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dîner wine-dinners 22/03/2007 au restaurant de Patrick Pignol jeudi, 22 mars 2007

Les vins  et le menu du dîner

Les vins de la collection wine-dinners

Champagne Dom Ruinart rosé 1986

Champagne Krug Grande Cuvée NM (vers 1990)

Château Laroze Saint-Emilion 1947

Château L’Angélus Saint-Emilion 1961

Château Haut-Brion rouge 1950

Santenay Léon Violland 1949

Echézeaux Joseph Drouhin 1947

Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1980

Arbois Pupillin Gilles Lornet 1976

Madère Boal 1910

Domaine du Pin 1ères Côtes de Bordeaux 1937

Château d’Yquem 1938

Le menu créé par Patrick Pignol

Oursin et chou-fleur au parfum de marjolaine

Huîtres en habit vert pochées dans leur jus, compotée d’échalotes au vieux vinaigre

Langoustine croustillante, « Bormano » extra vierge

Foie gras de canard poêlé au suc de cuisson, truffes noires de Carpentras

Poitrine de pigeon rôti à la sarriette

Beaufort d’Alpage et Saint-nectaire

Triptyque autour de la mangue

Madeleines au miel de bruyère

dîner wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol – compte-rendu jeudi, 22 mars 2007

Je cours rejoindre Patrick Pignol pour évoquer le menu de ce soir, pour le 84ème dîner de wine-dinners. Ayant les vins en tête, il va composer son menu en fonction de ses approvisionnements du matin à Rungis. Nous en discutons quelques minutes et nous voilà lancés. L’intitulé des plats ne sera connu qu’à table, mais j’ai une totale confiance en ce chef de talent dont le recul d’une case dans le Monopoly des étoiles Michelin me semble inapproprié. Comme je l’ai indiqué sur mon blog, il y a des chefs qui sont mes favoris, dont Patrick fait partie. Je ne peux en aucun cas prétendre que mon goût serait universel quand celui du guide ne le serait pas. C’est exactement comme pour l’appréciation des vins. Il y a trop de gens qui se prétendent guide à la place des guides pour que je tombe dans ce travers et cette vanité de vouloir être le juge du travail des juges. Patrick Pignol fait partie des chefs que j’aime. Cela me suffit.

L’ouverture des bouteilles se passe très facilement, même si le premier vin que j’ouvre, Laroze 1947, est particulièrement coriace. Je sors le bouchon en mille morceaux, car il est collé aux parois. Avec Nicolas, élégant sommelier au sourire communicatif, nous constatons qu’aucune odeur n’est désagréable. C’est assez sympathique de sentir qu’aucun problème ne devrait surgir.

Les convives sont très ponctuels (enfin, presque tous…), mais on me fait une surprise de taille. Deux couples d’italiens de Milan s’étaient inscrits, et l’un deux avait annulé très peu de jours avant le dîner, ce qui est toujours un problème. Qui vois-je arriver ? Non pas deux, mais quatre italiens. Je fais recomposer la table et l’on ne vantera jamais assez l’efficacité de l’équipe de Patrick Pignol, aux initiatives toujours justifiées. J’ouvre le vin que j’avais en réserve, le Grands Echézeaux du Domaine de la Romanée Conti 1980. On comprendra plus loin qu’il faut dire un grand merci à Alberto et Sabrina dont l’arrivée inattendue nous a permis de boire cette merveille.

Nous aurons connaissance du menu créé par Patrick Pignol juste après le début du repas : Oursin et chou-fleur au parfum de marjolaine / Huîtres en habit vert pochées dans leur jus, compotée d’échalotes au vieux vinaigre / Langoustine croustillante, « Bormano » extra vierge / Foie gras de canard poêlé au suc de cuisson, truffes noires de Carpentras / Poitrine de pigeon rôti à la sarriette / Beaufort d’Alpage et Saint-nectaire / Triptyque autour de la mangue / Madeleines au miel de bruyère. Fondé sur des produits de qualité irréprochable, ce menu simple et clair est exactement ce qui convient aux vins. J’aurais évidemment enlevé la compotée d’échalotes qui rebute les vins anciens, mais tout ceci est du détail. Patrick, attentif et en quête de nos remarques, a réalisé un grand repas.

Nous sommes douze, dont trois sont des fidèles parmi les fidèles, fous de générosité comme on le verra, un journaliste américain connaît les dîners puisqu’il a écrit sur eux, et les sept nouveaux dont les quatre italiens qui s’expriment en anglais ne vont ménager ni les rires ni les surprises qui émailleront ce repas.

Le champagne Dom Ruinart rosé 1986 est un des plus solides rosés que je connaisse, toujours exact au rendez-vous. Le chou-fleur sert adroitement de passeport entre l’oursin très viril et le champagne qui aimerait plus se faire caresser que fouetter. Mais cette confrontation d’un rosé à l’oursin est particulièrement bienvenue. Ce rosé goûteux et expressif est un bon compagnon de gastronomie. La marjolaine est une petite touche de génie.

Décidément, des surprises, j’en vois à mes dîners. Car lorsque Nicolas me sert le champagne Krug Grande Cuvée que je situe vers 1990, Nicolas pensant qu’il est peut-être encore plus ancien, c’est un rosé qui coule dans mon verre. Et en bouche, pas d’ambiguïté sur son caractère rosé. Cela fait donc deux dîners depuis le début d’année où l’on découvre des blancs qui se transforment en rosés. Il faudrait que je songe, en théurge purificateur, à servir du plomb à mes convives, avec l’espoir qu’une alchimie les transforme en or, leur ouvrant le chemin du Graal. L’huître dans sa robe de verdure est délicieuse, mais j’ai vu en déshabillant l’une d’elles que le Krug réagit mieux lorsqu’elle est nue, sa salinité iodée l’excitant plus encore. Ce rosé est une belle surprise.

