Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dinette improvisée avec ma fille vendredi, 2 novembre 2018

Lorsque tous les convives du 229ème dîner ont quitté le restaurant Laurent, le personnel de salle a rassemblé les bouteilles vides qui vont s’ajouter à ma collection de bouteilles vides. En déchargeant la caisse fort tard dans la nuit je constate que les deux magnums de vins blancs ne sont pas vides. Le lendemain est un samedi et j’ai prévu de dîner en tête-à-tête avec ma fille car ma femme est dans le sud.

Je suggère à ma fille d’acheter du poisson. Elle complète avec du saumon cru, du tarama et pour le dessert une tarte Tatin. Le poisson est du cabillaud qu’elle va cuire avec une garniture de panais en fines tranches.

J’ouvre un Champagne Dom Pérignon 1985 qui est d’un accomplissement parfait. Sa sérénité est impressionnante. Il sert pour l’apéritif et aussi bien saumon que tarama l’excitent joliment.

Pour le cabillaud, je sers les deux vins blancs partagés la veille avec les vignerons. Le Riesling Cuvée Frédéric Emile Trimbach magnum 1990 a gardé de sa noblesse mais il est un tout petit peu moins vif que la veille. Il a toujours cette précision que j’adore.

Le Bâtard-Montrachet Grand Cru Louis Jadot magnum 1999 a un nez tonitruant. En bouche il est comme hier soir un guerrier puissant qui investit le palais de sa force et de sa rondeur. Il est solaire.

C’est le champagne qui a accompagné la tarte Tatin et je me suis fait la remarque suivante : sur le papier si j’avais dû classer les trois vins pour la noblesse de leur matière vineuse, j’aurais dit riesling / Bâtard / champagne. Or en fait c’est l’inverse, car la matière vineuse du champagne est éblouissante et presque plus persistante en bouche que celle du Bâtard. Il s’agit donc de trois vins d’exception. Ce petit casse-croûte impromptu avec ma fille avec qui j’ai adoré bavarder de tout et de rien est un plaisir que je déguste.

Déjeuner au restaurant La Rotonde jeudi, 25 octobre 2018

Comme avec mes conscrits, le déjeuner périodique avec mon frère et ma sœur reprend du service. C’est ma sœur qui invite au restaurant La Rotonde. C’est l’archétype de la brasserie parisienne, avec un service réglé comme une chorégraphie. La décoration semble figée dans les années trente, ce qui lui va bien, et les reproductions de tableaux de Modigliani sont légion.

Nous commençons par un Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Brut sans année servi trop froid qui montre une certaine verdeur. Il se boit agréablement sur les huîtres Gillardeau n° 3 délicieuses.

Ayant eu des relations soutenues avec un cousin du Cher de la génération de mes parents, je suis familier des Ménetou-Salon dont j’aime la simplicité et la franchise. Le Ménetou-Salon La Dame de Châtenoy Isabelle et Pierre Clément 2015 est un vin de brasserie qui me rappelle de beaux souvenirs. C’est un coup de fouet de jeunesse.

Le Mercurey Les Caraby Maison Chanzy Jean-Baptiste Jessiaume 2017 vit sur une planète d’âge que je visite peu. Son fruit est franc. Sur un tartare de bœuf d’Hugues Desnoyer et des frites façon bistrot, il joue sur son terrain. Je me suis montré plus attentif à bavarder avec mon frère et ma sœur qu’à disséquer les vins de ce repas.

déjeuner de conscrits au Yacht Club de France mercredi, 24 octobre 2018

Cela fait plus de trois mois que notre club de conscrits ne s’est pas réuni. Nous nous retrouvons à l’invitation d’un d’entre nous pour déjeuner au Yacht Club de France. Le hors-d’œuvre est toujours aussi copieux et inventif : cochonnailles, Samousa de homard, velouté de panai aux écrevisses, cuisses de grenouille. Le chef Benoît Fleury montre un talent de plus en plus affirmé et la présentation des plats n’a pas grand-chose à envier à certains chefs étoilés.

