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ouverture des bouteilles dimanche, 15 mars 2009

Pour aller à la Maison Boulud pour ouvrir les bouteilles, je décide d’emprunter les grandes artères et de traverser la place Tiananmen. Il y a un dimanche à midi dans les rues et sur la place une foule immense dont l’ampleur transposée à Paris serait un rêve pour tout secrétaire général de la CGT. C’est une armée compacte qui occupe les lieux, avec calme, bonhomie et curiosité.

L’ouverture du bouchon de chaque bouteille se passe normalement en deux fois. D’abord, avec un tirebouchon limonadier classique, je soulève le bouchon de quelques millimètres, deux ou trois. Puis, retirant cet outil, j’use de la longue mèche d’un autre tirebouchon, enfoncée sur une longueur plus grande que celle du bouchon, pour lever la totalité du bouchon, qui ne remonterait normalement pas avec le limonadier. Pensant que le bouchon de l’Y d’Yquem 1980 est suffisamment solide, et comme je parle avec Koen, l’aimable jeune sommelier, j’oublie d’utiliser les deux étapes et ce qui devait arriver arrive, un disque peu épais de la base du bouchon reste collé dans le goulot. Comment l’extirper sans l’enfoncer dans le liquide, du fait de la pression mise pour piquer le liège ? Il m’a fallu de longues minutes pour extirper ce disque restant sans qu’une miette de bouchon ne tombe dans le précieux vin. Echaudé par cette expérience liée à l’insouciance pendant mon bavardage je revins au mode opératoire classique pour les autres bouteilles qui furent ouvertes avec facilité. Les odeurs du Pétrus 1959 et de Latour 1953 sont absolument parfaites.

Je retourne à mon hôtel pour une dernière petite sieste avant le dîner. Desmond a demandé que le repas débute à 18 heures précises pour qu’il finisse suffisamment tôt. La veille, il m’avait annoncé que nous serions onze au lieu des douze primitivement prévus. Lorsque nous pénétrons dans la salle à manger joliment agencée, il annonce dix personnes, dont une qui viendra avec retard. Nous saurons au troisième plat que le dixième ne viendra pas. Nous serons donc neuf à partager douze vins.

113ème dîner de wine-dinners à Pékin – le récit jeudi, 12 mars 2009

La très jolie décoration intérieure de la maison Boulud, et la table dressée avant le repas

Vingt minutes avant l’heure dite, je pénètre dans la grande salle décorée de rouge et de noir de la Maison Boulud qui nous est affectée. La table est ovale, comme Ignace Lecleir m’avait opportunément proposé et Desmond est déjà en grande conversation avec des personnages importants de l’Etat chinois ou de la région pékinoise. Nous devions être douze, ce qui est la limite haute acceptable pour mes dîners, nous devions ensuite être onze annoncés hier, mais nous serons en fait dix dont un arrivera fort tard. Les treize vins prévus pour douze deviennent pléthoriques pour dix. Courage messieurs. Je dis messieurs mais nous compterons aussi une femme, personnage important puisqu’elle est responsable de la gestion d’espaces et de patrimoines de la ville de Pékin. Il y a un français, qui fut le trait d’union entre Desmond et moi, un autrichien qui vit à New York, Desmond, et six autres chinois dont deux seulement parlent anglais. Je suis obligé de recourir aux services de Desmond, mais aussi de la charmante femme pour me faire comprendre. Contrairement à la veille, où Li Wei multipliait en chinois la longueur de mes phrases par un facteur dix, Desmond les divise par un facteur de même ampleur. Lorsque je fais un commentaire dont l’urgence me parait incontournable, suis-je traduit ou non, l’histoire ne le dira pas.

Au moment où je rassemble tout le monde pour donner les consignes pour profiter au mieux du dîner, je me rends compte que mes propos rencontrent un intérêt certain. L’humeur est joyeuse, rieuse, mais studieuse. La suite du dîner me montrera que mes « consignes » sont appliquées et suivies, notamment lorsque j’ai demandé de boire lentement. Nous commençons à boire debout le Champagne Krug magnum Vintage 1973. Sa couleur tend vers un rose orangé délicat, sa bulle est très faible mais le pétillant est intact. Ce champagne me permet de définir la notion de vin ancien qui intéresse beaucoup mes hôtes.

Le menu composé par Daniel Boulud et exécuté brillamment par Brian Reimer a été mis au point au cours de multiples échanges, ce qui est un immense plaisir pour moi. Le voici : Hors d’Œuvre / Thon Blanc mariné à la carotte et citron vert / Langouste au safran, Crème de moules et Royale de choux fleur / Cabillaud aux cèpes et céleri rave / Jarret de Veau braisé à la sauge, Pommes mousseline / Filet Mignon Truffé, Racines en Pot au Feu / Canard Roti aux prunes et Jeunes navets farcis / Tranche de foie Gras poêlé au naturel / Jeune Stilton et Mangue Caramélisée / Madeleines Tièdes à la Réglisse.