C’est un joli pari d’associer au château Laroze Saint-émilion 1947 deux langoustines, l’une dans sa coquille et l’autre dans un croustillant. L’idée me plaisait et le résultat est probant. Ce vin impressionne immédiatement toute la table par sa jeunesse et sa sérénité. Il est délicatement velouté, soyeux comme du tussah. Franc, goûteux, romantique, ce vin est délicieux. Il réagit bien à la langoustine, surtout la croustillante.

Le Château L’Angélus Saint-émilion 1961 est un des grands symboles de l’univers des grands bordeaux. Comme beaucoup de convives connaisseurs de notre table, j’en attends beaucoup. Et le contraste immense qu’il forme avec le Château Haut-Brion rouge 1950 est un bonheur pour les deux vins. Angélus, c’est l’élégance, la finesse, la délicatesse, avec l’accomplissement d’une année de stature imposante. Lors de la verticale d’Angélus où nous avions pu goûter 21 millésimes, j’aurais bien aimé que 1961 y fût, car il m’eût plu de le voir confirmer auprès de ses frères son insolente supériorité. C’est un très grand vin. Connaissant le mimétisme à la truffe du 1950, j’avais demandé au généreux Patrick Pignol d’ajouter le glorieux tubercule au plat, ce qui embauma la pièce à nous enivrer. Comme naguère pour Pétrus 1934, je savais que ce Haut-Brion 1950 « est » truffe. C’est impressionnant. L’année 1950 est relativement peu connue. Elle sied particulièrement à Haut-Brion. Le foie gras met en valeur les deux vins très opposés se complétant pour notre plaisir.

Le Santenay Léon Violland 1949 avait le plus beau nez à l’ouverture. Dès qu’il arrive, son nez me transporte d’aise. C’est outrageusement sensuel. Et en bouche, quel plaisir simple, gentiment construit. L’Echézeaux Joseph Drouhin 1947 est un des vins que j’adore, car il vient d’une cave, que je ne connais pas, mais dont j’ai acheté il y a plus de dix ans une vaste cargaison qui comptait les Nuits Cailles 1915 qui ne m’ont jamais trahi, ce qui en confirme la sécurité. Vin puissant, bien charpenté, solide et complexe mais goûteux dans un sens joyeux, ce vin ne fait pas d’ombre au Santenay alors que le jeu serait normalement assez inégal. Les deux vins, le plus jeune à la trame un peu plus imprécise mais fou de charme, le second plus campé sur son palanquin, conquirent toute la tablée.

Apparaît maintenant le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1980 rajouté à l’arrivée des convives. On me sert en premier. Je manque de me pâmer. Le lecteur attentif sait que j’ai un ‘certain’ penchant pour les vins du Domaine de la Romanée Conti. Le nez salin de ce vin m’enchante. Je commence par me contenter de ce parfum énigmatique. Et lorsque enfin je le bois, toute l’énigme de la Romanée Conti fait vibrer mon palais. Ce vin est sauvage, vibrant, peu séducteur comme il doit être. Sa salinité me plait. Et je me sens bien, serein comme ce cow-boy que l’on voit chevaucher les plaines arides de l’Arizona dans les images convenues des westerns. C’est un vin immense, dont le côté brut de forge, presque non fini, me ravit encore plus.

Il faudrait un jour faire justice au vin d’Arbois Pupillin Gilles Lornet 1976 et à ses pairs. Car ces très grands vins, aux saveurs riches et complexes pourraient accompagner de nombreux plats. Je suis donc coupable de ne l’avoir associé qu’à des fromages, fussent-ils délicieux comme le beaufort. Puissant, expressif, cet Arbois a su jouer son rôle. Mais il nous donne envie d’explorer d’autres voies plus risquées, car il a le talent pour ça.

Le plateau de fromages était trop tentant pour un des fidèles parmi les fidèles. Il me dit : « que dirais-tu si j’allais chercher un Madère de 1910 ? ». D’aucuns diraient : « c’est trop gentil, ce n’est pas la peine ». Ma réponse fut : « oui ». Et voilà notre ami courant chez lui et revenant avec une très vieille bouteille noire au nom marqué au pochoir , comme le matricule d’un prisonnier : « BOAL 1910 ». La complexité aromatique de ce madère est extragalactique. Il y a des milliers d’évocations. Le bois précieux, la réglisse, la noix, le citron vert, le thé, le café, la cannelle, le poivre. Tout y est. En bouche la trace est lourde ce qui me fait craindre pour les vins qui vont suivre. L’envie de mon ami était née de la mimolette aux couleurs ostentatoires comme le cul d’un drill. Et l’accord se fait évidemment, mais je sens qu’un ris de veau, ou mieux, un canard à l’orange, seraient des compagnons de jeu beaucoup plus excitants pour ce grand madère.

Après s’être préparé la bouche de petites mignardises, le Domaine du Pin 1ères Côtes de Bordeaux 1937 apparaît sur la composition de mangue et subjugue plus d’un par sa belle prestance. Un vin si ordinaire, vieux de 70 ans, ça ne devrait pas bien vieillir. Eh bien si. Délicat, il joue sur une douceur de velours et la mangue lui va bien. Il a la courtoisie de servir de faire-valoir, et c’est ce que j’avais voulu, à un splendide Château d’Yquem 1938, serein, plein, épanoui, sûr de lui, à la profondeur de goût inimitable. Je ne m’attendais pas qu’il ait cette plénitude, car la décennie 30, à l’exception de 1937 est un peu légère. Cela fait une exception de plus.

