui aurait rehaussé les Lafite et arrondi les Latour. Le Lafite 1950 ne cessait de progresser dans son verre. C’est bien la preuve que l’oxygénation est un facteur crucial de ces exercices. Il est très probable qu’il n’eût point été nécessaire d’ouvrir une autre Latour 1949 si la première avait respiré. Cette remarque n’est pas obsessionnelle de ma part, mais les constatations que je fais sont édifiantes.

J’ai procédé à un classement personnel : 1 – Latour 1950, 2 ex aequo – Lafite et Latour 1949, 4 – Latour 1934. La jeunesse du Latour 1950 le place très au dessus des cinq autres vins.

L’ambiance de notre groupe de cinq fut très amicale, joyeuse, le restaurateur espagnol ayant un humour particulièrement fin. Le repas fut sobre mais d’une grande qualité, les produits étant traités avec élégance et justesse. Cette confrontation a montré – sur ces exemples – que Latour a une meilleure conservation historique que Lafite, que le terroir de Lafite est doué d’immenses qualités, car il y a une sérénité et une richesse de trame qui imposent le respect et que Latour a une franchise et une séduction qui ravissent le palais. Frédéric me fit remarquer comme il est facile de passer des 2007 à ces vins mûrs. A ce niveau de qualité, le saut dans le temps est un vrai plaisir.

deux Dom Pérignon à l’Arpège lundi, 21 janvier 2008

Richard Geoffroy, l’homme qui crée Dom Pérignon, est de passage à Paris. Il me donne rendez-vous au restaurant l’Arpège. Alain Passard est en voyage, ce que nous regrettons, car nous aurions aimé l’un et l’autre bavarder avec lui. Son équipe jeune et motivée nous a permis de passer un fort agréable dîner. Le petit amuse-bouche de bienvenue plante le décor : nous aurons ce soir des saveurs raffinées. L’œuf à la coque au vinaigre balsamique et au sirop d’érable permet au champagne Dom Périgon 1999 de montrer son adaptabilité. Richard avait lu mes commentaires sur ce champagne lors de sa sortie publique. Je n’avais pas été ébloui. Richard a voulu me faire réviser mon analyse et il a eu raison. Le champagne a mûri, a des épaules plus larges et sur la cuisine délicate de l’Arpège, il montre ses facultés gastronomiques.

Nous commençons par un gratin d’oignon blanc à la truffe, parmiggiano reggiano. Le plat arrive trop chaud et le champagne trop froid, ce qui crée un blocage gustatif majeur qui va gentiment s’estomper quand le plat se refroidit. L’oignon castre la truffe peu envahissante. Le très agréable maître d’hôtel eut une bonne réaction lorsqu’il connut l’erreur de température : il fit préparer deux nouvelles portions.

Le plat suivant est le foie gras de canard de la madeleine de Nonancourt, datte et citron confit. La chair du foie est absolument merveilleuse et ce qui me séduit le plus, c’est que la datte, très adoucie, forme une continuité avec la chair du foie. Le champagne se régale et offre des évocations de miel, de caramel, de beurre et de brioche. Il s’épanouit.

Un ris de veau de Corrèze aux châtaignes effilées, fondue de truffe noir, accueille maintenant le champagne Dom Pérignon Oenothèque 1993. Le ris en tranches un peu fines est un peu trop cuit à mon goût mais il est délicieux. Le champagne agréable, léger essaie de suivre ce plat, mais c’est surtout le 1999 qui s’adapte à sa poésie. On aurait pu envisager un vin jaune sur ce plat goûteux.

La deuxième portion du gratin d’oignon à la truffe se présente un peu moins chaude, et je ne vois pas du tout ce que l’un apporte à l’autre, du blanc et du noir. Il n’y a aucun effet multiplicateur. Le 1993 est surtout à l’aise avec les lamelles de truffes seules.

