Archives de catégorie : dîners de wine-dinners

dîner de vignerons – les vins vendredi, 3 décembre 2010

Champagne Moët Grand Vintage magnum 1959 (Jean Berchon)

Château d’Yquem 1949 (Pierre Lurton not present)

Champagne Salon 1961 (Didier Depond)

Musigny Blanc Domaine Comte de Voguë 1990 (Jean-Luc Pépin)

Musigny Vieilles Vignes Domaine Comte de Voguë 1989 (Jean-Luc Pépin)

La Romanée Liger Belair 1966 (Louis-Michel Liger-Belair)

Clos de Tart 1976 (Sylvain Pitiot)

Chambertin Armand Rousseau 1976 (Eric Rousseau)

Clos Vougeot Faiveley 1934 (Bernard Hervet)

Beaujolais Tête 1923 (François Audouze)

Champagne Dom Pérignon Rosé Œnothèque 1966 (Richard Geoffroy)

Château Haut-Brion 1950 (Sylvain Pitiot)

Château Guiraud 1904 (François Audouze)

142ème dîner et 10è dîner des amis de Bipin Desai – photos vendredi, 3 décembre 2010

photos de groupe

ce qui est spectaculaire dans cette photo, c’est que le bouchon manifestement rétréci en haut coexiste avec un niveau dans le goulot exceptionnel pour un 1904 au bouchon d’origine

les bouchons

le menu : Terrine de foie gras de canard au naturel / Consommé de volaille / Tartare de Saint Jacques au citron vert

Fregola Sarda à la truffe noire / Pièce de bœuf rôtie, servie en aiguillettes, pommes soufflées « Laurent » , jus aux herbes / Joues de veau fondantes, moelle, risotto à la truffe blanche d’Alba

Caille rôtie façon « bécassine » / Saint Nectaire fermier / Tarte fine à la mangue (celle de Sylvain Pitiot a une bougie)

les verres en fin de repas :

les participants : Eric Rousseau, Richard Geoffroy, Louis-Michel Liger-Belair, John Kapol, Jean-Luc Pépin, François Audouze, Sylvain Pitiot

Jean berchon, Bipin Desai, Eric Rousseau, Bernard Hervet, Jean Berchon

Sylvain Pitiot et Didier Depond qui inaugurait (du moins pour nous), une barbe.

10ème dîner des amis de Bipin Desai vendredi, 3 décembre 2010

Chaque année, un dîner de vignerons est pour moi comme une récompense. C’est le dixième dîner que j’organise sous le titre : "dîner des amis de Bipin Desai". Les lecteurs du bulletin et du blog savent que j’entretiens des relations très amicales avec ce grand collectionneur américain d’origine indienne, professeur de physique nucléaire à Berkeley, organisateur de dîners exceptionnels autour de vins rares. Il vient à Paris deux ou trois fois par an, et ce dîner de vignerons à Paris est en son honneur. Chacun apporte un vin et Bipin nous invite à dîner.

J’arrive au restaurant Laurent pour l’ouverture des vins. Plusieurs vins ont été rebouchés aux domaines. Très curieusement le bouchon de l’Yquem 1949 rebouché en 1998 glisse vers le bas lorsque je pique le tirebouchon. Je le monte en tournant, puisqu’il est accroché à mon limonadier mais la dernière lunule se brise. Elle a failli tomber dans le liquide. J’ai réussi à la piquer pour la faire sortir. Ce vin, offert par Pierre Lurton qui ne peut pas venir mais tenait à marquer son amitié par ce flacon, a une odeur extraordinaire de pâte de fruit de citron vert et d’orange.

J’avais dit à Louis-Michel Liger-Belair que la couleur de son vin, une Romanée 1966, me donnait des craintes, mais le vin rebouché en 1999 a un parfum invraisemblable de charme romantique. Le Haut-Brion 1950 au niveau un peu bas a un nez puissant et solide. A chacun de ces dîners, j’aime ajouter un vin étonnant. Ce soir c’est un Beaujolais Tête 1923, Tête étant le nom du vigneron, au nez d’une richesse opulente qui me ravit; le fidèle barman du Laurent qui le sent en ignorant l’étiquette n’en revient pas qu’il puisse s’agir d’un beaujolais. Le vin qui est mon apport officiel est Guiraud 1904. Le niveau est dans le goulot alors que le bouchon est d’origine. Le haut du bouchon est étriqué alors que le bas ne l’est pas. Son parfum n’a rien à envier à celui de l’Yquem. Tous les vins ont des odeurs rassurantes. Cela promet une belle soirée.

Les vins étant tous ouverts à 17 heures, j’ai le temps d’aller discuter du menu d’un prochain repas au Crillon et lorsque je reviens, Philippe Bourguignon est en train de dîner sur le comptoir du bar, selon un rite établi. C’est Alain Pégouret, le chef, qui lui apporte ses plats, ce qui est une amicale attention. Je salue le chef souriant et Philippe me propose de boire un verre de Champagne Dom Pérignon 1976 qui a été ouvert la veille lors d’une grande manifestation de champagne à laquelle participait Richard Geoffroy qui va nous rejoindre tout à l’heure. Le 1976 a perdu sa bulle, ce qui est normal. Le vineux du champagne ressort encore plus. Ce champagne est élégant, floral et finit quand même par trahir un peu de fatigue.

Les convives arrivent à l’heure dite, heureux de se rencontrer. Les participants sont nommés dans l’ordre du tour de table, dans le sens des aiguilles d’une montre : Bipin Desai, Eric Rousseau (domaine Armand Rousseau), Richard Geoffroy (Dom Pérignon), Louis-Michel Liger-Belair (domaine Liger-Belair), John Kapon (maison de vente Acker-Merrall), Jean-Luc Pépin(domaine Comte de Voguë), François Audouze, Sylvain Pitiot (Clos de Tart), Didier Depond (champagnes Salon et Delamotte), Bernard Hervet (maison Faiveley), Jean Berchon (Moët & Chandon).

L’apéritif se prend debout dans la salle ronde d’entrée. Des sticks au saumon et des bricks à tremper dans une crème épicée accompagnent le Champagne Moët & Chandon Grand Vintage Collection magnum 1959. Le nez du champagne est très intense, de fruits jaunes. En bouche l’attaque est belle et puissante, mais le vin n’arrive pas à masquer une amertume qui en limite l’attrait. Le vin est agréable mais la trace amère est insistante.