Le Champagne Pierre Gimonnet & Fils Cuvée Fleuron magnum 2006 m’était apparu un peu dosé lorsque je l’avais bu avant l’arrivée des hors-d’œuvre. Mais avec eux, le champagne offre un chardonnay très agréable et consensuel. Lorsqu’il est fini, le Champagne Pierre Gimonnet & Fils blanc de blancs brut sans année se montre beaucoup plus vif et cinglant que le 2006. Je l’aime beaucoup et j’en profiterai aussi sur les huîtres servies à table.

Le menu conçu par le chef avec Thierry Le Luc, pour les vins de notre ami, est : huîtres fines de claires / petit risotto de Saint-Jacques rôties, jus de crustacés / Bar et grosses gambas, pomme Dauphine, girolles et hollandaise / fromages d’Eric Lefebvre MOF / Paris-Brest maison, glace à la noisette.

Le Meursault Cuvée Maurice Chevalier Remoissenet Père & Fils 2009 est un superbe Meursault au fruit généreux et entraînant. Il réussit l’exploit de s’accorder aux huîtres. C’est un meursault de plaisir.

Le Chassagne-Montrachet Abbaye de Morgeot Louis Jadot 2004 est moins mordant et ample que le meursault mais il s’associe bien au jus de crustacés.

Le Saint-Joseph Les Granits M. Chapoutier 2011 est un vin blanc riche, opulent, de belle présence. Il est suivi par un Hermitage blanc Chante-Alouette M. Chapoutier 2012 large et raffiné, de belle personnalité. Avec ces vins de Chapoutier, notre ami nous à gâtés.

Pour le fromage nous buvons un Château Cantenac-Brown 1995 qui, malgré ses 23 ans, est d’une jeunesse rare. Il faudra attendre encore une vingtaine d’années pour que ses belles qualités s’élargissent comme les pétales d’une fleur.

Notre ami poursuit sa générosité avec un Bas-Armagnac Domaine de la Coste Lacourtoisie 1981 extrêmement élégant et une belle personnalité.

La charmante Sabrina a fait un service de très haute qualité des mets mais surtout des vins. Le chef a réalisé un menu brillant. Décidément, le Yacht de France est un lieu où l’on aime à jeter son ancre.

Déjeuner chez des voisins mardi, 23 octobre 2018

Chaque weekend, quand le temps le permet, je vais acheter mon journal à pied, ce qui me fait une belle promenade, puisque les marchands de journaux disparaissent au fil des projets immobiliers qui fleurissent dans ma banlieue. Je rencontre de temps à autre une voisine. Il fait beau et je propose de lui rendre visite ainsi qu’à son mari avec une bouteille de champagne. Dans leur agréable jardin j’ouvre une bouteille de Champagne Charles Heidsieck 1985. Le pschitt est dynamique, le bouchon est beau et sain. La couleur du champagne est d’un ambre clair ce qui est un signe de jeunesse pour un champagne de 33 ans. Le champagne a un fruit puissant et une ampleur remarquable. Il est racé, de grande personnalité et c’est une belle réussite du millésime 1985 qui est brillant.

Le repas est impromptu puisqu’il a été décidé il y a moins d’une heure. Mon ami ouvre un Château d’Hanteillan Haut-Médoc 2015, vin sans histoire et très jeune. Par un temps splendide pour le milieu du mois d’Octobre, nous avons bavardé longuement dans un beau climat d’amitié.

déjeuner au restaurant Taillevent mercredi, 17 octobre 2018

Cela faisait plus de trois mois que je n’avais pas vu Tomo, mon ami japonais, grand collectionneur et grand amateur, avec lequel j’aime partager des vins. Il était temps de nous revoir et je lui propose de suggérer des vins. Il me répond et je m’ajuste à sa proposition. Il y aura au programme, de son côté, Champagne Comtes de Champagne Blanc de Blancs Taittinger 1970 et Château Laville Haut-Brion 1951. Le millésime 1951 étant un millésime atypique, je me suis calé sur lui pour proposer un Château Chalon Jean Bourdy 1951 et un Vin de Paille Jean Bourdy 1951. Pour deux, le risque de manquer est relativement faible.