Le plat le plus éblouissant, c’est la volaille du Pathy, endives au lard fumé, car la chair du volatile est d’une trame précieuse et d’un goût ravissant. Cette poule est élevée au lait de vache, ce qui, pour le moins, est original. Le goût est envoûtant, et les légumes montrent un talent exceptionnel. Il y a dans tous les plats une recherche de pureté qui est de bon augure pour le dîner que je compte faire un jour avec Alain Passard. Le 1993 a montré des affinités gastronomiques moins étendues que le 1999. Il joue dans une discrétion particulière. Le Comté de quatre ans de Bernard Antony est astucieusement tranché en fines lamelles ce qui le rend plus délicieux. C’est le type de saveurs qui convient au Dom Pérignon 1993, car il y a une vibration qui se crée. C’est peut-être même plus subtil que l’accord traditionnel avec un vin jaune.

Nous avons abondamment parlé de thèmes qui nous tiennent à cœur. Richard vit chaque seconde de sa vie pour la création du Dom Pérignon parfait. Il me fait penser au roman de Patrick Süskind, le Parfum, où le héros du livre est à la recherche du parfum absolu. Richard a la même quête. J’espère qu’il n’ira pas comme Jean-Baptiste Grenouille jusqu’au meurtre pour obtenir le Dom Pérignon parfait. Beaucoup de considérations sur la gastronomie nous rapprochent, ce qui multiplie le plaisir d’être ensemble. Ce fut un beau dîner dans un beau cadre, avec un service trendy de grande qualité.

lendemain de fête dans le Vaucluse dimanche, 20 janvier 2008

Voir mon fidèle ami, amateur de vins anciens, devant un jus de fruit est un phénomène assez rare.

Couché à 3 heures du matin, levé (presque) aux aurores, il a l’énergie de disserter sur la marche du monde !

 

Comme s’il restait encore une trace d’appétit, un brunch nous tend les bras.

 J’en ai même oublié que François Parent nous a ouvert le dimanche midi ce Meursault-Charmes Bocard 1990.

Quelle générosité !

verticale de Pommard Epenots Parent dans le Vaucluse samedi, 19 janvier 2008

Mon cousin, fin chasseur, a embroché les grives. Derrière lui, François Parent.

Pendant l’apéritif, les grives rôtissent.

 Quand une bouteille est tenue en main, la photo n’est pas très nette. Champagne Mahu 1952 un peu fatigué mais délicieux.

Madame Anne-Françoise Gros est servie.

 Délicieuse terrine, et l’ananas sur branche de citronnelle préparé par nos amis hollandais.

 

François Parent s’apprête à verser le Pommard Epenots Domaine Parent 1964 en jéroboam.

Rayne Vigneau 1936.

une belle verticale de Pommard Epenots Parent samedi, 19 janvier 2008

Il y a quelques mois, j’avais été logé chez un couple de vignerons bourguignons qui ont choisi de s’évader les week-ends au milieu de vignes rhodaniennes. Nous avions parlé vin, comme font les cul-de-jatte entre eux quand ils se rencontrent dans la chanson. Un rendez-vous a été mis au point par mon cousin ami des vignerons, pour que nous goûtions ensemble quelques antiques flacons.

Ma femme et moi arrivons le vendredi après-midi chez mon cousin et je vais déposer mes vins chez les vignerons. François Parent me montre un nombre invraisemblable de bouteilles de tous formats et me dit : « toutes ces bouteilles de la cave familiale ont leur bouchon d’origine. J’ai prévu des bouteilles de secours en cas de madérisation ou de défaut ». Il se trouve que François, qui ouvre de temps en temps un ou deux vieux flacons, fera seulement la troisième grande verticale des vins de son domaine. La première se fit avec Robert Parker au début des années 80, la deuxième se fit il y a trois ans avec Allen Meadows, l’homme qui, sans doute, connaît le mieux les vins de Bourgogne comme Richard Juhlin connaît les champagnes,  et la troisième se fait en la présence de quelques amis et moi-même, ce que je ressens comme un honneur. Une marque supplémentaire d’estime est que François me laissera ouvrir moi-même les vins, opération qu’il n’a jamais confiée à quelqu’un d’autre. Par bravade ou par encouragement, sans avoir vu les vins, je lance : « demain il n’y aura pas de déchet ».

