Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dîner végan à la maison lundi, 7 mars 2022

Pour diverses raisons, ma femme et moi accueillons à notre domicile la nounou des enfants de ma fille cadette. Ma fille est végan et s’est intéressée à faire une cuisine heureuse et goûteuse. Victoire, la nounou, nous a cuisiné végan pendant trois jours et, comme nous allions recevoir notre fille et son compagnon, j’ai eu l’idée de concevoir un dîner selon le principe de mes dîners, en introduisant une majorité de plats végan, pour en faire la surprise à ma fille.

J’ai choisi en cave deux vins, un blanc et un rouge et avec ma femme nous avons réfléchi aux légumes qui seraient pertinents sur ces vins. J’ai bâti l’ordre des plats, validé par ma femme et Victoire. Puis je suis allé avec Victoire faire les emplettes.

La cuisine a été réalisée en recherchant des goûts purs. Le menu est de onze plats, agrémenté de trois pauses hors végan : Chou-fleur cru à la crème d’amande / Poutargue / Tarte à l’oignon / Cabillaud pané / Navets jaunes et violets / Purée de céleri et purée de pomme de terre / Fenouil à la vapeur / Bâtonnets de potimarron / Mont d’Or / Pomme Chantecler au four.

Le Chassagne Montrachet Morgeot Vigne Blanche Château de la Maltroye 1976 a un niveau parfait et une couleur magnifique dorée. La bouteille ouverte cinq heures avant le repas avait un beau parfum. Il s’est amplifié. En bouche le vin est large et généreux, solaire. Il s’accorde très bien avec la poutargue, la purée de pomme de terre et la tarte à l’oignon. Il est très au-dessus de ce que j’attendais.

Le Château Mouton-Rothschild 1974 avait un nez discret à l’ouverture mais prometteur de noblesse. En bouche, on sent qu’il est d’une année peu puissante mais il montre une belle élégance. Il est noble et subtil. A l’aise sur les navets, le fenouil et le potimarron, il devient brillant et glorieux sur le Mont d’Or. C’est spectaculaire.

Pour les pommes au four j’ai envie de servir un Madère sec Joao Marcello Gomes années 50 qui était déjà ouvert. Le dessert sans aucun sucre crée un accord quasi magique avec le madère sec.

Les plus beaux accords sont le Mouton Rothschild avec le Mont d’Or, la pomme au four avec le madère et le Chassagne Montrachet avec la purée de pomme de terre faite avec une magique huile d’olive espagnole. Je voulais montrer à ma fille que j’étais capable d’organiser un dîner à la façon de mes dîners sur un thème majoritairement végan. Je crois que ce fut réussi.

déjeuner au restaurant Garance dimanche, 6 mars 2022

Je vais déjeuner au restaurant Garance. Nous sommes trois. Nous trinquons au verre avec un Champagne Langlet Blanc de Noirs 100% Pinot Meunier Extra Brut sans année. Contrairement au Grand Siècle de la veille, ce champagne jeune peut se boire jeune. J’ai été rebuté par le jeune Laurent Perrier car je sais ce qu’il devient avec l’âge alors que ce Langlet peut se concevoir ainsi. Il a un joli fruit et une belle aptitude à la gastronomie.

J’ai apporté un Châteauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 1985 que j’adore. J’aime les vins de ce domaine et j’ai une inclination certaine pour le 1985. Son nez est intense et direct. En bouche il combine une certaine âpreté avec une grande douceur. Il est vif et charmant. C’est un vin accompli extrêmement facile à comprendre.

L’amuse-bouche dont je n’ai pas gardé l’énoncé est divin. Il faut un talent certain pour créer des goûts de cette fluidité. Magnifique. L’entrée originale combine une langoustine crue avec des pieds de cochon. Pour le vin du Rhône nous avons demandé un canard de chair remarquable, à la sauce lourde et goûteuse. L’accord avec le riche vin de 1985 est idéal. La cuisine du restaurant Garance m’a fait forte impression.