J’arrive en avance pour le déjeuner au restaurant Taillevent et j’ouvre mes deux vins. Tomo arrive alors que je suis encore en opération et j’enchaîne pour ouvrir ses vins. Le Champagne Comtes de Champagne Blanc de Blancs Taittinger 1970 émet un pschitt tonitruant qui fait se retourner tout le personnel de salle présent. C’est étonnant d’avoir un champagne aussi explosif à 48 ans. Le niveau dans la bouteille est parfait. Nous nous servons et le champagne est légèrement ambré, sans véritable signe d’âge. En bouche, l’attaque est légèrement lactée. Elle est opulente et le parcours en bouche est plutôt court, ce qui n’est pas une véritable gêne au plaisir. Nous trinquons avec bonheur sur ce beau champagne.

Choisir le menu n’est pas facile, et encore moins lorsque Tomo déclare son envie pressante de goûter au lièvre à la royal du chef David Bizet. Pour le lièvre il faut un vin rouge or les quatre vins blancs (ou champagne) sont déjà ouverts. Tomo me demande si je peux mettre un bouchon sur le vin de paille pour l’exclure du déjeuner, à remplacer par un vin rouge, ce que j’accepte même si je vois mal quand je servirai ce vin ouvert.

Le menu que nous choisissons est le menu « Les 5 de Yann Queffelec », mais sans les accords mets et vins prévus. Nous avons une réserve sur le dessert et nous choisirons plus tard. Le menu est ainsi conçu : poireau en croûte de sel truffé, mimosa de cèpes, essence sauvage poivrée / pomme de terre et Culatello à la crème de truffe blanche / rouget barbet confit concentré, torréfié, butternut, foie gras / lièvre à la royale.

Le choix du vin rouge est fort long car Tomo mettrait volontiers un zéro de plus à la gamme de prix que j’accepterais. Il y a de bonnes pioches dans la carte intelligente du Taillevent aussi le choix final sur lequel j’ai légèrement insisté est le Châteauneuf-du-Pape réserve des Célestins Henri Bonneau 1999. Il convient de dire que Maxime le sommelier a été d’un niveau de compétence et d’excellence absolu.

On nous sert trois petits amuse-bouches pour le champagne, qui révèlent une dextérité évidente. Mais je trouve que l’on est plus dans la virtuosité que dans la gourmandise et notamment l’une des trois saveurs, trop marquée par son acidité effarouche le champagne.

L’entrée en matière est d’anguille et de betterave et bien que je sois un peu sur le ‘reculoir’ en face des accords terre-mer, le goût est excellent. Nous goûtons ensemble les trois blancs qui vont chacun trouver leur territoire d’excellence face à l’un ou l’autre des plats.

Le Champagne Comtes de Champagne Blanc de Blancs Taittinger 1970 est un beau champagne tranquille, d’une complexité mesurée, d’un charme certain. Il est gastronomique sans explorer les chemins hasardeux. Il a besoin de saveurs claires. Aussi est-il plus à l’aise avec la pomme de terre.

Le Château Laville Haut-Brion 1951 n’est pas un Laville tonitruant mais c’est un Laville solide. Il est très à l’aise avec l’anguille et avec le poireau. Il a de belles expressions de Laville, avec peut-être une légère sourdine due à l’année. Je l’ai beaucoup apprécié sur des saveurs claires.

Le Château Chalon Jean Bourdy 1951 était discret à l’ouverture avec un nez calme. Mais c’est de loin le plus gastronomique car c’est le seul qui peut accompagner le rouget. Ce n’est pas un vin jaune explosif mais il est profond et incisif.

Le poireau est superbe. C’est ainsi que j’adore le poireau car il est exactement ce qu’il doit être. Il accepte le Laville comme le vin du Jura.

La pomme de terre a des goûts exquis et la truffe blanche très odorante appelle le Château Chalon. Mais ce plat est difficile à manger, car la pomme de terre en spaghetti ne se saisit pas facilement à la cuillère.

Le rouget est extrêmement viril, trop viril même car la sauce couvre la chair du rouget. Le Château Chalon est le seul à pouvoir subir le choc de ce plat un peu trop poussé, même s’il est délicieux. Tomo a du mal à le manger et je ne suis pas à mon aise.

C’est maintenant l’apparition du lièvre à la royale et il se produit en moi une réaction qui est la même que celle que j’ai eue il y a peu de temps avec un Haut-Brion 1928. C’est comme un coup de marteau qui me frappe sur le crâne. Car la première bouchée du lièvre est comme une apparition divine. Car ce lièvre est « le » lièvre, le lièvre parfait, celui qui résume ce que doit être un lièvre à la royale. Cet instant est un instant de pur bonheur et je cache ma tête entre mes mains pour en jouir totalement.

