restaurant Mirazur à Mentonsamedi, 15 août 2020

Nous avons réservé il y a plusieurs mois une table pour six personnes au restaurant Mirazur à Menton, pour le déjeuner. Pour deux d’entre nous, c’est une découverte. Tout le personnel porte des masques, et l’on sent qu’ils sont très tendus pour éviter tout risque de contamination. Le personnel est nombreux et très jeune, et personne ne s’impose ni comme directeur de salle, ni comme sommelier en chef. Le jeune Guillaume, serveur des vins montre une réelle volonté de bien faire.

Dans la salle du restaurant à la magnifique vue sur la mer et la ville de Menton, nous prenons place. On met devant chacun de nous un immense plat creux, sorte de petite bassine, avec de l’eau de Menton où trempent des tranches fines de Galanga et de gingembre. C’est un rituel ancestral de lavage et purification des mains. On trempe ses mains, on s’essuie avec une serviette, et fort curieusement, lorsqu’on aura enlevé les larges plats, on rapportera à chacun de nous un verre de l’eau parfumée au gingembre dans laquelle il a trempé ses mains, que l’on pourrait boire. C’est une curieuse attention à laquelle plusieurs, dont moi, n’ont pas donné suite.

Nous ne saurons rien du menu, sauf qu’il est de neuf plats et inspiré par les « racines » car le chef Mauro Colagreco tient compte du calendrier biodynamique, considérant que les forces cosmiques ont une influence sur l’énergie que propagent les plantes de son jardin. Ce n’est pas facile de choisir les vins dans ce contexte, mais les choix que j’ai faits se sont révélés bien adaptés à cette cuisine.

Le Champagne Charles Heidsieck blanc des millénaires 2004 est arrivé beaucoup trop chaud, et il a fallu beaucoup de temps pour qu’il atteigne une température convenable. Nous en avons bu deux bouteilles. Le champagne est vif, cinglant, beaucoup plus tranchant que le Dom Pérignon 2008 de la veille, qui est lui plus noble et complet. La précision de ce champagne est remarquable et l’année 2004 lui donne une belle plénitude. Il a accompagné de nombreuses saveurs avec pertinence et élégance.

Sur la table il y a une profusion d’amuse-bouches beaux à voir et bons à manger. Il y a de gros radis bien ronds avec lesquels on lèche un beurre acidulé, des tartelettes à l’oignon, des chips de pomme de terre et de patates douces, d’originales carottes soufflées à la crème de cumin, traitées comme des pommes de terre soufflées, des cornets de pomme de terre à l’ail. Ces amuse-bouches dont le thème est la racine sont de goûts disparates.

On nous sert le pain préparé selon une recette de la mère de Mauro Colagreco, accompagné d’un poème de Pablo Neruda sur le pain. Il est accompagné d’une huile avec une infusion de citron de Menton et de gingembre. Cette huile est de grande qualité et pousse à consommer abondamment le pain.

Le premier plat est une variation sur le thème de la betterave rouge dont les fines tranches sont accompagnées d’une crème acidulée et d’un délicieux caviar osciètre d’Aquitaine. Le caviar se goûte mieux seul qu’avec les betteraves.

Vient ensuite un chou-rave dont on a enlevé l’intérieur pour qu’il serve de récipient à une très belle infusion de coques, de moules, de palourdes et de couteaux, avec du leche de tigre comme ceviche, des pommes vertes, de la coriandre, du gingembre et de la fleur de céleri. Il se peut que la description prise à la volée par un ami soit imprécise, car on ne nous a pas donné de menu à la fin du repas, sauf des appellations absconses : Beta vulagris / brassica oleracea Gongylodes / Allium fistulum / solanum tuberosum / Ipomoea batatas / Glycyrrhiza glabra / Allium cepa Tropea / Curcuma longa / Solanum tuberosum vitelotte. C’est bien difficile de se repérer avec les noms de ces plantes et de raconter le menu autour de soi.

Pour le plat suivant j’ai choisi un Bourgogne blanc Coche Dury 2015. Ce vin sans appellation montre à quel point Jean-François Coche-Dury, et maintenant son fils, sont des sorciers du vin. Car ils arrivent à faire d’un vin générique une vraie merveille gastronomique. Le vin est riche, même large, eh oui ! et de belle présence.

La tartelette aux cébettes fermentées est surmontée d’œufs de truite d’une rare délicatesse et le vin blanc l’épouse complètement.