Nous passons à table et le Krug accompagne les quatre petites pièces de hors d’œuvre. Ce n’est que plus tard que je me rendrai compte que le Pata Negra que j’avais demandé comme cinquième morceau d’ouverture n’a pas été servi. J’explique mes sensations sur ces entrées pour mesurer si elles évoquent quelque chose pour mes interlocuteurs. La pomme de terre fourrée au caviar donne à mon avis une plus grande verticalité au champagne. Le blini au saumon au contraire, beaucoup plus confortable, développe son horizontalité. Le crabe au basilic fait la synthèse des deux en contribuant à un équilibre fort du champagne qu’il arrondit. Et la quatrième entrée à base de coquille Saint-Jacques représente un apport moins significatif au goût du champagne. Je sens Desmond dubitatif au début de mes explications puis petit à petit, il semble qu’il les intègre et en communique l’intérêt à ses invités. C’est surtout l’occasion de faire comprendre que dans ce dîner il ne s’agit pas seulement de comprendre les vins mais aussi de s’imprégner des accords prévus entre les mets et les vins. Pendant ce temps le Krug s’épanouit dans nos verres. L’ami autrichien est un grand amoureux des champagnes anciens et communique son enthousiasme à toute la table.

Le Champagne Salon Mesnil sur Oger 1959 est incomparablement parfait. C’est certainement le plus grand 1959, année rarissime, que j’aie bu de cette grande maison. Le dernier avant celui-ci provenait directement des caves de la maison Salon et était mort. Celui-ci est d’une perfection absolue. Tout le monde comprend que le Krug 1973 est un champagne ancien alors que ce Salon 1959, pourtant plus vieux de quatorze ans est un jeune champagne. Il a toute sa bulle, il a la couleur d’un jaune de jeune champagne. Il se développe complètement et n’a pas le moindre signe d’âge. L’acidité est contrôlée, la longueur est immense. Le plaisir est total. Je me demande si j’ai déjà bu un meilleur champagne. Je ne sais pas, mais je sais qu’il entre dans le groupe des plus beaux que j’aie jamais bus. Le plat, merveilleusement simplifié par Brian Reimer, avec la chair exquise du thon blanc et le citron vert qui aiguillonne le Salon, crée un accord d’une exactitude absolue. Cela se reproduira encore.

Le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1988 constitue le plus bel exemple possible de la pertinence de ma méthode d’ouverture des vins. Car jamais le même vin ouvert juste au moment de servir ne pourrait avoir cette opulence, cet équilibre et cet accomplissement. Le vin est joyeux, multiforme, complexe et nous réjouit.

Je suis servi en premier du Château l’Angélus Pomerol 1961 et le premier nez est assez poussiéreux, mais on sent que le vin va s’épanouir. J’observe autour de moi et l’intérêt envers ce vin est évident. Le vin s’étend dans le verre et devient un Pomerol très subtil. Le plat est merveilleux et l’accord avec le cabillaud, qui fait partie des combinaisons que j’adore est absolument divin. 

J’avais apporté à Pékin deux bouteilles de Château Lafite-Rothschild Pauillac 1943 et au cas où aucune des deux ne conviendrait, j’avais apporté Lafite 1964 dont je connais la solidité. Compte-tenu de l’incertitude, j’avais ouvert la plus basse des deux 1943,  puisqu’il paraît logique qu’un secours éventuel vienne de la plus haute que de la plus basse. L’odeur était tellement convaincante à l’ouverture, confirmée par Koen, que j’avais décidé que nous boirions celle-ci. Ce qui caractérise ce vin, c’est la subtilité et la douceur. Il est la définition même du velouté. Tout en lui est finesse et l’accord avec le jarret de veau est prodigieux.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961 a un nez où l’alcool se fait sentir, et son goût est unique. Même si je dithyrambe, je dirai qu’il est fantastique de perfection. Il est compliqué et complexe et kaléidoscopique. Lorsqu’avant le repas les officiels de Pékin ont visité avec Desmond les cuisines de Daniel Boulud, j’ai eu le temps de glisser à Brian que La Tâche sent tellement la truffe qu’il faudrait qu’il ait le bras lourd au moment de servir le plat, ce qu’il fit. La Tâche est impérieusement dotée de parfums de truffe mais, à ma grande joie, Desmond lui découvre aussi des notes de roses, parfum subtil qui signe si bien les vins du Domaine de la Romanée Conti. Je m’amuse à constater qu’avec le filet mignon truffé, La Tâche devient truffe. Son âpreté saline est divine. Son final est de première grandeur. Je me dis qu’avec tous ces superlatifs mérités par les vins de ce soir, le vote sera bien difficile.

Sur le même plat, nous buvons aussi le Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928. Il est très doux, très agréable et il tient sa place à côté de La Tâche, malgré une évidente différence de noblesse. Plusieurs convives feront remarquer à quel point le 1928 évolue dans le verre pour devenir de plus en plus charmeur. Et chose curieuse, le 1989 qui va suivre le met encore plus en valeur lorsqu’on revient vers lui.

Le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989 représente certainement la perfection que peut avoir un vin des Côtes de Nuits sur les vingt ans qui encadrent 1989. Il a la gentillesse d’améliorer le 1928, et il reste malgré tout moins charmeur que La Tâche 1961. Il faut dire que le 1989 est un vin parfait, alors le 1961 est un vin canaille, hors du temps et hors des modes.

J’avais décidé lors de la préparation du repas qui a pris plusieurs mois de mettre le Corton Charlemagne J.F. Coche-Dury 1996 à ce moment du dîner, pour que sa puissance ne tue pas les vins qui le suivent. Comme les vins à venir sont des liquoreux, le risque n’existe pas. Lorsque nous avons discuté avec Daniel Boulud des plats possibles à ce stade, j’ai suggéré un foie gras poêlé. La qualité du foie gras chinois est absolument exceptionnelle. Le fumé et le charnu du foie sont confondants. Et l’accord est si grandiose que je demande à Koen que Daniel Boulud vienne le déguster à notre table puisqu’une place s’est libérée, du fait du départ anticipé de l’un des convives chinois. Daniel s’assied et dit à Desmond : « j’ai déjà fait des centaines de dîners d’exception. Mais je crois n’avoir jamais rencontré quelqu’un d’aussi exigeant sur les détails que François ». J’ai pris cette remarque comme un compliment amical. L’accord du Coche-Dury avec le foie gras est incroyable. Le léger sucré du foie donne au Corton-Charlemagne une maturité et une expression extraordinaire. Il faudrait pouvoir mémoriser un tel accord pour le figer dans les annales de l’UNESCO.