Nous avons tous voté sur les vins de ce soir à l’exclusion du madère 1910, trop différent. Et le résultat me rend particulièrement fier, car les onze vins, je dis bien les onze, ont tous figuré sur au moins un bulletin de vote où l’on ne peut mettre que quatre noms. J’en suis fier, car cela montre que le choix de vins, où je mêle des icônes comme Yquem, Angélus ou Krug et des vins plus fantassins comme le Santenay, le Domaine du Pin ou le Laroze, permet à chaque vin de s’exprimer et de briller. Cela tient évidemment beaucoup à la méthode d’ouverture, car pour aucun vin nous n’avons dû constater, comme cela se raconte tant de fois, qu’une demi-heure plus tard, le vin serait plus épanoui. Il l’est totalement, dès la première gorgée, ce qui devrait être la norme.

Cinq vins ont eu des votes de premier, on sait que cela me remplit d’aise : le Grand Echézeaux a récolté cinq votes de premier, résultat remarquable, le Santenay, le Haut-Brion et l’Angélus ont eu chacun deux votes de premier et l’Echézeaux a eu un vote de premier. Le vote du consensus serait : 1 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1980, 2 – Château L’Angélus Saint-émilion 1961, 3 -Château Haut-Brion rouge 1950 et 4 – Santenay Léon Violland 1949.

Mon vote diffère : 1 – Echézeaux Joseph Drouhin 1947, 2 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1980, 3 – Château d’Yquem 1938, 4 – Château Haut-Brion rouge 1950. Un de mes amis belges du déjeuner chez Alain Senderens m’avait dit ne pas s’être inscrit à ce dîner car il ne voyait pas beaucoup de fleurons du monde du vin. « Selbst Schuld » comme on dit dans la langue de Goethe. Ceux qui sont venus ont fait moisson de souvenirs pour la vie.

Un autre convive ami tout aussi généreux proposa que l’on prenne un digestif, vocable particulièrement hypocrite. Je pris un Louis XIII de Rémy Martin, cognac d’exception, mon ami prit un Marc de Bourgogne du Domaine de la Romanée Conti 1979 absolument redoutable. Notre table ne voulait pas se quitter, cherchant à prolonger, aussi longtemps que c’était possible, la magie de cette inoubliable soirée.

Les vins du 84ème dîner du 22 mars 2007 jeudi, 22 mars 2007

 

 

 

L’année du Joseph Drouhin est nettement lisible : 1947.

Yquem 1938 n’a pas d’étiquette, mais a un énorme avantage : son bouchon est d’origine et sa couleur splendide

 

A ces vins, j’ai rajouté Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1980, du fait d’un nombre de convives plus important que prévu.

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dîner de wine-dinners à la Grande Cascade jeudi, 15 février 2007

Le 83ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de la Grande Cascade, cette bonbonnière pour femmes à crinolines sertie dans un parc aux arbres centenaires. J’avais très envie de faire un dîner avec Frédéric Robert, le nouveau chef du lieu, que j’avais connu lorsqu’il était l’adjoint d’Alain Senderens, du temps de Lucas Carton. Le voir voler de ses propres ailes et lui montrer mon soutien était une forte envie.

J’arrive à 17 heures et je suis rejoint par un participant du dîner qui veut regarder comment se passent les ouvertures. Un journaliste canadien, qui ne sera pas du dîner, vient m’interviewer. Lorsque les deux spectateurs de la cérémonie des ouvertures constatent qu’ils sont canadiens l’un et l’autre, la surprise est totale.

Les bouchons du Cos 1928 et du Moulin à Vent 1945 sont spectaculairement beaux. Je suis obligé de me battre avec les bouchons du Haut-Brion 1942 et du Laville-Haut-Brion 1942. Est-ce l’effet de la guerre ? Lorsque les odeurs sont fatiguées, ni mon ami canadien ni moi ne sommes inquiets. La bouteille de réserve ne sera pas nécessaire.

Frédéric Robert a composé un fort beau menu, plein d’assurance. Les caprices des marées ont fait remplacer le bar par des rougets. Nous n’y perdîmes pas. Coquille Saint Jacques crue au caviar impérial Baeri et coquille St Jacques à la plancha, bouillon crémeux au lait d’amandes et cèpes séchées / Courgettes fleurs ivres de tourteau, coques et couteaux, huile d’olive au citron et gingembre / Filets de rouget cuits à l’étouffé dans le varech, royale de poireaux, pâte de piment doux / Canard croisé étouffé, rôti au sautoir, la cuisse en pastilla, épices, retour de Marrakech / Pommes de ris de veau cuites lentement, olives, câpres et croûtons frits, herbes à tortue comme au Moyen Age / Stilton, brioche toastée au miel et raisins de Smyrne / Passe- Crassane rôtie au beurre demi-sel, caramel au mendiant, crème glacée Belle Hélène. Ce fut fort cohérent mais dans de futures expériences, il faudra simplifier certaines recettes – c’est ma marotte – pour ne garder que le goût pur, la racine de l’accord avec le vin.

Nous étions onze, dont un vigneron fidèle et un de ses amis fidèle lui aussi, un fréquent récidiviste avocat de son état, un couple canadien qui venait pour la seconde fois, comme un couple alsacien. Les seuls nouveaux étaient un couple parisien et une journaliste. La table oblongue fractionne en trois les conversations, des petits groupes se formant du fait de cette géographie. Mais dans les grands moments de communion, l’émotion se propage pour réunir notre groupe souriant.

Un magnum de champagne Salon 1988, c’est rare. Nous avons porté un toast de bienvenue, et sur les coquilles Saint-jacques, le champagne est à son aise. Il me plait toujours autant, mais je l’ai trouvé ce soir plutôt réservé. Ce fut tout le contraire pour le Château Laville-Haut-Brion blanc 1942 au nez qui a réglé l’intensité sur la position « maximum ». Ce nez est enivrant, expressif, charmeur, fascinant. On pourrait se complaire de ce seul aspect. En bouche, sa personnalité est éblouissante. Il est l’expression du vin blanc de Bordeaux poussée à son paroxysme. On ne peut dire que « parfait », et rien ne pourrait lui être reproché. Les coques et les couteaux ne sont que du bonheur.