Sur ce plat, le Châteauneuf-du-Pape réserve des Célestins Henri Bonneau 1999 est absolument divin. On ne pourrait pas imaginer meilleur accord. Bien sûr il lui manque un peu de puissance par rapport au plat, mais quel bonheur. Car le vin est à la fois fruit et sang, grâce, douceur mais aussi largeur et velouté. Nous nous regardons avec Tomo, car ce que nous vivons, c’est exactement ce que nous désirons, un goût irréel et un vin qui magnifie le rêve.

C’est quand même assez cocasse de constater que nous avons ouvert quatre vins pour deux et que nous avons commandé un autre sur la carte. Et en plus le meilleur accord n’est pas avec nos vins mais avec le vin de la cave du lieu. Nous n’avons aucune certitude, nous sommes ouverts à tout et c’est bien ainsi.

Tomo fait attention à ce qu’il mange, mais il nous a quand même poussé à prendre le lièvre à la royale et le voilà qui récidive en demandant des crêpes Suzette flambées au Grand Marnier et au cognac. C’est un péché, mais de tels péchés doivent se pardonner. Maxime nous a offert un verre de Grand Marnier Cuvée des Centenaires délicieux avec le dessert.

Tomo est pervers ! Il a maintenant envie de goûter le vin de paille. Je sers donc trois verres du Vin de Paille Jean Bourdy 1951 qui est d’un flacon plus petit qu’une demi-bouteille. Le troisième verre est pour Maxime et l’équipe de Taillevent. Je dirais volontiers que c’est le plus grand des quatre vins que nous avons apportés, la comparaison au vin du Rhône n’ayant pas beaucoup de sens. Le vin est doux, raffiné, élégant et équilibré, et d’une noblesse rare. C’est effectivement peu fréquent de trouver un vin doux de cette prestance. C’est la douceur même avec une longueur infinie.

Le service du Taillevent est toujours aussi excellent et attentionné. Maxime a été parfait dans sa fonction de sommellerie. Antoine Pétrus n’était pas là et depuis qu’il a pris ses fonctions je ne l’ai quasiment jamais vu. Le chef David Bizet a un talent incontestable qui doit permettre à ce lieu d’aller vers les trois étoiles, car toutes les conditions sont remplies. Son lièvre à la royale est sublime. Avec Tomo, nous avons vécu un déjeuner mémorable.

Déjeuner d’anniversaire avec des vins de grande variété dimanche, 14 octobre 2018

Dix jours plus tard, l’anniversaire de ma fille cadette se souhaite à nouveau avec mes deux filles et leurs quatre enfants. Ma femme a prévu du poulet et une pintade, agrémentés par une purée Robuchon. A l’apéritif, il y aura de l’houmous saupoudré de grains de grenade, que l’on tartine sur des crackers et des petites tomates tardives qui sont délicieuses.

J’ouvre un Champagne Dom Ruinart 1990 qui me subjugue par la constance de sa perfection alors qu’il a 28 ans. Le pschitt est prononcé, la qualité du bouchon est parfaite, la couleur est celle d’un jeune champagne tant il est clair, et en bouche ce n’est que du bonheur. Parmi les quatre des Trois Mousquetaires, c’est Aramis qui me semble lui ressembler le plus, le plus noble, le plus aisé, qui séduit sans le moindre effort. Le champagne est complexe, plein, agile, au finale impressionnant. Il se suffit à lui-même et on le boit avec un infini plaisir.

Le journaliste norvégien qui avait assisté au 228ème dîner m’avait demandé de visiter ma cave et sur place souhaitait me filmer ouvrant une bouteille. Pour me montrer qu’il ne voulait pas me forcer à ouvrir un vin de ma cave, il avait acheté un vin jeune et m’avait demandé de l’ouvrir comme si c’était un vin ancien. J’avais donc ouvert son achat, un Saint-Joseph Les Challeys Selas 2016, filmé par Nina la photographe. Les deux norvégiens prenant leur avion le soir même, ils ont bu de ce saint-joseph qui se retrouve maintenant sur ma table. Il va servir de témoin par rapport au vin que j’ai choisi. Ce vin du Rhône a un nez engageant qui annonce une belle matière. En bouche il est joliment gouleyant et ne souffre pas de sa jeunesse. On le boirait volontiers en d’autres occasions.