Nous goûtons maintenant deux vins ensemble, le Château d’Yquem 1967 et le Château Guiraud Sauternes 1893. Ce deuxième vin a été reconditionné dans sa bouteille d’origine en 2000. C’est d’ailleurs le seul vin reconditionné de ce dîner. Sur le stilton, c’est le Guiraud qui est le plus agréable. J’apprends aux chinois comment mâcher le stilton et boire le sauternes pour que la combinaison se fasse mieux. Ils se prêtent à ce jeu de bonne grâce et constatent avec plaisir que la façon de gérer les quantités ajoute de la pertinence. L’Yquem est un plus grand sauternes que le Guiraud, surtout s’il s’agit du 1967, année magistrale, mais le 1893 est d’un charme plus percutant dans des arômes de thé et dans sa subtilité. C’est un vin extrêmement raffiné, alors que l’Yquem a encore la fougue et la puissance de la jeunesse.

Nous abordons maintenant les deux vins de Chypre, le Chypre Commandaria Ferré 1845 et le Chypre Commandaria 1845, vins dont je serais incapable de définir les différences d’origine. Les bouteilles ont des formes distinctes et les goûts sont assez proches, même si celui qui n’est pas « Ferré » me paraît encore un peu plus subtil. On sait que ces vins correspondent à l’apex de mes amours. J’avais demandé des madeleines avec une suggestion de goût de réglisse et, en ce début d’après-midi, des traces de poivre noir. Les deux Chypre ont bien le poivre noir, mais cette fois-ci c’est l’orange confite qui domine, plus que la réglisse, chez le non Ferré que je préfère, alors que le Ferré n’a pas d’orange confite mais de la réglisse. Ces vins sont dans des registres de raffinement total.

Au début du repas, j’avais demandé à Desmond s’il acceptait que nous votions et il m’avait répondu : « bien sûr ». Alors que voter est particulièrement difficile devant l’abondance de vins superbes, qui n’ont pas souffert le moins du monde du voyage qu’ils ont fait il y a un mois et demie, je m’aperçois que mes convives ont une belle intelligence de votes.

Regardons un instant les vins qui n’ont pas eu de votes des neuf votants : le magnum de Krug 1973, excusez du peu, le Chevalier-Montrachet 1988, et le Lafite 1943. Il faut donc que les neuf autres (je compte les Chypre pour un) aient été brillants pour que de si beaux vins n’aient pas de votes.

Le Salon 1959 a obtenu quatre votes de premier. La Tâche 1961 a obtenu trois votes de premier. L’Angélus 1961 et le Guiraud 1893 ont obtenu chacun un vote de premier.

Le vote du consensus serait le suivant : 1 – Champagne Salon Mesnil sur Oger 1959, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961, 3 – Château Guiraud Sauternes 1893, 4 – Château l’Angélus Pomerol 1961.

Mon vote est : 1 – Champagne Salon Mesnil sur Oger 1959, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961, 3 – Chypre Commandaria 1845, 4 – Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989.

L’accord le plus extraordinaire est celui du Corton-Charlemagne 1996 avec le foie gras poêlé et sans doute ensuite le thon blanc avec le Salon 1959, même si beaucoup plats pourraient revendiquer la deuxième place. Il convient de saluer l’effort de création de Daniel Boulud dont les recettes ont été travaillées et épurées pour aller dans le sens des vins. Ce fut remarquable. Koen a fait un grand travail de sommellerie.

Alors que beaucoup de personnes, dont encore tout récemment cette riche femme entrepreneur chinoise, m’avaient mis en garde sur la capacité d’apprécier le concept de mes dîners par des chinois, je dois dire que j’ai été impressionné par le contraire, à savoir leur volonté de connaître, leur sagesse de réactions, et leur adhésion aux règles de fonctionnement de ces dîners. C’est donc le cœur fatigué mais joyeux que j’ai quitté  la Maison Boulud en me disant que je venais de réaliser un projet assez incroyable de faire entrer les vins de ma planète dans l’univers culturel de chinois très sympathiques. L’obstacle de la langue n’a pas empêché le partage des émotions.

Par un mail de félicitation Desmond me confirme ce lendemain matin que tous ses amis ont été ravis. Ce 113ème dîner de wine-dinners en terre chinoise sur une cuisine française fut un grand succès.

