Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Déjeuner dans ma cave avec mon fils samedi, 19 février 2022

Mon fils vient déjeuner dans ma cave. Après une visite de la cave nous nous rendons dans la grande salle où sont présentées des milliers de bouteilles vides et où la table est mise. Des sushis ont été livrés et nous les mangerons en buvant un Champagne Taittinger 1966. Lorsque j’ai voulu il y a plus d’une heure soulever le bouchon j’ai vu de fines bulles apparaître au point de jonction entre le haut du bouchon et le goulot. Le bouchon était sorti entier, très beau.

La couleur du champagne est fascinante de beauté, d’un blé d’or, et la bulle est très active. Le champagne est raffiné. Il va s’élargir au fur et à mesure de son réchauffement cat il est sorti froid du réfrigérateur. On n’a pas la puissance d’un Comtes de Champagne, mais le charme et l’expressivité de ce champagne nous comblent d’aise. C’est un beau champagne de grande séduction.

Trois heures avant j’avais ouvert deux vins rouges. Le premier est d’une bouteille très ancienne au cul profond. La capsule indique très clairement « grand vin des Hospices de Beaune » ce qui est corroboré par l’étiquette quasiment illisible où l’on reconnait le dessin des Hospices. Le bouchon, quant à lui, montre l’année qui est sans ambiguïté 1922. C’est donc un Grand Vin des Hospices de Beaune 1922.

La jeunesse de ce vin est irréelle. Mon fils, buvant à l’aveugle, se disant que j’ai ouvert un vin très vieux déclare 1955 alors qu’il pense plutôt aux années 60. Ce vin de cent ans a une grande puissance et j’aurais volontiers pensé à un Musigny, mais il faut sans doute situer à Corton ce vin puissant. La structure du vin est solide et on aurait pu penser que le vin avait été hermitagé, mais les Hospices de Beaune ne sont jamais allés dans cette voie. C’est donc un supposé Corton très puissant, riche fruité, et à l’extrême longueur. Je suis de plus en plus sensible à l’émotion que procure un vin. Ce 1922 est d’une grande sensibilité. Sur un Brillat-Savarin il va trouver une dimension supplémentaire.

J’ai ajouté à ce repas une demi-bouteille de Clos des Papes Châteauneuf-du-Pape 1971. Ce vin nous donne l’impression de nous trouver face à la perfection du Châteauneuf-du-Pape. Je pense à Rayas, Beaucastel, Henri Bonneau et je me dis que l’on est bien au-dessus de tous ces vins, même si je les adore et même s’ils explorent des voies différentes de celui-ci. Sa rectitude, son entrain, sa palette si large de saveurs gourmandes, tout cela nous transporte en haut de l’Olympe. Quelle personnalité.

Mon fils me demande comment j’ai choisi les vins du repas. Le champagne a été choisi au hasard, en me promenant dans ma cave. Je n’avais pas d’idée préconçue mais je considère 1966 comme l’une des plus grandes années en Champagne.

L’inventaire de ma cave a été fait en indiquant le plus souvent pour les vins anciens l’état des niveaux. J’avais mis pour le vin de 1922 une indication « G » qui veut dire goulot ce qui est rare pour des vins si vieux. Et il y a pour quelques bouteilles l’indication de leur utilisation possible, dont certaines ont l’indication de mes enfants. J’ai donc choisi sur liste.

Le Clos des Papes, quant à lui, a été choisi pour un autre raison. J’ai acheté il y a peu douze demi-bouteilles de ce vin. Je voulais vérifier si mon achat était pertinent. Je sais maintenant qu’il l’est.

Classer ces trois vins n’est pas facile puisque tous les trois ont brillé par une jeunesse extrême, le 1966 ressemblant à un 1982, le 1922 ayant des accents de 1961 et le 1971 pouvant être confondu avec un 1995. Du fait de la rareté d’un 1922 qui se comporte aussi bien, je mettrais le bourgogne en premier. Le Clos des Papes pourrait être premier du fait de sa générosité éblouissante mais il sera second. Et le champagne si brillant est troisième mais adoré.

Boire des vins inattendus avec mon fils est un plaisir sans équivalent.

les bouteilles préparées pour le déjeuner. La 1/2 champagne ne sera pas bue.

Déjeuner chez des amis samedi, 19 février 2022

Des amis fidèles nous invitent à déjeuner. Lui est passionné de cuisine et réalise des recettes de cuisiniers qu’il suit assidûment. Elle a saisi cette occasion pour donner les clefs de la cuisine à son mari.

Nous commençons à goûter un Champagne Pommery Cuvée Louise 1995 sur des gougères absolument parfaites. Le champagne a une belle maturité et ce qui me ravit c’est qu’il exprime une belle émotion. Il a des accents suaves d’une grande délicatesse.

