Archives de catégorie : vins et vignerons

Dîner de la bûche de Noël à Epernay mardi, 29 novembre 2011

Vincent Dallet et L’association des chefs étoilés de la Champagne convient au dîner de la bûche de Noël, millésime IX, avec le concours de la maison Moët & Chandon. Le repas de ce soir, dans les caves de Moët et Chandon regroupe beaucoup de notabilités départementales et des chefs, qui ont choisi une bûche qui va accompagner sur de multiples tables régionales le Champagne Moët & Chandon rosé 2002.

Nous prenons l’apéritif dans le hall de réception avec le Champagne Moët & Chandon 2002 qui, malgré ses qualités, souffre d’être servi trop chaud. Nous descendons dans le ventre de la Terre pour rejoindre la salle à manger voûtée dans les caves de Moët. La salle est belle et les tables sont décorées élégamment de rose, car tout le dîner se fera avec le Champagne Moët & Chandon rosé 2002. Un orchestre ambulatoire entièrement féminin, mariant banjo, saxophone, trompette et cornet à piston joue assez fort, ce qui rend difficiles les conversations, mais elles jouent bien, ce qui apporte une grande gaieté.

Le menu préparé par Pascal Tingaud et les équipes de cuisine de Moët & Chandon est : terrine de saumon et anguille fumée / suprême de pintade farci au poivron doux et foie gras, confit d’oignon au balsamique, aspic de carottes au cumin et navets glacés / brie de Meaux farci à la tapenade de tomate et olive, petite salade de mesclun d’herbes / bûche millésime IX (la 9ème édition).

Instantanément, je suis surpris par la qualité du rosé. Il est vineux, mais il est surtout champagne, ce qui n’est pas souvent le cas pour un rosé. Elégance, précision, tension extrême, noblesse, il a toute les qualités. C’est un très grand rosé, et très au dessus de mes attentes. Et, chose remarquable, il a tenu sa place pendant tout le repas. Sur le saumon, il réagit beaucoup mieux sur le cuit que sur le fumé qui ne lui convient pas. La pintade est accompagnée de trop de saveurs pour que le champagne y trouve son compte. L’accord avec le brie farci est légitime. Mais c’est surtout sur la bûche que l’accord est spectaculaire. On sent que tout le monde y a travaillé et c’est réussi. Le dessert où le rose et le rouge croisent le chocolat est délicieux, goûteux et gourmand avec des acidités subtiles et le champagne s’y retrouve.

Les deux gagnants incontestables de ce repas sont le dessert, la bûche qui va envahir les tables champenoises, et le champagne rosé 2002 qui atteint un niveau particulièrement remarquable, que je n’avais jamais perçu avec cette acuité. Alors que l’ambiance était très régionale, « l’étranger » que j’étais a passé une excellente soirée avec ces deux belles découvertes.

Qui dira que les chocolatiers ne sont pas des artistes ?

le rose est dominant

les plats aussi vont vers le rose

et l’orchestre aussi

Prix Grand Siècle Laurent-Perrier lundi, 28 novembre 2011

Pour la 43ème année, la maison de champagne Laurent-Perrier remet le Prix Grand Siècle à une personnalité dont le parcours est admirable. Des personnes illustres l’ont reçu comme Simone Veil ou le président Abdou Diouf. Ce soir c’est la cantatrice Natalie Dessay qui recevra le prix. La réunion se tient au Pavillon Gabriel, avec la cuisine de Potel et Chabot.

A l’apéritif, c’est évidemment le champagne Laurent Perrier Grand Siècle qui est servi en magnum. Ce champagne a pour moi des airs de vacances, car il berce souvent les événements joyeux de mes étés dans le sud. C’est en effet un champagne de bonne soif. Il est gai, plein de fruits jaunes et de soleil. Il glisse bien en bouche, sans histoire, juste pour conquérir le palais.

Les hasards de conversations me font rencontrer le professeur Coppens qui parle d’ancêtres de Lucy et le mari de Claudie Haigneré, présidente du jury du prix Grand Siècle, qui fut astronaute lui-même, ayant passé six mois en orbite sur une station orbitale soviétique et qui nous parle de multivers, c’est-à-dire d’une multitude d’univers qui se superposent au notre et que nous ne voyons pas. Pourquoi pas ?

Nous passons à la salle à manger. Le menu est : meilleur de sole en mousseline, grillé de petits boutons, sauce champagne / cimier d’agneau rôti à la façon des grands crus bordelais, plié de céleri en verdure, figue rôtie et girolles / soufflé à l’ancienne accompagné de ses poires rôties. La cuisine est très satisfaisante, dans un registre très classique et le service à la française est une agréable réminiscence, très Grand Siècle.

Le champagne Laurent-Perrier Grand Siècle qui accompagne la sole me fait plus penser au siècle de Louis XV qu’à celui de Louis XIV. Car ce champagne est primesautier, volage, volontiers coquin. La force de sa bulle, due à sa jeunesse, bride un peu l’accord avec la sole.

