Archives de catégorie : dîners de wine-dinners

les vins du 149ème dîner de wine-dinners – photos jeudi, 8 septembre 2011

Le thème est une belle verticale des vins d’Armand Rousseau : Champagne Charles Heidsieck Royal 1969 – Champagne Salon 1985 – Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1991 – Gevrey Chambertin Domaine Armand Rousseau 1972 – Charmes Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952 – Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1948 – Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1969 – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1935 (basse) – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1947 (basse) – Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952 – Echézeaux Joseph Drouhin 1947 – Château Chalon Jean Bourdy 1911 – Château Sigalas Rabaud 1896.

Champagne Charles Heidsieck Royal 1969

Champagne Salon 1985

Chevalier Montrachet Domaine Leflaive 1991

Gevrey Chambertin Domaine Armand Rousseau 1972

Charmes Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952

Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1948

Clos de la Roche Domaine Armand Rousseau 1969

Chambertin Domaine Armand Rousseau 1935 (basse)

Chambertin Domaine Armand Rousseau 1947 (basse)

Chambertin Domaine Armand Rousseau 1952

Echézeaux Joseph Drouhin 1947

Château Chalon Jean Bourdy 1911

quand la bouteille est prélevée en cave, elle n’a pas d’étiquette, aussi Jean-François Bourdy met l’année à la craie pour ne pas se tromper à l’étiquetage

Château Sigalas Rabaud 1896

148ème repas de wine-dinners – photos des vins vendredi, 10 juin 2011

Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999

Champagne Salon magnum 1976

Château Lafite Rothschild magnum 1948

Château Lafite Rothschild magnum 1922

Château Lafite Rothschild magnum 1900 (rebouchée au château)

Château Lafite Rothschild magnum 1971

Château Lafite Rothschild magnum 1961

Château Lafite Rothschild magnum 1990

Champagne Krug Clos du Mesnil 1985

Fine de Mouton

148ème repas de wine-dinners – photos vendredi, 10 juin 2011

Les bouteilles alignées. Le magnum de 1990 n’est pas encore joint au groupe

photos des bouteilles par petits groupes

les bouchons

la salle et les bouteilles alignées

les plats du repas

les verres

notre groupe

les verres « presque » vides

les bouteilles en fin de repas (mon petit doigt m’a dit que l’équipe de Ledoyen a fini ce qui restait à boire – en fait je le leur avais recommandé de le faire)

6 magnums de Lafite : 1948, 1922, 1900, 1971, 1961, 1990 vendredi, 10 juin 2011

Quand le hasard joue au billard avec moi, j’adore. Je me laisse porter par la vague, comme dans une descente en rafting, et je donne juste les coups de pagaie qui remettent l’esquif dans l’axe. Mon ami chinois, avec qui je venais de déjeuner au George V me demande de faire un dîner pour huit à neuf personnes, des amis dit-il. Je demande s’il veut du « lourd » et il me dit oui. Je bâtis un programme qui ferait passer les trompettes de Jéricho pour d’aimables pipeaux, avec du rare de chez rare, comme on disait chez les bobos, et mon programme est agréé. Croire que tout est joué serait méconnaître l’âme chinoise. Car le nombre de convives s’est mis à danser un tango argentin débridé. Nous partîmes 9 au début des réflexions, mais par un prompt renfort, nous nous vîmes 15 puis 17 sans faire le moindre effort. Des vins prévus pour neuf ne peuvent désaltérer dix-sept convives, aussi me faut-il me tourner vers des magnums. Chaque jour le nombre de convives hoquète, vers le haut ou vers le bas. Comme cette seule variable eût été trop facile à maîtriser, la secrétaire de Desmond m’informe que ce ne sera plus un dîner mais un déjeuner, car mes convives ont un « important » dîner à Bordeaux, dans un château illustre. Ils voyagent en jet privé à l’arrivée comme au départ, aussi le somptueux menu que j’avais ciselé avec Christian Le Squer est torpillé d’un Scud mortel. La quadrature du cercle ne me fait pas peur. Qui dit chinois dit Lafite, qui dit programme court impose un choix de vins limité. Je propose à Desmond un programme tout en magnums de Lafite. Il dit oui. Le menu est calibré avec Christian Le Squer. Le nombre de convives est figé à 14 deux jours avant le déjeuner. Je m’attends à de nouveaux soubresauts. La nuit qui précède le déjeuner, je retourne dans mon lit les mille surprises possibles. Levé bien avant l’heure, je me prépare au pire, car nous sommes le vendredi qui précède la Pentecôte, qui fait qu’à Paris les chenilles processionnaires automobiles cessent de processionner, ce qui risque de réduire encore la plage du déjeuner.

Le 148ème dîner de wine-dinners, qui se tient à déjeuner pour la première fois, est organisé au restaurant Ledoyen. Nous serons dans le grand salon qui donne sur le jardin qui était naguère le Cercle Ledoyen, et force est de constater que la décoration aurait besoin d’un salutaire lifting. Toute l’équipe s’affaire, car la liste de mes vins annonce un moment rare. Je veux ouvrir les magnums et, horreur des horreurs, mes outils ne sont pas dans la sacoche qui leur est destinée. Je demande aux sommeliers qu’ils me prêtent leurs outils et je suis dans la situation du chirurgien du cœur qui voudrait opérer avec une hache trouvée dans la grotte Chauvet. Je bataille, je charcute et au bout d’une heure, tous les magnums sont ouverts. Il y a des parfums exubérants, d’autres prometteurs et le magnum de Lafite 1900 qui a été rebouché dans les années 80 sent un affreux bouchon. Comme Vatel, je songe au pire, mais la meilleure des défenses étant l’attaque, j’ouvre deux magnums de plus que prévu.