Le menu conçu par Alain Pégouret est : Terrine de foie gras de canard au naturel / Consommé de volaille / Tartare de Saint Jacques au citron vert / Fregola Sarda à la truffe noire / Pièce de bœuf rôtie, servie en aiguillettes, pommes soufflées « Laurent » , jus aux herbes / Joues de veau fondantes, moelle, risotto à la truffe blanche d’Alba / Caille rôtie façon « bécassine » / Saint Nectaire fermier / Tarte fine à la mangue.

Alors que je professe de ne jamais mettre un sauternes au début du repas, Bipin Desai a insisté pour que nous commencions par le Château d’Yquem 1949. Bipin étant la puissance invitante avec John Kapon, je n’allais pas m’opposer à ce désir. Le gras du foie gras n’est pas le meilleur compagnon du sublime sauternes et je suis obligé de le poivrer pour que l’accord puisse se faire. L’attention est évidemment portée sur le merveilleux Yquem à la couleur d’un acajou doré. Le nez est vibrant d’écorces d’oranges confites, et le vin est d’une perfection gustative absolue. Il est impossible de lui donner un âge tant il a atteint une expression sereine d’un équilibre indestructible. C’est un vin immense, riche, dont on ne peut même pas imaginer le moindre défaut. Bipin Desai prend son portable et appelle Pierre Lurton pour le remercier de ce magnifique cadeau. Il a dû entendre nos applaudissements.

La solution pour qu’un liquoreux ne perturbe pas le palais c’est qu’un consommé de volaille soit servi avec du champagne. Dans notre cas, ce n’est par n’importe lequel, car il s’agit du Champagne Salon 1961. Tout en lui est brillant. Si le consommé rétrécit un peu le champagne, il met en valeur son extrême précision. Ce champagne est – comme l’Yquem – une forme aboutie du champagne parfait. Il est beau comme la calligraphie chinoise, allant à l’essentiel. Je jubile de boire un champagne aussi serein, élégant, dogmatique, à la charpente solide. Après ce plat et ce vin, il n’y a plus aucune trace de l’Yquem et c’est donc le bon mode opératoire, même si je trouve que le sauternes a accentué le gras du foie.

Le Musigny Blanc Domaine Comte de Voguë 1990 est un vin qui me ravit. John Kapon, propriétaire de la maison de ventes qui réalise les ventes les plus incroyables aussi bien aux Etats-Unis qu’à Hong-Kong et grand dégustateur dont les notes sont très appréciées, dit qu’en Bourgogne il n’y a que deux vins blancs qui ont un gras aussi prononcé : le Montrachet du Domaine de la Romanée Conti et ce vin. Et c’est vrai qu’il a du gras, de l’onction et une présence invasive. Mais ce qui me plait sans doute le plus, c’est qu’il pianote sur des saveurs de fruits jaunes et blancs avec des variations entraînantes. Le vin est long, avec un final prononcé. C’est tout simplement un très grand vin. Le sucré de la coquille Saint-Jacques l’excite chaleureusement.

La Fregola Sarda à la truffe est un plat divin, qui mettrait en valeur n’importe quel vin. Aussi, les deux vins qui l’accompagnent vont être à la fête. Quoi de plus dissemblable que le Musigny Vieilles Vignes Domaine Comte de Voguë 1989 et La Romanée Liger Belair 1966 ? Le Musigny est un gamin prometteur, dont on sent que tout n’est pas encore totalement assemblé. C’est un adolescent boutonneux, mais qui promet d’être un jeune premier. Il a un fruit rouge intense, une mâche joyeuse, et malgré ses 21 ans, il faut encore attendre avant d’en jouir totalement. A côté de lui, la Romanée est un festival de séduction romantique. Elle est incroyablement féminine. En buvant ce vin, on se promène sur un parterre de pétales de rose. Il y a aussi du vieux parchemin, de la cendre sèche, une belle minéralité et le vin récite un madrigal charmant. J’adore cette expression follement bourguignonne. Avec Eric Rousseau, nous constatons que ce vin fait plus vieux que son âge, mais ça lui va bien. L’accord du plat avec les deux vins est magistral.

La pièce de bœuf est aussi un compagnon des vins qui est remarquable. Lequel des deux 1976 va-t-on préférer ? Le Clos de Tart 1976 est un solide gaillard, bien assis sur ses jambes, à l’alcool présent et au fruit dominant. Le Chambertin Armand Rousseau 1976 est plus bourguignon, mais plus versatile. Il est riche, mais moins fruité et moins puissant que le Clos de Tart. Il joue plus de son charme. Lequel préférer, j’en suis bien incapable.

Sur les joues de veau fondantes, le Clos de Vougeot Faiveley 1934 est d’un fruit rouge insolent de jeunesse. Ce vin n’a pas d’âge et dégage une séduction de star de cinéma. On boit ce vin généreux joyeux, facile mais qui trompe son monde car il est complexe, comme s’il s’agissait d’un vin de moins de trente ans. A côté de lui, je suis content d’avoir ajouté une de ces curiosités que j’aime toujours inclure à côté des grands vins. Car le Beaujolais Tête 1923 a un nez présent, et un corps que ne renieraient pas beaucoup de bourgognes de cet âge. Bien sûr, il n’a pas une complexité extrême, mais ce beaujolais tient bien sa place avec cran et réussite. Et je ne le trouve pas oxydé comme le suggère Bipin.

J’ai souhaité que le Champagne Dom Pérignon Rosé Œnothèque 1966 apparaisse à ce moment du repas. Sur les cailles délicieuses, c’est l’occasion d’un bel accord, même s’il ne tire pas du champagne tout ce que l’on aimerait provoquer. Le champagne à la couleur de pêche qui jaunit progressivement dans le verre est absolument divin. A l’instar de plusieurs vins qui précèdent, nous goûtons une forme pleinement aboutie d’un champagne rosé parfait. Le champagne rosé n’est pas ce que je recherche spécialement. Mais sous cette forme, c’est un vrai bonheur, accompli, goûteux, fait de fruits jaunes délicats. Dans l’accord avec la caille, c’est lui qui est le mâle dominant.