Nous retournons chez mon cousin  pour dîner et nous commençons par un champagne pur Chardonnay, Lady de N de Le Brun de Neuville. Il se boit fort agréablement et s’adapte bien au foie gras fait par son gendre que l’on poivre légèrement. Sur une soupe à la châtaigne et un toast à la châtaigne, mon cousin ouvre un Vin jaune d’Arbois de Rolet Père & Fils 1995. Le vin est très puissant. L’accord est suave, confortable. Tout en ce vin jaune me ravit, le nez impérieux, le goût viril et envahissant et un final talentueux. Nous avons peur qu’un vin aussi dominateur ne porte ombrage au vin qui va suivre, mais nous nous lançons. Sur un cabillaud à l’orange, le Clos de la Coulée de Serrant de Mme Joly 1983 est divinement approprié car son acidité citronnée élégante épouse la préparation du poisson. Ce qui me frappe, c’est la précision de la trame de ce vin. J’apprécie beaucoup ce vin de la période qui précède celle du pape de la biodynamie, Nicolas Joly. Il montre à l’évidence qu’il ne faut boire ce vin que lorsqu’il est adulte. L’acidité de la tarte à la rhubarbe et aux groseilles refuse tout vin.

Le lendemain matin un chaud soleil illumine le Vaucluse. Mon cousin part plumer les grives, François Parent et Anne-Françoise Gros sont affairés. Dans quelques heures j’irai ouvrir les vins accompagné d’un de mes plus fidèles compagnons de dîners de vins anciens et nos épouses. Tout bruisse du recueillement d’avant match.

J’arrive un peu en retard, à 17h30 au lieu de 17h00 et je suis un peu nerveux car je voudrais que la démonstration de ma méthode d’ouverture soit la plus éclatante possible, mais François Parent est aussi nerveux que moi, car il n’ouvre jamais aussi tôt des flacons aussi antiques. François ouvre tous les flacons postérieurs à 1947 et j’ouvre tous les plus anciens. Les bouchons d’origine ont le haut qui est très sec et se brise comme la croûte d’un lac asséché. Mais le bas des bouchons est très souple. Les bouchons collent aux parois et s’enlèvent avec difficulté mais viennent entiers, sauf celui du Pommard 1886 qui se déchire en morceaux. François s’étonne que nous trouvions très bons des vins aux odeurs désagréables, mais il accepte l’expérience. Anne-Françoise me montre le menu et me demande comment je répartirais les vins pour des plats qui n’ont pas tous été conçus pour eux, puisque les vins de mon ami et les miens n’étaient pas annoncés.

Le menu élaboré par Anne-Françoise Gros est le suivant : terrine de poisson, coquilles Saint-Jacques sur lit de Vosne-Romanée / les grives du Vaucluse à la broche / le rôti de biche, purée de céleri, pomme de terre et truffes sauvages / plateau de fromages de Bourgogne / tarte aux pommes et coings de Pommard / ananas rôti, brochette de citronnelle, crème au gingembre.

Nous prenons l’apéritif devant la cheminée où une compagnie de grives tourne à la broche, chaque volatile étant séparé des autres par des tranches de lard, deux demi-pains placés sous les grives recueillant les suintements de cuisson. Le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1983 que j’ai apporté est de belle acidité, de grande fraîcheur, qui remplit agréablement la bouche. On n’a pas la densité ou la complexité de champagnes typés comme Salon ou Krug, mais on a une expression très confortable d’un beau champagne. Il faut s’accoutumer au champagne Mahu blanc de blancs 1952 apporté par mon ami, car il a perdu sa bulle, a une couleur ambrée, et offre un vin très prononcé qui évoque un peu les vins du Jura, avec moins de force. Tout le monde étant amateur, le vin est très apprécié. Il a toutefois plus vieilli qu’il n’aurait dû, ce qui n’enlève rien à son intérêt.

