Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Premier de trois dîners avec mon fils lundi, 9 novembre 2020

Pendant le premier confinement de mars à juin, j’avais profité du temps disponible pour inventorier la cave de ma maison que je n’utilisais quasiment plus car je prélevais les vins sur la grande cave. Pour chaque bouteille de la maison j’ai noté le niveau du vin dans la bouteille et parfois des commentaires ont été ajoutés. Pour deux bouteilles, j’ai noté : « à boire avec mon fils ».

Pour la première fois depuis huit mois mon fils qui vit à Miami vient en France. Il avait l’habitude de venir chaque mois pour prendre les dispositions qui s’imposent dans la société familiale dont il est le gérant et il lui semble opportun, malgré les dangers de la deuxième vague du virus, de venir s’occuper de la société. Nous allons le recevoir à la maison pour le week-end.

Je vais naturellement chercher les deux bouteilles que j’avais repérées et destinées à être bues avec mon fils. La première est une bouteille bourguignonne très opaque, sans aucune étiquette, et ornée d’un médaillon en verre gravé évoquant des armoiries ducales. La couronne ducale est très nette, et les lettres au centre forment un dessin assez incompréhensible. Le haut du goulot est recouvert d’une cire qui a craquelé et s’est érodée. La bouteille soufflée me fait supposer qu’il s’agit d’un bourgogne du 19ème siècle. Ayant en cave miré la bouteille avec une lampe, j’ai vu un liquide clairet qui pourrait très bien être celui d’un bourgogne rouge assez clair.

J’ouvre la bouteille vers 16 heures pour le dîner et le bouchon vient en charpie, mais sans difficulté. Je sens le vin et quelle surprise ! Il ne s’agit pas d’un vin mais d’un alcool et en y repensant quelques heures plus tard, j’aurais peut-être pu penser que ce n’était pas un vin rouge. Mais m’attendant à trouver un vin rouge, je n’avais pas de raison majeure de réagir.

Alors que je ne verse jamais un verre pour contrôler les vins que j’ouvre, car je veux que le vin profite au mieux de l’oxygénation lente, je verse une petite quantité dans un petit verre. La couleur est belle et ambrée. Au goût comme au nez c’est un marc, un marc raffiné et noble, très en douceur mais d’une force alcoolique extrême. Quelle surprise !

Le deuxième vin que je destinais à mon fils est un Châteauneuf-du-Pape Réserve des Camériers (marque déposée) Arnaud Berger Négociant à Sorgues 1947. Et comme en le prélevant en cave j’ai vu un Gigondas lui aussi Réserve des Camériers, j’ai décidé qu’on l’ouvrirait aussi, avant même que je n’aie la surprise de voir que la bouteille antique n’était pas du vin rouge. L’idée que je partage un vieux Gigondas avec mon fils m’excite beaucoup.

A l’ouverture, les deux bouchons viennent en morceaux mais sans problème et sont sains. Tout indique que le Gigondas est de la même période que le Châteauneuf. Le nez du Gigondas est simple et cohérent, sans grande complexité. Le nez du Châteauneuf est envoûtant, d’une rare complexité et évoque un vin de Bourgogne raffiné.

Vers 19h30 l’apéritif commence avec une délicieuse rillette, de la poutargue, et un camembert. Le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Cave Privée 1980 est absolument délicieux, d’une très jolie acidité. Il est vif, tout en étant courtois. Il est d’une grande élégance. Je suis étonné de lire que nous buvons la bouteille numéro 1096 sur 1341. Comment est-il possible que l’on ait fait aussi peu de ce champagne en « Cave Privée » ? Il a été dégorgé en 1986 et dosé à 9 grammes. Il est absolument charmant et racé et mon fils qui n’a pas eu l’occasion en huit mois de boire un champagne de cette qualité est aux anges.

Le repas consiste en des joues de bœuf aux carottes qui ont mijoté depuis deux jours et ont embaumé la cuisine. La chair est fondante et les carottes sont des bonbons. Le Châteauneuf-du-Pape Réserve des Camériers Arnaud Berger Négociant à Sorgues 1947 est absolument exceptionnel. Quel grand vin. Ce qui frappe toute de suite c’est qu’il est intemporel. J’imagine volontiers que s’il était ouvert dans cinquante ans, il serait strictement le même. Car il a atteint une plénitude totale. Il est riche comme un grand Châteauneuf, et bourguignon comme le serait un Rayas. On se situe dans l’aristocratie absolue du Rhône et c’est le temps et le millésime qui ont anobli ce vin. L’accord avec la viande fondante est sublime.

Le Gigondas Réserve des Camériers Arnaud Berger vers 1947 est d’une couleur beaucoup plus claire que la couleur intense de son voisin. En bouche il est simple, carré, et c’est une heureuse surprise, car on se dit que s’il était servi seul, on le trouverait fort à notre goût.

Il est tentant ensuite de goûter au Marc de Bourgogne vers 1850 date qui correspond à ce que l’on a pu trouver de plus proche sur internet. J’aurais volontiers dit que ce marc est de 1890 ou alentour, mais les bouteilles les plus proches sur internet évoquent 1850. On ne se battra pas sur ce point. Ce marc est assez extraordinaire car il a le caractère râpeux du marc mais anobli par un côté un peu doucereux. Il a une forte personnalité et la noblesse de son écusson.