Nous sommes quatorze, puis treize, puis quatorze, ce que l’équipe de Patrick Simiand gère avec un calme oriental. Il y a Desmond et son épouse, huit ou neuf chinois qui œuvrent dans l’immobilier ou le vin à des niveaux où la compétition mondiale est aussi rare que l’oxygène sur le K2, un britannique, un américain, un grec membre du club des Cents, un français et moi. Les chinois ont à peine une heure de retard, ce qui entame à peine (je me vante) ma zen attitude. C’est parti !

Pour faire venir le groupe de chinois plus vite, nous commencions à boire le Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999. Divine surprise, ce champagne que je connais est très au dessus de mes espérances. Il est solide, charpenté, d’un goût plein et coloré de jaune d’or, alors que sa robe est d’une rare jeunesse et sa bulle frétillante. Je suis absolument ravi de ce début avec un champagne brillant, serein, riche et noble. Des plateaux sont présentés avec du saint-pierre cru, du Jabugo et deux fromages dont on se sert avec de petites piques. Mon intuition me poussait vers l’accord avec le poisson cru, mais c’est le fromage qui a révélé toute l’ampleur du champagne et l’a fait sourire.

Les chinois arrivent et je pousse un ouf de soulagement, car sans eux, mes six magnums ouverts perdraient leur sens.

Le menu composé par Christian Le Squer est rédigé en anglais. Je le retranscris comme il est : Selection of Appetizers / Grilled Red Mullet fillet / Braised Turbot « Ledoyen » style / Roasted Spring Lamb, plain brown gravy / Smocked eel toast, red wine sauce / Fresh and Candied Grapefruit, Citrus sherbet.

On nous sert à table le Champagne Salon magnum 1976. J’attendais une entrée, ayant encore la mémoire d’une langoustine que nous avions initialement programmée, mais c’est en fait sur les petits amuse-bouche que doit se boire ce champagne. Avoir un Salon 1976 est rare, et en magnum, encore plus. Aussi mon attente est grande. La robe est à peine ambrée, d’un bel or clair. La bulle est puissante. Si l’on sent un début de maturité, le vin est d’une jeunesse extrême et claque sur la langue. C’est objectivement un grand champagne, mais comme j’attendais un plat, ma joie a été bridée. Comme j’en ai fait la remarque aux serveurs, remarque gentille, car la mise au point du menu a fait les montagnes russes tout au long des changements de programme, l’arrivée du rouget est avancée et je recommande à mes hôtes de faire l’essai de ce divin poisson, un peu cuit à mon goût, à la fois avec le Salon et avec le premier Lafite.

Vincent, qui a fait comme chaque fois un service impeccable des vins, m’apporte le premier verre de Château Lafite Rothschild magnum 1948. Quelle divine surprise ! Le vin est d’un velouté extrême, soyeux comme un robe d’impératrice. C’est un immense Lafite que nous goûtons, riche, tramé au point le plus fin. Je suis heureux, car même s’il y a six magnums celui-ci, à lui tout seul, justifie le voyage que nous accomplissons.

Vient ensuite Château Lafite Rothschild magnum 1922. La couleur est d’une grande jeunesse. Le nez du vin est encore plus beau que celui du 1948. Mais une acidité persistance risquerait de gâcher la dégustation. Fort heureusement, mes convives ont l’intelligence d’essayer de comprendre le vin et derrière cette acidité, il y a un fruit d’une rare jeunesse. Le plaisir n’est évidemment pas total, mais beaucoup reconnaissent que ce vin a plus de noblesse que le 1948. C’est dommage d’avoir le voile de cette acidité. A noter que le 1948 et le 1922 se marient divinement au rouget, le 1922 gagnant même en ampleur et voyant son acidité s’estomper.

Comme j’avais prévenu que le Château Lafite Rothschild magnum 1900 est bouchonné, nous n’en buvons qu’une ou deux gorgées, juste pour vérifier que c’est bien le cas. Ceci confirme qu’il ne faut pas acheter des vins reconditionnés, car c’est sûrement au rebouchage que ce goût de bouchon est apparu. Quelle tristesse que le vin phare de ce déjeuner ne soit pas au rendez-vous ! Heureusement, le Château Lafite Rothschild magnum 1971 servi immédiatement après va sécher les larmes virtuelles de notre désespoir. La couleur de ce vin est la plus claire de tous les Lafite, même si elle a une belle densité. Et ce qui frappe dans ce vin, c’est son étonnante fraîcheur. Jeunesse et fraîcheur sont des deux caractéristiques de ce vin brillant et charmeur. Le réputé marchand de vins britannique confirme que c’est bien le style Lafite, mais sa fraîcheur extrême tranche avec les autres vins.

Lorsqu’arrive le Château Lafite Rothschild magnum 1961, je me permets d’interrompre les conversations qui fusent de partout en deux langues, l’anglais et le mandarin que je fais mine de comprendre en pensant que mes sourires en disent long, pour signaler à la noble assemblée que nous nous trouvons devant l’expression la plus absolue de ce que Lafite peut atteindre lorsqu’il est parfait. Car ce vin est parfait.