Daniel Boulud venu manger le foie gras, Desmond et son ami autrichien

La table en fin de repas

113ème dîner de wine-dinners, le menu et les vins jeudi, 12 mars 2009

Les vins ouverts, photographiés en cave

Hors d’Œuvre

·         Pata Negra Ham with Sourdough Tuile

·         Crab Roll with basil and orange

·         Hamachi Tartar with caviar and Meyer Lemon

·         Potato Blinis with smoked salmon 

Magnum champagne Krug Vintage 1973

Thon Blanc mariné à la carotte et citron vert

Carrot-Ginger cured Hamachi, Edamame and Lime zest

Champagne Salon Mesnil sur Oger 1959

Langouste au safran, Crème de moules et Royale de choux fleur

Langouste with Saffron – Mussel Cream and Cauliflower Royale

Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1988

Cabillaud aux cèpes et céleri rave

Black Cod with a Porcini Marmalade, Celery Root

Château l’Angélus Pomerol 1961

Jarret de Veau braisée à la sauge, Pommes mousseline

Braised Veal Cheeks, with Sage, Buttered Potato Mousseline

Château Lafite-Rothschild Pauillac 1943

Filet Mignon Truffé, Racines en Pot au Feu

Beef Tenderloin « Truffé », Root Vegetable Pot au Feu

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961
Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928

Canard Roti aux prunes et Jeunes navets farcis

Roasted Duck with Red Plum Stuffed Turnips

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989

Tranche de foie Gras poêle au naturel

Roasted whole Foie Gras au jus naturel

Corton Charlemagne J.F. Coche-Dury 1996

Jeune Stilton et Mangue Caramélisée

– Young and Creamy Stilton, Raisin Bread Crackers

– Mango Tarte Tatin

Château d’Yquem 1967
Château Guiraud Sauternes 1893 –

Madeleines Tièdes à la Réglisse

Warm Madeleine with Licorice ChantillyCyprus Commandaria Ferré 1845
Cyprus Commandaria 1845

113th wine-dinner – news jeudi, 12 mars 2009

The bottles have been opened at 2 pm.

All the smells seem good. The most tight smell is the Cros Parantoux Henri Jayer 1989.

The most explosive smell is the Corton Charlemagne Coche Dury 1996.

The greatest dreams are the two Cyprus wines of 1845. These wines have kept a perfume which is incredible after 164 years in their bottles.

We will see how all that works ….

113 ème dîner – bouchons et capsules jeudi, 12 mars 2009

On peut voir que le bouchon du Chevalier Montrachet Bouchard 1988 a la trace d’un enfoncement de tirebouchon. Pourquoi?

Quant au Corton Charlemagne Coche-Dury 1996, pourquoi un vin si jeune a-t-il autant de poussière ?

Les beaux bouchons des deux bourgognes blancs et le bouchon de l’Yquem 1967

Le bouchon du Cros Parantoux Henri Jayer 1989 et celui de l’Angélus 1961. Pour l’Angélus, il y a marqué "Pomerol" sur ce bouchon du 1961, sans indication du nom du vin.

La capsule et le haut de la bouteille de La Tâche 1961

Le bouchon du Chateau Guiraud 1893 a été changé en 2000. On voit apparaître "Bernard Propriétaire". S’agit-il d’Olivier Bernard qui vient tout récemment de devenir co-actionnaire de ce château ?

Le très beau bouchon de Lafite 1943 et le bouchon très sain du Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928

113th dinner in Beijing – wines pictures jeudi, 12 mars 2009

Magnum champagne Krug Vintage 1973

Champagne Salon Mesnil sur Oger 1959

Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1988

Château l’Angélus Pomerol 1961. Il convient de noter que sur tous les documents qui ont été imprimés, menus et fascicules, l’Angélus a été présenté comme un Saint-Emilion, puisque c’est ainsi que l’Angélus est connu. C’est en débouchant la bouteille que j’ai constaté sur le bouchon que seul le nom "Pomerol" est inscrit. Mais l’interrogation ne m’est venue que plus tard, lorsque j’ai rédigé le compte-rendu du dîner. 

Château Lafite-Rothschild Pauillac 1943 (two different bottles, one being a security)

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La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961 (the lables did not stick to the bottle)

Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1989

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Corton Charlemagne J.F. Coche-Dury 1996

Château d’Yquem 1967

Château Guiraud Sauternes 1893

Cyprus Commandaria Ferré 1845

Cyprus Commandaria 1845

dîner wine-dinners du 19 février – vins – photos jeudi, 19 février 2009

Champagne Dom Pérignon Œnothèque en magnum 1990 (photo des deux champagnes sur fond d’ardoise)

Vouvray sec Caves Prunier 1959

Chassagne Montrachet Moillard Grivot (Tasteviné en 1951) 1947

Chablis 1er Cru Fourchaume Joseph Drouhin 1962 (en sécurité)

Château Pontet Grand Cru Saint-Emilion 1955

Château Tertre Daugay Saint-Emilion 1955 (en sécurité)

Cos Labory Saint-Estèphe 1928

Moulin à Vent Chanson Père et Fils 1945

Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1983

Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1969

Château d’Yquem 1966

dîner à l’Astrance – les photos jeudi, 19 février 2009

Tous les vins du dîner

autres photos de groupe

Le bouchon de La Tâche 1983 et celui brisé de l’Yquem 1966.

Le bouchon du Moulin à Vent voisin de celui en charpie du Vouvray

La totalité des bouchons

Il y a un contraste entre les teintes bonbon acidulé de la table et les teintes pastel de cette jolie décoration florale

Brioche tiède, beurre à la truffe noire, copeaux de poire

Cappuccino de champignons, fondue de parmesan

Coquille Saint Jacques dorée, poudre de cèpe et pomme

foie gras en dés que j’ai fait ajouter pour le Vouvray

Sole meunière, épinard et pâte de citron jaune, noisette grillée

jeunesse de couleur des bordeaux

Agneau grillé, aubergine laquée au miso, jus de cuisson

Pigeon cuit au sautoir, fondue d’oignon très légèrement épicée

Fricassée d’abat de canard

dessert meringué au thé vert fait par surprise par Pascal Barbot

Mangue caramélisée et madeleines

Je n’ai pas eu le réflexe de photographier tout de suite tous les verres. Certains sont déjà partis

La Tour Eiffel, sans doute contente de voir que l’on a honoré la réputation gastronomique de Paris, me fait un gentil clin d’oeil.