Laurence Féraud, la fille du Pape !!!

Déjeuner d’huîtres chez ma soeur mardi, 1 mars 2022

Ma sœur et son mari ont un fournisseur d’huîtres d’une excellente qualité. J’avais pu en profiter lorsque, pendant le confinement, je les avais invités dans ma cave. Ils nous invitent, ma femme et moi, à déjeuner autour d’un plateau de fruits de mer.

Je prends dans ma musette une bouteille de champagne faite pour les huîtres, et mon regard se porte sur une bouteille de Byrrh qui m’évoque un souvenir : ma mère aimait cet apéritif doux, dont elle usait avec modération. J’emporte la bouteille déjà ouverte depuis quelques semaines.

Chez ma sœur nous commençons l’apéritif avec ce Byrrh légèrement éventé mais d’une grâce toujours présente et des souvenirs très anciens me reviennent en mémoire, de douceur et de suavité.

Le plateau de fruits de mer est impressionnant et les huîtres sont d’une fraîcheur idéale. Le Champagne Taittinger Comtes de Champagne 1994 est d’une belle puissance virile mais il sait aussi être courtois. Il est un bon compagnon de l’iode des huîtres. Sur une entrée aux coquilles Saint-Jacques crues assaisonnées d’une forte vinaigrette, c’est beaucoup plus dur de trouver l’accord.

Mon beau-frère vante les qualités d’un Bourgogne Côtes d’Auxerre Philippe Defrance 2013 et il a bien raison de l’aimer car il est frais et franc et joliment fruité. Les crevettes sont merveilleuses, alors que les langoustines cuites pour un plateau sont toujours trop cuites.

Un Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 2005 est de belle structure, promis à un bel avenir. Il est le partenaire des fromages. Ma femme a réalisé un cake au citron qui convient idéalement au Clos du Pape Sauternes 2002
d’un équilibre entrainant.

Nous n’avons pas recréé le monde car nous regardions plutôt dans le rétroviseur des souvenirs d’enfance que nous avons rafraîchis, par un beau samedi ensoleillé d’un hiver qui n’a pas encore montré le bout de son nez.

Déjeuner dans ma cave avec mon fils samedi, 19 février 2022

Mon fils vient déjeuner dans ma cave. Après une visite de la cave nous nous rendons dans la grande salle où sont présentées des milliers de bouteilles vides et où la table est mise. Des sushis ont été livrés et nous les mangerons en buvant un Champagne Taittinger 1966. Lorsque j’ai voulu il y a plus d’une heure soulever le bouchon j’ai vu de fines bulles apparaître au point de jonction entre le haut du bouchon et le goulot. Le bouchon était sorti entier, très beau.

La couleur du champagne est fascinante de beauté, d’un blé d’or, et la bulle est très active. Le champagne est raffiné. Il va s’élargir au fur et à mesure de son réchauffement cat il est sorti froid du réfrigérateur. On n’a pas la puissance d’un Comtes de Champagne, mais le charme et l’expressivité de ce champagne nous comblent d’aise. C’est un beau champagne de grande séduction.

Trois heures avant j’avais ouvert deux vins rouges. Le premier est d’une bouteille très ancienne au cul profond. La capsule indique très clairement « grand vin des Hospices de Beaune » ce qui est corroboré par l’étiquette quasiment illisible où l’on reconnait le dessin des Hospices. Le bouchon, quant à lui, montre l’année qui est sans ambiguïté 1922. C’est donc un Grand Vin des Hospices de Beaune 1922.

La jeunesse de ce vin est irréelle. Mon fils, buvant à l’aveugle, se disant que j’ai ouvert un vin très vieux déclare 1955 alors qu’il pense plutôt aux années 60. Ce vin de cent ans a une grande puissance et j’aurais volontiers pensé à un Musigny, mais il faut sans doute situer à Corton ce vin puissant. La structure du vin est solide et on aurait pu penser que le vin avait été hermitagé, mais les Hospices de Beaune ne sont jamais allés dans cette voie. C’est donc un supposé Corton très puissant, riche fruité, et à l’extrême longueur. Je suis de plus en plus sensible à l’émotion que procure un vin. Ce 1922 est d’une grande sensibilité. Sur un Brillat-Savarin il va trouver une dimension supplémentaire.