Le vin que j’ai choisi et ouvert plus de trois heures avant le déjeuner est un Chambolle-Musigny Les Amoureuses sélectionné par la Confrérie des Chevaliers du Tastevin dans les caves de Bouchard Père & Fils 1959. Le niveau est superbe, ainsi que le bouchon. La couleur est plus tuilée, évidemment, que celle du 2016, mais cette couleur est franche. Le nez est calme et pur. La bouche est veloutée, calme et douce, et les complexités sont subtiles. Le vin est plus fin que le Rhône, mais il ne l’écrase pas. Les deux existent l’un par sa jeunesse plaisante et l’autre par son charme velouté délicieux.

Le poulet et la pintade cohabitent bien, la pintade plus volontiers avec le 2016 et le poulet avec le 1959. Nous poursuivons avec des fromages achetés il y a une semaine pour mon fils, dont certains ont un affinement à la limite du possible. Nous faisons le plein de flore intestinale.

Ma femme a essayé deux mousses au chocolat, l’une avec le chocolat noir classique de Nestlé et l’autre avec le chocolat au lait de Lindor. Les deux mousses sont très différentes et je préfère de loin la plus classique au chocolat noir alors que ma femme aime les deux.

Il se trouve que lorsque se tenait le 228ème dîner, mon fils dînait seul avec ma femme qui lui avait préparé des pieds-paquets. Pour les faire mijoter, ma femme était descendue en cave sans me demander de le faire et avait rapporté un Riesling Muhlforst Sélection de Grains Nobles domaine Mittnacht-Klack 1989. Si le vin convenait bien à la confection du plat, il ne pouvait pas l’accompagner à la dégustation aussi en restait-il. C’est donc la suite que nous buvons maintenant et l’accord est possible avec les mousses au chocolat, surtout la noire que je préfère. Le vin est riche sans être lourd, a des accents de grains confits brûlés par le soleil et je l’aime beaucoup car il est d’une grande année et offre une belle fraîcheur dans le finale.

Nous avons navigué dans plusieurs régions avec des millésimes variés. Par un des derniers beaux jours d’un été qui n’en finit pas mais qui tire quand même ses dernières salves, ce fut un bel anniversaire.

Dîner avec trois Krug, un Clos du Mesnil et deux Private Cuvée mardi, 9 octobre 2018

Mon fils est le seul amateur avec lequel je peux oser d’ouvrir de vieux Krug Private Cuvée aux niveaux incertains. Les champagnes vieillissent quand leurs bouchons ne sont pas parfaits et cela se produit naturellement dans ma cave. Je prends deux bouteilles, une qui a perdu 10% de son volume et une qui a perdu autour de 20%. Il reste de la veille un bon tiers du Krug Clos du Mesnil 2002 aussi le programme fait sens (comme on dit aujourd’hui). Ma femme a prévu ce soir de traiter des filets de Pata Negra comme des steaks. Il y aura ensuite des fromages dont mon fils raffole.

J’ouvre les champagnes Private Cuvée une bonne heure avant le dîner. Si les étiquettes des deux bouteilles sont strictement identiques, l’une des bouteilles, la plus basse, a une cape argentée alors que l’autre a une cape dorée. Le bouchon de l’une est couvert d’une capsule au métal brut alors que l’autre a une capsule au métal peint. Chose curieuse, alors que les deux champagnes semblent de la même décennie que j’imagine être la décennie 50, le bouchon de la plus pleine est deux fois plus long que celui de la moins pleine, qui est venu sans résistance au moment où j’ai voulu le prendre, suggérant que le contact de l’air a été abondant.

Preuve en est que le champagne au bouchon le plus court sent mauvais, alors que le champagne au bouchon le plus long a un parfum très engageant. Bonne pioche !