Le Parmentier de canard est d’une belle exécution. J’ai apporté un Château Lynch Bages 1989 au niveau parfait dans le goulot et au bouchon qui se brise à la levée. Le parfum du vin est d’une puissance extrême et d’une irréelle jeunesse. Le vin est grand, riche et puissant, doté d’une force de persuasion extrême. C’est un grand vin, ce que je savais, mais je n’imaginais pas qu’il eût gardé une telle jeunesse. L’accord se trouve naturellement.

Mon ami a carafé depuis longtemps une Côte Rôtie Château d’Ampuis Guigal 2002. Le nez est jeune. Le vin est équilibré, mais ce qui manque, c’est un peu d’émotion. Le vin n’a pas de défaut, joue bien son rôle sur un Epoisses et sur un Salers, mais il lui manque une petite étincelle de génie.

Le dessert est un Mont-Blanc réalisé par notre hôte, de belle facture. Le Gewurztraminer Grand Cru Marckrain Bestheim 2000 a un joli nez de litchi et se montre particulièrement brillant sur le dessert. L’accord est idéal.

Nous finissons cet agréable repas avec un Rhum Savanna Unshared Cask de la Réunion 2009 qui a onze ans de fût et titre 58°. Il est jeune encore mais il promet.

Notre ami va poursuivre avec méthode son chemin vers la grande cuisine. Nous aurons de belles surprises.

Deux repas avec des vins étonnants jeudi, 17 février 2022

Mon fils vient périodiquement à Paris pour gérer la société industrielle de famille. Pour l’accueillir à son arrivée vers 13 heures, j’ouvre un Champagne Krug Private Cuvée années 60 ou peut-être plus vieux. Le bouchon parfaitement cylindrique est court. Aucun pschitt n’accompagne son extraction. Dans le verre le champagne est d’un ambre doré magnifique et ne montre aucune bulle. Mais le pétillant est là, bien présent. Le vin a une belle acidité, il est intense et dynamique. Il a des accents légers d’agrumes mais il est surtout vineux. Il est solide et généreux, au finale tonique. C’est un très grand champagne qui accompagne des chips dont à la truffe et de beaux fromages.

Nous allons ensuite nous promener dans un forêt voisine et vers 16 heures je commence à ouvrir les vins du dîner que j’envisage de faire goûter à mon fils à l’aveugle.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1963 a un niveau convenable pour les vins du domaine de cette époque. Sous la capsule et au-dessus du bouchon il y a une forte poussière noire qui ne sent pas la terre. Le bouchon a manifestement souffert et vient presque entier. Le parfum du vin est discret mais plutôt prometteur.

J’ai dans ma cave une zone de très vieilles bouteilles difficiles à identifier. J’ouvre une bouteille mise en bouteille par Cruse et Fils comme l’indique la capsule dorée. Le niveau dans la bouteille très opaque est en dessous de l’épaule, dans la zone dite « vidange ». Le bouchon vient en charpie en une multitude de morceaux de liège très noirs. Le parfum est tellement incroyable de fruit puissant que je me méfie. Il est une expression française qui dit « trop beau pour être vrai ». Ce parfum est si brillant que j’ai peur qu’il ne s’évanouisse. Nous verrons.

Vers 18 heures j’ouvre une bouteille de Champagne Lanson 1969. Elle a une forme de quille qui est très jolie. Le fil de fer du muselet est extrêmement difficile à défaire et je suis obligé d’utiliser une pince. Un beau pschitt salue l’ouverture et la sortie du bouchon court et au miroir incliné, le miroir étant la face du bouchon au contact du liquide.

Un peu avant 20 heures nous passons à table. Le Champagne Lanson 1969 est d’un charme enthousiasmant. Si l’on voulait faire une comparaison ‘genrée’, le Krug du midi est masculin et le Lanson est féminin. Le Krug est plus noble, mais le Lanson est plus chaleureux. J’aime beaucoup les champagnes Lanson de cette époque. Sur des rillettes, le champagne est brillant.

Je sers deux verres remplis dans une pièce voisine, afin que mon fils n’ait pas d’indication. A gauche une couleur intense d’un rouge sang. A droite une couleur plus claire. Mon fils n’a pas commis d’erreur puisqu’il a cité Bordeaux et Bourgogne et ne s’est pas trompé dans les décennies des vins.

Le Bordeaux inconnu mis en bouteille par Cruse & Fils est très probablement des années 20. Ce pourrait être un Rauzan-Ségla ou un Pichon Longueville. Son parfum est resté large et généreux, tonique. En bouche c’est un vin presque parfait montrant un beau fruit rouge et une belle expression. Comment est-ce possible pour un vin dont le niveau dans la bouteille était à cinq centimètres sous le bas de l’épaule. Les vins anciens me surprendront toujours. Nous sommes subjugués par sa richesse et sa longueur. Quelle surprise !