J’ai ajouté à ce repas une demi-bouteille de Clos des Papes Châteauneuf-du-Pape 1971. Ce vin nous donne l’impression de nous trouver face à la perfection du Châteauneuf-du-Pape. Je pense à Rayas, Beaucastel, Henri Bonneau et je me dis que l’on est bien au-dessus de tous ces vins, même si je les adore et même s’ils explorent des voies différentes de celui-ci. Sa rectitude, son entrain, sa palette si large de saveurs gourmandes, tout cela nous transporte en haut de l’Olympe. Quelle personnalité.

Mon fils me demande comment j’ai choisi les vins du repas. Le champagne a été choisi au hasard, en me promenant dans ma cave. Je n’avais pas d’idée préconçue mais je considère 1966 comme l’une des plus grandes années en Champagne.

L’inventaire de ma cave a été fait en indiquant le plus souvent pour les vins anciens l’état des niveaux. J’avais mis pour le vin de 1922 une indication « G » qui veut dire goulot ce qui est rare pour des vins si vieux. Et il y a pour quelques bouteilles l’indication de leur utilisation possible, dont certaines ont l’indication de mes enfants. J’ai donc choisi sur liste.

Le Clos des Papes, quant à lui, a été choisi pour un autre raison. J’ai acheté il y a peu douze demi-bouteilles de ce vin. Je voulais vérifier si mon achat était pertinent. Je sais maintenant qu’il l’est.

Classer ces trois vins n’est pas facile puisque tous les trois ont brillé par une jeunesse extrême, le 1966 ressemblant à un 1982, le 1922 ayant des accents de 1961 et le 1971 pouvant être confondu avec un 1995. Du fait de la rareté d’un 1922 qui se comporte aussi bien, je mettrais le bourgogne en premier. Le Clos des Papes pourrait être premier du fait de sa générosité éblouissante mais il sera second. Et le champagne si brillant est troisième mais adoré.

Boire des vins inattendus avec mon fils est un plaisir sans équivalent.

les bouteilles préparées pour le déjeuner. La 1/2 champagne ne sera pas bue.

Déjeuner chez des amis samedi, 19 février 2022

Des amis fidèles nous invitent à déjeuner. Lui est passionné de cuisine et réalise des recettes de cuisiniers qu’il suit assidûment. Elle a saisi cette occasion pour donner les clefs de la cuisine à son mari.

Nous commençons à goûter un Champagne Pommery Cuvée Louise 1995 sur des gougères absolument parfaites. Le champagne a une belle maturité et ce qui me ravit c’est qu’il exprime une belle émotion. Il a des accents suaves d’une grande délicatesse.

Le Parmentier de canard est d’une belle exécution. J’ai apporté un Château Lynch Bages 1989 au niveau parfait dans le goulot et au bouchon qui se brise à la levée. Le parfum du vin est d’une puissance extrême et d’une irréelle jeunesse. Le vin est grand, riche et puissant, doté d’une force de persuasion extrême. C’est un grand vin, ce que je savais, mais je n’imaginais pas qu’il eût gardé une telle jeunesse. L’accord se trouve naturellement.

Mon ami a carafé depuis longtemps une Côte Rôtie Château d’Ampuis Guigal 2002. Le nez est jeune. Le vin est équilibré, mais ce qui manque, c’est un peu d’émotion. Le vin n’a pas de défaut, joue bien son rôle sur un Epoisses et sur un Salers, mais il lui manque une petite étincelle de génie.

Le dessert est un Mont-Blanc réalisé par notre hôte, de belle facture. Le Gewurztraminer Grand Cru Marckrain Bestheim 2000 a un joli nez de litchi et se montre particulièrement brillant sur le dessert. L’accord est idéal.