Un convive un peu pointilleux signale que la couleur est légèrement trouble, mais ce qu’il conviendrait de remarquer plutôt, c’est l’incroyable jeunesse de la couleur de ce vin. C’est du sang le plus noble, même s’il n’est pas bleu. La richesse, la noblesse, la trame de ce vin sont impériales et impérieuses. On sait que l’on a touché la perfection. Je suis heureux, car le 1948 et le 1961 sont dans deux formes abouties de Lafite, le 1961 ajoutant l’exacerbation d’une année elle-même parfaite. Je jouis de la mâche de ce vin qui envahit le palais. C’est un grand moment que nous vivons, sur un agneau qui a l’intelligence, transmise par le chef, d’être un faire-valoir fidèle.

J’attendais beaucoup d’un des plats emblématiques de Christian Le Squer. Dans le schéma initial, j’avais prévu l’anguille sur Hermitage La Chapelle 1961, car l’anguille aime bien, dans cette présentation, les vins du Rhône. Aussi, le programme ayant changé, c’est sur le Château Lafite Rothschild magnum 1990 que va s’exprimer l’anguille préparée avec une sauce aux vins anciens. Et nous avons atteint aujourd’hui un accord d’anthologie, car le prolongement du vin et de l’anguille est saisissant de complémentarité. Le Lafite 1990 est d’une perfection comparable à celle du 1961. Mais c’est là que l’on voit le travail du temps : ces deux Lafite sont identiques, sauf que le 1961 a tout en plus, du fait de sa maturité. Le 1990 est le Lafite « jeune » parfait, et le 1961 est le Lafite au faîte de sa perfection. Inutile de dire que mes larmes sont effacées, malgré la tristesse d’avoir perdu un 1900 en route.

Le dessert est accompagné de Champagne Krug Clos du Mesnil 1985 qui clôt la série de trois champagnes emblématiques, le Bollinger aux vignes pré phylloxériques, le Salon et le plus beau des Krug. Le champagne Krug a tout pour lui, la couleur d’un or blanc léger, la bulle excitée et fine, le nez charmeur et une densité à nulle autre pareille, combinée à une longueur infinie.

La bouteille suivante a une histoire amusante. Mouton Rothschild fait de temps à autre une fine, dont le nom est marqué sur une étiquette qui ressemble à un papier quadrillé d’écolier. Ce qui m’avait intéressé, c’est que sur le carton, il y avait une indication manuscrite « cave personnelle de Philippe de Rothschild ». Est-elle vraie, peu importe, mais elle véhicule un imaginaire intéressant, car Philippe de Rothschild fut l’un des plus grands personnages du monde du vin. J’avais rangé cette bouteille dans une des « chapelles » que je réserve dans ma cave aux alcools, la bouteille debout en son centre, le carton avec l’inscription manuscrite derrière elle. Un ami rangeant ma cave a dû estimer que j’avais malencontreusement laissé un carton dans ce tabernacle et l’a jeté. Le fil ténu d’une évocation avait disparu. Cette bouteille de Fine de Mouton est ouverte aujourd’hui, lors d’une verticale de Lafite qui doit être une des rares qui ne soit pas faite avec les bouteilles du château, dont la collection est impressionnante et unique. Je suis heureux de finir sur cet alcool, car c’est un petit clin d’œil au rôle phare qu’ont joué les Rothschild dans l’histoire du vin de Bordeaux.

Et à ma grande surprise, cette fine dont les composantes doivent avoir plus de cinquante ans est dix fois meilleure que ce j’attendais, avec une ampleur en bouche digne des plus grands cognacs. La chance sourit aux audacieux. Du bonheur qui s’ajoute à du bonheur et mon petit nuage prend de l’ampleur.

Il est temps de voter et mes convives votent avec une extrême rapidité. J’avais distribué des feuilles de vote que j’ai ramassées, et le dépouillement n’a pas été fait sur place, pour ne pas retarder cette docte assemblée qui prend l’avion pour un dîner à Pauillac. Comme un dîner est prévu aussi dans deux jours à Lafite, je leur ai recommandé de bien montrer le menu de ce déjeuner à leurs hôtes.

Les votes sont intéressants, car cinq vins ont eu des votes de premier : Le 1961 huit fois, le 1948 ainsi que le 1971 deux fois, et le Bollinger comme le Lafite 1990 une fois. Ce qui est intéressant aussi, c’est que le 1900 a quand même eu des votes, de cinq votants chinois, sans doute parce qu’ils ont été impressionnés par l’histoire et le mythe plus que par le vin.

Le vote du consensus serait le suivant : 1 – Château Lafite Rothschild magnum 1961, 2 – Château Lafite Rothschild magnum 1948, 3 – Château Lafite Rothschild magnum 1971, 4 – Château Lafite Rothschild magnum 1990, 5 – Champagne Salon magnum 1976, 6 – Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999, 7 – Château Lafite Rothschild magnum 1900.

Mon vote est : 1 – Château Lafite Rothschild magnum 1961, 2 – Château Lafite Rothschild magnum 1990, 3 – Champagne Bollinger Vieilles Vignes Françaises 1999, 4 – Château Lafite Rothschild magnum 1948, 5 – Champagne Salon magnum 1976.

Le lendemain, je suis étonné de ne pas avoir inclus le 1971 dans mon vote, nettement mieux classé dans le consensus.