112ème dîner de wine-dinners au restaurant Astrance jeudi, 19 février 2009

Le 112ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Astrance. J’arrive un peu avant 17 heures pour ouvrir les bouteilles. Il faudrait que je m’applique à noter plus de détails sur cette opération cruciale. Pour m’échauffer, car la qualité superbe des bouchons devrait me faire démarrer par une ouverture facile, je choisis en premier l’Yquem 1966. Mais, oh surprise, le bouchon s’émiette en mille morceaux, ce qui est étonnant. L’odeur du vin est sensuelle et explose de mangue. C’est un modèle absolu de la perfection du parfum d’Yquem. J’ouvre ensuite La Tâche 1983. Avec autant d’imprévu que dans un film de John Wayne, le haut du bouchon sent une fois de plus avec une forte intensité la terre de la cave du domaine de la Romanée Conti. Le bouchon est superbe, sain, de grande qualité. Le nez du vin a l’émotion des vins du Domaine. La capsule du Pontet 1955 est plusieurs fois trouée et quand je l’enlève je constate que le bouchon a baissé d’un bon centimètre. Comment ne pas l’enfoncer dans le vin ? Archimède disait : « donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde ». Il me fallait pouvoir piquer dans le bouchon sans le pousser. J’y suis arrivé. Le bouchon est un peu sec sur la partie supérieure et bien souple sur le reste. Le niveau est à mi-épaule. L’odeur est saine. Le bouchon du Cos Labory est de la charpie. L’odeur est saine, aussi n’ai-je pas besoin d’ouvrir le bordeaux de réserve. Le bouchon du Moulin à Vent 1945 est une petite merveille. Parfaitement sain et souple il est venu en une fois, entier. J’admire sa qualité. Il pourrait être une leçon pour des appellations plus prestigieuses.

Le Vouvray sec 1959 a de la cire, cassée sur le dessus par un croisillon métallique comme on en trouve pour les pétillants. Mais ce croisillon n’a pas pour mission de retenir le bouchon. C’est de la décoration. Le bouchon se brise en mille morceaux et montre sa texture particulièrement déplorable. Le Chassagne-Montrachet 1947 et le Chablis 1962 ont des bouchons conformes à ce que je pouvais attendre. Le Chablis a été ajouté car les couleurs des deux autres blancs suggèrent une forte madérisation. Son odeur est engageante.

La taille maximale d’une table étant de huit, nous sommes huit, dont trois vignerons, l’un de champagne, un autre de Bordeaux et le troisième de Bourgogne. Il n’est pas prévu que l’on boive les vins des vignerons sauf pour les champagnes, car il est difficile de faire boire à un champenois autre chose que son enfant. Nous sommes entre hommes, la table étant complétée par des habitués amateurs de vins anciens.

Le menu de Pascal Barbot est fondé sur les produits du moment : Brioche tiède, beurre à la truffe noire, copeaux de poire / Cappuccino de champignons, fondue de parmesan / Coquille Saint Jacques dorée, poudre de cèpe et pomme / Sole meunière, épinard et pâte de citron jaune, noisette grillée / Agneau grillé, aubergine laquée au miso, jus de cuisson / Pigeon cuit au sautoir, fondue d’oignon très légèrement épicée / Fricassée d’abat de canard / Mangue caramélisée et madeleines.

Le Champagne Dom Pérignon Œnothèque en magnum 1990 se présente dans un flacon d’une rare élégance. Le nez du premier versement est extrêmement minéral. Le vin est d’une grande personnalité. Comme nous le découvrons sans nourriture, nous sentons le besoin de manger, car le champagne brillera. Et la brioche à la truffe propulse le champagne au firmament. Il devient opulent, assis, sans puissance excessive, avec le frémissement romantique de la bulle propre à Dom Pérignon. Les petits copeaux de poire excitent son caractère de fruit blanc. Le champagne change complètement de personnalité sur l’émulsion de champignons, gagnant en rectitude et en synthèse. Et quand le parmesan de fond de plat prend le pouvoir, il estompe le champignon, donnant un troisième aspect à ce grand champagne sans une once d’acidité et à la puissance mesurée.

Lorsque j’avais choisi les vins de ce dîner, je les avais rangés dans une case qui leur est affectée. C’est au moment de prendre les photos des bouteilles que je me suis rendu compte des couleurs très foncées des deux blancs secs prévus. Aussi ai-je ajouté un chablis. Ne sachant pas ce qui se passera, les trois blancs sont servis ensemble.

Le Vouvray sec Caves Prunier 1959 est très ambré. Son goût est plus qu’acceptable et les deux plats vont le mettre en valeur. C’est un vin déroutant, car ce type de goût avancé est relativement peu habituel, mais le vin se comporte bien, se montrant un compagnon des deux plats qui suscite notre intérêt.

Avec le Chassagne Montrachet Moillard Grivot 1947 (Tasteviné en 1951) lui aussi fort ambré, on sait que l’on a quitté la planète de Chassagne-Montrachet. Le vin n’est plus dans sa définition théorique, c’est un objet vineux différent. Il s’améliore dans le verre au point d’être aisément buvable, mais n’a pas beaucoup plus d’attrait que celui de la curiosité.