Je suis servi en premier du Château Haut-Brion  rouge 1942. Le nez était poussiéreux à l’ouverture. L’attaque en bouche de cette première gorgée est magnifique, et, comme une baudruche qui s’essouffle, je sens un final qui ne sait où aller. Fort heureusement ceci s’est corrigé dans le verre pour tous les convives, lorsque l’oxygène fait son œuvre, mais je suis quand même estomaqué par les votes dithyrambiques que ce vin obtiendra, alors que la légère blessure que j’ai sentie était bien là, même si elle a disparu.

Le Château Cos d’Estournel 1928 dont le bouchon était d’une irréelle perfection (que se passe-t-il dans ma cave, car ce n’est pas la première fois que je rencontre des bouchons taillés pour l’éternité) a une couleur d’une invraisemblable jeunesse. Le rouge sang est d’une fraîcheur rare. Le nez est délicat, calme, serein. En bouche c’est un vin impérial, là aussi calme et serein, velouté. Il dégage une force intérieure rare. Sa longueur est noble. C’est un grand vin. Un convive dira fort justement, car les deux bordeaux rouges sont servis ensemble, que le 1942 est très Haut-Brion et que le Cos est très 1928, car l’un représente son terroir avec la signature historique du vin et le Cos représente le charme épanoui de l’année 1928. Très juste constatation. Des convives peu habitués au mariage vin rouge et poisson n’ont pas tellement apprécié rouge et rouget. J’étais aux anges.

Le Musigny « grand vin de Bourgogne » négoce AMG (fondé en 1862) 1929 est nettement meilleur que celui que j’avais bu avec Aubert de Villaine qui vilipendait ses origines maghrébines. Il a plu à plusieurs convives et rebuté d’autres, car il ne pouvait cacher une certaine fatigue. Mais son expressivité est intéressante. En revanche, le Moulin à Vent Chanson Père & Fils 1945 est d’un charme en bouche qui me fait fondre de bonheur. C’est séduisant comme pas deux. Le bouchon avait joué son rôle et le niveau est exceptionnel pour un 1945. La robe est belle, elle aussi très jeune, le nez est courtois, et en bouche, c’est comme lorsque l’on sonne l’heure de la récréation. Ce ne sont que cris de joie et folles chevauchées. C’est cela qui se joue en bouche. La chair du canard, d’une rare expressivité, joue avec le beaujolais un pas de deux de grand amour.

Le président de Salon étant à notre table, je voulais éviter la moindre confrontation avec le Champagne Dom Ruinart rosé 1990. Il fut donc placé ici comme une pause entre deux plats. Quel choix judicieux ! Ce champagne est un vent de fraîcheur. J’ai été immédiatement frappé par l’élégance de sa construction. C’est un immense champagne rosé, très au dessus de la mémoire que j’en avais. Un grand moment de bonheur.

La Côte Rôtie La Turque Marcel Guigal 1992 est absolument réussie. Mais ce jeunet placé dans un dîner de vins anciens déroute beaucoup de palais. C’est d’ailleurs le seul vin qui n’aura aucun vote, alors qu’en d’autres circonstances il serait applaudi car il est grand. C’était un de mes caprices. Sur le ris de veau, il était particulièrement à l’aise.

C’est en ouvrant les bouteilles que j’ai découvert que le Barsac générique (maison AMG fondée en 1862) 1931 vient du même négociant que le Musigny 1929. Ce négociant m’est inconnu. J’avais trouvé le Barsac un peu éteint lors de l’ouverture. Mon ami canadien qui avait assisté à cette opération fit remarquer le changement de coloration du Barsac, largement plus foncé que lorsqu’il fut ouvert. J’avoue n’avoir jamais rencontré une telle transformation de couleur. Et, comme si c’était lié, le Barsac a pris une densité qu’il n’avait pas à l’ouverture, devenant un solide liquoreux que je n’attendais pas lorsque je l’ai ouvert.

Le Moscatel de Setubal José Maria da Fonseca (Estab. 1834) 1900 est une première pour moi. Son passage en fût doit dépasser les soixante ans. Il est d’une densité extrême avec des accents de Porto mais une trame plus sèche. Montrant des accents de caramel, de café, il est d’une densité extrême et d’une rare imprégnation. Il rappelle un peu les Chypre 1845 par cette évocation d’âge, de patine que seul un siècle peut donner. Vin énigmatique, unique, il est séduisant. Le caramel du plat s’accorde à merveille.

Le vote n’était pas facile et neuf vins sur dix ont eu droit à un vote, le plus jeune n’étant pas retenu justement à cause de cette jeunesse. Quatre vins ont eu droit à un vote de premier : le Laville Haut-Brion 1942 quatre fois, le Haut-Brion 1942 trois fois, le Cos d’Estournel 1928 deux fois, comme le Moulin à Vent 1945. Le vote du consensus serait : Laville Haut-Brion 1942, Haut-Brion 1942, le Cos d’Estournel 1928 et Moulin à Vent Chanson 1945.

Mon vote a été : Cos d’Estournel 1928, Laville Haut-Brion 1942, Moscatel de Setubal1900, Moulin à Vent Chanson 1945. Il y avait ce soir une grande quantité de vins surprenants et passionnants. Si le champagne Salon n’est pas dans mon vote, c’est l’indication de leur extrême valeur.