Que retenir de cette expérience ? D’abord la motivation de l’équipe de Ledoyen. Tout le monde a coopéré pour faire de ce repas un événement majeur. Ensuite je saluerai la compréhension de Christian Le Squer qui a su mettre son talent au service de l’imprévu. Avec son anguille, nous avons créé un accord légendaire. Enfin, les Lafite en magnums ont donné une démonstration éclatante d’un niveau exceptionnel de ce vin, au sommet pour le 1961 et le 1990, et très grand pour 1948 et 1971.

Je n’aurais jamais pu organiser ce repas sans la générosité de Desmond. Les chinois sont avides de connaître, d’apprendre, de retenir des leçons, mais avec une envie que l’on ressent de dépasser le niveau des autres pays. Un riche investisseur dans l’immobilier présent m’a dit qu’il voudrait la plus belle cave au monde. Par bravade et aussi pour le titiller, je lui ai dit qu’avant qu’il ne dépasse la mienne il faudrait quelques années. Nous aurons rendez-vous pour une confrontation dont j’ai pris la précaution de ne pas en faire un choc d’égos. Il est de toute façon des niveaux où je ne peux pas lutter.

Collectionneurs mes frères, ce serait bien étonnant que les prix des vins baissent dans les prochaines années.

147ème dîner de wine-dinners au restaurant Arpège jeudi, 19 mai 2011

Le 147ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Arpège. Les vins sont arrivés dans la cave du restaurant il y a une semaine, sauf un, que j’apporte ce jour même, transporté sur mes genoux pour éviter les à-coups. C’est l’Yquem 1890 dont le bouchon est d’origine, mais tellement rétréci que j’ai eu peur qu’il tombe pendant le court voyage entre ma cave et le restaurant, ce qui, une semaine avant le dîner lui eût été fatal. Il a résisté. Le niveau est haute épaule et la couleur acajou est superbe.

Lorsque je me présente à 17 heures, l’aspirateur vrombit. Il est omniprésent dans le petit espace du restaurant. Gaylord remonte la caisse et j’ouvre les vins. Le Montrachet a un nez un peu fermé. Les deux Latour sont très prometteurs. Le Cros Parantoux Henri Jayer est serein et va s’ouvrir. Le Vosne de 1959 est incertain mais je crois en lui. Le Filhot 1935 est impérial. Lorsque je décapsule l’Yquem 1890, j’ai peur que le bouchon tombe, mais il reste en place. Il est donc bien arrimé, même si c’est sur quelques millimètres. Il me suffit de pointer le tirebouchon et de tourner à peine pour que le bouchon vienne d’une seule pièce. Le parfum du vin est un miracle de subtilité. Toute la beauté d’un grand sauternes est contenue dans ce parfum. Je pousse un « ouf » de satisfaction, car le risque existait que la capsule ait eu un contact avec le vin, gâchant sa pureté. Je vais voir à la lumière du soleil ce qui est écrit sur le bouchon. On lit distinctement « YQ », puis « LUR » et plus loin « CES ». Et le « 90 » est parfaitement lisible. La grande déception, c’est le Haut-brion blanc 1936 qui dégage une puanteur quasi insoutenable. Je crois n’avoir que rarement rencontré quelque chose d’aussi intense dans le camphré, le chimique, le médicamenteux. Le bouchon est imprégné de cette odeur et sent tellement mauvais que je prends la petite assiette où je l’ai posé et voyant qu’en cuisine la porte sur la rue est ouverte, je pose l’assiette en plein soleil pour que le bouchon exsude ses mauvaises odeurs. Je dis à l’un des commis qui officie en cuisine que l’assiette est posée pour s’aérer. Quand je suis revenu un peu plus tard, je ne vois plus l’assiette et le commis explique dans un français difficile qu’il a lavé l’assiette et jeté les déchets. C’est en plongeant dans le vide-ordures que nous avons récupéré le bouchon, la jolie capsule étant passée en profits et pertes.

Tout le monde est à l’heure ce qui est remarquable et notre table est composée de deux canadiens, père et fils, qui sont les seuls nouveaux. Les autres convives, trois femmes et quatre hommes, sont des habitués.

Le menu, conçu avec Gaylord par Alain Passard est : Cueillette éphémère, petits pois et rhubarbe / Œuf à la coque, quatre épices et sirop d’érable / Ravioles printanières, consommé végétal / Turbot de la pointe de Bretagne, Côtes du Jura et pommes de terre fumées / Agneau de lait de Lozère, grands crus du potager / Poularde du Haut-Maine grande tradition à la casserole et foin du Bois Giroult / Fromages : saint nectaire et salers / Tarte aux pommes « Bouquet de rose » © caramel au lait / Fruit du soleil : mangue / Mignardises

Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle années 1960 est d’un bel or clair avec des traces de citron dans sa couleur. La bulle est active, et le champagne est d’une folle jeunesse. On croirait un champagne du début des années 80. L’indice de l’âge, c’est le miel assez fort et l’extrême rondeur du champagne. Il réagit très bien sur les petits pois.

Le Champagne Dom Pérignon 1969 fait vraiment son âge, avec une teinte plus pâle, une bulle active mais discrète, et une subtilité à nulle autre pareille. L’œuf était forcément un choix osé. Il rétrécit le champ d’expression du champagne, et dès que l’on a fini l’œuf, un petit morceau de pain fait déployer le charme de ce champagne de très grande qualité. C’est un grand Dom Pérignon, floral, frêle, romantique.