Par contraste, le Chablis 1er Cru Fourchaume Joseph Drouhin 1962 apparaît d’autant plus jeune. Sa belle couleur est d’un jaune vert, plein de jeunesse et son goût est chatoyant et multiforme avec un joli final citronné. L’un des convives dit qu’il a la force des vins de la région de Chassagne-Montrachet.

J’avais demandé à Pascal Barbot d’introduire les deux vins ambrés avec des petits dés de foie gras, pour atténuer un éventuel gout de madère. Ce petit viatique vient en fait entre les deux plats de poissons, mais c’est une pause agréable et justifiée, le Vouvray réagissant merveilleusement sur le foie gras délicieux.

Les deux plats de poisson mettent en valeur chacun des vins avec au moins l’une de leurs composantes, la poudre de cèpe et pomme s’alliant au Vouvray et au Chassagne pendant que la coquille fait de l’œil au chablis. La sole plaît aux trois vins, la petite pâte de citron jaune, signature de Pascal Barbot réussissant au Vouvray.

Sur l’agneau, les deux bordeaux sont servis ensemble et ce qui frappe immédiatement c’est la jeunesse de leurs couleurs. C’est assez spectaculaire. Le sang de pigeon, le rouge bien prononcé sans la moindre trace d’orangé caractérisent ces deux vins. Le Château Pontet Grand Cru Saint-Emilion 1955 est très saint-émilion. D’une année en pleine possession de ses moyens, il bénéficie du support de l’agneau pour se présenter avec charme.

Le Cos Labory Saint-Estèphe 1928 est beaucoup plus charpenté et structuré, même s’il est un peu rigide. Epanoui comme un 1928 sans trace de fatigue, il ravit l’ensemble de la table, y compris le vigneron bordelais qui le classera premier dans son vote. J’ai apprécié un peu moins que d’autres l’aubergine au miso, un peu pâle face aux vins.

Alexandre, sommelier de talent, devait servir les deux vins qui accompagnent le pigeon avec quelques minutes d’écart, pour qu’ils ne se nuisent pas. Pour des questions d’organisation Alexandre n’a pas décalé les deux services, ce qui, comme je le craignais, ne fut pas à l’avantage du Moulin à Vent Chanson Père et Fils 1945. Ce beaujolais est un grand vin, à la belle structure généreuse et agréable à boire. Mais il ne peut rien faire quand on le met à côté de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983. L’année 1983 n’est pas considérée comme une année de réussite au Domaine de la Romanée Conti. Mais cet exemplaire que nous buvons fera mentir les archives. Car ce vin est absolument divin. Richard Geoffroy crie presque : « mais c’est de la rose », car l’évocation de pétales de rose est particulièrement affirmée, ainsi que la salinité excitante des vins du domaine. Le pigeon est magique de tendreté et le vin de Bourgogne s’épanouit sans contrainte, avec une longueur qui pianote sur la langue. C’est un grand moment.

Pour faire plaisir à Richard Geoffroy, j’ai demandé à Pascal Barbot de créer pour le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1969 un accord de confrontation. Il fallait que ça boxe dans les papilles. Et les abats de canard ont répondu présents, pour croiser les gants avec le splendide champagne de 1969, d’une personnalité affirmée et d’une trace profonde. C’est un immense champagne à l’acidité plus marquée que celle du 1990.

L’association mangue et sauternes commence à me coller aux basques. Car quand j’évoque les liquoreux, on sait que j’aime les associer aux mangues. Le Château d’Yquem 1966, à l’ouverture, avait ce parfum intense de mangue. Et voici qu’au moment où on nous le sert, il semble avoir perdu de son sucre au profit de suggestions de thé. Il dément donc l’odeur initiale. Et le dessert meringué au thé vert fait par surprise par Pascal Barbot donne un coup de poing à l’association mangues et Yquem, qui paraît plus fade et plus convenue. L’Yquem est grand, et j’adore cette forme d’expression où le thé corrige le doucereux.

Il est temps de voter. Nous sommes huit pour dix vins dont un magnum. Assez logiquement deux vins n’ont pas de vote, du fait de leurs voisinages, le Chassagne-Montrachet et le Moulin à Vent, ce dernier n’ayant démérité d’aucune façon. La Tâche reçoit huit votes, ce qui est un carton plein et un joli score pour une année supposée petite. Cinq vins ont le privilège d’être nommés premiers : La Tâche, le Dom Pérignon 1969 et le Cos Labory deux fois chacun et le Vouvray (mais oui) et l’Yquem chacun une fois.

Le vote du consensus serait : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Cos Labory Saint-Estèphe 1928, quasi ex-æquo avec Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1969, 4 – Vouvray sec Caves Prunier 1959.

Mon vote : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1983, 2 – Château d’Yquem 1966, 3 – Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1969, 4 – Chablis 1er Cru Fourchaume Joseph Drouhin 1962.

Pascal Barbot est venu nous rejoindre en fin de service pour discuter des accords. Sa sensibilité est extrême, sa bonne humeur, son sourire joyeux me ravissent. En m’amusant je lui ai dit que sa crème meringuée au thé gagnait par KO sur la mangue, et je l’ai chaudement félicité. Les dés de foie gras que j’avais fait ajouter se justifiaient. Pascal nous a dit que le menu servi à chaque table avait été personnalisé, les plats de notre table n’ayant été créés que pour nous. J’ai pour la cuisine de ce chef une immense affinité. Les saveurs exprimées avec justesse et simplicité sont idéales pour les vins. Ce fut du grand art.