Frédéric Robert a fait une cuisine sensible que j’aimerais explorer avec lui dans le sens des besoins des vins anciens. Le service extrêmement professionnel de Frédéric le sommelier et de toute la brigade a fait le reste. Un dîner mémorable dans une ambiance de plaisir.

dîner du 25/01/2007 au restaurant Le Divellec jeudi, 25 janvier 2007

1.         Champagne Laurent Perrier Grand Siècle probablement de 1960 ~~ en vidange, mis pour voir

                                      crevettes grises et brochettes de saumon

2.         Champagne Pierre Gerbais Brut à Celles sur Ource

3.         Champagne Krug 1981

                                      oeufs brouillés crémeux à l’oursin

4.         Puligny-Montrachet les Pucelles Veuve Génin 1959

                                     belon (pied de cheval) frémie au champagne

5.         Château Margaux, Margaux 1952                  

                                    Saint-jacques au foie de canard poêlé

6.         Château Galan « Land limited by Saint-Julien” Vve Bordessoulles 1929

7.         Château Latour 1916

                                   bar sur peau braisé au Médoc

8.         Richebourg, Domaine de la Romanée Conti 1942

                                  bu seul, en intermède

9.         Savigny la Dominode Roger Poirier 1953

10.       Corton Cuvée Charlotte Dumay Hospices de Beaune Vanier 1945

                                  pigeon au long bec sur canapé, coulis de truffe

11.        Château Salins Rions 1ères Côtes de Bordeaux 1941

                                  Stilton

12.       Château Suduiraut 1928

                                  émincé d’agrumes, mangue et pamplemousse rose

 

dîner wine-dinners au restaurant Le Divellec jeudi, 25 janvier 2007

Le 82ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Le Divellec. J’ai pour Jacques Le Divellec une affection particulière, car il est toujours enthousiaste et en recherche de la qualité totale. Combien de chefs seraient restés comme lui jusqu’à 1 h 30 du matin pour savoir comment cela s’était passé ?

J’arrive à 16h45 pour ouvrir les bouteilles et tout a été mis en place pour que j’officie. Olivier, sommelier attentif et compétent, est lui aussi motivé par l’atteinte de la perfection. Il est rare que j’aie autant de mal à ouvrir les bouchons, ce qui fait un grand contraste avec le récent dîner au restaurant Ledoyen, car aujourd’hui presque tous les bouchons sont venus en lambeaux. Une surprise de taille m’attend, car lorsque je vois la capsule de Margaux 1952, capsule que j’avais photographiée lorsque j’ai pris le vin en cave, je constate qu’elle est en creux, ce qui n’était pas le cas avant. J’ouvre, et j’éprouve un choc : le bouchon est tombé dans la bouteille. Je sens immédiatement le goulot, et je pousse un « ouf » de soulagement : l’odeur n’est pas affectée par cet incident. La chute s’est produite pendant le transport ou lors d’une manipulation. Le vin est carafé, le bouchon est difficilement extrait de la bouteille par les efforts appliqués d’Olivier, et le liquide revient dans son écrin originel. L’odeur la plus extraordinaire est celle de Latour 1916 : une plénitude absolue. Celle du Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942 est aussi rassurante à souhait. Le seul vin qui m’inquiète est un vin que j’ai rajouté : Savigny la Dominode Roger Poirier 1953.

Les convives ne sont pas ponctuels car Paris est une capitale où l’on reçoit des chefs d’Etat étrangers. Le menu composé par Jacques Le Divellec, après que nous en avons longuement discuté, pour l’esthétisme de la démarche, est le suivant : Œufs brouillés crémeux à l’oursin / Belons frémies au champagne / Saint jacques au foie gras de canard poêlé / Bar  sur peau braisé au saint-émilion / Bécasse sur canapé, coulis de truffes / Stilton / Emincé d’agrumes, mangue et pamplemousses. Bel exercice sur des produits rares au service des vins.

Ayant visité ma cave pour préparer de futurs dîners, j’avais repéré il y a deux jours une bouteille de champagne Laurent Perrier Grand Siècle vers 1960 en vidange. Elle avait perdu un quart de son contenu. L’occasion se présentait de commencer par ce vin que j’ajoutai au programme, pour en faire un sujet didactique. Le champagne est ouvert par Olivier au moment où nous passons à table, et je le découvre comme mes convives. La couleur est ambrée, la bulle est symbolique, mais en bouche, c’est extrêmement plaisant. J’avais pris soin de prévenir de ne pas s’arrêter au constat : « c’est madérisé », qui sonne comme une condamnation et empêche d’en profiter avec un esprit ouvert. Un des convives fit cette remarque : « vous en parlez avec des mots positifs, et nous vous suivons. Mais chacun de nous, chez soi, se ferait dire par ses amis : ton vin est mort ». J’acquiesce, je conviens du fait que ce serait la réaction normale, mais je fais analyser le goût, pour ce qu’il est. Force est de constater que ce vin n’a pas de défaut, si on admet qu’il s’agit d’un vin totalement différent. Sur des crevettes grises et des brochettes de saumon, c’est délicieux. Ce serait le compagnon idéal d’un foie gras.

Nous avons attendu longtemps que le dîner démarre, car on s’agitait fort en cuisine, ce qui nous rendit encore plus heureux de déguster la brouillade d’oursins. Le Champagne Pierre Gerbais Brut à Celles sur Ource non millésimé, de probablement dix ans, est assez agréable, sans personnalité affirmée, et sert surtout de tremplin au Champagne Krug 1981 qui a plus d’émotion que celui bu avec Rémi Krug, car il est ici sur son territoire de prédilection : la gastronomie. Et l’oursin lui va bien, qui lui permet de décliner des fruits roses frais, au-delà de son iode exacerbé.

Les assiettes qui arrivent sur notre table sont particulièrement impressionnantes, car les « pieds de cheval » sont des huîtres pour géant. Avec les doigts de deux mains mis en cercle, on ne pourrait pas en faire le tour. Le Puligny-Montrachet les Pucelles Veuve Génin 1959 a une magnifique couleur dorée. Il est, comme le Laurent-Perrier, dans une phase évoluée de sa vie. Mais cela convient parfaitement à la délicate crème qui enrobe l’énorme huître dont il faut manger le pied doucereux.