Le plat suivant, l’un des deux meilleurs du repas est de pommes de terre nouvelles rondes et en chips accompagnées de dés d’anguille fumée et d’une sauce cabillaud. C’est divin et j’ai envie d’essayer le plat avec un rouge. Je commande un Chambolle-Musigny les Gruenchers Domaine Dujac 2006. Le vin est tout en fulgurances. Il lance des flèches de plaisir. Avec une belle acidité, ce n’est pas un vin d’ampleur, c’est un vin de suggestions. Et l’accord se trouve sur le beau plat aussi bien avec le blanc qu’avec le rouge. J’ai une légère préférence sur ce plat pour le rouge.

Le plat suivant est de tranches de calamar snackées, avec de la patate douce cuite à la braise, et une sauce Maniacada faite à l’ail, la pomme de terre et de l’anchois. Des feuilles de pourpier apportent de la fraîcheur. Le calamar et le pourpier vont avec le bourgogne blanc, alors que la patate douce appelle le Chambolle-Musigny. Ce plat est très bon.

On nous présente un deuxième pain à la farine de seigle absolument excellent, présenté avec du beurre fumé doux à l’infusion de raifort. C’est un pain exceptionnel, mais cela fait quand même beaucoup de pain.

Le plat suivant est tout en noir et cette présentation est impressionnante. Il y a de la lotte dans une feuille d’ail fermenté, une sauce à la réglisse et un chips d’encre de seiche. La lotte est trop cuite à mon goût mais il est probable que c’est un effet de mâche recherché. La crème à la réglisse est délicieuse.

Le plat final est un pigeon de Dordogne avec un oignon tropea d’Italie farci d’un pâté de foie gras. La sauce est accompagnée de grains d’épeautre. Le vin de Dujac est absolument magistral avec le pigeon parfaitement cuit, et l’oignon est d’une qualité exceptionnelle. On peut ensuite croquer la patte du pigeon avec de fines tranches de myrtille, et un ravioli de lard à l’émietté de pigeon trempant dans l’eau de cuisson de l’oignon. J’ai pu constater que contre toute attente, le bourgogne blanc se marie aussi divinement que le rouge à la chair du pigeon. Qui l’eût cru ?

Le prédessert est un praliné de pistache, glace curcuma, recouvert d’un carpaccio de carottes de toutes les couleurs. Le curcuma fait le lien entre le terreux de la carotte et la gourmandise de la pistache. Et là aussi contre toute attente ce plat délicieux crée un merveilleux accord avec le Chambolle-Musigny. C’est sur ce plat que le goûteux Chambolle trouve sa plus belle longueur. C’est un accord inattendu exceptionnel.

Le dessert est une glace de pomme de terre vitelotte en chips et en morceaux sur une mousseline de café et de miel de Provence.

Les dernières fusées du feu d’artifice, en forme de mignardises, sont un sorbet à la carotte, un biscuit au chocolat blanc et à la réglisse, un bonbon au topinambour, une patate douce café, et une pâte de fruit au gingembre.

Que dire de ce repas ? C’est un voyage de saveurs complexes. On ne comprend pas toujours où se situe le fil conducteur « racines », et les plats les plus attachants sont ceux où il y a un goût directeur sans aucune diversion. Les deux plats que nous avons préférés sont la pomme de terre et l’anguille fumée, magistral, et le prédessert à la carotte, probablement le plus original de tous.

L’atmosphère a beaucoup changé depuis un an quand nous étions venus avant que Mauro Colagreco ne reçoive la récompense suprême de meilleur cuisinier du monde. Nous ne l’avons pas vu, l’encadrement de la brigade de service était invisible, ce qui change l’atmosphère. Le talent est là, mais nous avons quitté le restaurant sans avoir ressenti l’émotion extrême d’il y a un an. Ce ne sont que des petits détails mais qui comptent à ce niveau de gastronomie extrême. Je suis sûr qu’une nouvelle expérience ne nous apportera que du bonheur. Au plan des vins, la divine surprise est le vin de Coche-Dury. Quand les fantassins se hissent au niveau des généraux d’Empire.

le centre de table

la purification des mains

on commence par des radis beurre

amuse-bouches

le pain

le repas

délicieux oeufs de truite

sans doute le meilleur plat, pomme de terre et anguille fumée

un pain exceptionnel

noir c’est noir

le pigeon

sa patte avec des fines tranches de myrtille

nous avons vérifié à la maison que le coeur de myrtille peut être blanc

les desserts dont cette belle variation sur la carotte