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1963 a un nez qui exprime le sel et c’est la bouche qui offre la rose. Il y a la délicatesse des vins du Domaine, pour une année peu expressive. Mais le charme agit. Sur de délicieux pigeons, c’est le Richebourg qui s’exprime le mieux.

Plus le temps passe et plus la couleur du vin devient riche car la densité est plus grande dans le bas de la bouteille et le vin gagne en énergie et en largeur. Le dernier verre sera presque noir avec une lie qui se boit. Bien sûr nous préférerons le vin bourguignon, mais en termes de précision et de finesse le bordeaux marque des points.

Le lendemain midi, le repas sera consacré au bœuf Wagyu. Il se trouve que je venais d’acheter deux jours auparavant deux bouteilles de Sidi-Brahim 1939. J’avais le souvenir d’un Sidi-Brahim 1942 absolument superbe et riche. Ce 1939 devrait être le compagnon du Wagyu. Au moment de l’ouvrir je regarde plus précisément l’étiquette et je vois marqué « blanc ». La bouteille est très opaque et lorsque je la mets face à la lumière, je constate qu’il s’agit d’un vin blanc. Je vérifie ma facture d’achat et effectivement le vin était annoncé blanc. Pour moi, un Sidi-Brahim est rouge, ce qui justifie que je n’aie pas vérifié, d’autant que les deux bouteilles sont complètement opaques.

Alors, c’est une tempête sous mon crâne. Vais-je ouvrir ce blanc dont je n’ai aucun repère ? Je me souviens qu’au Japon nous avions mangé du Wagyu en fines tranches cuites sur des pierres chaudes en buvant un Corton-Charlemagne de Coche-Dury et l’accord avait été divin. Je tourne dans ma tête les risques à prendre et je décide de ne pas tenter l’aventure. Je prends en cave un Santenay-Gravières Jessiaume Père et Fils 1928. Le niveau dans la bouteille est absolument parfait, de trois centimètres sous le bouchon. La bouteille est extrêmement épaisse et paraît particulièrement saine.

Le bouchon sort entier mais au lieu de glisser dans le goulot il remonte en saccades de cinq millimètres en cinq millimètres. C’est assez curieux. Le parfum est idéal.

Le vin est servi trois heures et demi plus tard et le parfum du vin est miraculeux et pur. En bouche, le gras maîtrisé du Wagyu lui donne un caractère aérien. On sent bien que ce vin n’est pas d’une appellation tonitruante, mais il a une précision et une justesse de ton qui le rendent magique. Plus le vin est servi plus il est ample et généreux. Le Wagyu est accompagné de pommes de terre grenailles et l’accord est pertinent. On ressent que le millésime 1928 a fait des vins éternels.

Mon fils préfère le Richebourg 1963 au Santenay 1928. Je mets les deux vins ex-aequo car je suis impressionné par la précision aérienne du vin le plus ancien.

En deux jours nous avons fait une belle exploration de vins anciens inhabituels. Ces vins nous réservent de belles surprises. Tant mieux.

le lendemain, le vin que je voulais ouvrir est un blanc !!!

il est remplacé par :

Déjeuner au restaurant le Grand Véfour samedi, 12 février 2022

Un ami journaliste qui a aidé à me faire connaître au tout début de mes dîners est un grand gastronome. Nous bavardons au téléphone et il me dit que plusieurs restaurants souffrent des restrictions liées au Covid. Il évoque quelques noms et l’idée me vient d’inviter cet ami au restaurant le Grand Véfour.

Nous nous y retrouvons un jeudi pour déjeuner et je constate avec plaisir que le restaurant est plein. A côté d’un menu à prix très attractif, il y a les plats signatures de Guy Martin aux tarifs beaucoup plus musclés, surtout en cette période d’excellence de la truffe noire. Mon ami choisit des plats relativement modestes et je me dis qu’en prenant les plats signatures, je rends service à la restauration. Pure recherche d’alibi.

Les plats que je choisis sont : œufs brouillés à la truffe et homard bleu rôti aux truffes noires. Pour le premier plat je commande un Champagne Jacques Selosse Brut Initial dégorgé en mai 2021. Ce champagne est déjà un peu ambré et d’une finesse d’un grand équilibre. Il a la touche Selosse, sans accent excessif. C’est un champagne qui se boit bien.

Pour le plat de résistance j’ai commandé un Coteaux du Languedoc Clos des Cistes Peyre Rose 2002. C’est un ami qui m’avait fait découvrir les vins de Marlène Soria que j’avais trouvé magnifiques sur le millésime 2003. L’attaque est belle, encourageante, promettant de beaux plaisirs. Le milieu de bouche est boisé, même si le vin n’a pas été élevé en fûts, c’est une impression.