Aujourd’hui Sylvain Pitiot fête ses soixante ans. Il a souhaité ajouter un vin de son année et je l’y ai aidé. C’est le Château Haut-Brion 1950 au nez de truffe et à la présence extrêmement dense qui marquera son anniversaire. Le vin est riche, brillant, d’un grand équilibre. C’est la truffe très dense qui domine dans son empreinte d’une grande longueur.

Une tarte fine avec en son centre une bougie est apportée à Sylvain que nous applaudissons. Le Château Guiraud 1904 a une magnifique couleur d’un or cuivré. Le nez est subtil et le vin n’a pas de signe d’âge. Il n’a pas la puissance tonitruante de l’Yquem 1949, mais il est, pour ses 106 ans, un sauternes équilibré et sans défaut comme je les aime. De tels vins me font vibrer.

Avec des vignerons qui ont apporté leurs vins, il n’est pas question de voter. Mais comme j’ai pris l’habitude de compter ces dîners annuels dans les dîners de wine-dinners, il prendra le n° 142 et il me faut faire un vote. C’est particulièrement difficile, car tous les vins ont été d’une qualité exceptionnelle. Je suis bien embarrassé et finalement, le choix est : 1 – Château d’Yquem 1949, 2 – La Romanée Liger Belair 1966, 3 – Champagne Salon 1961, 4 – Champagne Dom Pérignon Rosé Œnothèque 1966, 5 – Clos de Vougeot Faiveley 1934, 6 – Musigny Blanc Domaine Comte de Voguë 1990.

L’ambiance de ce dîner a été caractérisée par l’amitié. Les rires ont fusé, portés par la joie d’être ensemble. Chacun sentait qu’il vivait un de ces chauds moments où se partagent les grands vins. De tels événements sont un grand bonheur et un grand honneur pour moi, car boire les vins que j’aime avec les vignerons que j’aime, c’est un cadeau que très précieux. La cuisine a été une fois de plus remarquable, les accords étant d’une pertinence extrême. Daniel a fait à nouveau un service des vins de grande qualité. Ce repas est un vrai cadeau de Noël alors que l’Avent vient de commencer.

141ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 11 novembre 2010

ajouté : Champagne Laurent Perrier rosé Cuvée Alexandra 1998, en mémoire de Bernard de Nonancourt, récemment décédé

Champagne Charles Heidsieck 1955 (prévu, mais enlevé du fait de défections d’inscrits)

Champagne Krug 1988 (prévu, mais enlevé du fait de défections d’inscrits)

"Y" d’Yquem 1988

Chevalier-Montrachet Antonin Rodet 1987

Château Cheval Blanc 1955

Château Palmer 1959

Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1982

Château Guiraud Sauternes 1971 (prévu, mais enlevé du fait de défections d’inscrits)

Château Filhot 1935

141ème dîner de wine-dinners – photos jeudi, 11 novembre 2010

Photos de groupe (trois vins ne seront pas inclus dans ce dîner, car nous ne sommes que six au lieu de 10 pour lesquels ce dîner était prévu)

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les bouchons

Emusion d’oursins / un autre amuse-bouche / Crevettes poêlées minute

Moules et girolles de Sologne / Encornets farcis et senteurs de Speck / Foie Gras poêlé

Perdreau rôti en cocotte / Fromages / Clémentines rôties.

141ème dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol mercredi, 10 novembre 2010

Le 141ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Patrick Pignol. Nicolas, le fidèle sommelier qui a déjà servi le vin de neuf de mes dîners faits en ce lieu, observe une fois de plus cette opération et vient sentir les vins. Les parfums des deux bordeaux rouges sont capiteux et profonds, celui du Palmer 1959 étant plus riche que celui du Cheval Blanc 1955. Le souci vient de La Tâche 1982. Quand j’ai fait les photos des vins en cave, le vin me paraissait clairet. Je me suis demandé s’il y avait un début de dépigmentation mais il n’en était rien. La bouteille me paraissant convenable, elle avait été conservée au sein du groupe de vins. Lorsque je la prends en mains sous la lumière beaucoup plus crue que celle d’une cave, le liquide ressemble plus à un jus de grenadine qu’à un vin. J’ouvre le bouchon, plus fatigué qu’il ne le devrait dans sa partie haute, mais très convenable dans sa partie basse. Le nez du vin n’est pas très expressif mais pas désagréable. Je verse un peu dans un verre et la couleur est manifestement trop claire. Au goût, le vin n’est pas à rejeter, mais il n’exprime rien. Pour moi la cause est entendue, le vin est mort. Le Filhot 1935 a un parfum miraculeux.

La liste des vins a été prévue pour une table de dix personnes, comme à l’accoutumée. La date ayant été mal choisie puis que nous sommes la veille d’un jour férié, nous ne serons que huit. Parmi les inscrits il y a un couple d’amis marocains dont la femme a demandé que mon épouse assiste au dîner pour qu’elles puissent deviser sur des sujets dont le vin n’est pas l’épicentre. Or ma femme ne boit pas. Nous ne serons que sept buveurs. Bernard de Nonancourt étant décédé une semaine avant ce repas, j’avais jugé opportun que nous rendions un hommage à sa mémoire en début de repas, aussi ai-je ajouté un champagne Laurent Perrier au programme. Sept buveurs et onze vins, c’est un peu trop. Je décide donc de ne pas ouvrir le Guiraud 1971. Dix vins pour sept, c’est encore beaucoup. Mais nous avons un jour férié à suivre pour nous reposer.

Toutes les bouteilles sont ouvertes, sauf les champagnes, et c’est alors que je reçois un appel téléphonique. L’amie marocaine est bloquée à l’aéroport car dans la zone internationale elle s’est fait voler son passeport. Par ailleurs son mari qui est à Paris s’est alité car il ne se sent pas bien. Les coups de fil s’échangent, la volonté de venir est là, mais au fil des heures une évidence s’imposera : ils ne viendront pas.

Reprenons donc notre équation : huit personnes dont sept buveurs moins deux, cela fait une table de six dont cinq buveurs. Dix vins pour cinq, cela commence à ressembler à un combat inégal. Un ami français vivant en Australie, fidèle de mes dîners, étant venu me rendre visite au restaurant de Patrick Pignol, je lui demande s’il peut se libérer pour participer au dîner. Il a réservé dans un autre restaurant pour retrouver deux amis. Il semble difficile de modifier son programme.