Je ne pensais pas que la sauce de la coquille Saint-jacques conviendrait au Château Margaux, Margaux 1952. J’eus peur en la voyant et je m’en ouvris à Olivier, mais je reconnus rapidement que Jacques Le Divellec avait vu juste. L’accord de la coquille, du foie gras avec le grand bordeaux est excitant. J’avais préféré mettre en garde les convives du risque d’un petit défaut du vin. Mais c’est un grand Margaux qui s’épanouit dans nos verres, dense et velouté. Sa trame douce est un plaisir raffiné. Je m’en veux en faisant ce compte-rendu de ne pas l’avoir inclus dans mon vote final, car il s’est révélé un très grand Margaux.

La portion de bar est aussi gargantuesque que les pieds de cheval. C’est sur la chair du poisson plus que sur la sauce très typée que deux vins grandioses vont briller. Ce qui étonne immédiatement du Château Galan « Land limited by Saint-Julien” Vve Bordessoulles 1929, c’est la jeunesse de sa couleur. Et tout est à l’avenant. Mes convives sont surpris de cette jeunesse et de la solidité gustative de ce vin à la longueur rare. Bien sûr, c’est seulement un cru bourgeois supérieur, et c’est pour cela que j’ai rappelé la mention naïve qui aimerait faire croire que c’est un Saint-Julien. Mais ce vin à l’acidité bien contrôlée a gagné en intelligence, et ravit le palais par sa maturité. Mon intérêt est évidemment porté vers le Château Latour 1916 qui est absolument époustouflant. Il est d’une perfection totale. Le nez m’avait ravi à l’ouverture. Un niveau dans le goulot pour une bouteille au bouchon d’origine est un événement à signaler. La robe est belle et jeune, le nez est d’un parfum envoûtant. Et en bouche, c’est l’idéal de ce que Latour peut devenir avec l’âge. Tout est équilibré et intégré. C’est un moment de bonheur intense. Je sens que mes convives me regardent autrement, même si la majorité de la table a déjà partagé l’un de mes dîners. Car un champagne avancé, un Puligny évolué, c’est bien gentil, mais où est le vrai charme des vins anciens ? Il est là, devant nous, avec deux vins exceptionnels.

Ayant ajouté deux vins au programme, il m’est apparu que nous devrions goûter le Richebourg, Domaine de la Romanée Conti 1942 seul, sans plat. Quel vin ! Notre groupe étant constitué d’une majorité d’amateurs de Bordeaux, il fallait guider le passage aux bourgognes. Mais ce vin intelligent sait s’adapter. Des senteurs envoûtantes, une onctuosité jointe à une légère salinité confèrent à ce vin délicat un charme certain. C’est une des très belles expressions du domaine de la Romanée Conti dans une année calme mais subtile, où la légèreté ne nuit pas à la longueur. Nous avons tous apprécié, comme le montreront les votes. Deux années de milieu de guerre s’étaient suivies.

L’oiseau à long bec est goûteux, viril. Le Savigny la Dominode Roger Poirier 1953 que j’avais ajouté n’aurait pas dû l’être. Je soupçonne un accident thermique qui l’a probablement torréfié. Manifestement consommable, il n’a pas de grandeur. En revanche, le Corton Cuvée Charlotte Dumay Hospices de Beaune Vanier 1945 est une belle réussite de l’année 1945 en Bourgogne. Joyeux, ce vin charnu et puissant sourit et chante dans nos palais. Il parait si facile à boire, vin de pur plaisir.

Le stilton est faire-valoir idéal pour un Château Salins Rions 1ères Côtes de Bordeaux 1941 élégant, simple, équilibré, délicat. Ces vins gagnent manifestement beaucoup avec l’âge. Nous étions encore en une année de guerre, sans qu’il s’agisse de ma part d’un choix délibéré. Un peu court, il ne renie pas son origine de « petit » vin, mais est sans doute nettement plus élégant que des versions plus jeunes.

L’adjoint de Jacques Le Divellec était venu me voir avant le repas pour parler du dessert. Il a réussi dans la simplicité, à créer un accord parfait. Alors que je sens par avance les accords qui vont briller, là où j’attendais la mangue sur le Château Suduiraut 1928, c’est en fait le pamplemousse rose qui a déployé tout le talent de ce sauternes que j’adore, l’un des plus grands que j’aie jamais bus. J’ai déjà mis trois fois cet immense vin dans des dîners. Celui-ci est l’un des plus discrets, ce qui justifie qu’au lieu d’être toujours n°1 dans mes votes, il ne le fut pas cette fois-ci, même si ce sauternes est éblouissant.

Le cérémonial des votes est assez intéressant. Huit vins figurent dans les quartés, ce qui est, une fois de plus, l’une de mes satisfactions. Quatre vins ont été couronnés d’une première place : Latour 1916 cinq fois, Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942 quatre fois Château Galan 1929 et Suduiraut 1928 chacun une fois.  Le Richebourg figure dans tous les votes, ce qui n’est pas fréquent. Le vote du consensus serait : Latour 1916, Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942, Suduiraut 1928 et Corton 1945.

Mon vote a été partagé dans l’ordre avec un convive et dans le désordre avec un autre : Château Latour 1916, Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1942, Corton 1945 et Suduiraut 1928.  

Le restaurant Le Divellec est une maison familiale. Toute l’équipe vibre à l’unisson. On guette nos réactions, on souffre si un détail ne va pas, on sourit et l’on souffle quand tout se passe bien. J’aime cette atmosphère concernée, amicale. Et Jacques est un exemple. Son implication exemplaire, alors qu’il a tout vu et tout vécu est particulièrement réjouissante. Il a créé, ce soir, un bel événement, car les vins, dont ce spectaculaire Latour 1916 ont dû partager la vedette. Et c’est bien.

dîner wine-dinners du 25/01/2007 – les vins jeudi, 25 janvier 2007

les deux champagnes

Puligny-Montrachet "les Pucelles" Veuve Genin 1959 à la très belle couleur

Château Margaux 1952 mis en bouteille au château, et venant de la cave Nicolas.