Et le finale très court est comme une phrase qui n’est pas terminée. On attend et rien ne vient. Il me semble que ces vins doivent être bus jeunes, car ce Peyre Rose qui titre 14,5° semble avoir perdu de son entrain.

Le lieu est charmant, chargé d’histoire. Le service est attentif. La cuisine est d’un classicisme certain, mais c’est ce que j’avais choisi. Voici une belle table où il faut revenir.

Un vin de 1928 exceptionnel lundi, 7 février 2022

Nous allons recevoir ma fille cadette et trois de nos petits-enfants. Ces repas sont l’occasion pour donner une chance à des bouteilles qui ont perdu du volume du fait de la porosité de leur bouchon. Un Château Brane-Cantenac 1928 est dans ce cas, avec un niveau catalogué « vidange », et un Château Filhot 1893, que je qualifierais de « grande vidange ». Pour le champagne je choisis une bouteille sans défaut.

De bon matin j’ouvre le vin de 1928 dont le bouchon vient entier. Son parfum me surprend par sa pureté, n’offrant aucune mauvaise odeur. Le vin de 1893 a un bouchon tout recroquevillé dans sa partie basse. Il vient lui aussi entier et le parfum discret offre de timides suggestions de sauternes raffiné.

C’est une heure avant le repas que j’ouvre le Champagne Pol Rober Cuvée Winston Churchill 1996. Le bouchon étant difficile à tourner, je prends un casse-noix pour le décoller du verre mais il saute dans ma main, offrant un pschitt énergique.

A l’apéritif, il y a des mini-brioches à la rillette, de délicieuses chips et des tranches d’un jambon Pata Negra bien gras. Le Champagne Pol Rober Cuvée Winston Churchill 1996 a une couleur de blé d’été doré. Elle est ensoleillée. La bulle est présente. Le premier contact est joyeux, le champagne montrant une belle ampleur. Mais peu de temps après, le champagne se montre monotone. Son discours est convenu. Brillant certes, mais sans la vibration que l’on attendrait.

Ma femme a prévu un poulet, le plus simple possible avec de la semoule. Le Château Brane-Cantenac 1928 est une absolue merveille. La couleur est d’un rouge foncé. Le nez est noble, riche et précis. En bouche le vin opulent a la mâche d’une belle truffe et le vin est phénoménal. C’est un vin quasiment parfait. Quelle belle surprise. Nous nous régalons avec ce vin franc, puissant et sans âge puisque ma fille l’imaginera plus jeune de presque quarante ans. C’est sur du chaource que le vin se montre magique.

Le Château Filhot Sauternes 1893 a une couleur marron. Il est limpide. Le nez est discret et évoque des zestes d’agrumes. L’attaque est celle d’un sauternes sec qui, selon l’expression consacrée aurait « mangé son sucre ». Il n’est pas désagréable et c’est surtout son finale qui est sec. Je l’avais prévu pour les crêpes de la Chandeleur, mais c’est surtout sur un poisson ou une viande blanche qu’il serait le plus adapté. Il me rappelle un Filhot 1858 qui avait aussi mangé son sucre mais que j’ai trouvé charmant. Ce 1893 est un peu trop strict pour qu’on l’apprécie comme il convient.

C’est indéniablement le Gruaud-Larose 1928 exceptionnel qui a illuminé ce repas marqué par les rires et les joies de mes petits-enfants.

Un vin de 1941 jeudi, 3 février 2022

Karin, une amie, me demande comment trouver un vin de 1941, l’année de naissance de son père. Elle serait prête à m’en acheter. 1941 est une année faible, dont pratiquement tout a été bu, puisqu’il n’y avait pas de perspective de vieillissement. Je dis à mon amie que je ne vends pas de vin. Je vends des dîners où les vins sont bus et ne pourront pas alimenter la spéculation sur les vins puisqu’ils sont bus. Comme j’ai des vins de presque tous les millésimes, j’ai décidé de ne pas en vendre car je serais comme aujourd’hui souvent sollicité.

Je regarde dans ma cave et l’idée me vient de partager une bouteille avec son père et elle-même. J’aurai ainsi un bon prétexte d’ouvrir une bouteille de Vega Sicilia Unico 1941.

Le rendez-vous est pris et en plus de cet apport je choisis un champagne de bonne maturité. Nous nous retrouvons à la Manufacture Kaviari. Je viens assez tôt pour ouvrir le vin espagnol. Un propriétaire antérieur avait constaté que la bouteille perdait du volume et avait recouvert la capsule d’une vilaine cire. Je l’enlève ainsi que le haut de la capsule et je vois que le bouchon est très imbibé et risque de glisser dans le goulot. Le bouchon vient en mille morceaux. Le parfum du vin est très discret, encore fermé, mais sans défaut.