Le Château Pichon Longueville Baron 2000 me fait immédiatement penser à ce que j’avais constaté à Vinexpo lors de la session 2001 qui avait accueilli la présentation des 2000 bordelais. On pouvait faire un clivage entre ceux qui étaient restés dans la tradition bordelaise, et ceux qui avaient vendu leur âme à Robert Parker ou plutôt à l’image du goût que l’on prêtait à Robert Parker. Boisés, surmaturés, ces vins se ressemblaient. Dix ans plus tard, ce pauillac se présente manifestement de façon plaisante avec une belle mâche et un bois sensible et contenu. Mais son discours est un discours mille fois entendu. Je ne reconnais plus un Pichon Baron, mais un vin agréable, flatteur et convenu. Il y a un manque d’émotion certain chez ces vins trop semblables et il me semble que c’est propre au millésime 2000, car ces tendances ont été modifiées par la suite. La viande est gourmande à souhait et accompagne bien le vin charnu.

Le Champagne Laurent Perrier Cuvée Alexandra rosé 1998 est d’un rose très élégant, difficile à analyser parfaitement du fait des éclairages sophistiqués de la grande salle. C’est un champagne élégant, rassurant, au charme très naturel. Il accompagne bien le soufflé servi dans d’énormes récipients de cuivre, ce qui le titille à son profit.

Claudie Haigneré fait un discours stylisé, sculpté dans une langue précise pour féliciter la cantatrice lauréate. Natalie Dessay, adoptant un ton naturel, simple, livre son cœur et ses doutes et la soprano est applaudie debout. Au moment du dessert, un C.D. de l’un de ses airs fétiches est joué, car elle n’avait pas envisagé de chanter.

Le dîner fut l’occasion de rencontrer des personnages passionnants de tous horizons. Merci à Alexandra et Stéphanie, les deux filles de Bernard de Nonancourt, de perpétuer un mécénat de qualité d’une aussi charmante façon.

Paris se met sur son trente et un pour Noël

Le Pavillon Gabriel aussi !

Claudie Haigneré la présidente et Natalie Dessay

le très original soufflé

dîner de l’académie du vin de France au restaurant Laurent jeudi, 24 novembre 2011

L’Académie du Vin de France tient son assemblée annuelle ainsi que son dîner de gala au restaurant Laurent, siège de l’académie. Certaines années, les membres présents organisent une sorte de Paulée, permettant à chacun de goûter leurs vins récents. Cette année, le premier étage du restaurant Laurent étant réservé pour un autre dîner de vins, nous nous retrouvons au rez-de-chaussée pour l’apéritif. On peut goûter sur des gougères et des toasts au poisson fumé le Champagne Laurent Perrier 1999 et le Champagne Pol Roger 1999, mais l’esprit n’est pas à les jauger. Il est plutôt aux retrouvailles entre membres et aux aimables échanges. Je n’ai donc pas comparé ces deux agréables champagnes qui se boivent sans souci.

Nous passons à table et je suis placé à celle d’Aubert de Villaine et son épouse Pamela. Autour de la table Pauline et Guillaume d’Angerville, Rosalind et Jacques Seysses, nouveau membre de l’académie, Bernard Pivot et sa fille Agnès accompagnée de son mari. L’ambiance est animée car jamais je n’avais remarqué un tel brouhaha dans la belle salle à manger, au point qu’il est presque impossible de parler avec d’autres personnes que ses voisins immédiats. J’ai de la chance car je suis placé entre Agnès et Bernard Pivot, dont l’analyse du monde de la culture et de la littérature me semble plus jeune et plus optimiste que la mienne. Il a sûrement raison, car son avis est plus autorisé que le mien. Le président Jean-Robert Pitte fait un dynamique discours introductif du dîner fondé sur la technique du ricochet : chaque digression entraîne une nouvelle digression. C’est une belle technique et un bel effet.

Le menu réalisé par Alain Pégouret que nous avons chaudement applaudi pour la réussite de ce soir est : carpaccio de bar mariné en vinaigrette citronnée, condiments / homard servi dans l’esprit d’une bourride, truffe blanche d’Alba / friands de pieds de porc croustillant, chicon moutardé / lièvre à la Royale cuisiné selon la recette du sénateur Couteaux, « fusilli » pour la sauce / chaource / tarte légère aux marrons et aux coings façon Mont-Blanc / café, mignardises et chocolat.

Nous commençons par un Côtes de Provence Château La Tour de l’Evêque blanc 2010 de Régine Sumeire. Le premier nez est très vert et le premier contact est d’une verdeur de pomme verte et de citron. Un tel vin me paraît difficile du fait de sa grande jeunesse, mais j’ai tort, car le plat lui donne un tel coup de fouet qu’il met en valeur son beau fruit, rond et joyeux. On constate que ce vin est remarquablement fait. Je l’aimerai plus lorsqu’il aura cinq à sept ans de plus, mais le plat a suscité un accord impressionnant, tout dans le fruit et les jeunes acidités.

Avec le Meursault Clos de la Barre Domaine des Comtes Lafon magnum 2004 on comprend mieux mes réticences en face de vins trop jeunes, car celui-ci est d’une sérénité gourmande impressionnante. Il y a un léger fumé, des fruits jaunes cuits, et une mâche généreuse. Avec le homard et la truffe blanche, le vin est à son aise, et c’est surtout avec la sauce que l’accord est trouvé, pendant que les narines succombent à l’invasion de la truffe généreuse. Le coup de génie, c’est d’avoir ajouté des petits copeaux de poireau, qui rafraîchissent les sensations langoureuses du homard et du vin.