Cette bouteille de Latour 1916 n’a pas d’étiquette, mais l’année est très lisible sur la capsule, d’origine. Le niveau dans la bouteille est excellent (base goulot, dans le goulot).

Mention amusante sur l’étiquette de ce Chateau Galan 1929 : "land limited by Saint-Julien".

 Richebourg DRC 1942 à la bouteille de guerre, bleue du fait de l’absence de plomb. Mention "interdit d’exporter aux USA" pour protéger les agents locaux.

 Corton "Cuvée Charlotte Dumay", Hospices de Beaune Vanier 1945 (je sens que ce sera grand !)

 Chateau Salins, Rions 1941, un premières Côtes de Bordeaux comme je les aime, à la douceur subtile.

 Chateau Suduiraut 1928, un des plus immenses Sauternes de ma vie.

dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen avec Pétrus 1934 jeudi, 18 janvier 2007

Deux jours après ma répétition de plats,  j’arrive pour ouvrir les bouteilles du 81ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen. Le lieu bruisse d’événements dont le vin sera le thème. Il y a au rez-de-chaussée le wine & business club d’Alain Marty qui organise des conférences et un dîner pour un très grand nombre de personnes avec notamment Pichon Lalande, ce qui est impressionnant. Il y a à l’étage, dans un salon, Angélique de Lencquesaing, gérante d’idealwine, avec le talentueux Georges Lepré, sommelier de grande expérience , qui préparent la réception d’une société qui va faire goûter à ses clients des premiers grands crus classés de Bordeaux de 1998. On m’offre généreusement de goûter quelques vins et je classerai Margaux 1998 au charme affirmé devant Mouton-Rothschild 1998 de belle complexité séductrice, puis Lafite-Rothschild 1998,  plutôt fermé mais de belle race et Latour 1998, sans doute le plus grand, mais totalement fermé à ce stade de sa croissance. Le microcosme du vin est fraternel.

L’ouverture des vins se fait avec une facilité rare, en moins de trois quarts d’heure. Les odeurs sont belles, et celle du Pétrus 1934 me plait et ravit Georges Lepré à qui je le fais sentir. Il est admiratif des niveaux des deux vins de 1934. Le bouchon le plus impressionnant est celui de Margaux 1934, sain, jeune et beau, qui a permis au vin de rester à un niveau remarquable, ce qui est une performance pour un bouchon d’origine. Le Loubens 1940 est le seul vin bouché récemment quand je l’ai acheté à Arnaud de Sèzes, vigneron propriétaire de ce Sainte-Croix du Mont. Les odeurs étant saines, j’estime avoir le temps d’aller féliciter les nouveaux trois étoiles de l’Astrance, mais je trouve porte close. C’est en effet le jour des fuites, avec ses drames pour les maisons qui perdent une étoile, et ses liesses pour les promus.

J’avais tellement insisté sur la nécessité d’être ponctuel que tout le monde est là à 20h. Enfin presque, car contrairement aux votes dans les républiques bananières, l’unanimité n’est pas de ce monde. Après les consignes d’usage, nous passons à table.

Il y a autour de la table un ami qui a réalisé le bulletin 200 venu avec un autre de mes amis, un des valeureux participants du fabuleux dîner à l’Astrance avec Cheval Blanc 1947, un ami de bord de mer et autres espaces venu avec sa compagne et l’un de ses amis, le patron d’une grande organisation de vente de vins venu avec un avocat de ses amis, et un académicien de l’académie des vins anciens, breton comme Christian Le Squer, qui ouvrira bientôt une boutique de vins. Les rires ont fusé car l’atmosphère était à la joie.

Le menu créé par Christian Le Squer avec Géraud Tournier est d’une grande sensibilité, au point que le projet que j’avais élaboré en m’inspirant de la carte était resté dans mes cartons. Ce programe est d’un équilibre rare : Saveurs" terre et rivière" / Noix de Saint-Jacques à l’écume de mer / Truffe en croque au sel, onctueuse quenelle de foie gras / Blanc de turbot de ligne juste braisé,  pommes rattes truffées  / Feuilleté brioché de truffes noires en gros morceaux / Noisettes de chevreuil, fruits et légumes d’hiver / Stilton / Brochette Mangue et Ananas.

Le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60 est une inconnue puisqu’il n’est ouvert que lorsqu’on est à table. J’avais supposé qu’il s’agirait d’un champagne assez évolué, car la couleur estimée à travers le verre est un peu ambrée. Surprise quand on remplit mon verre : la couleur est rose. Je goûte, et sans aucune confusion possible le champagne est rosé. Aucun champagne évolué ou madérisé ne peut donner ni cette couleur ni ce goût. Comment peut-on supposer une erreur d’étiquetage ? Voilà une énigme. La rétractation du bouchon et le muselet confirment un champagne de plus de 50 ans. La bulle est encore présente, et tout le monde est surpris par l’immense longueur de ce champagne expressif et séduisant.

Je me demande toujours si je n’ai pas la main verte, tant mes vins sont toujours au rendez-vous. Mais à ce point, c’est surnaturel, car l’accord couleur sur couleur est magique. La betterave réagit au quart de tour sur ce rosé, l’harmonie des couleurs influençant l’accord des goûts et l’anguille au dos rose prune catapulte le champagne à des hauteurs extrêmes de raffinement. Cette combinaison est d’une précision parfaite. Quand le plat est enlevé, nous avons tous en bouche la trace intense de ce champagne qui ne veut pas nous quitter.