Comme nous sommes d’humeur joyeuse après avoir bu un Châteauneuf aussi exceptionnel, je cherche parmi les alcools ouverts une Tarragone des Pères Chartreux qui pourrait être des années 30 ou 40 dont il restait peu de chose. Nous buvons la fin de cette bouteille d’un litre, ce qui est rare, car on en ouvre plus que l’on n’en finit, et l’alcool, manifestement éventé, même s’il évoquait de beaux souvenirs de chartreuses, ne pouvait entrer en compétition avec le marc si généreux. Le 1947 et le Veuve Clicquot nous ont fait vivre un dîner mémorable.

j’ai versé un verre pour savoir de quoi il s’agit. J’ai dit Marc mais c’est une fine.

l’écusson est une énigme qui a été levée grâce à Instagram puisque quelqu’un a fourni une photo sans équivoque du blason. La réponse n’est venue que dix jours plus tard.

Grande Fine Champagne 1832 Louis Philippe Régnant mise en bouteille par Georges Marcel (Martel ?) à Tours.

 

la délicieuse joue de boeuf

 

 

dîner au restaurant Kei dimanche, 1 novembre 2020

Un ami italien est à Paris. C’est un fidèle de mes dîners. Il a notamment participé à deux dîners au château de Saran et à un ou deux dîners au château d’Yquem. Il m’envoie un message proposant de déjeuner ou dîner ensemble dans des restaurants prestigieux. Je choisis de le rejoindre à dîner au restaurant Kei, le soir où le Président Macron va nous annoncer des mesures de confinement.

Le dîner est organisé pour commencer à 18 heures et finir vers 20 heures, couvre-feu oblige. Les mesures de protection contre le virus sont particulièrement bien gérées dans ce restaurant. Trois menus sont possibles et nous choisissons le menu « Harmonie Collection – Composition Horizon ». La carte des vins est relativement peu fournie et comprend des prix très élevés lorsque l’on regarde les vins les plus emblématiques. Mais comme dans toutes les cartes des vins, il y a de bonnes pioches.

Pour l’apéritif, nous prenons un Champagne Version Originale Jacques Selosse dégorgé en octobre 2013, qui accompagnera aussi les premiers plats. Ce champagne un peu ambré a un nez très typé et intense. En bouche il est sans concession, et comme le parfum, intense, profond, de forte personnalité. C’est un champagne de gastronomie, noble et complexe dont j’aime le style.

Le menu que nous avons choisi ne nous est pas communiqué. Nous en recevrons les intitulés en fin de soirée : granité au Shiso rouge / tartelette yaourt, sardine espagnole, oignon rouge / concombre au miso, gougère à la crème de parmesan / le jardin de légumes croquants, mousse de roquette, émulsion de citron, vinaigrette de tomates et crumble d’olives noires et amandes / gnocchis crème de parmesan, jambon Bellota, truffe blanche d’Alba / langoustine façon Bloody Mary, caviar Shrenki et quinoa croustillant / le bœuf Wagyu, poireaux grillés, condiment moutarde, raifort et cresson, en tartare, écume de tomate épicée, charbon végétal et caviar / le pigeon de Vendée au miso, figue rôtie / émulsion de brebis et chèvre, glace au cassis et miel d’acacia / vacherin façon Mont-Blanc, sorbet yuzu / tarte Tatin caramel / guimauve glacée piña colada, tartelette caramel et nougatine.

J’ai une grande admiration pour la cuisine du chef Kei et l’obtention d’une troisième étoile est pleinement justifiée, mais ce soir le style des plats m’a un peu dérouté, comme si le chef, au lieu de garder la pureté épurée des chefs japonais avait orienté sa cuisine sur l’opulence et les complexités. Le jardin de légumes, de jolie présentation et annoncé comme plat emblématique du chef, a une mâche déroutante car les morceaux de légumes, trop longs, sont difficiles à manger. Et la confusion des goûts nuit à la cohérence. La truffe blanche d’Alba coupée en trop fines lamelles, est presque éteinte malgré sa qualité. La langoustine, noyée dans une crème très forte, écrase le caviar qui devient muet. La langoustine seule est magnifique, le caviar seul est fort bon, mais la combinaison rend le caviar inexistant. De ce fait, si les délicieux amuse-bouches ont fait briller le champagne Selosse, il n’y a pas eu de vraies occasions pour la Version Originale de briller sur les plats suivants.

Heureusement la suite du repas fut d’une extrême qualité. Je suis très content que le compétent sommelier ait approuvé mon désir que le Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 2006 soit ouvert au dernier moment, juste à l’apparition des délicieuses viandes. Je pensais que Rayas 2005 est la référence absolue de ce vin, aussi suis-je agréablement surpris de voir ce 2006 absolument brillant, serein impeccablement construit. C’est un grand vin plein d’ampleur et de joie. Le gras du wagyu le fait chanter et le délicieux pigeon met en valeur sa noblesse.

Avec mon ami nous nous sommes félicités d’avoir choisi ces deux grands vins. Comme j’ai la meilleure image possible du talent du grand chef, il faudra que je revienne pour vérifier si mes avis méritaient d’être aussi critiques. Nous avons passé une excellente soirée dans ce beau restaurant cher à mon cœur, avec Gérard Besson et maintenant avec Kei.

le menu est froissé !