Quand mon fils arrive, nous décidons de commencer par le Champagne Krug Private Cuvée années 50 au niveau le plus haut et au bouchon le plus long. Ce champagne n’est que plaisir. Il ne montre aucun défaut, il est doux, au pétillant sensible. C’est un régal et je me félicite de m’être intéressé à ces champagnes. La viande de porc ibérique traitée en steak est ferme et très goûteuse. C’est un régal et le champagne s’en accommode même si l’on ne peut pas prétendre à un accord transcendant. Les saveurs de ce champagne sont douces, délicates et très assemblées. La longueur est belle et le pétillant sensible.

Nous essayons le second Champagne Krug Private Cuvée années 50 au niveau le plus bas et au bouchon le plus court. Depuis l’ouverture, les mauvaises odeurs se sont estompées et même si ce champagne est moins bon que le premier, il offre quand même des douceurs agréables. Il est lui aussi de belle personnalité.

C’est maintenant que la dégustation du Champagne Krug Clos du Mesnil 2002 va être extrêmement intéressante. Il est ouvert depuis plus d’une journée et s’est donc étoffé. Mais mon Dieu, qu’il est jeune ! Tout en lui est citron, agrumes qui pincent les gencives. On sent bien sûr qu’il a d’énormes qualités, mais il lui manque vingt ans. Et ce qui est bouleversant, c’est que si l’on retourne au Private Cuvée de cinquante ans son aîné, on voit à quel point la complexité du Clos du Mesnil le met au firmament malgré sa jeunesse. On peut aimer les vieux Private Cuvée pour leurs douceurs, mais le Clos du Mesnil est transcendantal, quelle que soit sa jeunesse. J’adore ces mises en perspective. Les vieux sont charmants, tout en douceur, accueillants, et le jeune d’Artagnan, à qui on conseillerait de vieillir, montre que bon sang ne peut mentir.

Au final j’ai classé en 1 – Champagne Krug Private Cuvée années 50 au meilleur niveau, 2 – Champagne Krug Clos du Mesnil 2002, 3 – Champagne Krug Private Cuvée années 50 au plus bas niveau. Il est inutile de dire que les trois sont de pures merveilles. C’est une grande joie de les partager avec mon fils.

deux couleurs différentes de capes

deux longueurs différentes de bouchons

Dîner avec un vin provenant de la cave du Bern’s Steak House mardi, 9 octobre 2018

Le soir, c’est le grand moment pour fêter les 273 kilomètres du cross de mon fils. J’ai choisi un champagne que j’adore dans des versions plus âgées, le Champagne Krug Clos du Mesnil 2002. Ça fait drôle d’avoir un pschitt aussi sensible avec un champagne, car il est rare que j’en boive d’aussi jeunes. Le nez est particulièrement intense et minéral. En bouche, il est très vert car il est très jeune, mais la noblesse de ses complexités est remarquable. Le plat est un osso-buco avec des tagliatelles.

J’ai ouvert un vin qui a une belle valeur sentimentale parce qu’il m’a été offert par Brad Dixon le célèbre sommelier du Bern’s Steak House à Tampa, restaurant où je suis allé chaque fois avec mon fils. Brad me l’a offerte parce que nous avions sympathisé en choisissant ensemble dans sa cave des vins centenaires. Il s’agit d’un Châteauneuf-du-Pape Pierre Ponnelle Négociant à Beaune (Abbaye de Saint-Martin) 1961. Cette demi-bouteille provient de la cave du Bern’s Steak House acquise auprès de l’importateur Consolidated Distributors of Tampa qui a indiqué sur la petite étiquette « Red Burgundy Wine », ce qui est peu à-propos. Le nez du vin est très intense, profond, et racé. Le vin est vif. Mon fils estime qu’il fait son âge mais je trouve que sa vivacité et sa profondeur correspondent à un vin qui est deux fois plus jeune que 1961. Il est riche, rhodanien, bien structuré et d’une longueur que je n’imaginais pas à ce nouveau. C’est un concentré de qualités.

J’aime les hasards ou les signes : le bouchon de ce vin au moment où j’ai enlevé la capsule, a montré une lettre X couvrant presque toute la surface. Etant un « X », qui plus est de la promotion 1961, j’ai pensé que ce vin que je voulais boire avec mon fils en raison du succès de sa course et en raison des beaux souvenirs communs au Bern’s Steak House, m’envoyait un signe de bonheur.