Quasiment assuré que le Château Haut-Brion blanc 1936 sera imbuvable, je commence à parler du vin que j’ouvrirais pour le remplacer, un Yquem 1918, pour lequel j’avais fait modifier la présentation des ravioles. Aussi quand Gaylord me sert le vin, une stupéfaction se lit sur mon visage. Comment ce vin que j’avais définitivement condamné peut-il avoir totalement effacé ses mauvaises odeurs ? Et ce qui est étonnant, c’est que le bouchon a gardé ces senteurs affreuses, que le vin a su gommer. C’est un miracle de plus qui montre l’extrême capacité des vins à ressusciter. Le vin est agréable à boire, son parfum est magique et le restera longtemps dans le verre vide, mais c’est sur le final que l’on sent que toutes les blessures n’ont pas été guéries. Avec les ravioles et surtout le bouillon, ce vin crée le plus bel accord du dîner. C’est pour cela qu’il recueillera des votes, ce qui me semble inouï.

On nous montre un gigantesque turbot, dont hélas la cuisson ne nous a pas convaincus. Le Montrachet Bouchard Père et Fils 1989 joue un peu en dedans. Une des convives nous dit : « on le sent plus Chevalier que Montrachet ». Elle a raison. Ce vin est agréable, bien fait, mais trop prévisible et timide. Il est plaisant mais n’est que plaisant.

Nous devions avoir un agneau des prés salés, mais pour une raison qu’Alain Passard ne s’explique pas, le fournisseur a fait faux bond. Mais l’agneau de Lozère qui le remplace est tout simplement merveilleux. Et le Château Latour 1er GCC Pauillac 1989 crée avec lui un accord naturel confondant de pertinence. Le 1989 est d’une couleur foncée, d’un nez profond, et en bouche, ce qui surprend, c’est que ce vin est beaucoup trop jeune ! A vingt-deux ans, il encore pré-pubère. On sait que Latour est le plus lent des vins de Bordeaux à s’épanouir et nous en constatons l’évidence. Mais même aussi jeune, il est palpitant. Et ce qui est intéressant, c’est que le Château Latour 1er GCC Pauillac 1949 servi sur le même plat montre à quel point le 1989 deviendra grand un jour. Car c’est à cet âge là qu’il faut boire les Latour. Ce 1949 est sublime. Il a tout pour lui, l’équilibre, le velouté, la profondeur, et un final inextinguible. C’est un grand vin et l’on sent que tout le monde communie.

Sur la poularde, nous buvons les deux bourguignons. Le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1988 ouvre la porte du plaisir. Un sourire barre mon visage. Ce vin est une leçon de choses, car il n’y a pas de bourgogne plus élégant. J’ai bu plusieurs Cros Parantoux de ce vinificateur de génie, et je n’ai pas toujours eu la réponse à mes attentes. Mais ici, c’est la perfection faite vin, avec la simplicité de son auteur. La lisibilité de ce vin est extrême. On le boit de façon gourmande.

Le Vosne Romanée Gros Renaudot 1959 n’est hélas pas au rendez-vous. Malgré une année exceptionnelle, il est pataud, rustaud, avec des notes de torréfaction qui trahissent un accident de stockage dans une des caves où il a vécu. C’est sur les fromages excellents qu’il s’exprime le mieux.

Le Château Filhot Sauternes 1935 est l’étalon de mon amour pour les vieux sauternes. Je dis souvent à titre de boutade que si l’on n’a pas bu de sauternes de 1935 ou avant, on n’a rien bu. C’est ce vin qui sert de référence, car il pourrait être inscrit au Bureau international des poids et mesures. Sa couleur est d’un or clair, son nez est une bombe d’agrumes, et en bouche c’est tout l’équilibre que peut atteindre un sauternes qui crée le ravissement, tout en ayant la retenue naturelle de Filhot.

Quand arrive le Château d’Yquem 1890, c’est « respect », comme on dit dans le 9 – 3. La couleur est acajou foncé et d’un or intense plus clair dans le verre. Le nez est délicat, subtil, raffiné. Le goût est quasiment indescriptible car si l’on cherche du caramel, on pourrait en trouver, si l’on cherche des mangues et des agrumes on pourrait en trouver, comme de la pomme cuite. Mais ce qui compte c’est cet équilibre diabolique et cette longueur impérissable. Ce 1890 au bouchon d’origine est nettement meilleur que le 1890 que nous avons bu ensemble avec deux des convives. C’est un vin immense et un témoignage unique, du fait de ce bouchon d’origine.

Ayant décidé de ne pas ouvrir l’Yquem 1918, j’ouvre devant les convives un Madère vers 1850 à la bouteille opaque d’une rare beauté, que j’avais aussi en « secours ». Sous la cire, le bouchon que je pique commence à tourner dans le goulot. Il sort aisément et entier. Le verre que je me sers révèle une merveille, comme on le verra dans mon vote. Ce vin à forte charge alcoolique est un Fregoli d’expression. Il oscille entre l’alcool et la fraîcheur. Et ça change tout le temps en bouche. Sur des petites madeleines que j’avais demandée à Nadia, ce vin crée un orgasme gustatif de la plus haute magnitude. Nous sommes aux anges.

Le classement est assez intéressant. Un seul vin, le Vosne 1959, n’a pas eu de vote, chacun votant pour cinq vins sur onze. Un vin est dans les dix feuilles de vote, c’est le Latour 1949. Quatre vins ont eu des votes de premier, le Latour 1949 quatre fois, l’Yquem 1890 trois fois, le madère du 19ème siècle deux fois et le Cros Parantoux une fois. Il est assez surréaliste que le Haut-Brion blanc 1936 qui serait allé à l’évier s’il avait été ouvert pour une consommation immédiate, ait reçu des votes de la part de quatre des dix votants.