Déjeuner au restaurant Drouant vendredi, 23 octobre 2020

Le restaurant Drouant est un lieu chargé d’histoire car il abrite les travaux du jury du prix Goncourt ainsi que du prix Renaudot. Un salon est réservé aux membres de chaque jury et chaque membre dispose d’une chaise marquée à son nom. Ils se réunissent tous les mois et déjeunent d’un menu qui répond à des règles immuables. Je suis invité par le propriétaire des lieux, Laurent Gardinier, qui possède avec sa famille ce restaurant, le Taillevent, les caves Taillevent et l’hôtel Les Crayères, entre autres possessions.

Le rez-de-chaussée où nous déjeunons n’a pas le prestige des salons du haut et se situe plutôt comme une brasserie au cadre simple joliment décoré et agréable. La carte des menus affiche des prix doux pour des plats de qualité mis au point par le chef Émile Cotte en collaboration avec Philippe Mille, le chef deux étoiles des Crayères. Mon menu sera un jambon d’Auvergne, une tarte au caviar un peu façon pizza, des choux fleurs en entrée et un vol-au-vent.

J’ai pris un verre de Champagne Lanson Le Black Reserve sur base de vins de 2014 et dégorgé en 2019. Il est dosé à 7 grammes mais fait plus strict qu’un extra-brut. Ce champagne salin est sans concession. Il se marie très bien avec le jambon.

Laurent me donne la lourde tâche de choisir les vins dans une carte impressionnante par l’étendue des vins proposés à des prix raisonnables, et notamment une grande variété de vins du Rhône. Il faut dire que le groupe Gardinier gère dans leur ensemble toutes les caves de plusieurs centaines de milliers de bouteilles.

L’Hermitage blanc Jean-Louis Chave 2008 a une jolie couleur d’un or de miel clair. Il est d’une belle plénitude, généreux, souriant, et d’une extrême lisibilité. Il est facile à vivre toute en étant vif et gourmand. C’est un vin blanc racé de grand plaisir. La tarte au caviar se marie bien à ce vin.

Le Château Rayas Châteauneuf-du-Pape rouge 2005 est un vin que j’adore, lui aussi dans une plénitude absolue. Son attaque est bourguignonne et son finale inextinguible est résolument rhodanien. C’est son côté bourguignon de belle râpe qui me plait le plus. C’est un seigneur. Autant le Chave est confortable, facile à vivre, autant le Rayas est un cheval fou qui veut briser toutes les barrières. Ces deux vins sont superbes.

Une belle assiette de fromage a permis de terminer le vin rouge passionnant. Au cours des discussions que nous avons eues, l’idée de reprendre le menu immuable de l’académie Goncourt et de le « revisiter » – comme on dit aujourd’hui – en fonction de vins que j’apporterais, est extrêmement excitante. Dans cette période où le couvre-feu est un calvaire pour les restaurants, lancer des idées dans toutes les directions est un moyen de faire vivre ce qu’il y a de plus précieux en France, la haute gastronomie.

la salle du Goncourt

des livres

une édition originale de Proust

Dîner au restaurant L’Écu de France avec un vin de légende samedi, 17 octobre 2020

L’aggravation de la propagation du virus a entraîné le gouvernement à décider un couvre-feu dans les régions à risque, dont l’Île de France. Ma femme et moi avons envie d’aller dîner au restaurant pour le dernier soir où l’on peut encore être servi jusqu’à minuit. Ce sera notre dîner « Cendrillon ». Nous choisissons le restaurant L’Écu de France où nous avons d’innombrables souvenirs.

Je demande la carte des vins, si bien constituée et à des prix qui me font penser aux prix du Bern’s Steak House de Tampa en Floride où il fut un temps, on pouvait se rembourser fictivement le prix du voyage en avion en prenant des bouteilles chères en France à des prix dérisoires là-bas.

Prenant pour prétexte d’aider la restauration, cause nationale, je commande la bouteille qui me semble la plus emblématique de ce restaurant, un mythe : un Musigny Georges Roumier 2009. En attendant cette bouteille, je demande un champagne au verre. Ce sera un Champagne Bollinger sans année qui aura le mérite de préparer le palais, accompagné d’une terrine de poisson absolument délicieuse.

Peter Delaboss, l’exubérant chef d’origine haïtienne, a l’habitude de faire des créations volcaniques. Il sait qu’il faudra adoucir ses ardeurs pour ce vin de légende. Je choisis le demi-homard bleu que le très compétent maître d’hôtel me suggère de commander sans le ragoût de févettes. Il n’aurait sans doute pas choisi ce plat mais je persiste et j’aurai raison.

Le plat principal sera la poularde de Culoiseau cuite à basse température, avec des langoustines rôties, du beurre d’estragon et de la poudre de parmesan.

Le vin est ouvert, le bouchon est beau et la verrerie est idéale pour mettre en valeur de parfum de ce vin. Ce parfum est extraordinaire de finesse, de délicatesse et de précision. La première gorgée a les mêmes caractéristiques. Le vin est délicat, précis, fin et particulièrement romantique. Il pianote ses suggestions et je pense immédiatement à la première Gymnopédie d’Erik Satie. Une autre image qui pourrait venir à l’esprit est l’extraterrestre E.T. lorsqu’il se promène dans les airs, posé sur le porte-bagage d’une bicyclette. Car en ce vin tout est aérien.

Je pense alors aux vins de la Romanée-Conti et ce qui me vient à l’esprit est que les vins de la Romanée Conti sont terriens, racontant avec raffinement l’histoire de leurs climats, alors que ce Musigny est un vin de poète, qui raconte des rêves. Chaque gorgée est un émerveillement.