Lorsque Jacques arrive et voit la bouteille de son année, il n’arrive pas à comprendre comment aucune miette de liège n’est tombée dans le vin alors que l’assiette montre une véritable charpie. L’explication est que le liège imbibé reste collé au verre du goulot, ce qui fait qu’en procédant très doucement, on évite des chutes.

Karin a choisi un caviar Baeri de Dordogne comme entrée. Le Champagne Perrier-Jouët Cuvée Belle Epoque 1985 est d’une maturité parfaite pour le caviar large et précis, au sel magnifiquement dosé. Nous nous régalons. Il y a ensuite des saumons de diverses préparations qui nous permettent de constater à quel point le champagne est serein, royal, épanoui. C’est un champagne au sommet de son art.

Ce qui est disponible à la Manufacture pour accompagner le vin espagnol, c’est une espèce de tourte fourrée avec des épices douces et variées. Ce n’est pas forcément l’idéal pour le Vega Sicilia Unico 1941 mais nos palais s’adapteront. Jacques n’a pas l’habitude de boire des vins anciens aussi son premier mot est : « il est madérisé ». S’il est un mot qui est utilisé le plus souvent à contresens, c’est bien celui-ci. Alors, je conduis Jacques pas à pas et lui apparaissent un fruit d’une belle jeunesse et une expressivité joyeuse. Jacques convient qu’il avait parlé trop vite car ce Vega Sicilia est d’un charme et d’une jeunesse remarquables. Je suis personnellement impressionné par la jeunesse du fruit de ce vin. C’est une bien belle bouteille.

Nous avons bavardé longuement de mille et une choses. J’ai bien fait d’offrir ce vin car cela m’a donné une occasion de partage. Il y aura sûrement de belles suites.

Trois vins de plus de 80 ans bus dans ma cave mercredi, 26 janvier 2022

Du fait du confinement, il y a très longtemps que je n’ai pas vu un ami amateur de vins et grand connaisseur qui a, dans le passé, donné des cours d’œnologie. Je l’invite à déjeuner dans ma cave. L’avantage d’être dans ma cave et d’avoir un ami qui connaît le vin, c’est que je peux ouvrir des bouteilles à risques. J’ai choisi cinq vins mais le jour venu je n’en ouvrirai que trois, un champagne, un vin blanc et un vin rouge, dont les bouteilles ont toutes une perte de volume qui est de l’ordre de 12 à 15 centimètres sous le bouchon.

Je les ouvre avant 10 heures du matin. Le Corton Blanc Les Fils de C. Jacqueminot 1919 a un bouchon qui vient en miettes. Le nez trahit l’âge du vin mais tout me laisse penser qu’un retour à la vie est possible.

Le Corton Clos du Roi L.A. Montoy 1929 a lui aussi un bouchon qui vient en miettes. Le nez est beaucoup plus prometteur. Le Champagne Krug Private Cuvée que j’estime des années 50 a un bouchon très sale, comme les autres, et qui se lève instantanément tant il a rétréci. L’odeur est celle d’un champagne ancien mais là aussi je ne pense pas devoir ouvrir une bouteille de remplacement.

Ma collaboratrice a fait des emplettes, saumon cru et thon cru, rillette, pâté en croûte, viande de bœuf froide en fines tranches, divers fromages et tarte aux pommes. N’ayant aucun talent pour la cuisine il faut faire simple. Ma femme a ajouté dans ma musette un foie gras mi- cuit.

Le Champagne Krug Private Cuvée a une couleur légèrement grise qui va s’ensoleiller au fil de la dégustation. Le nez est devenu très pur. Mon ami qui a bu des champagnes anciens pense que ce Krug est des années trente, voire des années vingt, tant il est glorieux. Mon ami n’avait pas vu le bouchon et son hypothèse est vraisemblable car elle est cohérente avec l’aspect du bouchon. Disons donc Champagne Krug Private Cuvée années 30. Sur la rillette, le champagne offre un goût très vif, intense et tranchant. Il est noble et grand. Sur le foie gras il brille aussi.

Je sers sans attendre le Corton Blanc Les Fils de C. Jacqueminot 1919. Il convient beaucoup mieux aux poissons crus. Il y a en ce vin un comportement racé. Il a une couleur foncée mais belle, un nez franc et précis et une longueur extrême. Je le trouve grand, un peu fatigué mais diablement vivant. Les deux vins se fécondent. Leurs qualités sont beaucoup plus expressives lorsque l’on les boit l’un après l’autre. C’est souvent l’effet que se font vin blanc et champagne. Je pratique souvent cette camaraderie entre champagne et des vins blancs ou jaunes du Jura. Le foie gras convient aux deux.