La variable d’ajustement, ce sont les champagnes qui ne sont pas ouverts. N’ayant aucune envie de supprimer l’hommage que je veux rendre à Bernard de Nonancourt, ce sont les deux autres champagnes qui seront sur la touche. Nous sommes donc dans la formation suivante : cinq buveurs et huit vins. Courage !

Sur les six présents il y a trois nouveaux. Quand j’annonce la très certaine mort de la Tâche 1982, la tristesse se lit sur les visages. Nous sommes prêts à passer à table. Nous prenons l’apéritif sur le Champagne Laurent Perrier rosé Cuvée Alexandra 1998, dont le prénom est celui d’une des filles du regretté président de Laurent Perrier. Le champagne lui-même rend hommage à ce grand personnage du monde du vin, car c’est certainement le meilleur que je n’aie jamais bu de cette cuvée. Bernard aurait été heureux de savoir que nous l’avons adoré, avec sa magnifique couleur d’un rose pur, sa bulle active et élégante et un goût de plus en plus cohérent, riche et profond. Patrick Pignol qui a bu une coupe avec nous décide de nous préparer, après avoir recueilli notre avis, une émulsion d’oursins dans une coquille d’œuf. Le mariage est pertinent et nous ravit.

Patrick Pignol prépare toujours ses menus au dernier moment, en fonction des achats qu’il fait à Rungis, à une heure où tout le monde dort. Voici le menu qu’il a composé : Crevettes poêlées minute / Moules et girolles de Sologne / Encornets farcis et senteurs de Speck / Foie Gras poêlé / Perdreau rôti en cocotte / Fromages / Clémentines rôties.

Le "Y" d’Yquem 1988 a une couleur de belle jeunesse, sans le moindre signe d’un début de brunissement. Le nez est très riche, évoquant les grains de raisin d’Yquem que l’on presse. En bouche le vin est plein, opulent, joyeux, avec une légère sucrosité malgré sa belle rigueur. Son final est très prononcé. Le deuxième amuse-bouche, dans lequel j’ai le souvenir d’une purée de céleri, ne vibre pas avec le vin, alors que l’accord avec les crevettes est saisissant. Ce sera le plus bel accord du repas. Il montre à quel point une cuisine exacte amplifie le message d’un vin. Cet "Y" d’une belle année est porté, par cet accord, à son plus haut niveau.

Le Chevalier-Montrachet Antonin Rodet 1987 a un nez d’une minéralité impressionnante. Il sent la pierre à fusil à cinq pas. Alors que le "Y" avait des rondeurs appétissantes, le Chevalier Montrachet, d’une puissance étonnante pour son année, est d’une rigueur d’ascète. C’est la droiture sans fioritures ! Le plat de moules est délicieux mais le mariage mets et vin ne crée aucune vibration. Les très bons encornets s’accordent mieux au vin, sans toutefois le dérider. Si sa puissance m’a étonné, sa sévérité l’a laissé "droit dans ses bottes", peu accueillant aux plats proposés.

Sur le foie gras poêlé aux haricots blancs, nous allons boire deux icônes du vin bordelais. Les couleurs sont belles, celle du Château Cheval Blanc 1955 étant la plus foncée. Le nez du Château Palmer 1959 est le plus charmeur. En bouche, la séduction du Palmer entraîne l’adhésion des convives, alors que je suis absolument enthousiasmé par la profondeur de trame du Cheval Blanc. Elle est même particulièrement impressionnante. Il est assez probable que ma jubilation à boire le 1955 aura influencé les votes en fin de repas, alors que tout le monde a apprécié le Palmer 1959 pour sa vivacité charmeuse, vin épanoui à la jeunesse folle. J’ai tellement insisté sur la richesse profonde de la trame du Cheval Blanc 1955, vin d’une richesse incroyable devenu intemporel tant il est parfait, que ma préférence est devenue contagieuse. Le foie gras n’ajoute rien à la performance des bordeaux. Les deux vins très différents ont une caractéristique commune, c’est d’avoir atteint un niveau d’équilibre indestructible qui rend impossible de leur donner un âge. Le 1955 confirme son statut au plus haut niveau de la hiérarchie des Saint-Emilion. Le Palmer, par son charme et son élégance, a tout d’un grand margaux, l’un des Palmer les plus réussis.

Nombreux sont ceux qui pensent que les bourgognes n’auront pas la partie belle après ce feu d’artifice de saveurs inégalables. Mais je connais par cœur le Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961 qui n’a jamais failli à sa mission de conquérir les cœurs. Son nez est déjà un brevet de perfection. Son charme est redoutable et la bouche le confirme. C’est un bourgogne serein, équilibré, tranquille, très sûr de son effet. J’adore ce vin. Le perdreau est brutal tant il est faisandé. Il pourrait se concevoir, mais il est trop violent pour ce vin. Un rejet se produit entre le vin et lui. Nicolas nous sert maintenant La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1982. Qui pourrait croire qu’il s’agit du vin que j’ai annoncé mort ? Sa couleur s’est foncée. Son nez a gagné en pureté, même s’il est très discret et en bouche, on retrouve des caractéristiques habituelles des vins de la Romanée Conti, la rose et le sel. Un convive, tellement heureux que le vin ne soit pas ce que j’avais dit, le classera premier de son vote, ce qui est manifestement excessif, mais nous sommes loin du désastre annoncé. Le vin peut se boire mais ne peut pas cacher qu’il n’est pas ce qu’il devrait être. C’est le soldat marathonien épuisé qui peu avant de s’évanouir a la force de réciter des bribes du message pour lequel il avait couru.

Une tomme, un reblochon et un saint-nectaire sont de bons compagnons des dernières gouttes des deux bourgognes.

Le Château Filhot 1935 est d’une couleur particulièrement jeune. Le nez est généreux, puissant, de fruits jaunes plus que d’agrumes. En bouche, c’est la solidité absolue du beau sauternes. Là aussi, voici un vin dont l’accomplissement et l’équilibre signifient qu’il n’a pas d’âge, devenu intemporel comme les beaux vins qui l’ont précédé. L’accord se trouve plus sur le soufflé que sur la clémentine un peu sucrée.