Le grand choc, c’est le Château Thivin, cuvée Zaccharie Côte de Brouilly 2009 de Claude Geoffray, nouveau membre de l’académie. Le mot qui vient immédiatement à l’esprit est « généreux ». Le vin est joyeux, généreux, avec un poivre présent mais mesuré, un boisé délicat et un velouté charmant. Voilà de quoi raccommoder les amateurs avec le beaujolais, s’il en était besoin. Bernard Pivot qui produit un beaujolais est aux anges car le vin est une belle carte de visite de sa région. De plus, les pieds de porc, plat emblématique du restaurant, sont un faire-valoir de première grandeur pour le vin, car c’est d’un naturel total. Là aussi, l’endive sert d’adoucisseur pour garder la fraîcheur du palais.

Le Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Hommage à Jacques Perrin 1998 est le parfait notable de province. Le discours est clair, parfaitement rodé, et le vin est serein, conquérant comme un programme électoral auquel on croirait. Sérénité et solidité me semblent résumer ce vin au discours lisible et simple. Il a la force qui convient pour soutenir le choc d’un lièvre à la royale orthodoxe et fortement goûteux, mais dont la trace de genièvre et d’herbes est, de l’avis de mes voisins et moi-même, beaucoup trop prononcée. Cela n’empêche pas le vin de poursuivre son parcours très linéaire et gourmand, où j’ai reconnu, en soupçons, du café et du cacao.

Le Champagne Billecart-Salmon cuvée Nicolas François Billecart 1998 de François Roland Billecart est un beau champagne plein de fruits jaunes épanouis, mais son goût est influencé par le chaource très bien équilibré, c’est-à-dire pas trop fort malgré un bel affinage, avec lequel l’accord se trouve mieux qu’avec le vin du Rhône.

Lorsque je goûte le Gewurztraminer grand cru « Hengst » SGN domaine Zind-Humbrecht 2008 de Léonard Humbrecht, mon sourire est si épanoui qu’Aubert de Villaine me dit : « on voit bien que vous aimez les vins liquoreux ». Rien qu’en humant le vin, on s’émerveille de la capacité de grains de raisins à créer de telles merveilles. Car le parfum est capiteux, explosant de fragrances aux résonances infinies. En bouche le doucereux est délicat, car ce qui s’impose, c’est la fraîcheur d’un vin élégant, et sa subtile délicatesse. Il fallait bien cela pour se marier au dessert délicieux mais lourd en calories.

Les accords ont été particulièrement justes, la cuisine intelligente d’Alain Pégouret s’adaptant aux beaux vins des membres présents. Selon la tradition, Jacques Puisais a analysé les accords, poétisant en les décortiquant avec une imagination débordante. Les analogies féminines ont été moins nombreuses que d’habitude. Deux vins ont, pour moi, illuminé ce repas, le beaujolais d’une richesse et d’une gourmandise extrêmes, et le gewurztraminer à l’élégance rafraîchissante enjôleuse.

Nous avons continué à bavarder tant le plaisir d’être ensemble était palpable. Comme j’ai eu à affronter deux lièvres à la royale dans la même journée, mon oreiller a constaté que ma gravitation était un peu plus universelle que d’habitude. Demain, cap au sud, pour compenser ces abondances culinaires et viniques.

J’aime assez la continuité de couleur du bandeau du Côte de Brouilly avec les cyclamens du jardin du restaurant Laurent

le porte-greffe CB-41B mardi, 22 novembre 2011

Lors du fabuleux dîner avec un Enfant Jésus 1891, Joseph Henriot a tout naturellement fait un discours de bienvenue, avec des paroles que j’aime car elles sont toujours positives et tournées vers l’avenir. Une deuxième intervention m’a laissé songeur, car elle s’est située à un niveau quasiment irréel.

Nous nous étonnions tous de l’invraisemblable fruit du Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1891 et Christophe Bouchard nous a expliqué que la parcelle de ce vin, en 1891, n’avait pas été touchée par le phylloxéra. C’est ce qui explique la jeunesse insolente de ce vin.

La discussion portant sur ce qui s’est passé après phylloxéra, Joseph Henriot prend la parole et fait un exposé sur les porte-greffes combinant des cépages français et des cépages américains et, de ce que je crois avoir écouté, sinon entendu, j’ai cru saisir ceci :

« Contrairement à ce qu’on dit, le porte-greffe n’est pas un 41B, mais un CB-41B. Et dans CB, le C ne veut pas dire chasselas, comme on le dit souvent, mais chardonnay. »

Et nous voilà partis dans la description des mérites du CB-41B.

J’admire ceux qui peuvent comprendre de tels propos et je suis subjugué par la science de Joseph Henriot. Il est des moments où l’on se sent tout petit face à de telles éruditions.