Des coquilles Saint-jacques crues légèrement citronnées (j’aurais mis un soupçon de moins d’acidité), sont entourées d’une émulsion aérienne d’une iode magique.  Le vent fort de la Pointe du Raz submerge nos narines. Nous sommes le gardien de phare de l’île de Sein. Et cette tempête atlantique est exactement nécessaire pour le Champagne Krug 1988 qui se complait de ces saveurs marines. Rien ne serait plus adapté pour mettre en valeur ce grand champagne typé qui est évidemment plus compréhensible que le Veuve Clicquot au rose camouflé.

Le nez du Meursault Jean François Coche-Dury 1990 devrait être archivé à la Bibliothèque Nationale, sous deux rubriques, Meursault d’une part, car c’est la plus belle pierre à fusil qui soit, et Coche-Dury d’autre part, car sa signature est là. Le Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997 a des parfums plus exotiques où le litchi n’est pas absent. Le Meursault et la truffe, ça cause ! Notre table se divisera pour préférer l’un ou l’autre vin. Mon cœur balance vers le Meursault, même si le Corton-Charlemagne est d’une extraction plus noble, car le plus jeune fait vraiment très jeune, quand le 1990, d’un âge de gamin, fait déjà vin évolué, avec ce que cela implique de plénitude.

Nous avons décidé de mettre le Château Rayas Chateauneuf du Pape rouge 1992 à ce moment du repas, pour éviter une confrontation avec le Musigny qui ferait un vaincu. Et nous avons bien fait. Car sur la chair du turbot, ce Rayas se montre sous son plus beau jour. Voilà un vin sur lequel le caviste de notre table n’aurait pas beaucoup parié du fait du millésime. Mais il faut savoir qu’il y a une différence fondamentale entre un vin placé dans une comparaison verticale et un vin placé en situation de gastronomie. Ici, ce Rayas, très fidèlement respectueux de sa définition historique s’est comporté comme un seigneur. Il a joué son rôle, même si Rayas peut jouer plus fort.

La scène que nous allons vivre pourrait être une définition du luxe. Avoir dans le verre de droite Pétrus 1934, dans le verre de gauche Château Margaux 1934 et devant soi une truffe entière sous une croûte qu’un maître d’hôtel vient découper pour laisser échapper des arômes diaboliques, c’est assez décadent, comme le suggère l’homonyme anglais qui indique une insolente expression de rareté. Et les trois acteurs jouent juste. Le Pétrus 1934 est un vrai Pétrus, dans sa ligne historique, dense, intense, d’une trame précise, et profond comme la truffe. Le Margaux 1934 joue sur son charme débordant. C’est curieux comme Pétrus joue Pétrus et Margaux joue Margaux. Et l’on est bien en peine de dire lequel l’on préfère, même si les votes iront vers Pétrus du fait de sa rareté. Le plus truffier des deux est le Pétrus et je suis assez fier, car avant le repas et avant le service du plat, j’avais annoncé que Pétrus capterait la personnalité de la truffe et deviendrait truffe. C’est ce qu’il a fait. On aimerait que de tels moments irréels ne s’arrêtent jamais. Le parfum de la truffe en croûte est dix fois plus imprégnant que celui de la truffe précédente goûtée sur les blancs. Il fallait qu’il y eût ces deux acceptions.

On me sert toujours en premier un demi verre, car lors de l’ouverture quelques heures avant, je ne bois jamais les vins, pour affiner mon jugement en me servant de mon seul nez. Il me suffit d’un quart de seconde, encore une fois au nez, pour me rendre compte que le Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951 est un pur amour. Tout en lui est extraordinaire. Messieurs les écrivains du vin, il va falloir mettre une parenthèse sur l’année 1951, qui n’a pas laissé une trace dans l’histoire, pour encadrer ce Musigny, qui forme avec la chair tendre du chevreuil un couple qui gagnerait les Oscars des meilleurs acteurs, du meilleur scénario, et du plus bel érotisme, si cette catégorie existait. La chair est délicatement traitée, toute en subtilité, et le Musigny a cet habit bourguignon du plus bel apparat. Longueur immense, distinction, subtilité, charme, élocution. Il a tout, car son année a calmé toute velléité de rustrerie. Noble, brillant, je l’adore.

Le Château Loubens 1940 est une leçon d’agrumes. Un peu salin, il joue bien avec le Stilton. Le Château Climens 1943 fait partie de ces sauternes qui ont laissé leur sucre en route. Alors, il faut accepter cette évolution. C’est mon cas, et je suis bien conscient que c’est plus difficile pour mes convives.

Le vote des dix participants qui doivent désigner les quatre vins préférés sur dix auront concerné neuf vins sur dix, ce qui est absolument excellent. Trois vins seulement auront eu droit à un vote de premier : Petrus 1934 avec cinq votes de premier, soit la moitié de la table, ce qui est rare. Le Musigny 1951 a eu trois votes de premier et le Margaux 1934 a eu deux votes de premier. Le vote du consensus serait : Pétrus 1934, Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951, Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60, Château Margaux 1934, ce qui semble un choix très logique.

Mon vote a été : Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951, Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60, Pétrus 1934 et Château Climens 1943.

Les accords ont été tellement éblouissants qu’il serait difficile de nommer un seul gagnant. La truffe avec Pétrus 1934 est immensément académique, le chevreuil avec le Musigny est d’une sensualité forestière, l’écume de mer avec le Krug est bretonnément iodique. Mon cœur irait sans doute à la façon dont la betterave a caressé le Veuve Clicquot. C’est d’une finesse sensible romantiquement agreste.

La table a une belle forme permettant aux conversations de se développer, le service est attentif, la cuisine est ciselée avec art. Ce dîner rempli de rires et de joie fut d’un raffinement gastronomique inégalable.