Nous passons à table et sur la terrine sont prévus deux vins : un Echézeaux domaine Gustave Gros en demi-bouteille 1976 et un Pommard Chaponnières en magnum domaine Parent 1990. Le Pommard est d’une jeunesse joyeuse, avec un beau fruit et mon cousin l’adore et ne cessera de le répéter. Le 1976 est d’une grande personnalité, ne montre aucune sécheresse, et ne souffre pas du format de son flacon. Nous en boirons deux, de très belle qualité. Les deux vins sont dissemblables mais cohabitent bien et l’accord avec le plat est pertinent. J’aime beaucoup le message du 1976.

Sur les grives, j’ai voulu associer le Pommard Epenots domaine Parent en Jéroboam 1964 avec le Pommard Epenots domaine Parent 1933. Et ça marche très bien. On est frappé par la similitude du goût entre les deux, qui sont l’expression du terroir du domaine Parent. Le 1964 est épanoui, un peu amer et le 1933, année que mon ami et moi aimons particulièrement, se montre d’une très belle complexité pour l’année, la plus belle des années 30, sans être une année de grand rayonnement. Le 1933 nous plait beaucoup.

Sur le rôti de biche nous aurons deux séries des vins des plus beaux millésimes. La première série comporte le Pommard Epenots domaine Parent 1959 et le Pommard Epenots domaine Parent 1947. Le plus jeune est d’une grande élégance et d’une légèreté qui trace un long parcours en bouche. Le contraste est saisissant avec le 1947 plus rond, plus plein, plus complexe, de plus grande richesse. Je suis assez abasourdi par la perfection du 1947 alors que mon cousin ne voyait pas tant de différence avec le 1959. François Parent constate qu’une ouverture faite plusieurs heures avant arrondit les vins et que le vin est bon de la première gorgée à la dernière, puisqu’il a profité longtemps de son aération.

La deuxième série comprend le Pommard Epenots domaine Parent 1928 et le Pommard Epenots domaine Parent 1915. Pourrait-on imaginer deux vins plus dissemblables et aussi parfaits, chacun dans son registre ? Le 1928 est dans la lignée du 1947, mais il a tout en plus. Mon ami et moi disons immédiatement que pour un 1928, il a tout de 1928. Mais il a plus que cela. Il est puissant, solide, charpenté, complexe, d’une présence en bouche spectaculaire. On dirait que c’est le Pommard parfait, qui paraît plus joyeux que les Pommard du début de repas. Anne-Françoise dit en buvant le 1915 : « c’est de la rose ». Et je raconte l’anecdote du premier repas que j’avais partagé avec Alain Senderens pour lequel j’avais apporté mon chouchou Nuits-Saint-Georges les Cailles Morin 1915. Alain l’avait adoré et avait demandé à un maître d’hôtel de chercher des pétales de rose. Et nous avions mâché des pétales de rose et bu le 1915 pour un accord divin. Anne-Françoise venait de retrouver la même évocation qu’Alain sur un vin de la même année. Le 1915 est un vin d’une sensualité invraisemblable. Il est sexy, déroutant, aguichant, et nous entraîne sur des pistes gustatives que nous n’aurions pas imaginées. Il y a quelques similitudes entre le 1915 et le 1933, le plus vieux ayant un charme très nettement supérieur. Nous étions assez impressionnés que l’on puisse avoir ensemble le 1928 sûr de lui et dominateur et le 1915 romantique, panier de roses d’un charme féminin.

Je souhaitais que les deux plus vieux vins se dégustent sans plat, mais nous avons picoré du fromage, le chambertin se prêtant bien à la mise en valeur de ces deux ancêtres. Le Pommard Epenots domaine Parent 1904 a une couleur assez ahurissante que François connaît bien, très rouge sang ce qui est presque invraisemblable pour cette année. Le vin est bon, agréable, typé, expressif, mais on commence à ressentir les effets de l’âge même si le vin est ingambe. Le Pommard Epenots domaine Parent 1886 est émouvant. Il provient de vignes pré phylloxériques qui ont été arrachées en 1895. Le vin qui était d’un niveau bas est encore vivant et François constate avec plaisir son agilité. Mais on le boit plus comme une relique émouvante que comme un grand vin. Un détail m’a frappé : François connaît tout de l’histoire de chaque année et explique le goût de chaque vin par la climatologie et les décisions qui en découlent.