Le homard est superbe et accompagné de coquilles Saint-Jacques poêlées à la perfection. L’accord est d’une justesse certaine, naturellement, mais aussi parce que je le veux, adaptant mon palais pour qu’il se crée.

Malgré la cuisson à basse température, la poularde est un peu lourde parce que les morceaux sont épais. Les langoustines sont parfaitement adaptées à ce plat et au vin. Pour finir le vin j’ai demandé un brie de Meaux aux brisures de truffes et un comté affiné.

Peter Delaboss au sourire contagieux est venu nous saluer. Nous l’avons félicité pour la belle cohérence de sa cuisine qui d’habitude danse la zumba des saveurs.

Il me semble que ce Musigny est l’un des plus grands bourgognes que j’aie bus, car il est en permanente émotion, fou de poésie. Une fois de plus j’ai constaté que je préfère le premier tiers de la bouteille, encore frais de cave et fragile comme un puceau. Le reste de la bouteille est plus bourgeois, même si, comme pour ce vin, le pouvoir émotionnel reste entier. Il est rare de trouver autant de politesse, de justesse et de finesse en un vin.

J’ai bu la dernière bouteille de Musigny 2009 du restaurant, encouragé par une politique tarifaire qui n’existe nulle part ailleurs. Grand merci à la famille Brousse qui grâce à des allocations ancestrales met à disposition d’amateurs des vins inaccessibles. Je voulais témoigner à un restaurant que j’aime, mon soutien à la restauration. J’ai pu le faire en m’offrant un plaisir unique et en profitant avec ma femme d’une belle soirée.

Si le couvre-feu continue, nous pourrons dire à nos enfants et petits-enfants : vous savez, un soir, nous avons pu dîner jusqu’à 23 heures. Si, si, jusqu’à 23 heures, en ce temps-là, on pouvait encore…

Déjeuner dont un Pétrus récompensait une énigme sur Instagram jeudi, 15 octobre 2020

Il y a cinq mois, j’avais publié sur Instagram une photo d’un vin « le sang du peuple » cuvée spéciale avec une Marianne au bonnet phrygien. Je n’avais aucun souvenir de ce qui avait pu me pousser à acquérir ce vin dit « vin de table ». Sans chercher plus, j’ai annoncé sur Instagram que si quelqu’un montrait une photo de la même étiquette, j’ouvrirais avec lui une bouteille de Pétrus. Deux personnes avaient envoyé des photos de cette étiquette et après la période des vacances d’été, nous avons choisi de déjeuner ensemble et de partager une bouteille de Pétrus.

Le déjeuner est prévu au restaurant Pages et j’ai demandé que l’on prévoie du rouget pour accompagner le Pétrus. La veille, Lumi, directrice du restaurant Pages m’écrit qu’elle a trouvé des rougets. Peu après je reçois un mail de l’un des gagnants du jeu, vivant à Monaco, disant qu’il fait partie d’un groupe de personnes interdites de circulation pour cause de Covid. Pour être en nombre suffisant compte tenu des vins, la table s’élargit. Ce n’est pas très compliqué quand on annonce qu’il y a un Pétrus.

J’arrive avant 11 heures au restaurant Pages pour ouvrir Le Pétrus 1973 au niveau dans le goulot, qui n’a pas perdu le moindre volume en 47 ans. Le bouchon vient entier et facilement car il n’était pas fortement collé au goulot. C’est assez étrange que parfois des bouchons fortement collés au goulot ont laissé s’évaporer du vin alors que ce bouchon qui pouvait presque tourner sans effort dans le goulot n’a laissé échapper aucun liquide. Vinicius, le gagnant de ce jeu est arrivé très peu de temps après moi et j’ouvre l’un de ses apports, un vin rouge grec Orgion, pentes d’Aenos, Produit par E. Sklavos Kechrionas, Cephalonia 2012, qui titre 13°. Vinicius a apporté ce vin car il a participé aux vendanges de ce millésime et veut me le faire goûter.

Il a aussi un autre apport, un Champagne Krug Grande Cuvée 164ème édition dont la base comporte de façon significative des vins de 2008. Ce champagne a une maturité bien affirmée. Il est superbe, large et raffiné. C’est un très grand champagne qui va accompagner les amuse-bouches : velouté de Kabocha / chou au parmesan et noisette / maquereau fumé au foin.

Il se trouve que la veille, je venais d’acheter six demi-bouteilles de Champagne Bollinger 1943. Parmi les six l’une est vide, car son contenu s’est évaporé et une autre a un niveau à moitié de bouteille et une couleur franchement sombre. C’est celle-ci que j’ai ajoutée à mon apport. Quand je l’ouvre, le bouchon se cisaille à mi-hauteur et il me faut un tirebouchon pour sortir le bas du bouchon. Le liquide est franchement gris et rebutant. Mais le nez est prometteur. En bouche l’acidité est belle et l’amertume agréable. J’apprécie ce champagne d’autant plus que des amateurs n’auraient probablement pas daigné le goûter. Les vieux champagnes ont une solidité extrême. J’aime les rescapés.