Les vins de ce soir étaient de niveaux très différents, de petites appellations ou de petits crus voisinant avec de plus grands. Dans une ambiance joyeuse, animée et amicale, nous avons passé un grand moment de découverte gastronomique et vineuse.

111ème dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen jeudi, 22 janvier 2009

Le 111ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Ledoyen. A 17 heures, moment choisi pour l’ouverture des vins, la belle salle du premier étage est encore sens dessus dessous, car le restaurant venait d’accueillir le déjeuner du Club des Cent dont l’un des membres allait faire des heures supplémentaires en assistant à nôtre dîner. Géraud Tournier, le sympathique et compétent sommelier est très intéressé d’observer les vins que j’ouvre. L’odeur du Brane Cantenac 1921 est très particulière. C’est un coulis de framboise intense qui frappe nos narines. Quel sera le futur de ce vin ? Nous verrons. J’ai rajouté deux vins au programme annoncé dont un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956 dont le niveau est bas. Géraud et moi avons la même analyse : ce vin sent la betterave, sans l’ombre d’une hésitation. On pourrait douter de l’avenir du vin trop marqué par cette odeur handicapante, mais le pire n’est jamais sûr. Je suis plus inquiet du Volnay Clos des Santenots Domaine Prieur 1945, car on est dans un registre aqueux, tendance serpillère. Le Château La Gaffelière Naudes 1959, le Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928 et le Chateauneuf-du-Pape Audibert & Delas 1949 ont des parfums puissants, signes de solidité prometteuse.

Les convives sont d’une ponctualité militaire, ce qui est particulièrement agréable. Je retrouve un jeune participant d’un récent dîner, deux de mes plus fidèles partenaires des dîners et des « casual Friday », accompagnés de quelques amis, un ami américain, ancien fournisseur de ma dernière entreprise et amateur de vins et le membre du club des Cent, propriétaire du plus ancien domaine d’Armagnac, qui récidive dans ce restaurant.

Le menu créé par Christian Le Squer comporte des plats traditionnels et quelques audaces qu’il me fait plaisir de partager avec mes amis amateurs de bonne chère : Huîtres en tartare et chantilly / Noix de St Jacques "acidulées à cru façon crispy" / Homard rafraîchi à la pistache / Gratinée de sole côtière aux noix et amandes fraîches / Canard sauvage: suprêmes aux mûres / Toasts brûlés d’Anguille, réduction de jus de raisin / Stilton / Ananas Victoria et mangue rôtie.

Nous sommes servis des huîtres extrêmement goûteuses, et lorsque nous buvons le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1988, nous ne buvons pas du champagne, nous buvons de l’huître. L’osmose est en effet extraordinaire. Une première huître avec une sauce épicée se marie moins bien que l’huître pure et l’huître avec sa chantilly particulièrement dans la ligne du champagne, gracile, souple, accompagnateur mimétique de l’huître.

Dès la première gorgée, on sent que le Champagne Krug 1988 est d’une puissance gigantesque par rapport au précédent champagne. Certains convives préfèreront la subtilité du Dom Pérignon. J’approuve la virilité affirmée du Krug même si le vin écrase un peu le plat qui se tasse un peu sur lui-même, car le crispy entrave l’expression délicatement acidulée de la coquille crue.

Lorsque j’ai ajouté au programme le Château Haut-Brion rouge 1974, ma première intention était de le mettre avec les autres bordeaux rouges. Le plat qui suit étant le homard, la tentation était grande de faire un essai osé : associer sur le plat les deux Haut-Brion, le rouge et le blanc. Nous commençons par le Château Haut-Brion blanc 1966, à la belle couleur ne montrant aucun signe d’âge. Le nez est puissant et affirmé. Le goût de ce vin est grandiose. Il a la maturité et l’accomplissement d’un grand blanc. C’est un régal. Je suis moins convaincu par le Château Haut-Brion rouge 1974 qui se présente poussiéreux. Un des convives, grand amateur de vins anciens, nous suggérera deux ou trois plats plus tard de goûter à nouveau ce vin. Toute trace de poussière a disparu et l’on retrouve un grand Haut-Brion qui fait mentir son année jugée faible dans les livres. Il eût donc fallu que j’ouvrisse ce vin quelques heures avant mon horaire habituel. Le plat est délicieux et l’usage de la pistache en glace, qui me faisait peur, se révèle particulièrement intelligent.

La sole est un plat raffiné. J’avais demandé que l’on rajoute quelques pignons pour accompagner le plus vieux des deux bordeaux et c’est judicieux. Le Château La Gaffelière Naudes 1959 est merveilleux. Dès que l’on trempe ses lèvres, on est saisi par la perfection sereine de ce bordeaux accompli. Il est rassurant comme un cours de Raymond Barre, du temps où il était le professeur coqueluche de tous les élèves. A côté, le Château Brane-Cantenac 1921 fait « objet vinique non identifié ». Car les évocations de framboise sont indubitablement bourguignonnes, ce que j’avais constaté, mais en moins marqué, avec le Domaine de Chevalier 1928 d’Olivier Bernard. Le vin est bon, déroutant, curieux, et personne ne pourrait dire qu’il s’agit d’un Brane-Cantenac. La perfection de la sole et la perfection du saint-émilion sont un grand moment.