(mille excuses s’il y a des erreurs dans ce que j’ai retenu de ce propos savant)

Dîner au château de Beaune avec un éblouissant 1891 samedi, 19 novembre 2011

Après cette dégustation des 2010, nous traversons la rue pour aller au château de Beaune où nous sommes accueillis par Joseph Henriot et son épouse, nos hôtes. Le Champagne Henriot cuvée des Enchanteleurs 1995 est doré et sent le miel. Il est très confortable et nous fait revenir dans un monde de saveurs assises. Les gougères sont un complément savoureux du plaisir. Il n’a pas encore atteint les vibrations de ses grands anciens comme le 1959 ou le 1964, mais il a une belle personnalité, vineuse, élégante et incisive.

Le menu préparé par la fidèle équipe du château est : amuse-bouche : crème brûlée au foie gras de canard fumé, gelée de pommes / carpaccio de Saint-Jacques, légumes à l’huile d’olive, sauce froide légèrement crémée / pavé de sandre croustillant aux herbes, jus de potiron au curry et citron vert / canette en filet cuit à basse température, glacé au vin de genièvre, polenta aux châtaignes / fromage de Cîteaux / choco-café, tulipe en oublie, glace à la vanille.

Le Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 2003 a un beau nez pénétrant et une jolie acidité. Il est à la croisée des chemins. Il est très jeune, mais ne profite pas encore tout-à-fait de l’empreinte du temps. L’accord est sublime avec la gelée de pommes qui adoucit le gras du foie gras en crème brûlée.

Le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1995 est un beau vin blanc qui est dans un état de grâce. Il est solide, mature, serein. Il est : « the right man at the right place ». Il n’est pas aidé par les légumes qui sont hors sujet à côté des délicieuses Saint-Jacques.

Le Montrachet Bouchard Père & Fils ­1961 pianote des complexités rares. Il donne une belle démonstration de l’effet du temps, mais il est moins précis que les montrachets actuels. Il est un peu simplifié. Mais il compense par l’équilibre divin que lui donne son âge. Le pavé de sandre crée un accord magistral.

Le Corton Bouchard Père & Fils ­1961 fait monter de trois barreaux sur l’échelle de l’excellence. Ce vin est une leçon d’équilibre et de perfection. Il a tout pour lui. On pourrait se pâmer pendant des heures en dégustant microgoutte par microgoutte ce vin exceptionnel. Mais c’était sans compter avec le vin qui est servi maintenant.

Le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1891 est un choc total. On est attaqué par le fruit d’une présence insolente. C’est inimaginable comme il est beau. Et la clef de l’intensité du fruit, que nous explique Christophe Bouchard, c’est qu’il s’agit de vignes préphylloxériques. A la demande d’un des invités présents je dis ce que je pense de ce vin, qui est si jeune qu’on pense à un 1964, mais qui a la maturité d’un 1891. Ce vin est l’idéal de ma démarche, car il démontre que des vins de cent-vingt ans peuvent être exceptionnels. Ce vin est divin, inégalable, même si j’ai un faible plus marqué pour le 1865. En lisant cela, on pourrait penser que c’est un caprice d’enfant gâté, mais c’est un compliment lancé à la plus belle collection de vins de Bourgogne immortels. Ce Beaune Grèves est un monument en l’honneur de l’histoire du vin.

La générosité de Joseph Henriot et de ses équipes est extrême, tout comme celle dont nous avons bénéficié de la part des équipes de Moët & Chandon et Dom Pérignon. Des vins mémorables ont été ouverts et ont vécu leur destin de la plus belle façon. L’histoire du vin, celle que l’on pourrait écrire avec un « H » majuscule, s’enrichit de ces moments inoubliables. Merci vignerons d’il y a plus d’un siècle d’avoir inventé ces trésors. Merci vignerons actuels de savoir les ouvrir à bon escient.

(photo François Mauss)

(ces deux photos ci-dessus sont de François Mauss – sur son blog « mabulle »)

les 2010 de Bouchard Père & Fils en 19 vins vendredi, 18 novembre 2011

Par un fort brouillard, je quitte le château de Saran pour me rendre à Beaune. A 17 heures, la maison Bouchard Père & Fils organise une dégustation du millésime 2010 en dix-neuf vins. Il y a dans la belle salle du château de Beaune la fine fleur des journalistes et professionnels de la dégustation du vin. Il faut dire que c’est le week-end de la traditionnelle vente des Hospices de Beaune, qui attire le beau monde du vin.

Juger des vins aussi jeunes n’est pas un exercice facile pour moi, car j’analyse ce que je bois, plus que le devenir de ce que je bois. Les vins sont dans des phases d’évolution différentes, certains étant déjà mis en bouteille alors que d’autres sont encore en fûts. Les plus complexes et les plus grands sont plus fermés que les vins plus simples. On a même, comme avec l’Enfant Jésus, un assemblage qui n’est pas l’assemblage définitif. J’ai pris des notes sur le cahier très documenté qui nous est remis. Ils s’agit d’impressions de voyage. Selon la tradition Bouchard, les rouges précèdent les blancs.