Le menu que nous allons suivre est le « grand » menu prévu pour ce jour : caviar Daurenki, mousseline de pomme de terre, esturgeon fumé, céleri / cannelloni de homard et de daïkon, consommé de crustacés, Kalamansi / risotto, seiche, céleri rave / rouget, sauce civet / canard de Challans façon Apicius, sauce au foie gras, salsifis et oignons / dégustation de bœufs de maturation, normande et charolaise 7 semaines, wagyu / Opéra de la pâtissière Yuki Hayato / mignardises.

Le Krug et le Bollinger cohabitent bien avec le caviar, le Bollinger profitant bien de la présence de l’esturgeon. Ayant senti le plat de homard et son consommé, j’ai l’intuition que le vin grec sera le plus approprié. Et c’est le cas. Le Orgion, pentes d’Aenos, Produit par E. Sklavos Kechrionas, Cephalonia 2012 est une très agréable surprise. Si on devait situer son goût en France, son grain très dense le mettrait parmi les bordeaux de la rive droite, saint-émilion par exemple. C’est un très bon vin et l’accord avec le homard surprend Vinicius par sa pertinence.

Le risotto appelle plutôt le Krug et c’est le tour du Pétrus 1973 sur le rouget. A l’ouverture, son parfum était superbe. Il est servi un peu chaud et dès qu’il retrouve de la fraîcheur, son caractère brillant apparaît. Il a une puissance très supérieure à ce que l’on attend de ce millésime timide. Il est grand, profond et plus lisible que d’autres millésimes de Pétrus, car sa cohérence est extrême. L’accord avec le rouget est toujours aussi pertinent. Ce Pétrus est noble, d’une grande élégance. La sauce, faite avec un grand bordeaux de 1982 est un peu trop réduite. Une sauce plus légère eût été opportune. Pour les deux plats qui suivront les deux vins rouges sont également appropriés mais sont rapidement bus, au point que nous commandons au verre de la carte du restaurant un Chambolle-Musigny 1er Cru Les Baudes Sérafin Père & Fils 2010 qui joue honnêtement son rôle.

Le dessert Opéra est le même que celui que nous avions aimé chez mon ami Tomo. Il est de très haute qualité et forme un accord parfait avec le Tokaji Aszu Eszencia Disznoko 1988 extrêmement charmeur, doux et aérien que j’ai apporté.

C’est assez difficile de classer les vins. Je mettrai en premier le prétexte de ce repas, le Pétrus 1973, suivi du Krug Grande Cuvée, puis le Bollinger 1943 et le vin grec 2012. Ce repas fut amical, décontracté et riche en émotions gustatives.

Voici l’objet du jeu que j’avais lancé sur Instagram

la récompense

Déjeuner au restaurant Le Récamier mercredi, 14 octobre 2020

Trois fois par an mon frère ma sœur et moi déjeunons ensemble à l’invitation de chacun à son tour. Nous sommes quatre avec mon beau-frère et j’invite au restaurant Le Récamier qui vient juste de perdre son talentueux créateur, Gérard Idoux. J’avais le souvenir d’un superbe déjeuner en ce restaurant aussi ai-je entraîné toute la table à choisir le même menu : jambon persillé « maison Vérot » / soufflé au champignon et sa sauce / soufflé façon Rothschild et sa glace plombière servi avec du Grand Marnier.

Le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 2008 est très agréable et très consensuel. Facile à comprendre, orthodoxe, il n’apporte que du plaisir. Il sera agréable associé à chacun des plats en offrant à chaque fois des facettes pertinentes.

Il restait du champagne de la deuxième bouteille servie aussi me suis-je laissé tenter par une tartelette amandine aux poires qui a tracé un coup de canif délicieux mais terrible dans mon régime.

Cette table est à vivement recommander. Nous avons déjeuné en plein air, ce qui ajoutait une sécurité supplémentaire par rapport au sournois virus.

le grand chef Gérard Idoux nous a quittés. Ses recettes subsistent.

Déjeuner en famille avec des vins de repas précédents lundi, 12 octobre 2020

Le lendemain nous avons à la maison le déjeuner dominical où nous aurons la chance inouïe de recevoir nos deux filles ainsi que ma belle-fille que nous n’avons pas vue en cette maison depuis son départ aux USA il y a douze ans. Nous ne l’avons retrouvée que lors de nos voyages à Miami ou dans notre maison du sud. Ce déjeuner sera l’occasion d’ouvrir tous les vins que j’ai bus au château de Saran il y a quatre jours qui ont été rebouchés à mon intention avec un soin remarquable.

L’apéritif consiste en des sablés au parmesan confectionnés de bon matin par ma femme et qui ont embaumé la cuisine, des têtes de moines, des chips à la truffe blanche, du Cecina de Lèon, du Pata Negra qui a conservé son gras contrairement à ce qu’avait préparé Lumi chez Tomo. Le Champagne Dom Pérignon 2010 a perdu de sa bulle. Il est très clair et s’est un peu assagi alors que le Champagne Dom Pérignon 2008 est beaucoup plus solaire, large et a gardé sa bulle. Ils jouaient jeu égal au château de Saran et aujourd’hui, le 2008 a deux longueurs d’avance.

Le Champagne Dom Pérignon P2 1996 est comme il y a quatre jours brillantissime. Il combine avec grâce une folle jeunesse avec une belle maturité.

Le Champagne Dom Pérignon P3 1982 est tellement énergique que lorsque j’ai ouvert la bouteille rebouchée à Saran, le bouchon m’a échappé des mains et a failli éborgner le compagnon de ma fille. Son énergie est incroyable et alors que j’avais trouvé le Champagne Dom Pérignon P3 1990 très largement au-dessus du 1982, aujourd’hui, c’est l’inverse.