Le canard est doté d’une sauce aux fruits noirs idéale pour tenir le choc de trois bourgognes rouges qui forment une association d’une rareté absolue. A droite, nous avons le Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928 d’une belle expression de la grandissime année 1928. Le vin a une légère acidité qui est plus difficile à accepter de la part des amateurs peu familiers des vins anciens, mais sous cette acidité légère se devine un beau message bourguignon de plaisir. Au centre, le Volnay Clos des Santenots Domaine Prieur 1945 dont l’odeur il y a six heures était incertaine est maintenant en pleine possession de ses moyens. Et le sentiment de perfection que j’éprouvais avec La Gaffelière Naudes se retrouve avec le Volnay. On est dans la belle sérénité bourguignonne et je trouve ce soir à 1945 plus de panache et de vivacité qu’à 1928. La bouteille toute recouverte de poussière durcie était fermée d’une cire marquée « Calvet » et son étiquette de négoce au nom du vin tapée à la machine à écrire à ruban, est d’un modèle de très vieilles étiquettes utilisées depuis un siècle. Sous cet emballage qui ne payait pas de mine se cachait un trésor de vin. A gauche, c’est le vin que j’avais ajouté, le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956. Le nez  a perdu toute incertitude betteravienne. Il est redevenu Romanée Conti. Comme dit l’un de mes complices de table, dès que l’on sent la rose et le sel, on est à la Romanée Conti. Le vin est délicieux, subtil, objectivement un peu en sourdine du fait de son année. Mais ce qui est le plus beau, c’est de passer de l’un à l’autre comme en une machine à remonter le temps. Car les expressions des vins de trois décennies, même lorsqu’elles n’ont pas la perfection du 1945, apportent des éléments enrichissants d’un tableau quasi complet du miracle du vin bourguignon ancien.

Avant l’ouverture du Chateauneuf-du-Pape Audibert & Delas 1949, Géraud m’avait fait part de ses craintes du fait de la puissance du plat d’anguille. Je l’avais rassuré en lui faisant sentir le vin. Il se présente maintenant avec une force tranquille mitterrandienne, une joie de vivre certaine et une apparente facilité de vin du Rhône sous des accents insidieusement bourguignons. Par prudence, je demande aux convives de manger de toutes petites bouchées de l’anguille pour ne pas écraser le vin. Comme pour le choix entre les champagnes, deux camps se forment, celui des opposés à l’accord anguille et Chateauneuf, et ceux qui, comme moi, sont ravis de cette expérience. Je suis heureux qu’elle ait pu être faite, car elle se justifie. L’année 1949 a donné une douceur légèrement sucrée au Chateauneuf que l’on retrouve dans l’anguille dont le rhéostat est tourné vers le maximum de volume. Le Chateauneuf me plaît beaucoup, car il a la certitude des vins sereins.

Je vois les yeux qui s’illuminent lorsque mes amis découvrent le Château Loubens Sainte Croix du Mont 1928. Jamais ils n’imaginaient qu’un Sainte Croix du Mont puisse atteindre ce niveau de complexité. Le vin est superbe, et bien malin serait celui qui ne dirait pas sauternes en goûtant à l’aveugle ce vin. Le mariage avec le stilton ne pourra pas être cassé à Rome, car il est consommé dans la plus grande jouissance. 

Le Château Sigalas Rabaud 1959 est objectivement un vin de plus grande race que le précédent, car son sucre est plus cohérent. Mais je me garde bien de le dire, car il se trouve que chacun reste sur sa divine découverte des vertus insoupçonnées du Loubens et ignore presque le vin dont le goût est plus attendu. La mangue, comme chaque fois est un beau miroir pour révéler que le sauternes est le plus beau de ses compagnons.

Nous sommes onze à voter pour douze vins. Dix vins sur douze ont eu des votes, ce qui, je le répète souvent, est une grande satisfaction pour moi. Les deux seuls vins sans vote sont pourtant des cadors. Il s’agit du premier vin et du dernier, le Dom Pérignon 1988 et le Sigalas-Rabaud 1959.

Cinq vins ont eu l’honneur d’être cités en première place dans les votes : le Château La Gaffelière Naudes 1959 quatre fois, le Volnay Clos des Santenots Domaine Prieur 1945 trois fois, le Château Haut-Brion blanc 1966, le Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928 ainsi que le Château Loubens Sainte Croix du Mont 1928 étant nommés premiers une fois.

Le vote du consensus serait : 1 – Château La Gaffelière Naudes 1959, 2 – Volnay Clos des Santenots Domaine Prieur 1945, 3 – Château Loubens Sainte Croix du Mont 1928, 4 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1956.

Avant de lancer la collecte des votes, j’avais fait une farce bien innocente en indiquant que je suis connu pour avoir le cœur qui penche vers les liquoreux. L’un des convives qui croyait anticiper mon vote en fut tout étonné, car mon choix est : 1 – Volnay Clos des Santenots Domaine Prieur 1945, 2 – Château La Gaffelière Naudes 1959, 3 – Chateauneuf-du-Pape Audibert & Delas 1949, 4 – Nuits-Saint-Georges Camille Giroud 1928.

Le plat le plus réussi est la gratinée de sole, le plat le plus original est l’anguille, suivi de l’intelligence de l’usage de la pistache sur le homard. Le plus bel accord est celui de la sauce du canard sauvage avec la trilogie des bourgognes, suivi de l’accord de l’huître avec le Dom Pérignon 1988.

Avec une implication totale de l’équipe de Patrick Simiand, un service des vins de Géraud et Frédéric parfait, une cuisine sensible de Christian Le Squer, une ambiance enjouée, et volontiers taquine, nous avons passé une soirée magique dont le point culminant est la conjonction de trois bourgognes rouges inoubliables.