Nous allons sur le fromage faire une constatation percutante de précision. Le Pommard Epenots domaine Parent en magnum 1985 et le Pommard Epenots domaine Parent en magnum 1978 sont des vins qui font un saut de presque un siècle avec le vin que nous avions quitté. Et si la jeunesse est belle, les vins nous apparaissent à ce moment comme trop jeunes, pas assez structurés, pas assez assemblés, pas assez homogènes. Des vins qui ont plus de vingt ans semblent des gamins comme des vins de l’année.

Mon ami est bien triste, car son Vouvray Clos du Bourg Huet 1959 est agréable, mais à cent coudées de ce qu’il peut montrer, comme s’il avait un rhume. J’ai apporté deux liquoreux. Le Domaine du Pin 1ères Côtes de Bordeaux 1937 que j’ai annoncé comme étant un sauternes, et de 1941, car la bouteille n’avait pas d’étiquette a un nez joliment agrume. En bouche, les agrumes sont présents, mais le vin manque un peu de coffre. Le Château Rayne-Vigneau 1936, très ambré a un nez de caramel. Anne-Françoise y voit du chocolat que j’ai du mal à trouver. En bouche c’est très caramel et s’harmonise bien avec la sauce de l’ananas confectionné par le couple de convives hollandais qui participe au repas. Ce vin sera très favorisé dans les votes, mais je trouve que les deux liquoreux que j’ai apportés, tout comme le Huet, jouent petit bras lors de cette soirée.

Au-delà de deux heures du matin, sous un ciel étoilé, les volutes cubains forment les seuls nuages et se marient à une fine de Bourgogne Parent que l’on peut dater entre 1890 et 1904, provenant d’un fût de 228 litres évaporé pour ne laisser que 50 litres environ lors de la mise en bouteilles. De sa naissance à 70°, il reste encore une force alcoolique à percer les murailles. Nous avons voté pour les quatre vins qui ont été les plus appréciés. Malgré de belles disparités, le consensus se fit largement sur les deux premiers. Le vote du consensus serait : 1 – Pommard Epenots domaine Parent 1915, 2 – Pommard Epenots domaine Parent 1928, 3 – Pommard Epenots domaine Parent 1947, 4 – Château Rayne-Vigneau 1936. Mon vote est presque le même, le sauternes étant remplacé par le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1983.

Je tirerais de cette magnifique verticale les enseignements suivants. La période d’excellence de ce Pommard est entre 1959 et 1915. Les plus jeunes n’ont pas encore atteint la rondeur qui les met en valeur, et au-delà de 1915, les vins plus vieux, même intéressants, sont aujourd’hui des témoignages historiques plus que des sérénités gustatives. Ils ont dépassé leur seuil d’intérêt, alors que le 1928 par exemple montrera une longévité quasi infinie. Le plus grand sujet de fierté pour moi est le succès total de ma méthode d’ouverture. François Parent a constaté que deux vins qu’il aurait écartés, le 1933 et le 1886, ont été à la hauteur de ce qu’il attendait. C’est la première fois que dans ces verticales, il n’a pas été obligé d’ouvrir des bouteilles de secours, et il a constaté que le vin renforcé par une oxygénation lente, se présente sur table dans l’état le plus épanoui qu’il serait capable d’offrir.

Le lendemain midi sous un soleil lourd qu’on ne verrait normalement jamais en janvier, un brunch nous réunit pour commenter le dîner merveilleux de la veille. Le 1990 est toujours aussi joyeux, le 1964 est devenu plus amer et a un peu perdu de sa superbe. Le 1985 est constant, et c’est surtout le 1978 qui s’est amélioré de façon incroyable. N’étant plus confronté au talent des 28 et 47, il montre une joie de vivre et un équilibre qu’il n’avait pas hier, qui nous réconcilie avec les vins de cet âge.