Nous finissons cet agréable repas avec un Rhum Savanna Unshared Cask de la Réunion 2009 qui a onze ans de fût et titre 58°. Il est jeune encore mais il promet.

Notre ami va poursuivre avec méthode son chemin vers la grande cuisine. Nous aurons de belles surprises.

Deux repas avec des vins étonnants jeudi, 17 février 2022

Mon fils vient périodiquement à Paris pour gérer la société industrielle de famille. Pour l’accueillir à son arrivée vers 13 heures, j’ouvre un Champagne Krug Private Cuvée années 60 ou peut-être plus vieux. Le bouchon parfaitement cylindrique est court. Aucun pschitt n’accompagne son extraction. Dans le verre le champagne est d’un ambre doré magnifique et ne montre aucune bulle. Mais le pétillant est là, bien présent. Le vin a une belle acidité, il est intense et dynamique. Il a des accents légers d’agrumes mais il est surtout vineux. Il est solide et généreux, au finale tonique. C’est un très grand champagne qui accompagne des chips dont à la truffe et de beaux fromages.

Nous allons ensuite nous promener dans un forêt voisine et vers 16 heures je commence à ouvrir les vins du dîner que j’envisage de faire goûter à mon fils à l’aveugle.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1963 a un niveau convenable pour les vins du domaine de cette époque. Sous la capsule et au-dessus du bouchon il y a une forte poussière noire qui ne sent pas la terre. Le bouchon a manifestement souffert et vient presque entier. Le parfum du vin est discret mais plutôt prometteur.

J’ai dans ma cave une zone de très vieilles bouteilles difficiles à identifier. J’ouvre une bouteille mise en bouteille par Cruse et Fils comme l’indique la capsule dorée. Le niveau dans la bouteille très opaque est en dessous de l’épaule, dans la zone dite « vidange ». Le bouchon vient en charpie en une multitude de morceaux de liège très noirs. Le parfum est tellement incroyable de fruit puissant que je me méfie. Il est une expression française qui dit « trop beau pour être vrai ». Ce parfum est si brillant que j’ai peur qu’il ne s’évanouisse. Nous verrons.

Vers 18 heures j’ouvre une bouteille de Champagne Lanson 1969. Elle a une forme de quille qui est très jolie. Le fil de fer du muselet est extrêmement difficile à défaire et je suis obligé d’utiliser une pince. Un beau pschitt salue l’ouverture et la sortie du bouchon court et au miroir incliné, le miroir étant la face du bouchon au contact du liquide.

Un peu avant 20 heures nous passons à table. Le Champagne Lanson 1969 est d’un charme enthousiasmant. Si l’on voulait faire une comparaison ‘genrée’, le Krug du midi est masculin et le Lanson est féminin. Le Krug est plus noble, mais le Lanson est plus chaleureux. J’aime beaucoup les champagnes Lanson de cette époque. Sur des rillettes, le champagne est brillant.

Je sers deux verres remplis dans une pièce voisine, afin que mon fils n’ait pas d’indication. A gauche une couleur intense d’un rouge sang. A droite une couleur plus claire. Mon fils n’a pas commis d’erreur puisqu’il a cité Bordeaux et Bourgogne et ne s’est pas trompé dans les décennies des vins.

Le Bordeaux inconnu mis en bouteille par Cruse & Fils est très probablement des années 20. Ce pourrait être un Rauzan-Ségla ou un Pichon Longueville. Son parfum est resté large et généreux, tonique. En bouche c’est un vin presque parfait montrant un beau fruit rouge et une belle expression. Comment est-ce possible pour un vin dont le niveau dans la bouteille était à cinq centimètres sous le bas de l’épaule. Les vins anciens me surprendront toujours. Nous sommes subjugués par sa richesse et sa longueur. Quelle surprise !

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1963 a un nez qui exprime le sel et c’est la bouche qui offre la rose. Il y a la délicatesse des vins du Domaine, pour une année peu expressive. Mais le charme agit. Sur de délicieux pigeons, c’est le Richebourg qui s’exprime le mieux.