Savigny-lès-Beaune Village Bouchard Père & Fils rouge 2010 : couleur rouge très belle, nez très riche, de framboise. La bouche est gourmande, poivre, fenouil. Le final est de fruits noirs. Vin simple, déjà prêt à boire. Bu après le Clos de la Mousse il fait plus plat. C’est un vin goûteux, plus prêt à boire que beaucoup d’autres. Final assez joli.

Beaune Clos de la Mousse 1er Cru Monopole Bouchard Père & Fils rouge 2010 : rouge plus gris que le Savigny. Le nez est plus doux, subtil. L’attaque est discrète. Le vin est un peu plat, mais le final est plus profond que celui du Savigny. C’est un beau vin à attendre. Lorsqu’il s’ouvre, le fruit est net. Le vin est élégant et peut se boire dans sa jeunesse. Il a une belle précision.

Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1er Cru Monopole Bouchard Père & Fils 2010 : sa couleur est belle. L’attaque est franche et le poivre est très fort. C’est un vin racé que j’adore car il a déjà les caractéristiques des vieux « Baby Jesus », comme disent les américains, que j’adore. Il faut l’attendre d’autant que l’assemblage des cinq parcelles n’est pas définitif.

Volnay Caillerets Ancienne cuvée Carnot 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : rouge plus sombre. L’attaque est moins tendue que celle de l’Enfant Jésus. Il a du corps, un beau fruit et un final épicé très long et joli. Un très beau vin qu’il faut attendre.

Volnay Clos des Chênes 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : le rouge est plus sombre. Il est très beau. Le nez évoque le fenouil. L’attaque est un peu perlante et Géraud Aussendou me confirme qu’il a encore du gaz. Il a des aspects végétaux et un final de vin qui n’est pas encore formé. Quand il s’ouvre dans le verre il devient gourmand et riche, mais il faut attendre.

Le Corton Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils rouge 2010 : le nez est très subtil. Il a la richesse, l’opulence et semble presque sucré. Très doux et poivré. Il a encore du gaz. Le final est très racé, gourmand. C’est un vin à attendre, de belle matière et au final riche.

Chambolle-Musigny Les Noirots 1er Cru Bouchard Père & Fils 2010 : le nez est fermé, il y a du perlant. La matière est belle et riche mais il y a de l’astringence car il n’est pas encore assemblé. Plus tard, il se montre subtil et délicat.

Nuits Saint Georges Les Cailles 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : nez subtil, bouche élégante, racée. Il sait même être gourmand. J’aime beaucoup ce vin. Il a un beau final et il m’évoque de beaux souvenirs de ce vin quand il est plus âgé.

Clos Vougeot Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : le nez est discret, le vin est riche, de belle structure mais encore très jeune. Beau final. Le vin est assez archétypal, au final profond. C’est un grand vin qui promet.

Chambertin Clos de Bèze Grand Cru Bouchard Père & Fils 2010 : le nez est très subtil, charmeur. La bouche est trop jeune et ne révèle pas encore toutes les qualités que l’on pressent On le sent très délicat mais pas encore formé. Son fruit est beau et riche.

Nous passons maintenant aux vins blancs.

Bourgogne Réserve Coteaux des Moines blanc Bouchard Père & Fils 2010 : nez strict de vin très jeune. En bouche il est gourmand et c’est le final qui révèle qu’il est court.

Meursault Les Clous Village Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : nez très floral. La bouche est élégante. C’est un vin qui se boit déjà, au final frais mais un peu court.

Beaune du Château blanc 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : le nez est très joli même s’il est discret. La bouche est gourmande. Très jeune mais au final bien plein. Très vert encore, à attendre. Il devient plus rond mais montre qu’il n’est pas encore formé.

Meursault Genevrières 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : joli nez élégant, avec un peu de caramel. La bouche est ample et de belle matière. On sent bien que c’est un meursault. Le vin est solide au final riche. Un grand vin qui combine une belle acidité, une jolie minéralité et un aimable côté doucereux.

Meursault Perrières 1er Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : le nez minéral est très élégant. La bouche est précise, de vin strict. Très citron vert, plus strict que le Genevrières. Belle race. Il s’étoffe un peu mais reste plus strict.

On passe maintenant aux quatre poids lourds !

Corton Charlemagne Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : nez de bébé, bouche superbe. Il y a matière et élégance. Un peu fermé et strict mais c’est lié à sa jeunesse. Très beau final avec des notes de moka et de caramel. Il est à la fois minéral et citron. Il a beaucoup de charme.

Chevalier Montrachet Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : quel vin brillant ! Aucun jusqu’à présent ne m’a conquis comme celui-ci à la première seconde. Le parcours en bouche est superbe. Il a une personnalité folle. Il a un fruité fou, il est gourmand et magnifique. C’est un grand.

Chevalier Montrachet La Cabotte Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : il a une élégance folle, une plus grande race, mais il n’a pas la générosité actuelle du Chevalier. Le final montre sa race. Il est très floral et délicat.

Montrachet Grand Cru Domaine Bouchard Père & Fils 2010 : on sent qu’il est très grand, mais il a encore un peu de perlant. Il est plus paresseux, car il ne se livre pas encore. Caramel, crème, on sent qu’il sera riche mais il joue encore en dedans du fait de son âge. Le Corton Charlemagne fait très élégant après le Montrachet.