Cette verticale impressionnante, dans une ambiance amicale entre connaisseurs de vins anciens a appris beaucoup de choses à chacun.

dîner avec Lafite 45 et Fargues 51 et des surprises mercredi, 12 décembre 2007

Bipin Desai, le célèbre amateur californien qui organise les extensives verticales que j’ai racontées dans ces bulletins fait en France  plusieurs voyages par an. Depuis sept ans, j’organise le dîner « des amis de Bipin Desai » auquel je convie plusieurs vignerons amis. Alexandre de Lur Saluces sera à ce dîner. Lorsque je le rencontre au Grand Tasting, il me dit : « je reçois Bipin Desai chez moi deux jours avant. Voulez-vous vous joindre à nous ». La réponse est évidente. J’y serai.

En ces jours de décembre, le soleil se couche tôt et j’arrive dans la belle allée du château de Fargues sous un ciel sans nuage, où les étoiles nombreuses sont une des plus belles guirlandes de Noël qui se puisse concevoir. Alexandre a refait la décoration intérieure de sa maison avec des couleurs du plus bel effet. Nous sommes sept, Alexandre de Lur Saluces, Olivier et Anne Bernard du Domaine de Chevalier, Bipin Desai et un de ses amis grand collectionneur de vins et  le jeune normalien qui avait réuni Alexandre et moi pour une conférence à l’Ecole Normale Supérieure, qui prépare aujourd’hui un doctorat d’œnologie.

Le champagne Bollinger sans année est servi très frais et cela lui va bien, car il affiche une charpente forte, une pesanteur vineuse, tout en gardant une légèreté et un final enlevé. Les discussions se font en anglais avec des incursions fréquentes dans la langue de nos aïeux.

Alexandre a choisi des plats et un ordre de vins qui montrent que même à Fargues il est possible de vivre l’aventure. Les Saint-Jacques et homard en truffe accompagnent Château de Fargues 1995, ce qui est d’une pertinence maintes fois vérifiée. Le Fargues a une couleur présentant déjà des ombres de bronze, son nez est direct et en bouche, il montre une étonnante maturité. Il est déjà très affirmé, dans le fruit sec, avec une rondeur opulente qui ne l’empêche pas de laisser une trace aérienne. Je dis qu’il me fait penser au Yquem 1988 et Bipin comme Alexandre s’inscrivent en faux, mais je persiste. C’est un très beau Fargues qui vieillira bien mais se boit sans complexe maintenant. La sauce du homard lui va bien.

Alexandre a oublié de faire préparer un bouillon pour atténuer le feu du sauternes et nous gratifie d’une Côte Rôtie Cordeloux 2003 splendidement à contremploi. Ce vin serait agréable si le menu était prévu pour lui. Mais son rôle de « rince-bouche » ne lui convient pas du tout. C’est amusant de voir qu’un vin dont on se régalerait dans un repas différent peut sonner faux quand il est hors sujet. Alexandre ne s’en formalise pas, comme chacun de nous, car cela n’a pas d’importance.

Les émincés de volaille et foie gras aux morilles ont une sauce assez sucrée qu’on pourrait voir associée à un sauternes. Mais en fait c’est un Château Lafite-Rothschild 1945 qui nous est servi. J’avais déjà goûté ce vin lorsqu’Alexandre nous avait reçus, mon épouse et moi, et celui-ci est nettement meilleur et me plait énormément. Alexandre l’avait ouvert à mon arrivée deux heures au moins avant que l’on ne le serve, et son bouchon entier était venu facilement. La pureté du Lafite est exemplaire. Il s’est simplifié avec l’âge et ne garde que la partie la plus noble de sa définition. Très grand vin qui s’adapte bien au plat délicieux et aussi à sa sauce fantasque. Un grand moment. Tout le monde se moque de moi parce que je bois la lie qui m’est servie par Alain. Ce qui compte, c’est que se confirme une fois de plus que c’est dans la lie que se trouve le secret d’un grand vin.