Il est temps de passer aux votes et nous ne sommes que cinq à voter. Deux vins figurent dans les votes de tous les votants, le Cheval Blanc 1955 et le Chambertin 1961. Trois ont eu des votes de premier, les deux qui viennent d’être cités et La Tâche 1982 (eh oui !). Tous les vins et le champagne figurent dans au moins un vote, sauf le Chevalier Montrachet 1987.

Le vote du consensus est : 1 – Château Cheval Blanc 1955, 2 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 3 – "Y" d’Yquem 1988, 4 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1982, presque à égalité avec Château Filhot 1935.

Mon vote est : 1 – Château Cheval Blanc 1955, 2 – Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1961, 3 – Château Filhot 1935, 4 – "Y" d’Yquem 1988.

L’un des participants venant de Marseille a rencontré sur place un ami qu’il n’avait pas vu depuis dix ans. Il s’est déplacé en fin de repas à sa table où l’on m’a fait boire un vin blanc jeune à la simplicité déroutante après ces grands vins.

J’ai préféré la première partie du repas à la seconde qui a apporté peu de vibrations aux vins. Dans une ambiance familiale toujours aussi chaleureuse et attentionnée, malgré les changements de casting, nous avons passé une excellente soirée marquée par quelques vins quasi "éternels".

140ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 7 octobre 2010

Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1971

(par comparaison, voici le look de René Lalou ajourd’hui )

Champagne Dom Pérignon 1964

Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 2001

Pétrus 1976

Château Mouton-Rothschild magnum 1990

Château Haut-Brion 1982

Château Latour 1982 (je n’ai pas enlevé le papier)

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983 (non annoncé sur le programme – ce sera une surprise !)

Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990 (je n’ai pas enlevé le papier)

Jurançon Clos Prat # 1959

Château d’Yquem 1966

140ème dîner de wine-dinners – photos jeudi, 7 octobre 2010

La table qui nous est réservée au restaurant Laurent

Les photos de groupe

Quelques photos des bouchons. On remarque le gonflement du bouchon de La Tâche 1983

Le menu créé par Alain Pégouret

Coquilles Saint Jacques marinées au curry

Tronçon de turbot nacré à l’huile d’olive, bardes et légumes verts dans une fleurette iodée

Selle et carré d’agneau de Lozère rôtis en persillade, fleurs de courgettes farcies d’une mousseline aux girolles, une pointe d’oseille

Joues de veau fondantes, moelle, risotto à la truffe blanche d’Alba

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Perdreau aux cèpes

Filet de Chevreuil relevé au poivre de Sarawak, betteraves jaunes caramélisées au coing, mille-feuille de pomme gaufrette au chou rouge

Macaron à la poire

Pêche tiédie

La magique couleur de l’Yquem 1966

Le champ de bataille…

140ème dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 7 octobre 2010

Le 140ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. Lorsque j’arrive au restaurant, par une chaude journée ensoleillée de début octobre, le lieu ressemble à une ruche bourdonnante, car le déjeuner s’est tenu dans le jardin et le dîner se tiendra en salle. Daniel, fidèle sommelier rompu à mes dîners apporte les bouteilles d’abord pour la photo de groupe des vins de ce soir, puis pour leur ouverture.

Le nez du Haut-Brion 1982 me donne une occasion qui n’a jamais été aussi nette de sentir le cuir. Sa densité olfactive est extrême. Son bouchon vient facilement car il adhérait peu au goulot, le liquide étant remonté haut, alors que celui du Latour 1982 est difficile à extirper tant il est serré. Le nez du Latour est salin. Le bouchon du magnum de Mouton 1990 est d’une magnifique qualité. Il est très serré dans le goulot. Le nez est de fruits rouges. Le bouchon du Pétrus 1976 est parfait et le vin a un nez de truffe. Le bouchon de La Tâche 1983 est tellement serré que je n’arrive pas à le tirer avec la mèche longue que j’utilise habituellement. Il me faut le limonadier qui fait surgir un bouchon qui double presque de volume lorsqu’il est libéré. Le nez salin est très prometteur.

J’avais annoncé un Jurançon autour de 1959 en l’absence d’indication de millésime. Le bouchon me permet de lire 1957. Le nez d’écorce d’orange est discret mais subtil. L’Yquem 1966 a un nez éblouissant, tonitruant de fruits bruns confits. Je fais sentir le vin au chef Alain Pégouret qui accepte de modifier le dessert prévu au profit de mangues tiédies.

Tout le monde est à l’heure et l’apéritif se prend dans le jardin car il fait encore assez chaud. Arrive alors un incident qui est le premier du genre sur tant de dîners : l’un des convives, arrivé le premier et avec qui j’avais à peine commencé de parler m’annonce un événement majeur qui le conduit à s’éclipser, ce qu’il fait sans que j’aie le temps de formuler la moindre phrase. Philippe Bourguignon, le célèbre directeur du restaurant fait au plus vite dresser la table pour neuf couverts au lieu de dix. J’avais rajouté un vin au programme déjà copieux. Nous ne manquerons pas de quoi boire.

Nous sommes neuf dont ma fille et mon gendre invités par un couple d’amis, une dynamique sommelière, un ami de longue date du temps de ma vie industrielle venu avec un collègue et ami, un célèbre animateur de relations publiques dans le monde du vin et de gastronomie et moi. Il y a quatre nouveaux participants.

Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou 1971 est d’une couleur ambrée légèrement grise. La bulle est presque éteinte mais le pétillant est présent. Le nez évoque une discrète tisane de fruits bruns, parfum très raffiné, et en bouche ce sont des fruits jaunes et bruns délicats qui enchantent le palais. Ce champagne est un Fregoli car il va changer de saveurs tout au long de sa dégustation. C’est sa délicatesse qui le caractérise le mieux. Il se boit sur des allumettes au parmesan et des beignets de merlan à la sauce tartare.

Nous quittons le jardin qui aurait pu accueillir notre dîner malgré le léger fraîchissement et nous passons à table. Le menu créé par Alain Pégouret est ainsi conçu : Coquilles Saint Jacques marinées au curry / Tronçon de turbot nacré à l’huile d’olive, bardes et légumes verts dans une fleurette iodée / Selle et carré d’agneau de Lozère rôtis en persillade, fleurs de courgettes farcies d’une mousseline aux girolles, une pointe d’oseille / Joues de veau fondantes, moelle, risotto à la truffe blanche d’Alba / Perdreau aux cèpes / Filet de Chevreuil relevé au poivre de Sarawak, betteraves jaunes caramélisées au coing, mille-feuille de pomme gaufrette au chou rouge / Macaron à la poire / Mangue tiédie.

