Un premier grand cru classé 2007 assemblé depuis deux joursvendredi, 8 février 2008

Lors du déjeuner à la Cagouille avec Frédéric Engerer, nous avons parlé de choses et d’autres, dont le restaurant El Bulli. Frédéric me dit : « je reçois le propriétaire du restaurant dans quelques jours. Il y aura des choses intéressantes à déguster. Vous devriez venir ». Je viens.

Par un beau soleil froid du début février, l’avion glisse délicatement sur le tarmac. A l’arrivée, un chauffeur portant sur ses bras un bois de caisse de Château Latour m’attend. Il me conduit aux bureaux de Château Latour, site que je visite pour la première fois. Après une courte visite explicative conduite par Sonia qui me permet de remarquer la simplicité et l’efficacité des installations respectables, je rejoins un petit groupe formé de Frédéric Engerer, président de Latour, Pierre-Henri Chabot, maître de chai que j’avais croisé dans les chais lors de ma visite, un négociant et un courtier solidement installés dans le monde bordelais du vin et le propriétaire de El Bulli. Je reconnais avec joie le courtier qui était assis à ma droite lors du dîner de la Fête de la Fleur au Château Smith Haut Lafitte. Le monde est petit.

Nous allons goûter des vins de dix parcelles différentes qui ont été assemblés pour former le Château Latour 2007. Il y a deux parcelles de merlot et huit parcelles de cabernet sauvignon, ce qui ne préjuge en rien de la composition finale du vin, car les proportions de chaque parcelle sont très variables. Nous boirons ensuite trois vins assemblés, le Pauillac 2007 du château, les Forts de Latour 2007 et Château Latour 2007. L’expérience est surtout intéressante pour les professionnels qui ont déjà bu il y a plusieurs jours des composantes du grand vin, et reviendront les goûter à la fameuse semaine des primeurs où la presse mondiale vient juger les vins de l’année précédente en début avril ou fin mars. Le propriétaire d’El Bulli achète les vins de la cave très intelligemment constituée de ce restaurant. Il vient plus pour se forger des idées et par amitié.

Ce qui m’a frappé en goûtant ces dix composantes du grand vin, c’est l’incroyable diversité des vins assemblés. Certains sont végétaux d’autres sont fruités. Certains sont amers et astringents, d’autres ont déjà une rondeur confortable. L’un d’entre eux, atypique, a un nez de pâte de fruit, un autre de cerise, un autre de cassis, un autre de poivre. Une anecdote est amusante. Celui qui me plait le plus est le vin qui provient de la parcelle « la pièce du château », entre les chais et le château. Il se trouve que sur le chemin qui joint les deux bâtiments, d’anciens propriétaires avaient l’habitude d’alléger leur vessie. Est-ce que le recyclage de Latour de plus d’un siècle a bonifié la parcelle ? Les ADN doivent être maintenant indécelables.

Après ce tour de piste d’une diversité assez remarquable, nous goûtons les trois vins de 2007. Le Pauillac 2007 a un nez assez végétal, et en bouche, on constate immédiatement une plus grande homogénéité que pour les vins de parcelles uniques. On sent en bouche un peu d’orange sèche qui, me dit-on, disparaîtra dans quelques jours. Le vin est équilibré, rond, doucereux, mais j’ai beaucoup de mal à en dire plus.

Le Forts de Latour 2007 est beaucoup plus élégant. Le nez est calme. En bouche il est carré, poivré, fruité, de belle longueur.

Le Château Latour 2007 montre, et c’est heureux, un écart qualitatif sensible. Le nez est intéressant. L’ampleur en bouche est belle. Le vin est dans une phase calme mais on sent qu’il ne demande qu’à s’ouvrir. Je le trouve beau, sobre, pur, élégant.

Je reviens un instant au vin de la parcelle « pièce du château » que je trouve très beau. Et en retournant au Château Latour assemblé, je mesure combien il est plus complet et élégant que chacune des parcelles. C’est la magie de l’assemblage, et en entendant les propos de Frédéric Engerer, je prends conscience de la difficulté de faire les bons choix, car préjuger de l’effet d’un des vins dans l’assemblage final est tout un art.

Bravo à tous ceux qui font ces choix cruciaux.

Est-ce que cette expérience me permet de donner un avis sur 2007 ? Bien évidemment non, et il faut attendre les experts qui viendront dans un mois. Mais ayant eu la chance de boire des 2005 en mars 2006, je peux sentir que 2007 n’a pas ce calibre là.