En goûtant à nouveau, le Montrachet est le plus riche, la Cabotte le plus noble, le Chevalier le plus gourmand et le Corton Charlemagne le plus romantique.

Une telle dégustation est intéressante mais pour moi, les écarts d’évolution limitent la portée de l’exercice. Je me suis rendu compte que ceux qui me plaisent le plus sont ceux pour lesquels j’ai la mémoire de leurs grands anciens : le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus, le Nuits Cailles m’évoquent de grand souvenirs. Les quatre grands blancs sont superbes, le Chevalier étant le plus immédiatement gourmand. Le travail qui est fait sur tous ces vins est d’une extrême précision. La démarche qualité est conduite par une équipe motivée. Tous ces vins vont devenir très grands.

dans la salle de dégustation, des vestiges du château, dont cet étrange animal – ma place de dégustation

dégustation de vins de Madère mercredi, 16 novembre 2011

La chambre de Commerce Franco-Portugaise organise à l’hôtel Crillon une dégustation de vins de Madère. Ces vins de tous âges et de plusieurs cépages combinent une superbe acidité et des arômes tertiaires, de noix, de champignons et de truffe blanche. Formidablement gastronomiques, ils devraient figurer beaucoup plus souvent sur nos tables, car ils sont riches d’émotion Avec Antoine Pétrus, sommelier de Lasserre, nous nous disions que l’un d’entre eux serait redoutable sur un risotto à la truffe blanche. Il faut vite en faire l’essai !

Un Pereira d’Oliveira Malvazia 1907 est d’une rare pertinence et d’un charme exquis, mais j’ai préféré le Pereira d’Oliveira Boal 1922.

le lot de six Moët 1911 a été vendu ! jeudi, 10 novembre 2011

Une semaine après le dîner dont la vedette était Moët 1911, la vente a lieu sous la conduite d’Artcurial. Elle est grosse de près de 1400 lots sur deux jours. Le fameux lot de six bouteilles de Moët 1911 est le lot 1076. J’avais confié des ordres pour le premier jour dont aucun n’a atteint sa cible, ce qui prouve que les enchères étaient chaudes. Le prix que j’avais offert pour des Chambertins 1919 a été multiplié par deux et celui pour une Chartreuse du 19ème siècle multiplié par quatre. Cela promet des ambiances animées pour le deuxième jour.

Je me rends en salle, et ce qui devait arriver arrive : dans l’atmosphère d’une vente, j’enchéris. Mon compteur se met à tourner. Les achats servent aussi à calmer ma fébrilité car le lot 1076 approche. J’avais donné rendez-vous à un journaliste en salle, car il voulait faire un sujet sur les faux qui polluent le monde du vin. La vente du lot sera filmée.

Jusqu’à présent, les batailles sur les lots se passaient entre la salle et des enchérisseurs invisibles, présents au téléphone ou sur internet et relayés par des agents d’Artcurial. Difficile de sentir la concurrence. Le lot vedette démarre à 80% de l’estimation. Je suis en bagarre avec un téléphone qui abandonne assez vite. La bataille se poursuit dans la salle. Etant au premier rang, je veux me retourner pour voir contre qui je me bats, mais le commissaire priseur me fait remarquer d’un ton qui ne souffre pas la contradiction que mon adversaire préfère ne pas être vu. Je ne peux sentir sa résistance. On dépasse rapidement la limite que je m’étais fixée, et le cœur se met à battre plus vite.

A chacun de mes paliers, mon invisible concurrent relance sans prendre de temps, alors que j’hésite à suivre chaque nouvelle attaque. Le commissaire priseur, car c’est son rôle, me pousse à devenir fou. On arrive au double de l’estimation et je suis relancé. Je sens que mon adversaire ne cédera pas. Je tente un dernier coup de poker et la réponse est si rapide que je cède. J’abandonne à près du double de la limite que je m’étais fixée. C’est la deuxième fois que je cède sur des enchères lourdes, après celle d’un vin jaune de 1774 lors de la percée du vin jaune. J’ai perdu et bien évidemment c’est un moment de tristesse.

Je me retourne et qui vois-je ! C’est un ami russe qui était venu plusieurs fois à l’académie des vins anciens qui vient d’emporter le lot. Je lui souris, je l’embrasse comme j’avais embrassé mon ami suisse qui avait pris le vin jaune de 1774. Encore une fois je suis heureux, car celui qui a gagné sur moi est un grand amateur de vins. Les bouteilles seront bues et bien bues.

Ma tristesse est atténuée par le fait qu’étant seul en lice contre cet ami, j’ai fait monter les enchères ce qui fera un heureux, l’institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), à qui reviendra le produit de la vente.

Le journaliste m’attend pour traiter son sujet, mais je prends le temps de trinquer avec le vainqueur. De longues embrassades ponctuent cette période qui suit de folles batailles, quand la pression et l’excitation ne sont pas encore retombées.

Je suis allé prendre mes lots au magasin d’Artcurial, filmé et questionné par le journaliste. Puis je suis revenu trinquer avec mon ami russe, avec qui nous avons imaginé de folles dégustations à venir.