Le Champagne Dom Pérignon 1964 est d’un ambre plus doré que celui du Mumm. Son nez est plus intense, et en bouche, il est tout ce qu’était le Mumm mais en plus voluptueux et généreux. C’est un immense champagne. Mon amour pour ces champagnes anciens est sans limite. Avec la coquille Saint-Jacques sucrée-salée, le champagne trouve une longueur infinie. C’est un régal fait de jolis fruits, comme trempés dans un sauternes.

Le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 2001, après deux champagnes kaléidoscopiques, est totalement rassurant. C’est un vin "pullman". Car on s’installe avec lui dans un canapé profond, on le déguste sans histoire tant son goût est rassurant. C’est un vin blanc élégant, fruité, de plaisir, très jeune encore. Il accompagne le plat qui est sans doute le meilleur du repas avec la joue. La cuisson du turbot est parfaite et le plat est d’une cohérence absolue. Le Guide Michelin serait bienvenu de s’en apercevoir.

Sur l’agneau nous avons deux vins dont un magnum. Nous ne manquerons de rien. Le Château Mouton-Rothschild magnum 1990 a un nez assez simple, mais profond. En bouche, s’il est un peu monocorde, je trouve qu’il délivre un message beaucoup plus profond que ce que j’attendais. Les tannins sont présents et bien dosés. C’est un vin de grand plaisir qu’une des participantes gratifiera d’une place de premier. A côté le Pétrus 1976 est d’une richesse et d’une complexité plus marquées. C’est un vrai vin de plaisir, avec une belle noblesse. Ce vin combine force, profondeur et souplesse. Le bois est présent, la truffe est sensible, la longueur est remarquable. C’est un vin de grand plaisir.

Mais notre intérêt se tourne vers un couple diabolique, mis en valeur par un plat magistral. Le nez du Château Haut-Brion 1982 fait une OPA sur le risotto. Car le parfum du Haut-Brion devient truffe blanche, alors que le parfum du Château Latour 1982 reste totalement indifférent au tsunami odorant du tubercule. Le nez du Latour est d’une subtilité rare. Si le Haut-Brion s’accouple avec le risotto, le Latour conte des madrigaux charmants à la moelle délicieuse, le gras mettant en valeur sa finesse. Le Haut-Brion est droit dans sa définition historique, avec une densité de trame unique, et le Latour est d’une finesse et d’une élégance spectaculaires. A cet instant, je sens qu’une majorité de la table penche vers le Haut-Brion. Je trouve le Latour absolument sublime, une expression exceptionnelle de la pureté d’un bordeaux de 28 ans. Il tutoie les sommets du vin de Bordeaux, et sera dans vingt ans une icône indéboulonnable. Le fameux 100/100 Parker est déjà pour lui. La joue de veau est un délice majeur qui met en valeur les deux vins.

Depuis quelque temps, j’ajoute des vins aux dîners, parce que ça me fait plaisir, sans que je le considère comme une obligation. Ce dîner comportant un nombre significatif de vins dits "vins d’étiquettes", j’ai voulu ajouter une icône bourguignonne, ce qui a fort enchanté mes hôtes. Avec La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983 on tourne une page de la beauté du vin. Pour le Domaine, l’année 1983 n’est pas considérée comme une grande année, et cette Tâche a tout pour contredire les archives. Car ce vin est magistral. Salin, il évoque la rose au nez et en bouche de la plus persuasive des façons. Qu’on est bien avec ce vin clairet, rose, follement bourguignon, à l’extrême longueur. C’est un vin d’une belle sensualité. Comme cela arrive souvent, ce vin allume des tas de petites lumières dans mon cerveau, rappelant les meilleurs souvenirs que j’ai eus avec les vins du domaine de la Romanée Conti, avec son sel, sa rose, et toutes ces amertumes contrôlées, signes de pureté de ces vins mythiques.

Arrive maintenant un vin gratifié d’un 100/100 par Parker, qui fait partie, pour moi, des plus grandes réussites des vins que j’appelle jeunes. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990 est un monument. Ce vin est en train d’évoluer. C’est la première fois que je le trouve si bourguignon. Car il a moins la pétulance du fruit et joue plus sur l’élégance saline. C’est un vin dont je ne cache pas mon amour, qui prendra un jour un statut de légende. Il est généreux, ample, vivant, et diffuse du bonheur. Le chevreuil est goûteux et se marie merveilleusement bien.

Il y a toujours un ou deux fantassins dans ces dîners, aussi est-ce le rôle du Jurançon Clos Prat 1957 que j’avais annoncé proche de 1959, et daté précisément par son bouchon. Sa couleur est très belle, d’un orange pur ensoleillé. Le nez est discret et ce vin très pur joue dans une discrétion qui n’exclut pas la personnalité. Le macaron est diaboliquement bon et l’accord se trouve, le plat dominant le vin mais l’acceptant.

Patrick Lair, tel un Vatel contrit, vient confesser qu’il n’y a pas de mangue et que le dessert sera à la pêche. Va pour la pêche. Le Château d’Yquem 1966 à la couleur divine d’abricot et d’acajou a un nez à se damner. En bouche il est soleil, riche, profond, merveilleux Yquem en pleine possession de ses moyens, avec un final en fanfare. Ce qui est à noter, c’est que l’Yquem ne range pas le Jurançon au rang des accessoires. Il avait sa place dans ce repas.

Nous sommes neuf à voter. Seuls deux vins n’ont pas de vote, le Chevalier-Montrachet et le Jurançon. La Tâche obtient sept votes. Les vins qui ont eu des places de premier sont La Mouline avec quatre votes de premier, La Tâche et Latour avec deux votes de premier et le Mouton avec un vote de premier.

Impressionné par les quatre votes de premier de la Mouline, c’est lui que j’ai annoncé champion or en faisant un calcul au lieu d’une estimation, les quatre votes de second pour La Tâche, alors que la Mouline n’en a pas eu, conduisent au vote du consensus suivant : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990, 3 – Château Latour 1982, 4 – Château Haut-Brion 1982.

Mon vote est : 1 – Château Latour 1982, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983, 3 – Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990, 4 – Château d’Yquem 1966.