Plus le temps passe et plus la couleur du vin devient riche car la densité est plus grande dans le bas de la bouteille et le vin gagne en énergie et en largeur. Le dernier verre sera presque noir avec une lie qui se boit. Bien sûr nous préférerons le vin bourguignon, mais en termes de précision et de finesse le bordeaux marque des points.

Le lendemain midi, le repas sera consacré au bœuf Wagyu. Il se trouve que je venais d’acheter deux jours auparavant deux bouteilles de Sidi-Brahim 1939. J’avais le souvenir d’un Sidi-Brahim 1942 absolument superbe et riche. Ce 1939 devrait être le compagnon du Wagyu. Au moment de l’ouvrir je regarde plus précisément l’étiquette et je vois marqué « blanc ». La bouteille est très opaque et lorsque je la mets face à la lumière, je constate qu’il s’agit d’un vin blanc. Je vérifie ma facture d’achat et effectivement le vin était annoncé blanc. Pour moi, un Sidi-Brahim est rouge, ce qui justifie que je n’aie pas vérifié, d’autant que les deux bouteilles sont complètement opaques.

Alors, c’est une tempête sous mon crâne. Vais-je ouvrir ce blanc dont je n’ai aucun repère ? Je me souviens qu’au Japon nous avions mangé du Wagyu en fines tranches cuites sur des pierres chaudes en buvant un Corton-Charlemagne de Coche-Dury et l’accord avait été divin. Je tourne dans ma tête les risques à prendre et je décide de ne pas tenter l’aventure. Je prends en cave un Santenay-Gravières Jessiaume Père et Fils 1928. Le niveau dans la bouteille est absolument parfait, de trois centimètres sous le bouchon. La bouteille est extrêmement épaisse et paraît particulièrement saine.

Le bouchon sort entier mais au lieu de glisser dans le goulot il remonte en saccades de cinq millimètres en cinq millimètres. C’est assez curieux. Le parfum est idéal.

Le vin est servi trois heures et demi plus tard et le parfum du vin est miraculeux et pur. En bouche, le gras maîtrisé du Wagyu lui donne un caractère aérien. On sent bien que ce vin n’est pas d’une appellation tonitruante, mais il a une précision et une justesse de ton qui le rendent magique. Plus le vin est servi plus il est ample et généreux. Le Wagyu est accompagné de pommes de terre grenailles et l’accord est pertinent. On ressent que le millésime 1928 a fait des vins éternels.

Mon fils préfère le Richebourg 1963 au Santenay 1928. Je mets les deux vins ex-aequo car je suis impressionné par la précision aérienne du vin le plus ancien.

En deux jours nous avons fait une belle exploration de vins anciens inhabituels. Ces vins nous réservent de belles surprises. Tant mieux.

le lendemain, le vin que je voulais ouvrir est un blanc !!!

il est remplacé par :

Déjeuner au restaurant le Grand Véfour samedi, 12 février 2022

Un ami journaliste qui a aidé à me faire connaître au tout début de mes dîners est un grand gastronome. Nous bavardons au téléphone et il me dit que plusieurs restaurants souffrent des restrictions liées au Covid. Il évoque quelques noms et l’idée me vient d’inviter cet ami au restaurant le Grand Véfour.

Nous nous y retrouvons un jeudi pour déjeuner et je constate avec plaisir que le restaurant est plein. A côté d’un menu à prix très attractif, il y a les plats signatures de Guy Martin aux tarifs beaucoup plus musclés, surtout en cette période d’excellence de la truffe noire. Mon ami choisit des plats relativement modestes et je me dis qu’en prenant les plats signatures, je rends service à la restauration. Pure recherche d’alibi.

Les plats que je choisis sont : œufs brouillés à la truffe et homard bleu rôti aux truffes noires. Pour le premier plat je commande un Champagne Jacques Selosse Brut Initial dégorgé en mai 2021. Ce champagne est déjà un peu ambré et d’une finesse d’un grand équilibre. Il a la touche Selosse, sans accent excessif. C’est un champagne qui se boit bien.