Le Corton Clos du Roi L.A. Montoy 1929 est magnifique d’entrée. Il a une couleur d’un beau rouge presque sang, et ne trahit pas son âge alors que les deux premiers vins ne peuvent nier qu’ils sont âgés. Ce vin est joyeux, presque fruité, précis et bien dessiné. Avec la viande froide la cohabitation est polie, comme avec le pâté en croûte. C’est grâce à un Brillat-Savarin que le vin prend son envol et son grain devient puissant, truffé, un véritable bonheur.

Le Château Musar du Liban 1983 apporté par mon ami et ouvert au moment de son arrivée est d’un joli rouge. Le nez est un peu fermé mais élégant. En bouche, son caractère de fruit rouge me paraît celui d’un bonbon que l’on roule sur sa langue. Le vin me semble rouler dans ma bouche avec une sensation gourmande. Ce vin est très agréable mais on voit bien qu’il n’a pas la complexité des vins plus anciens. Mon ami me dit que ce vin lui évoque Rayas. Il en a l’entrain.

Sur la tarte aux pommes, je verse deux petits verres de Rhum, d’un rhum qui est probablement des années quarante et dont le caractère assez sec lui donne une vivacité aérienne.

Nous avions tant de choses à nous dire que nous sommes restés longtemps à table. Il est apparu évident que sans la méthode Audouze, c’est-à-dire l’oxygénation lente, jamais les vins ne se seraient montrés aussi brillants. Il est apparu aussi que pour déguster de tels vins, il faut chercher l’expression de leur âme et ne pas s’arrêter à d’éventuelles petites fatigues, qu’ils n’ont d’ailleurs pas montrées. Je classerais ainsi : 1 – Corton rouge 1929, 2 – Corton blanc 1919, 3 – Krug années 30, 4 – Musar 1983.

Le Musar jouera dans la même cour que ses aînés lorsqu’il atteindra leur âge. Ce fut un chaleureux déjeuner.

seuls seront bus les trois vins de gauche, ci-dessus

Cinq caviars et deux Dom Pérignon jeudi, 30 décembre 2021

L’un des cadeaux que nous avons faits à mon fils et son épouse est une dégustation de caviars à la Manufacture Kaviari. Nous nous présentons à l’heure du déjeuner à la Manufacture, mon fils, sa femme, ma femme et moi. Dans la salle réfrigérée nous commençons la dégustation de quatre caviars, le Baeri, l’Osciètre, le Kristal et le Daurikus. Le caviar étant gardé très frais, il faut le poser sur sa main à la racine du pouce, là où l’on prisait le tabac, pour que les grains prennent de la chaleur.

Très rapidement, je propose à Baptiste qui dirige la dégustation que nous passions à table pour déguster les caviars avec le champagne que j’ai apporté.

Le Baeri, très noir, est vif et cinglant. L’Osciètre est large, gras, aimable. Le Kristal est croquant, précis mais un peu court et le Daurikus est assez original car il combine toutes les bonnes ondes des autres caviars. Il est croquant, large, précis, mais manque un peu de longueur. Nous constatons que plus le caviar monte en température, plus il s’exprime. Baptiste nous donne un conseil d’une grande pertinence : un caviar se goûte en fermant les yeux. Et c’est vrai qu’il s’exprime beaucoup mieux, comme d’ailleurs s’exprimeraient les grands vins si on fermait les yeux.

Le Champagne Dom Pérignon 1990 a une couleur très claire, une bulle discrète et n’avait pas de pschitt ce qui est étonnant. Sa sérénité est extrême et je ne vois pas quel champagne pourrait être le meilleur partenaire pour les caviars. Il est large, joyeux, affirmé et élégant. C’est le Fred Astaire des champagnes.

J’avais prévu,  »pour le cas où », d’ouvrir un autre champagne. Le Champagne Dom Pérignon 1973 a une cape noire qui a blanchi, comme si sa couleur noire s’était transformée en un goudron gras qui me colle aux doigts. C’est particulièrement désagréable. Le bouchon se cisaille lorsque je veux l’extirper et il faut enlever la partie basse avec un tirebouchon. Il n’y a pas de pschitt et la couleur dans le verre est d’un rose magnifique. Le 1973 est plus complexe et plus noble que le 1990 mais le plus jeune est plus naturellement le compagnon du caviar sauf pour un nouveau, la surprise de notre dégustation. Le Beluga aux grains plus gros et plus gris que les autres est d’une rare complexité. Il fait voyager dans une autre dimension. C’est avec le 1973 que le beluga s’exprime le mieux.

Karine Nebot nous rejoint ainsi que son père et nous bavardons joyeusement. Baptiste nous apporte une délicieuse pâtisserie pour conclure ce repas. Mon classement final sera : 1 – osciètre, 2 – beluga, 3 – daurikus, 4 – baeri, 5 – kristal. Le critère principal de mon classement est la longueur, plus grande pour l’osciètre que pour le beluga, malgré le charme énigmatique du beluga. Fort curieusement le kristal est le caviar préféré des chefs étoilés et l’explication avancée est que le kristal est plus facilement compagnon d’une cuisine élaborée.