Il y avait ce soir des vins de renom en nombre plus élevé que d’habitude. Aux sourires de joie des convives, on s’aperçoit que l’on s’habitue très bien au statut de "buveur d’étiquettes". Le service du restaurant Laurent est toujours d’une efficacité remarquable. Daniel a été attentif au service des vins réalisant comme d’habitude un sans faute. La cuisine d’Alain Pégouret nous a offert deux plats du niveau de trois étoiles. Le restaurant Laurent est une des grandes tables parisiennes.

139ème dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent jeudi, 9 septembre 2010

Le 139ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Bipin Desai, le célèbre colectionneur américain participe presque tous les ans à ce repas de rentrée. Comme il aime les bourgognes, le thème de ce soir est la Bourgogne dans des années prestigieuses : 1989, 1961, 1959, 1947, 1929, 1928 et 1911. Ce matin, j’ai ajouté un vin parce que son niveau dans la bouteille nécessite qu’il soit bu vite : Vega Sicilia Unico 1941.

J’ouvre les vins à 17 heures et les trois premiers ont des bouchons extrêmement serrés dans le goulot : Yquem 1988, Caillou 1947 et le Montrachet 1989. Je me demande s’il s’agit d’un phénomène météorologique qui entraînerait l’expansion des bouchons, mais il n’en est rien, car les autres bouchons se présentent différemment. Ceux des plus vieux bourgognes, sauf le 1928 encore ferme, se brisent en de nombreux morceaux. Certaines odeurs sont merveilleuses. La plus incertaine est celle du 1929, qui évoque la serpillière humide, mais je n’ai pas trop peur.

Des amis viennent me rejoindre en fin d’ouverture des flacons. Nous bavardons en trinquant avec une coupe du Champagne Taillevent, qui est un Deutz, buvable mais peu inspiré. Sur la suggestion de Joe, ce champagne servira plus tard à nous éclaircir la bouche avant le premier champagne du repas, qui est un monument.

Notre table de dix est très cosmopolite, puisque les lieux de résidence sont Londres, Singapour, les Etats-Unis et Paris, cependant que les origines sont suisses, américaines, anglaises et russes. Nous avons le plus souvent parlé en anglais. Les profils professionnels sont variés, la banque et la finance dominant largement.

Le menu composé par Alain Solivérès est ainsi rédigé : Royale de raifort, espouma de saumon fumé / Huître Gillardeau en gelée d’eau de mer / Ravioli de langoustines, cappuccino de crustacés / Poulet jaune fermier des Landes rôti aux girolles et pommes grenailles / Mignon de veau de lait de Corrèze aux Cèpes de châtaignier / Foie gras de canard en pot au feu / Duo de roquefort, marmelade d’agrumes / Croustillant de poire au miel, glace aux amandes grillées / Palet au chocolat.

Les journaux d’aujourd’hui consacrent de très longs articles à l’avenir du restaurant Taillevent aussi fais-je en riant l’annonce du retrait de tous mes vins au profit d’un seul : Phélan-Ségur. La famille Gardinier, qui possède ce grand cru et aussi le restaurant Les Crayères à Reims dispose d’une exclusivité de négociation avec la famille Vrinat pour une prise de participation. Toute l’équipe est très sereine, car il y a peu de raisons que l’âme de Taillevent change. Personne ne croit mon changement de vin puisque les bouteilles ouvertes trônent sur une desserte.

Nous passons à table dans la magnifique salle lambrissée du premier étage et le lever de rideau se fait avec un Champagne Dom Pérignon 1966 ouvert il y a près d’une heure. La couleur est légèrement ambrée mais pleine de jeunesse. L’impression de bulle sur la langue est forte, alors que la bulle ne semble pas très active dans le verre. Ce champagne est un bouquet de complexités. Mon voisin y voit du beurre et des viennoiseries, alors que je ne les vois pas, mon palais ressentant les fruits confits comme l’abricot. Ce champagne est un grand champagne et je suis ravi que toute la table le comprenne. Le raifort l’excite fort à propos. Des convives suivront son évolution dans le verre tout au long du repas. La solidité de son maintien est impressionnante.

Le Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 2000 est servi un peu chaud, ce qui est dommage, car il perd la possibilité de contrebalancer l’huître conquérante. Le champagne plus froid aurait tenu le choc. La couleur est évidemment très jeune, les bulles courent dans le verre. Le vin est puissant solide, et c’est un des plus homogènes VVF que j’aie bu. Il est beaucoup plus fruité que les précédents dégustés, avec une élégante acidité, exacerbée par l’iode pénétrant. L’huître et le champagne trouvent à s’ajuster, mais l’huître est dominante. J’attendais un peu plus de cet accord.

Le Chablis Grand Cru Moutonne Long Dépaquit 1959 est un de mes chouchous. J’ai pour ce vin les yeux de Chimène. Et il me le rend bien. La couleur est très jeune, non marquée par l’âge, et le vin, d’une belle acidité est d’une élégance rare. Il est associé sur le plat de raviolis avec le Montrachet Bouchard Père & Fils 1989 qui est une bombe. Beaucoup autour de la table sont sensibles au charme du Montrachet, plus généreux, plus puissant, à la longueur infinie, d’autant qu’il crée avec le ravioli un accord fusionnel. Mais progressivement, alors qu’on pouvait redouter que le Montrachet n’étouffe le Chablis, la grâce subtile du Chablis commence à séduire, créant avec la sauce, comme le fait remarquer de façon judicieuse ma voisine américaine, habituée de ces dîners, un accord de pure grâce. Et les votes feront pencher la balance du côté du Chablis, du fait de son originalité confondante, plutôt que vers l’impérial Montrachet d’une solidité, d’un équilibre, d’une richesse fruitée et d’une longueur remarquables.

Bipin estime que l’on aurait dû mettre le Chablis avec l’huître mais je pense que l’intensité de l’huître aurait étranglé la belle subtilité du Chablis. Les plats qui vont suivre sont aussi accompagnés de deux vins.