Pour le plat de résistance j’ai commandé un Coteaux du Languedoc Clos des Cistes Peyre Rose 2002. C’est un ami qui m’avait fait découvrir les vins de Marlène Soria que j’avais trouvé magnifiques sur le millésime 2003. L’attaque est belle, encourageante, promettant de beaux plaisirs. Le milieu de bouche est boisé, même si le vin n’a pas été élevé en fûts, c’est une impression.

Et le finale très court est comme une phrase qui n’est pas terminée. On attend et rien ne vient. Il me semble que ces vins doivent être bus jeunes, car ce Peyre Rose qui titre 14,5° semble avoir perdu de son entrain.

Le lieu est charmant, chargé d’histoire. Le service est attentif. La cuisine est d’un classicisme certain, mais c’est ce que j’avais choisi. Voici une belle table où il faut revenir.

Un vin de 1928 exceptionnel lundi, 7 février 2022

Nous allons recevoir ma fille cadette et trois de nos petits-enfants. Ces repas sont l’occasion pour donner une chance à des bouteilles qui ont perdu du volume du fait de la porosité de leur bouchon. Un Château Gruaud-Larose 1928 est dans ce cas, avec un niveau catalogué « vidange », et un Château Filhot 1893, que je qualifierais de « grande vidange ». Pour le champagne je choisis une bouteille sans défaut.

De bon matin j’ouvre le vin de 1928 dont le bouchon vient entier. Son parfum me surprend par sa pureté, n’offrant aucune mauvaise odeur. Le vin de 1893 a un bouchon tout recroquevillé dans sa partie basse. Il vient lui aussi entier et le parfum discret offre de timides suggestions de sauternes raffiné.

C’est une heure avant le repas que j’ouvre le Champagne Pol Rober Cuvée Winston Churchill 1996. Le bouchon étant difficile à tourner, je prends un casse-noix pour le décoller du verre mais il saute dans ma main, offrant un pschitt énergique.

A l’apéritif, il y a des mini-brioches à la rillette, de délicieuses chips et des tranches d’un jambon Pata Negra bien gras. Le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996 a une couleur de blé d’été doré. Elle est ensoleillée. La bulle est présente. Le premier contact est joyeux, le champagne montrant une belle ampleur. Mais peu de temps après, le champagne se montre monotone. Son discours est convenu. Brillant certes, mais sans la vibration que l’on attendrait.

Ma femme a prévu un poulet, le plus simple possible avec de la semoule. Le Château Gruaud-Larose 1928 est une absolue merveille. La couleur est d’un rouge foncé. Le nez est noble, riche et précis. En bouche le vin opulent a la mâche d’une belle truffe et le vin est phénoménal. C’est un vin quasiment parfait. Quelle belle surprise. Nous nous régalons avec ce vin franc, puissant et sans âge puisque ma fille l’imaginera plus jeune de presque quarante ans. C’est sur du chaource que le vin se montre magique.

Le Château Filhot Sauternes 1893 a une couleur marron. Il est limpide. Le nez est discret et évoque des zestes d’agrumes. L’attaque est celle d’un sauternes sec qui, selon l’expression consacrée aurait « mangé son sucre ». Il n’est pas désagréable et c’est surtout son finale qui est sec. Je l’avais prévu pour les crêpes de la Chandeleur, mais c’est surtout sur un poisson ou une viande blanche qu’il serait le plus adapté. Il me rappelle un Filhot 1858 qui avait aussi mangé son sucre mais que j’ai trouvé charmant. Ce 1893 est un peu trop strict pour qu’on l’apprécie comme il convient.

C’est indéniablement le Gruaud-Larose 1928 exceptionnel qui a illuminé ce repas marqué par les rires et les joies de mes petits-enfants.

