Dîner du 15 aoûtdimanche, 16 août 2020

Le dîner du 15 août est un moment fort de notre séjour dans le sud. Il se tient dans notre maison et nous serons six, dont cinq buveurs. Il y aura deux thèmes pour les vins. Nous comparerons à l’apéritif quatre champagnes peu connus de 1973 et sur un gigot d’agneau, nous comparerons trois vins rouges de l’aristocratie mondiale du vin. Il y aura aussi la place pour deux autres vins.

L’apéritif comprend de la poutargue, du jambon Pata Negra, de la Coppa, du Cécina de Lèon, de la viande fumée de l’Aubrac, et une myriade de canapés d’un traiteur local, au foie gras, au saumon, aux asperges et mille autres saveurs.

J’ai ouvert les quatre champagnes de 1973 une heure avant l’arrivée des amis et trois bouchons sur quatre ont une capsule qui est frappée du seul mot champagne. Seule la capsule du champagne Prince A. de Bourbon Parme a une capsule personnalisée. Ce champagne a aussi un bouchon au diamètre beaucoup plus important que celui des autres. Les bouchons sont tous très sains et bien conservés. Le seul champagne qui a eu un pschitt significatif est le Comte d’Ussey.

Chacun d’entre nous dispose de deux verres, les champagnes sont dans un seau à glace et chacun se sert pour faire des comparaisons entre les champagnes. Ils ont tous des couleurs ambrées légèrement foncées, qui sont une signature de ce millésime que j’adore.

Le Champagne Charles Koch Bricout & Koch 1973 est celui qui s’harmonise le plus avec les saveurs marines, saumon ou poutargue. Le Champagne Prince A. de Bourbon de Parme Abel Lepitre 1973 est noble et précis. Le Champagne Geismann Cuvée Grande Origine 1973 est celui qui me semble le plus frais et le plus dynamique. Et le Champagne Comte d’Ussey Julien Husset 1973 se marie très bien avec les cochonnailles et le foie gras.

Tous les champagnes sont bons, et les signes de maturité ne sont pas des signes de vieillesse. Pour aucun l’idée qu’on le boit un peu tard ne traverse l’esprit. Ils sont gourmands et les classer est difficile, car chacun s’exprime mieux que les autres à un moment ou à un autre. Les classements des amis divergent, ce qui est un bon signe pour ces champagnes. Mon classement est : 1 – Champagne Geismann Cuvée Grande Origine 1973, 2 – Champagne Comte d’Ussey Julien Husset 1973, 3 – Champagne Prince A. de Bourbon de Parme Abel Lepitre 1973, 4 – Champagne Charles Koch Bricout & Koch 1973. Mais le Prince pourrait passer devant le Comte car ils sont extrêmement proches.

Après ce long apéritif, nous passons à table pour goûter un gigot d’agneau que notre ami boucher avait taillé et préparé devant nous dans sa boutique. Un ami m’avait confié à 14 heures un Château Lafite-Rothschild 1940 d’une bouteille bleutée sans étiquette dont la capsule montre clairement le mot Lafite. Je l’ai ouverte vers 17 heures. Le bouchon dès qu’il est sorti de moins d’un demi-centimètre exhalait des odeurs vinaigrées. Cette odeur persista tout au long de la remontée et le beau bouchon vint entier montrant le nom du château et le millésime 1940. Le bouchon étant mis de côté, le vin senti au goulot a offert des fragrances très prometteuses, dans la ligne de ce que j’attendais. Lorsqu’on le goûte à table, après cinq heures d’oxygénation lente, le vin se présente comme un Lafite, avec des évocations de truffe, et s’il est discret comme son millésime, il se montre élégant, précis, voire noble. C’est une très belle surprise.

Vient maintenant la confrontation de trois vins que j’adore, d’un niveau de puissance élevé. Les bouchons de ces trois vins jeunes sont parfaits. Le parfum du Penfolds Grange BIN 95 1997 est miraculeux. C’est une bombe de fruits roses et noirs. Quelle puissance et quel charme. La Côte Rôtie La Turque Guigal 1998 a un nez beaucoup moins exubérant suggérant un caractère vineux et boisé. Le nez du Vega Sicilia Unico 1999 est fruité, de fruits noirs, plus discrets que ceux du vin australien.

Lorsqu’ils sont servis à table, les vins offrent les mêmes parfums qu’il y a cinq heures. Au premier contact, je suis conquis par la puissance extraordinaire de ces trois vins ainsi que leur richesse et le plaisir qu’ils offrent. Le Penfolds Grange BIN 95 1997 est riche et puissant, conquérant, avec de beaux fruits et une note de café. La Côte Rôtie La Turque Guigal 1998 est plus rigide mais montre une complexité extrême, avec des évocations vineuses et de sous-bois du plus bel effet. Il ne cherche pas à s’imposer, mais il y arrive. Le Vega Sicilia Unico 1999 est un peu en retrait par rapport à ce que j’attendais, comme sur la réserve malgré sa richesse.

Les trois vins sont au sommet de la maîtrise de leur puissance, ce qui a pour effet que leur caractère joyeux prend le dessus. Les impressions des convives ont été souvent divergentes. Sur le papier, au moment où j’ai eu l’idée de choisir ces trois vins, j’aurais donné comme classement le Penfolds en tête, suivi du Vega Sicilia et de La Turque. La performance des vins ce soir me conduit à mettre en premier La Turque, du fait de la richesse de ses complexités très françaises, puis Penfolds qui offre un fruit plus riche que le Vega Sicilia. J’ai fait le même classement le lendemain, avec ce qui restait des trois vins. 1 – Côte Rôtie La Turque Guigal 1998, 2 – Penfolds Grange BIN 95 1997, 3 – Vega Sicilia Unico 1999. Deux amis mettent le Vega avant le Grange. Mais ce classement n’a pas d’importance, car j’aime chacun de ces trois vins et mon amour n’en est pas affecté.

Sur le délicieux dessert aux fruits frais, mangues, fruits de la passion, ananas et groseilles blanches, accompagnés de crêpes, j’avais prévu des champagnes rosés mais un ami ayant apporté Yquem 1989, cette solution s’est imposée. Le bouchon est venu avec de grandes difficultés car il est collé au verre et empêche toute levée. Il s’est déchiqueté en une myriade de miettes dont de nombreuses sont tombées dans le vin, ont été enlevées, ce qui n’a pas altéré le goût.

La couleur du Château d’Yquem 1989 est plus foncée dans la bouteille qu’elle ne l’est dans le verre. Le nez est envoûtant et en bouche, l’impression qui me vient est celle de la perfection. Si l’on cherche, chacun des trois rouges précédents pourrait donner lieu à une critique même mineure, mais avec Yquem, il est impossible de trouver la moindre chose que l’on aimerait corriger. Yquem est grand, fruité et bien gras, et ça ne se discute pas. L’accord avec le dessert est parfait.

Les discussions passionnées se sont prolongées tard dans la nuit. Nous nous sommes quittés après 2 heures du matin. Ce doit être le signe d’une soirée réussie.