Cette dégustation nous a enchantés.

Noël avec la famille au grand complet jeudi, 30 décembre 2021

Nous allons faire pour la première fois depuis douze ans un Noël où toute la famille proche sera rassemblée. Mes deux filles, mon fils et son épouse et les six petits-enfants seront présents. Nous nous sommes tous livrés à l’exercice de l’autotest pour le Covid, afin de nous rassurer les uns et les autres.

Pour l’apéritif il y aura des petites tartines de foie gras, une auréole de gougère, des chips à la truffe et des amandes salées à la truffe. Le Champagne Veuve Clicquot non millésimé des années 70 offrait un léger pschitt il y a une heure à son ouverture. La bulle existe et la couleur est d’un ambre clair, presque rose. En bouche c’est un plaisir, car la maturité est affirmée et la complexité est marquée. On se régale de ce champagne.

La distribution des cadeaux est lente, les verres se vident assez vite aussi vais-je ouvrir un champagne qui n’était pas prévu au programme. C’est un Champagne Krug Grande Cuvée à l’étiquette vert olive qui est la première étiquette des Krug Grande Cuvée qui ont succédé au Krug Private Cuvée au début des années 80. Ce champagne est aussi ambré que le précédent. Il a une belle maturité et son passage en bouche est plus enthousiasmant que celui du Veuve Clicquot. Ce champagne est plus noble, plus précis, mais je dois dire qu’au plan du plaisir pur, les deux champagnes sont très proches. Ils sont de très haut niveau.

Les cadeaux s’échangent avec un rythme plus soutenu, avec des cris de joie, des sourires et du bonheur. Le repas sera : caviar osciètre / cœur de saumon / bœuf Wagyu ou poulet rôti avec un gratin de pommes de terre / fromages / dessert Ispahan de Pierre Hermé.

Le caviar est accompagné d’un Champagne Dom Pérignon magnum 1982. On ne peut pas rêver d’un accord meilleur que celui-ci car le champagne est rond, doux, charmant. Il est large, cohérent, agréable, un plaisir pur. Le Krug est peut-être plus racé, mais au niveau du plaisir, c’est le Dom Pérignon le champion.

Pour le cœur de saumon, forme la plus agréable pour goûter du saumon fumé, j’ai choisi une bouteille rare, un Meursault S.A. Leroy et Cie 1959. Alors qu’il s’agit d’un meursault générique, la magie Leroy en fait un vin complexe et raffiné. Il est d’une rare précision avec un beau fruit et un finale de Grand Cru. Son millésime est exceptionnel et le vin donne l’impression de ne pas avoir d’âge. On se régale et le vin aura des votes très favorables.

Le vin suivant a été choisi par curiosité. Cette bouteille n’est pas dans l’inventaire de cave, car il est impossible d’en connaître le millésime. L’étiquette a disparu à 99% mais on reconnaît Pétrus, et cela est corroboré par la capsule. C’est donc sans savoir le millésime que j’ai mis au programme ce Pétrus. En enlevant entièrement la capsule j’ai pu lire 1978 et après avoir retiré le bouchon, le 1978 est bien lisible. Le Pétrus 1978 au niveau dans le goulot est un vin exceptionnel et on s’en rend compte dès la première gorgée. Tout en lui est parfait, d’un équilibre étonnant. Ce vin est la forme la plus aboutie du vin de Bordeaux. Il est racé, noble, puissant avec une évocation de truffe qui va convenir au délicieux Wagyu. Nous sommes tous impressionnés par ce vin que nous classerons tous premier dans nos votes.

Pour les fromages il y a un Vosne-Romanée E. et D. Moingeon Frères 1943. Là aussi il s’agit d’un bourgogne qui n’est ni grand cru ni premier cru mais à qui l’âge a donné toutes les qualités. Il est très agréable, de grande sensibilité et se boit avec un grand plaisir. Une fois de plus je constate que l’oxygénation lente fait des miracles, puisque les vins que j’ai ouverts quatre à cinq heures avant le repas se comportent brillamment.

Alors que j’apprécie tout particulièrement l’Ispahan de Pierre Hermé, celui-ci est déstructuré, de mâche imprécise et même si son parfum de rose est préservé, il y a quelque chose qui ne va pas dans ce dessert. Le Champagne Dom Pérignon rosé 1982 est absolument remarquable. Quel brio, quel charme, quelle tenue ! C’est sans doute un hasard mais je classerai les quatre champagnes de ce repas dans l’ordre inverse de leurs arrivées, le dernier servi étant le premier.