Un vin de 1941 jeudi, 3 février 2022

Karin, une amie, me demande comment trouver un vin de 1941, l’année de naissance de son père. Elle serait prête à m’en acheter. 1941 est une année faible, dont pratiquement tout a été bu, puisqu’il n’y avait pas de perspective de vieillissement. Je dis à mon amie que je ne vends pas de vin. Je vends des dîners où les vins sont bus et ne pourront pas alimenter la spéculation sur les vins puisqu’ils sont bus. Comme j’ai des vins de presque tous les millésimes, j’ai décidé de ne pas en vendre car je serais comme aujourd’hui souvent sollicité.

Je regarde dans ma cave et l’idée me vient de partager une bouteille avec son père et elle-même. J’aurai ainsi un bon prétexte d’ouvrir une bouteille de Vega Sicilia Unico 1941.

Le rendez-vous est pris et en plus de cet apport je choisis un champagne de bonne maturité. Nous nous retrouvons à la Manufacture Kaviari. Je viens assez tôt pour ouvrir le vin espagnol. Un propriétaire antérieur avait constaté que la bouteille perdait du volume et avait recouvert la capsule d’une vilaine cire. Je l’enlève ainsi que le haut de la capsule et je vois que le bouchon est très imbibé et risque de glisser dans le goulot. Le bouchon vient en mille morceaux. Le parfum du vin est très discret, encore fermé, mais sans défaut.

Lorsque Jacques arrive et voit la bouteille de son année, il n’arrive pas à comprendre comment aucune miette de liège n’est tombée dans le vin alors que l’assiette montre une véritable charpie. L’explication est que le liège imbibé reste collé au verre du goulot, ce qui fait qu’en procédant très doucement, on évite des chutes.

Karin a choisi un caviar Baeri de Dordogne comme entrée. Le Champagne Perrier-Jouët Cuvée Belle Epoque 1985 est d’une maturité parfaite pour le caviar large et précis, au sel magnifiquement dosé. Nous nous régalons. Il y a ensuite des saumons de diverses préparations qui nous permettent de constater à quel point le champagne est serein, royal, épanoui. C’est un champagne au sommet de son art.

Ce qui est disponible à la Manufacture pour accompagner le vin espagnol, c’est une espèce de tourte fourrée avec des épices douces et variées. Ce n’est pas forcément l’idéal pour le Vega Sicilia Unico 1941 mais nos palais s’adapteront. Jacques n’a pas l’habitude de boire des vins anciens aussi son premier mot est : « il est madérisé ». S’il est un mot qui est utilisé le plus souvent à contresens, c’est bien celui-ci. Alors, je conduis Jacques pas à pas et lui apparaissent un fruit d’une belle jeunesse et une expressivité joyeuse. Jacques convient qu’il avait parlé trop vite car ce Vega Sicilia est d’un charme et d’une jeunesse remarquables. Je suis personnellement impressionné par la jeunesse du fruit de ce vin. C’est une bien belle bouteille.

Nous avons bavardé longuement de mille et une choses. J’ai bien fait d’offrir ce vin car cela m’a donné une occasion de partage. Il y aura sûrement de belles suites.

Trois vins de plus de 80 ans bus dans ma cave mercredi, 26 janvier 2022

Du fait du confinement, il y a très longtemps que je n’ai pas vu un ami amateur de vins et grand connaisseur qui a, dans le passé, donné des cours d’œnologie. Je l’invite à déjeuner dans ma cave. L’avantage d’être dans ma cave et d’avoir un ami qui connaît le vin, c’est que je peux ouvrir des bouteilles à risques. J’ai choisi cinq vins mais le jour venu je n’en ouvrirai que trois, un champagne, un vin blanc et un vin rouge, dont les bouteilles ont toutes une perte de volume qui est de l’ordre de 12 à 15 centimètres sous le bouchon.

Je les ouvre avant 10 heures du matin. Le Corton Blanc Les Fils de C. Jacqueminot 1919 a un bouchon qui vient en miettes. Le nez trahit l’âge du vin mais tout me laisse penser qu’un retour à la vie est possible.