Nous passons à table et le menu composé par ma femme est : coquilles Saint-Jacques crues au caviar osciètre prestige de Kaviari / lait fumé en émulsion, anguille fumée, œufs de saumon, pomme de terre / dos de saumon / coraux de coquilles Saint-Jacques / fromages / reine de Saba et glace vanille fumée au bois de hêtre.

Le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996 est large et puissant, solaire, solide et magnifique. Il est superbe sur le sucré de la coquille Saint-Jacques. Il restait un fond de la bouteille du Vin du Jura, vin de l’Etoile 1929 qui est extrêmement sombre puisqu’il ne reste que la lie. Il y en a suffisamment pour que j’en fasse profiter mes filles. Le goût est transcendantal. C’est une quintessence de perfection, racée, vive, d’une personnalité infinie. Il est fugace car il en reste très peu mais laisse une trace indélébile dans nos palais et nos cerveaux.

Le plat au lait fumé est subtil et raffiné. Le Ciclopi Vino Etna Bianco 1968 que j’avais ouvert au château de Saran a toujours ce goût étrange de vin jaune. Je l’aime beaucoup, même s’il est difficile à apprécier pour beaucoup autour de la table. Il est parfait sur ce plat. Il cohabite bien avec le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1966 qui a perdu un peu de sa vigueur mais garde une belle subtilité développée par sa maturité.

J’avais dans ma cave une bouteille énigmatique. C’est un Château Haut-Brion 1961 dont l’étiquette indique bien l’année mais dont un propriétaire antérieur avait inscrit sur l’année 1961 au crayon : 67. Ma fille aînée étant de cette année j’ai voulu que l’on puisse vérifier si le millésime est bien l’officiel, celui de l’étiquette, ou celui rajouté. A l’ouverture il y a quatre heures le parfum était trop incertain pour que je puisse juger. Maintenant, le doute n’est plus permis, il s’agit du brillantissime et légendaire Château Haut-Brion 1961. En regardant plus attentivement l’étiquette on peut imaginer que le 7 est en fait un 1 qui aurait prolongé sa barre verticale plus bas que la base d’un 1, créant l’équivoque sur 1 ou 7. Avec les coraux, le Haut-Brion est sublime, riche complet, équilibré, le seigneur absolu.

Mais c’est compter sans le Château Trotanoy 1945 que l’on avait bu chez Tomo et dont j’avais conservé la bouteille. Ma fille aînée et moi le trouvons beaucoup plus grand que le Haut-Brion alors que ma fille cadette est en faveur du vin de Graves. Le Trotanoy est très au-dessus de ce qu’il offrait la nuit dernière. L’aération lui a particulièrement profité.

Il en est de même pour le Champagne Dom Pérignon rosé 2006 qui est beaucoup plus large et racé qu’à Saran. Il accompagne le gâteau au chocolat et la diabolique glace à la vanille d’agréable façon.

Nous avons fait au cours de ce repas un voyage de douze vins dont deux seulement étaient nouvellement ouverts, le Pol Roger Winston Churchill 1996 et le Haut-Brion 1961. Le classement des vins est aussi difficile qu’hier. Je le ferais ainsi : 1 – Trotanoy 1945, 2 – Haut-brion 1961, 3 – Dom Pérignon 1982, Dom Pérignon 1996, Pol Roger Winston Churchill 1996, Dom Pérignon 2008, sachant qu’il convient de mettre hors catégorie les reliques du Vin de l’Etoile 1929.

Cette réunion familiale fut un grand bonheur.

l’énigme du 61 surchargé de 67 ou un imprécis 61 ?

la couleur du Dom Pérignon 2006 rosé

les champagnes du déjeuner à Saran et le TRotanoy 1945 du dîner chez Tomo s’ajoutent aux nouveaux vins

Dîner d’anniversaire de mon ami Tomo samedi, 10 octobre 2020

C’est l’anniversaire de mon ami Tomo. Ma femme et moi sommes invités chez Akiko et Tomo à dîner. Lorsque nous arrivons Tomo m’offre un verre de Champagne Krug magnum 1979 qu’il a ouvert il y a une demi-heure. Le champagne est noble mais souffre d’une amertume un peu prononcée. Mais elle disparaît extrêmement rapidement, comme par miracle. Et ce Krug nous offre sa richesse, ses complexités et une longueur quasi infinie. C’est un très grand champagne racé.

J’avais apporté pour partager avec Tomo un Château Chalon Jean Bourdy 1911. Je l’ouvre et le parfum de noix est très fort. La couleur dans les verres est ambrée et sombre. Le vin est énergique, puissant, riche de noix et pour 109 ans, il offre un dynamisme rare. Je fais faire à Tomo et aux deux autres convives l’expérience de boire le champagne, puis le vin jaune et de revenir ensuite au champagne. Le vin jaune élargit le champagne et c’est un vrai bonheur. Frédéric est un commerçant de vins anciens que j’ai connu il y a plus de vingt ans et qui a participé à mes tout premiers dîners au restaurant Maxence de David van Laer.