Le vote du consensus serait : 1 – Château Latour 1er GCC Pauillac 1949, 2 – Château d’Yquem 1890, 3 – Madère vers 1850, 4 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1988, 5 – Champagne Dom Pérignon 1969.

J’aurais logiquement dû mettre l’Yquem en premier, mais j’ai voulu couronner la jouissance et mon classement est : 1 – Madère vers 1850, 2 – Château d’Yquem 1890, 3 – Château Latour 1er GCC Pauillac 1949, 4 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1988, 5 – Château Latour 1er GCC Pauillac 1989.

Malgré une table étirée en longueur, notre assemblée fut enjouée et taquine. Nous sommes tous conscients d’avoir approché des raretés absolues comme le Latour 1949, le Cros Parantoux 1988, l’Yquem 1890 et le madère du milieu du 19ème siècle.

Le talent du chef s’est exprimé sur presque tous les plats et deux accords ont été remarquables, celui des ravioles et celui de l’agneau. Mais incontestablement la vedette ce soir est sans conteste aux vins exceptionnels, quasiment irremplaçables aujourd’hui.

147ème dîner Arpège – les vins mercredi, 18 mai 2011

Champagne Laurent Perrier Grand Siècle années 1960

Champagne Dom Pérignon 1969

Château Haut-Brion blanc 1936

Montrachet Bouchard Père et Fils 1989

Château Latour 1er GCC Pauillac 1989

Château Latour 1er GCC Pauillac 1949

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1988

Vosne Romanée Gros Renaudot 1959

Château Filhot Sauternes 1935 (magnifique capsule)

Château d’Yquem 1890

Madère vers 1850

146ème diner au Ledoyen – photos vendredi, 25 mars 2011

L’ensemble des vins du dîner

deux photos partielles (on note la belle couleur du Rieussec)

la table éclairée par le soleil de printemps

les bouchons (Pétrus, avec l’année visible, le beau bouchon du Rieussec, les deux bouchons des sauternes)

celui du Ducru Beaucaillou 1934 est venu en morceaux du fait du resserrement du haut du goulot. Au centre, celui du CdP Jaboulet 66 est magnifique (à sa gauche celui de RSV DRC et à sa droite celui du Volnay)

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les plats du dîner, avec des couleurs d’une rare beauté

on voit que la sauce verte à la riquette joue un rôle non négligeable dans le plat de pigeon

le semblant de couscous fut l’objet de controverses. ce ne sera pas la bataille d’Hernani !

la table avec une forêt de verres

146ème dîner de wine-dinners – les vins jeudi, 24 mars 2011

Champagne Bollinger Grande Année rosé 1990

Champagne Salon 1985

Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1996

Pétrus 1983

Château Ducru-Beaucaillou 1934

Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1983

Volnay Santenots Lucien Chouet 1966

Chateauneuf-du-Pape Paul Jaboulet 1966

Château Chalon Fruitière Viticole de Voiteur 1966

Château Rieussec 1961

Château d’Yquem 1978

146ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen jeudi, 24 mars 2011

Le 146ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Ledoyen. Les vins ont reposé dans la cave du restaurant pendant une semaine et ont été redressés la veille. A 17 heures, la salle du restaurant bruisse de l’aspirateur, aussi est-ce un bon prétexte pour aller attendre que le ménage soit terminé dans le joli jardin où les jonquilles promettent le printemps.

Le Montrachet 1996 a un bouchon qui vient aisément. L’odeur du vin est riche et prometteuse. Pensant que le Pétrus 1983 est encore très jeune, je veux lever le bouchon au limonadier, mais c’est une erreur car il se brise en deux morceaux, le deuxième étant levé avec ma mèche miracle. En sentant le vin, je pense à la discussion que j’avais eue avec un amateur qui me disait que Pétrus 1983 est connu, dans les guides, pour être un Pétrus faible. Le velouté charmant de ce Pétrus, avec une trace de chocolat décelée par Vincent, le sommelier qui nous accompagnera ce soir, et une belle trace de truffe noire qui remplit mes narines donne tort aux guides, du moins à ce stade du premier nez. L’intérêt de mes dîners est justement de montrer que ce qu’on appelle les petites années sont nettement meilleures que ce qui est proclamé par des gourous qui ont tendance à extrémiser les écarts entre les millésimes.

En extirpant le bouchon de la Romanée Saint-Vivant 1983, très serré dans le goulot, l’éclosion du parfum me donne un large sourire. J’imagine tout-à-fait le voleur de coffres forts, au moment où le dernier clic libère les gonds. J’ai un peu de cette joie intime qui signifie : "encore un qui est réussi". Car toute l’imagerie du Domaine de la Romanée Conti cachée dans mon cerveau se libère instantanément. Et je suis bien. Je suis extrêmement étonné de la qualité absolue du bouchon du Chateauneuf-du-Pape Paul Jaboulet 1966. Car ce bouchon est parfait, souple, idéal. Félicitations à l’acheteur chez Jaboulet de ces bouchons de qualité. L’odeur du vin est plus rustique que celle du bourguignon, mais elle est sacrément charmeuse. Nous verrons. Le Volnay 1966 au niveau bas a un nez de terre et de poussière, avec un bouchon très sec et noir dans sa partie haute. Attendons de voir ce que ce vin simple nous dira.