Le classement que je ferais est d’abord le Pétrus 1978 miraculeux suivi du Meursault Leroy 1959 car il est d’une richesse unique, puis le Dom Pérignon rosé 1982 suivi du Dom Pérignon 1982 et du Krug Grande Cuvée.

Pendant tout le repas les rires, les joies, les anecdotes, les apartés, tout respirait la joie d’être ensemble. Et la chaleur de ce bonheur familial est ce que je classe bien avant le premier vin, car ce bonheur est encore plus précieux.

au restaurant Le Sergent Recruteur dîner avec un vin de 1921 mercredi, 22 décembre 2021

Une américaine qui fait partie des plus assidues de mes dîners veut une réciprocité à l’invitation que nous lui avions faite de dîner au restaurant d’Arnaud Donckele au Cheval Blanc Paris. Nous sommes donc quatre au restaurant Le Sergent Recruteur que j’ai choisi puisque Sarah m’avait demandé de le faire. Il y a Sarah, un des participants du dîner au siège de Veuve Clicquot, ma femme et moi.

J’avais dit à Sarah que j’apporterais un vin. Je n’avais aucune idée et par hasard, j’ai vu une bouteille qui m’est apparue intéressante, un Château de L’Espinglet Rions-Bordeaux 1921. L’occasion de boire un vin de cent ans m’a plu, car il ne reste plus que quelques jours pour boire un 1921 centenaire.

Nous choisissons nos menus. Le mien sera : polenta Taragna truffée, sot-l’y-laisse, crumble de parmesan et jaune d’œuf coulant / paleron de bœuf maturé puis grillé au bois de hêtre, céleri rave « mini » rôti, farci de trompette de la mort et d’anchois, pommes soufflées / fromage / poire rôtie à l’étoile d’anis, crème glacée à la betterave, mousseline au chocolat blanc sur un sablé breton.

Pour l’apéritif, nous prenons un Champagne La Colline Inspirée Jacques Lassaigne Extra Brut Blanc de Blancs sans année. Ce champagne apporté froid fait ressortir un peu plus le côté sauvage de l’extra brut. Sur une originale mise en bouche le champagne montre son talent. Le vin vif est large et grand. C’est un champagne de gastronomie doté d’une vivacité exemplaire. Le finale est beau.

Le Chablis Grand Cru Vaudésir Jean-Paul et Benoît Droin 2020 me faisait peur en regardant sur la liste des vins le millésime, mais en fait il est extrêmement agréable, facile à boire à cette période de sa vie. Il est relativement doux car il est timide, mais s’accorde bien à la polenta délicieuse, doté d’une truffe goûteuse.

Le Pommard Les Petits Noizons Domaine de la Vougeraie 2018 est lui aussi une belle surprise car je ne m’attendais pas à une maturité naissante aussi affirmée. Il est tout en velours, délicat mais conquérant aussi. Un bien agréable vin qui demanderait quand même quelques années pour offrir ses complexités qui sont en promesse. Le paleron de de bœuf est délicieux et le vin l’accompagne bien.

Le Château de L’Espinglet Rions-Bordeaux 1921 est d’une bouteille soufflée très ancienne et a un niveau dans le goulot. La couleur est de mangue claire. Hélas, un petit nez de bouchon gâche le plaisir. Normalement, les vins d’avant 1940 n’ont quasiment jamais de nez de bouchon, car les lièges utilisés n’avaient pas cette maladie. Etonné de ce défaut je me suis mis à échafauder une hypothèse : il est probable que le château avait ce vin en cave. Vers les années 50, le château a décidé de reconditionner des bouteilles de 1921 en prélevant dans une bouteille de 1921 de quoi remettre les autres bouteilles à niveau. Et c’est le bouchon de rebouchage qui a apporté au vin son nez de bouchon, ce qui ne serait pas apparu si l’on avait gardé les bouteilles en l’état. Lorsqu’on voit une telle bouteille au niveau dans le goulot, on ne se pose pas de question alors qu’on devrait s’en poser.

Par un hasard qui comme tous les hasards est étonnant, ma fille aînée a réservé à son nom une table le lendemain ici-même. Elle a pu bénéficier de la bouteille de 1921. Elle a trouvé le vin superbe, sans une trace d’odeur de bouchon. Le temps est un bon infirmier pour les vins.

Nous avons fini notre dîner avec des mignardises et une Chartreuse verte année 2000 offerte par Aurélien le compétent sommelier du restaurant que je connais depuis des années. Le restaurant est agréable et la cuisine pertinente. Il y a des améliorations à apporter dans le service et l’ordonnancement des plats que nous avons parfois trop attendus. Ce qui n’enlève rien au plaisir de venir en ce restaurant tenu par le chef Alain Pégouret que je connais depuis des lustres.