En cuisine Lumi et Ken s’affairent pour préparer les mets du repas. Le jambon Pata Negra Bellota 36 mois dont Lumi a patiemment enlevé le gras est superbe pour le champagne. Nous commençons à table par un bouillon de poularde façon Païtan, chou rave et zestes de yuzu vert. Ce plat délicat accueille Un Meursault Pré de Manche Domaine d’Auvenay Lalou Bize-Leroy 2000. Ce vin combine puissance et légèreté. Il est intense et imprégnant, complexe et aussi charmeur. C’est un blanc magnifique qui n’a pas la puissance des vins de la région de Puligny-Montrachet mais a la persuasion des meursaults.

Le plat suivant est un carpaccio de Saint-Jacques, coques d’Utah Beach, caviar Daurenki, Citron Caviar. On peut essayer sur ce plat les vins déjà servis et à mon sens le plus bel accord se trouve avec le Château-Chalon puis le champagne. Les coques n’étaient pas forcément utiles pour ce plat alors que les tranches de radis apportent du croquant qui renforce l’accord coquille crue et caviar. C’est délicieux.

Nous avons ensuite des tempuras de homard au Shiso rouge, sauce bisque de homard coraillé, sur lequel apparaît un Château Lafleur Pomerol 1975. Le vin est superbe, d’une folle énergie, au goût de truffe noire et de mine de crayon. Ce vin est un seigneur. A mon sens, les queues de homard sont un peu trop grosses pour être présentées en tempura et il est sans doute préférable de les servir sans le tempura. La chair du homard est divinement cuite et se suffirait à elle-même. Elle résonne avec le pomerol de bien belle façon.

Ken a cuit deux poulardes Culoiseau en croûte de sel et d’algue Kombu, girolles poêlées, riz gluant aux marrons. Il vient les découper à notre table. Leur chair est divine de tendreté sous cette cuisson. Tomo nous montre une énorme et belle truffe blanche d’Alba qui embaume d’un parfum envoûtant et qu’il disperse en fines tranches sur nos assiettes avec une extrême générosité. Il sert alors un vin de légende, le rare et fameux Château Trotanoy Pomerol 1945. L’année 1945 est celle de la plus grande réussite de Trotanoy, comme 1947 l’est pour Cheval Blanc. Le vin est grand, mais je ne trouve pas qu’il offre la légende attendue. C’est un grand vin mais j’aurais tendance à préférer Lafleur 1975 plus vif et plus expressif. Il est évident que les deux pomerols sont très grands.

Yuki Hayato, la talentueuse pâtissière du restaurant Pages, n’est pas présente mais elle a créé un dessert Opéra au chocolat d’une qualité exceptionnelle. Tomo ouvre un Champagne Salon 1999. Il est agréable mais après les autres vins beaucoup plus anciens, il a du mal à faire sa place, comme le Champagne Roederer Cuvée Cristal Roederer 2002 qu’il ouvre ensuite, même s’il offre une largeur joyeuse.

Il est assez difficile de classer des vins aussi différents mais je vais m’y risquer : 1 – Château Chalon 1911, 2 – Château Lafleur 1975, 3 – Meursault d’Auvenay 2000, 4 – Krug magnum 1979, 5 – Trotanoy 1945. Comme toujours Tomo et Akiko ont été d’une extrême générosité.

Déjeuner de famille avec des comparaisons de vins lundi, 5 octobre 2020

Malgré la mauvaise réputation que l’on donne aux réunions de famille, qui seraient des sources de contamination très fortes, nous organisons un déjeuner avec mes deux filles, et deux petites-filles. Nous serons sept. J’ai eu l’envie de faire deux confrontations de vins. J’ouvre quatre heures à l’avance deux bourgognes, chacun de l’année de naissance d’une de mes filles. Un des bouchons, celui du 1967 vient en charpie tant il s’effrite, tout en restant collé au goulot. C’est une véritable dispersion. Il faut dire que la capsule du vin est en plastique et lorsque j’ai enlevé le haut de la capsule on voit que le bouchon a dû être attaqué par de minuscules parasites, qui ont provoqué cet égrenage. Le nez à l’ouverture est absolument superbe. Le bouchon du 1974 au contraire vient entier, sans aucune difficulté. Le parfum moins fort est tout aussi prometteur.

La première comparaison se fera entre deux champagnes Salon, le 1997 et le 1999. Selon une habitude persistante, le bouchon du 1997 est impossible à retirer à la main tant il est coincé dans le goulot. Il faut un casse-noisettes pour y arriver alors que celui du 1999 vient normalement. Les deux pschitt sont de belle énergie. Les champagnes ont été ouverts deux heures avant d’être servis.

L’apéritif consiste en des gougères faites par ma femme et des palets au parmesan aussi faits par elle, qui ont embaumé la maison de bon matin. Il y a aussi un saucisson de canard, de la tête de moine et des petites galettes goûteuses apportées par les enfants.

Le Champagne Salon 1999 est très clair, comme d’ailleurs le 1997. La bulle est abondante et assez grosse. Le vin est droit et linéaire.

Le Champagne Salon 1997 a la bulle plus fine. En bouche il est vif et large, gourmand et de belle personnalité. Au premier abord, la cause semble entendue, le 1997 est plus généreux et riche que le 1999. Mais il faut regarder plus loin. Le 1999 est très précis et il me semble qu’il est à maturation plus longue que le 1997. Je pense que dans dix ans il exprimera beaucoup mieux une personnalité plus complexe et profonde. Le 1997 est brillant maintenant et va le rester longtemps. Les deux ont un bel avenir devant eux.