Sur le menu qui a été imprimé pour chacun il y a deux vins à venir et deux plats. Le fromage sera suivi d’un Passy aux framboises, cependant que le Château de Fargues 1951 sera suivi d’un vin jaune Château d’Arlay 1999. Il y a sur le plateau un délicieux bleu d’Auvergne et du Comté. Je suggère donc subrepticement à Alain de verser le vin du Jura en même temps que le Fargues, pour que l’on ait le vin adapté à chaque fromage. Il se trouve que j’avais déjà réuni Bipin Desai et Olivier Bernard lors d’un de mes dîners au restaurant Ledoyen et j’avais pu constater qu’Olivier a du mal à comprendre ou accepter les vins oxydatifs. Il en fut de même pour celui-ci, bien jeune pour figurer en ce dîner après Lafite 1945 et Fargues 1951. Ce Fargues est d’autant plus intéressant que son cousin Yquem n’a pas été millésimé en 1951 pour des raisons qui n’on rien à voir avec la climatologie. Sa couleur est ambrée dans des directions de thé, l’étiquette est vert pâle comme cela s’est produit pour quelques années d’Yquem. Le nez est discret et la bouche est élégante. C’est un vin raffiné. Il a perdu de son sucre mais a gagné en personnalité. Très long en bouche, il se boit plutôt seul, car le coulis de framboise du délicieux dessert n’a jamais été un ami des sauternes qui exigent des fruits de leurs couleurs.

Il n’y a qu’Alexandre, qui en a bien ri, pour mettre une Côte Rôtie en rince-bouche et un vin jaune après son ravissant Fargues. Les discussions enjouées mais très compétentes sur le vin ont complété le tableau de ce dîner amical très réussi. Quittant la table pour le café et les cannelés, il apparaissait comme un appel pour un alcool brun. Ce fut fait avec un cognac Hennessy joyeux qui ponctua ce grand moment.

Dîner à Fargues – les photos mercredi, 12 décembre 2007

Accord sublime

Le joker, le rince-bouche !

Les bouteilles de Lafite 1945 d’Alexandre de Lur Saluces ont l’année gravée dans le verre. Je n’avais pas remarqué cette scène champêtre sur l’étiquette de Lafite.

Le coulis de fruit rouge, c’est un ennemi pour les sauternes… et pour les vins jaunes !!!

 

Magnifique Fargues 1951

Une originale position en fin de repas !!

 

Le Grand Tasting, deuxième jour samedi, 1 décembre 2007

Le deuxième jour du Grand Tasting débute sur une « Master Class » consacrée à Moët & Chandon présenté par Benoît Gouez, le chef de cave qui fait l’assemblage du champagne le plus diffusé dans le monde. D’un discours très clair nous apprenons que « la grande maison » comme on l’appelle possède mille hectares dont 600 de grands crus, et achète les raisins de 2500 hectares supplémentaires, ce qui fait 200 crus différents dont la diversité requiert du talent à l’assemblage. La vision de Benoît est « d’être sur le fruit », comme il l’explique. Sa mission est de concilier qualité et quantité.

Le champagne Moët & Chandon Brut Imperial nous est servi en magnum, comme les quatre de cette réunion. Dans l’odeur, l’alcool domine. La bulle est bien dosée. Le non millésimé doit avoir de la constance. Il est frais, bien servi. On sent qu’il y a du vin de réserve plus mûr : du 2004 essentiellement et 30% de 2002 . C’est sans doute cela qui donne un petit goût toasté. Il y a 20 à 30% de chardonnay, 30 à 40% de pinot noir et 30 à 40% de pinot meunier. Le dosage de cette cuvée est de 11 grammes. L’assemblage est au cœur de l’action.

Le champagne Moët & Chandon rosé Brut Imperial en magnum est pour moi plus rosé que champagne. Je ne l’aime pas trop. Benoît dit qu’il a une suavité anachronique dans le monde des rosés. Il y a 50% de pinot noir et 50% de pinot meunier. C’est effectivement assez confortable, mais je préfère d’une façon générale le picotement du champagne blanc à la douceur du champagne rosé.