Le bouchon du Ducru-Beaucaillou 1934 vient en mille miettes. Rien ne veut sortir. Donc j’extirpe et j’extirpe. Les miettes remplissent une assiette. Et j’ai l’explication en promenant mon doigt dans le goulot : il y a un resserrement du verre en haut du goulot qui doit être de près de quatre millimètres pour le rayon. Ce qui veut dire que le diamètre du bas du bouchon doit se resserrer de près d’un centimètre pour pouvoir sortir. Comme c’est impossible, il vient en lambeaux. L’odeur du vin est prometteuse, souhaitons-lui de tenir. Elle évoque la truffe, le café et les bois noirs.

Les deux sauternes sont insolemment parfaits, le Rieussec, moins tonitruant, me semblant plus subtil que l’Yquem. Un beau match en perspective. Est-ce lié ou ne l’est-ce pas, mais je trouve que la couleur du Château Chalon 1966 s’est troublée au moment où j’ai libéré le bouchon. L’odeur première est comme une bouffée de tabac, qui disparaît tout de suite et lentement, les effluves que j’aime de ces vins que je révère font comme la belle au bois dormant, une bise à mes rêves.

Il est temps de mettre les vins au frais, car il fait chaud dans la pièce. Je sens une dernière fois les vins. Tous entament le lent travail de l’oxygénation lente. Curieusement, c’est le Montrachet qui s’est refermé, comme s’il voulait se cacher. Attendons ce soir.

Christian Le Squer vient me saluer, et nous discutons du rouget que j’ai voulu absolument associer au Pétrus. Christian a prévu une eau acidulée poivrée avec le rouget, mais je ne la sens pas. Je demande une tapenade à côté de la chair pure du rouget. Christian est d’accord. Je suis ravi.

Patrick Simiand, directeur du restaurant, avait prévu que le foie gras serait servi en même temps et à côté de l’anguille. Il me semble préférable de les servir en décalé. Tout me semble au point. Je m’habille de frais. Les premiers convives arrivent. Hélas, la gent masculine fait mentir toutes les lois sur la parité, car aucune beauté féminine ne viendra illuminer notre table. Deux seulement des dix convives sont des nouveaux. La finance, les services et les activités intellectuelles ou culturelles forment notre panel.

Le menu composé par Christian Le Squer est : Nougatine chocolatée de foie gras / Anguille pomme verte / Lamelles de Saint-Jacques marinées à cru, écume de mer / Rouget snacké, tapenade / Grillade de Pigeon aux fleurs de navets, jus de riquette / Semoule d’agneau au parfum d’olives / Vieux Comté / Raviole de Fruits Exotiques.

Le foie gras est quelque chose d’assez surréaliste : il commence par un goût de foie gras confortable, puis le chocolat s’installe et pousse le foie gras hors de la place qu’il avait prise, et enfin le poivre règle le compte des deux saveurs précédentes en les chassant. Ce parcours en bouche est étonnant. Et le Champagne Bollinger Grande Année rosé 1990 met de l’ordre dans toutes ces composantes, assurant la cohérence du plat, ce dont on peut lui être reconnaissant. C’est un bon champagne, mais j’aurais tendance à dire que ce n’est qu’un bon champagne. Il ne crée pas l’émotion que l’on pourrait attendre d’une année de grande qualité. Il est bon, il coordonne le plat. Mais il ne va pas au-delà.

En revanche, le Champagne Salon 1985 nous fait grimper de dix étages. Car tout en lui est subtil, complexe et romantique. Ce champagne n’a pas d’âge. Sa couleur est claire, sa bulle est percutante, et son goût est follement jeune. Mais il est merveilleusement assemblé, et nous transporte d’aise par sa complexité. Il est difficile d’imaginer champagne plus brillant que celui-ci. La portion d’anguille est un peu chiche et c’est dommage, car l’accord créé par l’acidité de la pomme verte avec le Salon est un des plus raffinés de ce repas.

Le nez du Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1996, c’est les trompettes de la renommée. Une bouffée de puissance et de complexité. Les Saint-Jacques sont présentées de façon remarquable, avec une belle subtilité, qui met en évidence l’insolente sérénité du montrachet conquérant. Cette bombe d’arômes plus divers les uns que les autres où la minéralité et le fruité joyeux dominent est un vrai bonheur. L’accord serein et délicat est un des plus beaux.

Pétrus 1983, c’est Clark Gable dans Autant en Emporte le Vent. La séduction exsude de tous les pores de la peau. Le vin a un nez velouté, tout en douceur comme un coussin profond. En bouche, il est subtil, délicat, mais avec une force de proposition affirmée. Cette année n’a pas la noblesse des 1989 et 1990 pour Pétrus, mais ce vin est grand, sans aucun doute possible. Je suis fier de "mon" accord, puisque je l’ai suscité, car le mariage Pétrus et rouget est diabolique. Il y a une résonance particulière, et le poisson donne de la "râpe" au vin. L’accord avec la tapenade donne de la truffe au vin.

Vincent qui a fait un service remarquable veut servir le Château Ducru-Beaucaillou 1934 en même temps que le Pétrus, mais ce serait de l’assassinat. Aussi est-il servi en deuxième lever de rideau. Une acidité très présente trahit un vin fatigué. Je suis content car l’un des nouveaux convives, amoureux des vins anciens, a pris le soin de "lire" le message du vin derrière l’acidité et a senti ce qu’il y avait d’authentiquement 1934 dans ce Ducru. C’est une belle évocation mais un vin fatigué. Il a bien réagi à la tapenade.