Le plat principal est une pièce de veau qui est entaillée de tranches de lard et de parmesan. De petites pommes de terre en robe des champs complètent le plat. Le Chambolle-Musigny Coron Père & Fils 1967 a une couleur très foncée, un niveau parfait et un parfum intense et envoûtant. Il est riche large et gourmand. C’est un Bourgogne accompli qui n’a pas d’âge tant il est à maturité idéale.

Le Pommard Grands Épenots Michel Gaunoux 1974 au niveau aussi parfait a une couleur extrêmement claire. Le parfum de ce vin de la Côte de Beaune est excitant mais moins exubérant que celui du vin de la Côte des Nuits. En bouche, le goût est à l’opposé de celui du 1967. C’est un vin de belle râpe, sans concession, dont le côté salin évoque celui des vins de la Romanée Conti. Les deux vins sont parfaits et si dissemblables qu’il est difficile de dire lequel on préfèrerait. J’ai malgré tout une tendance à aimer les vins terriens qui ne veulent pas séduire et j’ai donc un petit faible pour le Pommard, sachant que le caractère gourmand du Chambolle-Musigny le met à quasi égalité.

Il faisait soif aussi ai-je ouvert sur l’instant un Château Mouton-Rothschild 1978 absolument superbe, le jeune premier conquérant doté aussi d’une belle sagesse qui a brillé sur les fromages, surtout sur un beau chèvre, et a accompagné poliment la divine tarte aux quetsches de ma femme.

Près de sept mois sans se voir, ce déjeuner était un besoin qu’il fallait combler. Ce fut un grand bonheur.

souvenir d’un Madère du 18ème siècle

Déjeuner au restaurant Lucas Carton mercredi, 30 septembre 2020

Charles, un ami fidèle de mes dîners, a convié des amis à l’un de mes dîners. Comme pour le 244ème dîner, ce dîner était prévu au deuxième trimestre 2020 et a dû être reporté au deuxième semestre, confinement oblige. Le dîner sera la semaine prochaine. Charles a envie de partager une belle bouteille avec moi au restaurant Lucas Carton. Il me suggère d’apporter un de mes vins. Nous nous retrouvons à deux dans le magnifique décor de Majorelle.

Charles a prévenu le chef Julien Dumas de notre présence et convenu avec lui que le menu serait fait en fonction des vins. Nous prenons un des champagnes servis au verre qui est un Champagne Pommery Cuvée Louise 2004. Il est extrêmement confortable. Droit, simple et lisible il offre un charme et une sérénité bien sympathiques.

Nous ne saurons rien à l’avance du repas, dont voici le menu : amuse-bouche à l’étrille / amuse-bouche au champignon et calamar / maigre, poire et moutarde / thon rouge, prune / Culoiselle, tournesol, pourpier / chocolat vinaigre / petits fours.

J’ai apporté une bouteille que je chéris particulièrement, un Corton-Charlemagne Jean-François Coche-Dury 2003. La couleur du vin est très claire, presque verte de jeunesse. Le parfum est un envoûtement. Il est si complexe et si fort. En bouche, le choc est extrême. On se sent projeté au Paradis. Ce vin est la perfection même, malgré sa jeunesse, car il offre des complexités infinies. Il y a des notes de citron de Menton, d’eau fraîche de montagne qui rebondit sur des pierres rondes, des touches de soleil et ce sentiment qu’il hésite entre joie profonde et stricte retenue. Il est insaisissable et si plein. Il est à l’aise avec tous les plats, devenant très large sur les champignons, et tranchant sur le thon. Ce vin parfait est un miracle.

L’un des sommeliers que je connais depuis des années m’a reconnu, ce qui a permis de discuter de la préparation du Chambertin Domaine Armand Rousseau 2015. J’ai souhaité que la bouteille ne soit ouverte qu’au moment où le vin doit entrer en scène, pour que nous profitions de l’éclosion du vin dans nos verres. C’est ce qui fut fait. Le résultat me plait énormément, car aux premières gorgées, le vin est fragile, délicat, subtil et ce n’est que plus tard qu’il s’élargit. Et ces premiers moments sont divins.

Le vin est grand, aux muscles longs comme ceux d’un coureur de marathon. Il est brillant, conçu pour un avenir radieux mais déjà joyeux et généreux. Toutes ses subtilités sont cohérentes. Il est fin et tranchant, avant de s’élargir et offrir une palette large. La poularde est divine pour le vin.

Nous avons goûté deux des vins phares de la Bourgogne, faits par des vignerons parmi les plus grands des plus grands. Chaque gorgée était un régal de raffinement.

Dès la première bouchée des petites préparations d’amuse-bouche, on sait que le chef a du talent. Tous les plats sont cohérents, même lorsqu’ils sont très osés comme les champignons présentés avec de fines tranches de calamar. Il y avait du raifort avec le maigre, et ça se concevait. Je crois n’avoir pas souvent vu un tel esthétisme dans le choix des assiettes qui portent les plats. Les subtiles couleurs sont idéales pour chacun des plats. Cette cuisine intelligente est aussi une cuisine de goût.

Julien Dumas est venu s’asseoir à notre table en fin de repas. Je lui ai dit que sa cuisine a beaucoup de points communs avec celle du Clos des Sens de Laurent Petit. C’est évidemment un compliment. Dans ce lieu chargé d’histoire nous avons passé un déjeuner de grande qualité dans une ambiance amicale et avec des vins d’exception.