Le Corton Clos du Roi L.A. Montoy 1929 a lui aussi un bouchon qui vient en miettes. Le nez est beaucoup plus prometteur. Le Champagne Krug Private Cuvée que j’estime des années 50 a un bouchon très sale, comme les autres, et qui se lève instantanément tant il a rétréci. L’odeur est celle d’un champagne ancien mais là aussi je ne pense pas devoir ouvrir une bouteille de remplacement.

Ma collaboratrice a fait des emplettes, saumon cru et thon cru, rillette, pâté en croûte, viande de bœuf froide en fines tranches, divers fromages et tarte aux pommes. N’ayant aucun talent pour la cuisine il faut faire simple. Ma femme a ajouté dans ma musette un foie gras mi- cuit.

Le Champagne Krug Private Cuvée a une couleur légèrement grise qui va s’ensoleiller au fil de la dégustation. Le nez est devenu très pur. Mon ami qui a bu des champagnes anciens pense que ce Krug est des années trente, voire des années vingt, tant il est glorieux. Mon ami n’avait pas vu le bouchon et son hypothèse est vraisemblable car elle est cohérente avec l’aspect du bouchon. Disons donc Champagne Krug Private Cuvée années 30. Sur la rillette, le champagne offre un goût très vif, intense et tranchant. Il est noble et grand. Sur le foie gras il brille aussi.

Je sers sans attendre le Corton Blanc Les Fils de C. Jacqueminot 1919. Il convient beaucoup mieux aux poissons crus. Il y a en ce vin un comportement racé. Il a une couleur foncée mais belle, un nez franc et précis et une longueur extrême. Je le trouve grand, un peu fatigué mais diablement vivant. Les deux vins se fécondent. Leurs qualités sont beaucoup plus expressives lorsque l’on les boit l’un après l’autre. C’est souvent l’effet que se font vin blanc et champagne. Je pratique souvent cette camaraderie entre champagne et des vins blancs ou jaunes du Jura. Le foie gras convient aux deux.

Le Corton Clos du Roi L.A. Montoy 1929 est magnifique d’entrée. Il a une couleur d’un beau rouge presque sang, et ne trahit pas son âge alors que les deux premiers vins ne peuvent nier qu’ils sont âgés. Ce vin est joyeux, presque fruité, précis et bien dessiné. Avec la viande froide la cohabitation est polie, comme avec le pâté en croûte. C’est grâce à un Brillat-Savarin que le vin prend son envol et son grain devient puissant, truffé, un véritable bonheur.

Le Château Musar du Liban 1983 apporté par mon ami et ouvert au moment de son arrivée est d’un joli rouge. Le nez est un peu fermé mais élégant. En bouche, son caractère de fruit rouge me paraît celui d’un bonbon que l’on roule sur sa langue. Le vin me semble rouler dans ma bouche avec une sensation gourmande. Ce vin est très agréable mais on voit bien qu’il n’a pas la complexité des vins plus anciens. Mon ami me dit que ce vin lui évoque Rayas. Il en a l’entrain.

Sur la tarte aux pommes, je verse deux petits verres de Rhum, d’un rhum qui est probablement des années quarante et dont le caractère assez sec lui donne une vivacité aérienne.

Nous avions tant de choses à nous dire que nous sommes restés longtemps à table. Il est apparu évident que sans la méthode Audouze, c’est-à-dire l’oxygénation lente, jamais les vins ne se seraient montrés aussi brillants. Il est apparu aussi que pour déguster de tels vins, il faut chercher l’expression de leur âme et ne pas s’arrêter à d’éventuelles petites fatigues, qu’ils n’ont d’ailleurs pas montrées. Je classerais ainsi : 1 – Corton rouge 1929, 2 – Corton blanc 1919, 3 – Krug années 30, 4 – Musar 1983.

Le Musar jouera dans la même cour que ses aînés lorsqu’il atteindra leur âge. Ce fut un chaleureux déjeuner.

seuls seront bus les trois vins de gauche, ci-dessus