Le champagne Moët & Chandon Grand Vintage 2000 a un nez très minéral. Ce qui frappe c’est sa douceur. Il est charmeur comme pas deux. Benoît Gouez est présent chez Moët depuis 1998 et 2000 est son premier millésime. C’est un champagne de rêve, bien fait. Il est romantique, pamplemousse et ananas et d’une belle longueur. J’ai pensé à des plats qui doivent respecter sa douceur, son charme et son romantisme, comme le ris de veau ou la coquille Saint-Jacques.

Le champagne Moët & Chandon rosé 2000 a une magnifique couleur saumon ou pèche. Le nez est assez discret. C’est un rosé bien agréable,  mais je préfère dix fois le blanc, brillant compagnon de gastronomie.

C’est intéressant de passer ensuite à la Master Class où Vianney Fabre, responsable de l’exportation, présence trois vins de Bollinger. Il raconte l’histoire de la famille et les choix très précis. Le raisin vient à 70% de vignobles de la maison qui possède 180 hectares de vignes. La maison Bollinger entretient encore à plein temps un tonnelier pour réparer les vieux tonneaux de mûrissement, puisque l’on n’utilise jamais de fût neuf, les plus vieux ayant jusqu’à quatre-vingts ans. Bollinger entretient une « librairie », que Vianney compare à une boîte à épices, de 500.000 magnums avec sucre et levure pour donner un quart de mousse. Ces magnums servent à l’assemblage des non millésimés.

Le champagne Bollinger spécial cuvée est le non millésimé de la maison. Il est particulièrement doré. Il y a plusieurs millésimes car l’assemblage comporte plus de 50% de vins de réserve. Le nez est très pur, intense. La bulle est belle. Le vin est fumé, toasté, pain d’épices. J’aime sa forte personnalité et sa grande élégance. Le final est léger, comme un coup de fouet sur la langue. Le dosage est de 7 à 9 grammes. Sa force permet d’en faire un vin de gastronomie.

Le champagne 2003 by Bollinger a été déjà décrit lors de la Master Class d’hier. Je peux vérifier que les informations données sont les mêmes ! Le nez est un peu dur. En bouche, c’est un champagne de fleurs blanches, élégant et romantique. Il est très suggestif, doux et discret. Il est très orienté chardonnay, ce qui n’est pas le style habituel Bollinger mais on sait les problèmes climatiques que cette année a connus. Il n’y a que 3,1 g de dosage. Ce vin a été vinifié à 100% en barriques et son vieillissement en bouteilles avec bouchons naturels explique la forme du haut de la bouteille, car le dégorgement est fait à la main. C’est un vin très frais, à la bulle noble.

Le champagne Bollinger Grande Année 1999 est la cuvée de prestige. Il y a 63% de pinot noir et 37% de chardonnay. Le champagne est composé de 82% de grands crus et la totalité est élevée en barrique. On sent une grande noblesse et une forte personnalité. Fort en bouche, il plombe le palais ce qui ne l’empêche pas d’évoquer des fleurs blanches. Le final est noble. Je le vois très bien être le champagne de tout un repas, car il autorise toutes les audaces culinaires. Vianney dit qu’il est féminin quand le 1997 est masculin. De bien beaux champagnes.  

Ces salons étant très fatigants par les allées et venues que l’on fait entre les stands, par les sautes de température et par de vilains rhumes qui se propagent comme les mauvaises nouvelles à la Bourse, c’est-à-dire à la vitesse de l’éclair, je suis allé déjeuner avec ma fille aînée en dégustant un Beaune Clos des Mouches rouge Maison Chanson 2005 que m’a gentiment donné l’excellent sommelier qui a réglé avec une minutie digne d’éloge le service des vins de toutes les Master Class. Le vin est joyeux et intense comme cette rencontre avec ma fille.

Je garde le souvenir d’un Grand Tasting efficace, où des vignerons de grande qualité font goûter leurs vins à un public nombreux et connaisseur. C’est pour moi l’occasion d’être proche de Michel Bettane ou Bernard Burtschy dont la connaissance du vin, de sa géographie et de son histoire ne cessent de m’émerveiller. C’est aussi l’occasion de rencontrer des vignerons que j’apprécie pour parler des plaisirs que procurent leurs chefs-d’œuvre.