Lorsque mon nez se rapproche du verre qui m’est servi de Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1983, c’est bien la première fois que des sels me feraient m’évanouir. Car ce vin, d’une année cataloguée elle aussi dans les petites, est diabolique de perversité. Capable d’une absence totale d’objectivité, je suis au bord du climax rien qu’en sentant ce vin. Quel grand vin ! Je me pâme. Le pigeon est d’une rare audace avec cette sauce verte d’une salade qui est la cousine montagnarde de la roquette. En tant que tel, le plat est passionnant. Avec le vin, cela devient très intellectuel. Le vin de la Romanée Conti est assez clairet. En bouche, la salinité du domaine s’expose avec évidence, comme si l’on suçait un galet frotté de sel. Le vin est merveilleux. Comme pour les bordeaux, j’ai fait servir avec un décalage le Volnay Santenots Lucien Chouet 1966. Et contrairement à ce qui venait de se passer, le Volnay se place remarquablement bien et dans un moment fulgurant, il a délivré un message de roses rares, qui fut un pur ravissement. Ce flash instantané de roses pures m’a ému.

Un ami très cher, brillant amateur, est d’une dureté extrême envers le plat qui évoque le couscous. Et c’est vrai que le plat, sans viande pure et uniquement avec des farces, a du mal à trouver sa place dans ce repas. Mais je suis beaucoup moins critique que mon ami. Car la résonance s’est quand même faite avec le Chateauneuf-du-Pape Paul Jaboulet 1966 beaucoup plus raffiné que ce qu’on attendrait. C’est un vin simple et joyeux, jouant sa partition un ton au dessus de ce qu’il devrait. Ce vin naturellement plaisant nous a conquis.

Le comté de 36 mois est magnifique car il ne fait pas trop affiné. Le Château Chalon Fruitière Viticole de Voiteur 1966 crée un de ces accords dont on ne se lasse pas. Mais c’est du vin que je me suis un peu lassé, car il a joué "en dedans" de ce qu’il pourrait donner.

Alors que le programme prévoyait que l’on finisse sur l’Yquem, en goûtant les deux sauternes il m’apparaît qu’il faut commencer par l’Yquem et attendre avant de boire le Rieussec, dont les propriétaires, dans le passé, étaient les grands parents de l’un des convives.

Le dessert, alors que j’ai toujours peur des sorbets pour la préservation du palais, est idéal pour le Château d’Yquem 1978. C’est un Yquem plein et joyeux, mais comme pour le Bollinger de début de repas, je trouve qu’il ne joue pas au niveau qui est le sien. Et je pense qu’il faut aujourd’hui oublier d’ouvrir ce millésime qui connaîtra une vocation tardive. Je le vois bien suivre un parcours comme celui du Filhot 1935 maintes fois mis dans mes dîners, qui est éblouissant depuis qu’il a dépassé ses 60 ans.

Le plus jeune sauternes ne peut pas voler la vedette au Château Rieussec 1961 diabolique de séduction et d’un raffinement rare. L’Yquem est encore un jeune non encore décoffré, alors que le Rieussec est un Vert Galant. Tout en lui est élégance, avec des mangues, des fruits exotiques pleins son panier.

Le repas s’est passé dans les rires et nous avons le plus souvent été éblouis par la pertinence des accords. Il est temps de voter et ce n’est pas si simple. Nous sommes dix à voter pour cinq vins préférés.

Sur les onze vins, neuf ont eu des votes, ce qui me plait toujours, et je suis heureux que les fantassins, le Volnay ait eu quatre votes et le Chateauneuf-du-Pape ait eu trois votes. Encore un autre sujet de satisfaction, cinq vins ont eu des votes de premier, ce qui est assez extraordinaire et montre à quel point les préférences des convives sont liées à des multitudes de critères différents. Cela relativise les jugements péremptoires de gourous qui voudraient nous dire "la" vérité des vins. Le Rieussec a eu quatre votes de premier, le Salon et le Montrachet deux votes de premier, la Romanée Saint Vivant et le Volnay (eh oui !) ayant un vote de premier.

J’ai proclamé un peu vite les résultats en plaçant en tête le Rieussec aux quatre places de premier, alors que le Pétrus, qui n’a pas eu de place de premier a eu cinq places de second et trois places de troisième, seul vin à figurer dans les dix feuilles de votes.

Le classement du consensus serait : 1 – Pétrus 1983, 2 – Château Rieussec 1961, 3 – Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1996, 4 – Champagne Salon 1985, 5 – Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1983.

Mon vote est : 1 – Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Pétrus 1983, 3 – Château Rieussec 1961, 4 – Montrachet Marquis de Laguiche Joseph Drouhin 1996, 5 – Champagne Salon 1985.

Nous avons exploré de nombreuses régions de France avec des vins de grand prestige mais aussi des fantassins qui ont tenu leur place crânement. Le plus bel accord, pour mon goût, est celui de Pétrus et du rouget, qui est, on me le pardonnera, ma petite coquetterie. Les Saint-Jacques avec le Montrachet ont formé un accord très naturel alors que l’accord anguille et Salon est totalement excitant. La riquette avec la Romanée Saint-Vivant fait partie de ces audaces qu’il faut tenter.

Nous avons eu mille raisons de nous réjouir, dans une ambiance chaleureuse et souriante. Le service du restaurant Ledoyen est parfait. On s’y sent bien. Ce fut un grand dîner.