Cela fait deux fois que je suis le Poulidor de belles ventes. Il va falloir changer de braquet !

vin mystère – photos vendredi, 4 novembre 2011

les tessons de bouteilles cassées trouvées à côté du vin mystère

sur le plan de l’abbaye ou voit une cave toute en longueur et très étroite, horizontale sur le plan. La bouteille a été trouvée au fond, sur la gauche, dans cette longue cave étroite, très loin de tout accès.

la bouteille du vin mystère qui a été lustrée et couverte d’une cire récente

la surprise du bouchon

la manipulation de la bouteille dans la housse remplie d’argon ressemble à un accouchement

les couleurs du vin haut de bouteille et fond de bouteille

la Romanée Saint Vivant 1915

le bouchon du 1915 (on a utilisé un bouchon du domaine DRC avec l’inscrition « Marey-Monge », inappropriée dans ce cas)

un vin mystère à la Romanée Conti vendredi, 4 novembre 2011

La nuit fut courte après le mémorable dîner au Plaza avec Moët & Chandon 1911. Car le rendez-vous est à 9 heures à la Romanée Conti. L’histoire qui va suivre est comme un roman policier, avec ses intrigues et ses énigmes.

Vers l’an 900 a été bâtie l’abbaye de Saint-Vivant de Vergy. Sans doute trop délabrée, elle fut reconstruite sur des plans quasi identiques sur la période 1760-1790. Elle perdit sa vocation religieuse quand elle fut vendue à un particulier. Le site étant à l’abandon une association a été créée en 1996 pour essayer de le sauvegarder, y faire des fouilles archéologiques et l’ouvrir ensuite au public. Aubert de Villaine, gérant de la Romanée Conti, est président de cette association.

Au cours des fouilles des gravats de l’une des caves, on a trouvé, au point le plus éloigné de l’entrée des caves, des tessons de plusieurs bouteilles très anciennes et – miracle – une bouteille pleine.

Lorsque j’avais rendu visite à Aubert de Villaine il y a environ six mois, je lui avais raconté la bouteille datée approximativement de 1690 que j’avais goûtée. Il a immédiatement rebondi en me parlant de la bouteille découverte pendant les travaux de l’abbaye de Saint-Vivant et j’ai pu voir dans la cave du domaine cette bouteille de forme bourguignonne ancienne à l’excellent niveau. Aubert de Villaine m’avait alors invité à venir la boire lorsqu’elle serait ouverte, avec des chercheurs de l’université de Dijon, à des fins d’analyse. Le rendez-vous est ce matin.

Lorsque j’arrive, les chercheurs sont déjà là, la presse régionale aussi et l’initiateur du projet scientifique nous explique les circonstances de la découverte. La bouteille ayant été déposée au milieu de gravats et recouverte ensuite d’une grande épaisseur de gravats a été forcément déposée après la construction de la nouvelle abbaye, donc après 1790. Mais on ne peut pas dire si le vin est plus ancien ou plus jeune,. Toutefois les tessons ont déjà été examinés et des bouteilles quasi identiques trouvées en Belgique et datées ont été fabriquées sur la même période que la reconstruction de l’abbaye : 1760 – 1780. Je trouve personnellement la bouteille pleine plus fine et plus noble que ce que suggèrent les tessons. Mais l’idée qu’elle soit de cette période paraît très logique.

Lorsqu’Aubert de Villaine avait reçu cette bouteille au très beau niveau mais au bouchon rétréci, il avait demandé à ses équipes de mettre une légère couche de cire sur le haut de la bouteille, pour la protéger d’une évaporation éventuelle. Pour ouvrir la bouteille, il va falloir casser la cire et tirer le bouchon. Le scientifique voudrait faire ses prélèvements dans une atmosphère à l’argon, avec le moins possible d’air ambiant pour éviter toute oxydation. Il a apporté une sorte de housse transparente en plastique souple que l’on peut gonfler à l’argon et qui dispose de quatre inclusions étanches en forme de mains, permettant à deux personnes de travailler en manipulant ce qui est à l’intérieur de la housse. Aubert m’avait gentiment proposé d’ouvrir la bouteille, mais je me vois mal opérer de l’extérieur au sein de cette housse. Il est donc décidé que je commencerai l’ouverture à l’extérieur de la housse et que le dernier geste d’extraction se fera sous la housse. Aubert de Villaine commence à enlever la cire qui n’a pas trop durci. Je continue à enlever la cire et je fais part à tous de mon étonnement : ce bouchon paraît étonnamment jeune, car le haut du bouchon est blanc, sans aucune rognure sur son contact avec le goulot. J’enfonce mon tirebouchon et la dureté du bouchon m’étonne. Les bouchons très anciens sont souvent meubles. Je commence à tirer et le pourtour du bouchon que je vois est blanc, non imbibé, et d’une folle jeunesse. Arrivé au deux tiers, j’arrête, pour que l’extraction finale, à la main, se fasse sous argon. Nous nous regardons tous, car ce bouchon est totalement neuf. Ça devient tempête sous un crâne, car nous pouvons tout imaginer.