Le Chassagne Montrachet rouge Poulet P&F 1961 avait à l’ouverture un nez étonnant de perfection. Il l’a gardé. Ce nez annonce un grand cru plutôt qu’un vin des classes moyennes, comme on dit en politique. En bouche le vin est beau et serein. Il n’a pas une complexité extrême, mais il est équilibré, assis, et je l’aime pour cette simplicité gentiment assumée. A côté de lui, le Mercurey Champy et Fils 1945 au nez moins percutant a montré à un moment donné le velouté d’un grand cru. J’avais l’impression de goûter un très grand vin de la Côte de Nuits et par moment, j’ai eu des flashes de grands bordeaux de 1928 comme Palmer. Mais ce plateau d’excellence extrême ne dura pas, le vin regagnant gentiment le niveau de son appellation, sans descendre plus bas. Ces deux vins de modeste extraction ont montré deux choses : l’effet de l’oxygénation lente, qui épanouit les vins ouverts il y a plus de quatre heures et non carafés, et l’effet de deux millésimes de première grandeur. Le plat a bien accompagné les vins sans créer de valeur ajoutée comme l’avait fait le ravioli.

Le mignon de veau et les cèpes, au contraire ont révélé les deux vins associés. Le Gevrey-Chambertin A. Bichot 1929 (réserve Fernandel) fait partie des bouteilles que j’adore. Car la mention « Réserve Fernandel » imprimée sur l’étiquette montre que la Maison Bichot acceptait un traitement particulier pour le grand acteur comique. Ce vin a une histoire. On pourrait chanter « Félicie aussi » en le buvant. L’odeur désagréable n’a pas complètement disparu, et le côté aqueux de son parfum n’est pas très engageant. En bouche le vin est beaucoup plus civilisé, et l’on reconnaît un agréable Gevrey. Mais la fatigue est perceptible. On verra au moment des votes que c’est sans doute l’une des plus grandes surprises de mes dîners de voir un vin, dont on ne peut pas ignorer la fatigue, plébiscité de cette façon.

Car pour moi, dans le binôme, l’ Echézeaux Joseph Drouhin 1928 d’une incroyable précision, est un vin parfait qui surclasse le 1929. Il est plaisant, facile à boire, et semble ne pas avoir d’âge. Il est riche, lisible, bien charpenté. Le fait que Bipin soit à l’origine du mouvement en faveur du 1929 m’étonne. Mais les voies des goûts en matière de vins sont impénétrables.

Alors qu’un canard de Challans m’avait été proposé par Jean-Marie Ancher, directeur du restaurant, j’ai demandé un foie gras poché, et je suis heureux de mon choix car le mise en valeur du Chambertin Audifred maison Finot 1911 est exceptionnelle. Ce vin me plait au-delà de tout. Sa rareté et la rareté de l’année jouent évidemment dans mon jugement, mais le verdict du palais est sans appel : ce vin est très grand. Ce qui m’impressionne, c’est qu’il est précis et ciselé. Nous buvons un vin d’une rare profondeur. Lui donner un âge serait impossible tant il est serein. Sa longueur est remarquable. Autant dire que je suis heureux de cette réussite.

Je n’attendais pas grand-chose de ce Vega Sicilia Unico 1941 au niveau un peu bas dans la bouteille, que j’ai ajouté. La surprise n’en est que plus belle de constater qu’il est bien vivant, torréfié élégamment, évoquant le café, dans la ligne des Vega Sicilia Unico anciens bien conservés. Ce Vega me plait beaucoup, même s’il est un peu anachronique et décalé par rapport aux subtils bourgognes.

Le Chateau Caillou Barsac Crème de Tête 1947 est d’une couleur glorieuse d’abricot doré. Le nez est subtil et le vin est très plaisant. Il n’a pas l’ampleur des plus grands, mais il se boit avec un réel plaisir. J’ai sans doute lu trop vite le menu, car je n’ai pas réagi sur le mot roquefort. Il s’est confirmé une fois de plus que même s’ils sont bons, le Papillon et le Carles sont des fromages trop forts pour ces liquoreux. C’est le territoire du stilton. Il ne faut pas le déserter.

Le Chateau d’Yquem 1988 est d’une couleur très jeune, jaune pâle. Le nez est envahissant. C’est du Yquem pur jus ! En bouche, c’est un bel Yquem riche, équilibré, conquérant et persuasif. Je l’aime beaucoup à ce stade de sa vie où il a un peu perdu de sa fougue et s’installe sur le trône. Dans cet Yquem, tout semble facile, alors que c’est un vin noble, de précision. Le dessert ne devrait pas non plus déserter son territoire peuplé de mangues ou de pamplemousses roses. L’accord fut poli, mais c’est tout.

Le palet au chocolat a accompagné le très bon cognac de Taillevent, ce qui nous a permis d’affûter nos votes, les plus surprenants qu’on pût imaginer.

Sur douze vins, onze ont eu des votes. Seul le Vega espagnol n’en a pas eu, sans doute parce qu’il n’était pas inscrit au programme. Cinq vins ont eu des votes de premier, ce qui me réjouit. Le Gevrey 1929 a eu quatre votes de premier ce qui me semble fou, le Chambertin 1911 en a eu trois, le Dom Pérignon en a eu deux et le Chablis en a eu un.

Le vote du consensus serait : 1 – Gevrey-Chambertin A. Bichot 1929 (réserve Fernandel), 2 – Chambertin Audifred 1911, 3 – Chablis Grand Cru Moutonne Long Dépaquit 1959, 4 – Champagne Dom Pérignon 1966.

Mon vote est : 1 – Chambertin Audifred 1911, 2 – Chablis Grand Cru Moutonne Long Dépaquit 1959, 3 – Chassagne Montrachet rouge Poulet P&F 1961, 4 – Echézeaux Joseph Drouhin 1928.

Puis-je exclure que certains convives aient confondu les deux verres des 1928 et 1929 ? Je ne crois pas qu’il y ait de confusion, ce qui me rend perplexe. Les accords les plus beaux sont ceux du ravioli de langoustine avec le Montrachet, du foie gras de canard avec le Chambertin 1911 et du mignon de veau avec l’Echézeaux 1928. Comme d’habitude tout fut parfait aussi bien en cuisine qu’en service, toujours attentionné.

Dans ce compte-rendu, le mot « serein » est revenu souvent, car les vins se sont montrés naturellement épanouis. C’est ainsi que pour les convives enjoués, sympathiques et très impliqués, il était presque complètement naturel qu’un chambertin de 99 ans soit parfait. Se rend-on compte de la chance que nous avons eue ?