Le scientifique et son assistante tiennent la bouteille mise dans la housse. Le bouchon est extirpé à la main. Le bas du bouchon est presque blanc, à peine rose, et n’a même pas été imbibé. Il a donc été posé récemment. Aubert de Villaine et Jean Charles Cuvelier se regardent. Ils ont tous les deux le souvenir d’un bouchon ancien, recroquevillé. Comment est-ce possible ? L’explication la plus plausible est une mauvaise interprétation des consignes : ceux qui ont été en charge de mettre la cire, ce dont aucun des deux présents n’a été témoin, ont dû penser que mettre de la cire sur un bouchon abîmé serait stupide. Ils ont donc enlevé le bouchon et l’ont remplacé par un bouchon neuf et neutre puis ont ciré. Bien sûr, par ailleurs, on pourrait craindre qu’ils aient été malveillants, au point de remplacer le liquide, mais fort heureusement, nous voyons que l’on remplit à la pipette des petits flacons semblables à ceux utilisés pour des prises de sang, et le liquide est rose pâle. Ouf, c’est sûrement ancien.

L’opération « pipette » dure suffisamment longtemps pour que nous échafaudions toutes les hypothèses possibles. Le doute existe toujours sur l’âge du vin. Lorsque la housse est rangée, nous pouvons sentir le vin. Le nez me paraît ancien. Nous sommes servis et la couleur des premiers verres est rose pâle. Aubert remplit plusieurs verres et la couleur se fonce. Nous goûtons et beaucoup attendent mon verdict.

A mon avis, le vin est très ancien, parce que le côté vinaigré est accompagné d’un léger goût de glycérine que l’on rencontre avec de très vieux vins. Le plus vieux vin rouge de Bourgogne que j’ai bu étant de 1811, je hasarde que ce vin est de la première moitié du 19ème siècle. Peut-il être plus vieux, par exemple de l’année de la fin de la construction, autour de 1790 ? Ce n’est pas à écarter.

Le vin s’épanouissant dans le verre on sent qu’il a gardé du fruit. Il n’est ni déplaisant ni plaisant, témoignage d’il y a un siècle et demi. Est-il bourguignon ? Nous sommes plusieurs à répondre assurément oui. Lorsque la bouteille est vide, on voit que le verre est très foncé, d’un vert brun. Un défaut dans le verre, comme une bulle, dépasse trois centimètres de long et c’est étonnant que la bouteille n’ait pas été détruite par le verrier. Il serait bon de vérifier auprès de verriers ou de musées quelles périodes correspondent à des verres si fumés.

J’avais apporté à toutes fins utiles la bouteille de 1690 dont il reste la moitié, pour soumettre le vin aux mêmes analyses par l’université. Le scientifique en est absolument ravi et fait les mêmes prélèvements à la pipette mais cette fois à l’air libre, puisque la bouteille avait déjà été ouverte. J’ai versé un verre pour que des curieux puissent y goûter. A l’évidence ce vin a cessé de vivre. Je l’ai seulement humé et son odeur de vinaigre est très proche de celle de l’autre bouteille.

Pendant ce temps, le vin de Saint-Vivant est envahi par le goût de vinaigre. Il se meurt. Mais les scientifiques ont filtré le fond de bouteille pour en recueillir la lie et ce qui reste, d’un rose beaucoup plus rouge, a gardé une vivacité suffisante pour que j’y trouve du plaisir. Rêvons un peu car ça ne coûte rien. C’est une bouteille de Romanée Saint-Vivant 1790 mise au fond de la cave en souvenir de l’achèvement des travaux de la reconstruction de l’abbaye de Saint-Vivant. Il y a 99% de chances que ce ne soit pas ça. Cette dénomination ne sera pas la part des anges, car il n’y en avait pas, la bouteille étant d’une niveau presque parfait, mais la part du rêve.

Aubert de Villaine ayant anticipé l’éventualité d’un vin peu plaisant nous présente une jolie bouteille de Romanée Saint-Vivant Gaudemet-Chanut 1915. Je n’ai aucune difficulté à l’ouvrir, car le vin a été rebouché sous vide au domaine de la Romanée Conti en 2009. La couleur est d’un rouge cerise assez soutenu. Le nez est magnifique de grâce. En bouche, le vin est romantique. Il pianote des notes délicates et élégantes. Ce qui est étonnant, c’est son parcours en bouche qui ajoute par petites touches des notes différentes. Le vin est très long avec un fruité remarquable, de la rose et surtout des variations incessantes pendant son parcours en bouche. Tous, nous sommes frappés par la jeunesse de ce vin. Si on disait que c’est un 1969, personne ne contredirait. La réussite de ce vin est extrême et son plaisir est grand. De plus, il conforte l’estimation d’âge de la bouteille objet de notre réunion, car il y a au minimum 70 ans et pourquoi pas plus d’un siècle d’écart entre les goûts de ces deux vins.

Quelle aventure ! Les scientifiques ont pris aussi des échantillons du vin de 1915. La suite du roman sera l’analyse de tous ces échantillons. Y aura-t-il des rebondissements ? Nous nous sommes promis de nous revoir.

Photo Le Bien Public

(photo journal Le Bien Public)

(photo journal Le Bien Public)