Le champagne a pris la suite après le bel intermède du vin du Rhône et s’étant épanoui dans le verre il montre sa grâce délicate. Il en restera encore pour demain et il est à peu près sûr qu’il sera encore meilleur. Je suis content d’avoir ouvert ces deux vins pour mon fils, car les symboles comptent autant que les goûts, même quand, comme ce soir, ils sont grands.

X 61 (comme moi)

Déjeuner avec mon fils et un champagne inconnu dimanche, 7 octobre 2018

Cela fait presque deux mois que je n’avais pas revu mon fils qui vit à Miami. Pendant l’été, nous avions partagé de longs moments dans ma maison du sud où tous mes enfants et petits-enfants se sont retrouvés à un moment ou à un autre, pour la plus grande joie de ma femme et moi. Entretemps, mon fils a participé avec deux cadres de mon entreprise industrielle à la course la plus folle qui existe, de 270 kilomètres en cinq jours, sur des sols escarpés et souvent sableux autour de Las Vegas, en autosuffisance pour ce qui concerne les vêtements et la nourriture. Je n’imaginais pas que mon fils en soit capable mais en fait les trois compères, après moult souffrances et envies d’abandon, ont réussi l’épreuve.

Dans ce contexte, j’ai décidé que ce soir nous ouvrirons une très grande bouteille, car ce sont des circonstances exceptionnelles (il faut bien se trouver des excuses d’ouvrir grand). Le déjeuner qui fait suite à l’arrivée de son avion sera plus simple. Ma femme a prévu des fromages, comté, chèvre, saint-nectaire et camembert. J’ouvre un Champagne René Renard Premier Cru Brut qui doit être des années 40. Il vient d’Avenay Val d’Or près d’Aÿ. Sur l’étiquette, on parle de ses médailles d’argent de 1934 – 1935 – 1936 et 1937. La capsule est neutre avec pour seule indication « Champagne » et le bouchon se vrille lorsque je le tourne et se brise. La lunule du bas vient au tirebouchon, sans créer de pschitt.

La couleur est d’un ambre léger, presque rosé. La bulle est présente. Le champagne est très agréable, joyeux, fait de fruits roses et jaunes. La personnalité est belle et le champagne est confortable. Contre toute attente, c’est avec le chèvre que le champagne s’accorde mieux. Il n’a aucun défaut d’âge et même si le message est assez simple, c’est un champagne de plaisir.

Il restait du récent dîner au restaurant Pages un fond du Chypre 1869. Il a juste cent ans de plus que mon fils aussi est-ce émouvant de le boire ensemble. J’avais été légèrement contrarié par une trace camphrée aussi bien dans le parfum que dans le goût. Cette trace, même si elle subsiste, est considérablement atténuée et le beau gras d’un liquoreux onctueux triomphe maintenant. C’est tout ce qui fait le bonheur des vins de Chypre que ces saveurs réglissées, poivrées, où la pâte de fruit est doucereuse. Le vin a une longueur infinie et nous trinquons au plaisir de nous revoir après cet exploit sportif de mon fils.

c’est assez curieux que la petite étiquette « Brut » ne soit pas centrée

j’adore cette coupe de champagne qui déborde et qui n’est pas droite mais déborde quand même du mauvais côté aussi

fonds de bouteille superbe du Chypre 1869

Incroyable dîner à 18 mains par 9 chefs japonais au Passage 53 mardi, 2 octobre 2018

On pourrait présenter ce dîner à la façon d’un camelot qui vend des produits ‘indispensables’ sur les grands boulevards : ‘mesdames et messieurs, je peux vous inscrire à un dîner fait par deux chefs, ce qui fait quatre mains, je peux vous en proposer un à trois chefs, soit six mains ou à quatre chefs ce qui fait huit mains’. Et ce camelot serait bien loin du compte car ce soir avec ma femme, nous allons participer à un dîner à 18 mains, puisque neuf chefs vont composer un menu exceptionnel au restaurant Passage 53. Il s’agit d’un dîner caritatif pour aider les victimes d’un accident climatique qui s’est produit au Japon. Neuf chefs japonais parisiens se sont associés à cette bonne œuvre par le biais de ce repas.

Le menu indique entre parenthèses et en gras les noms des restaurants où officient ces chefs : ‘Osushi’ : thon, toro-caviar impérial de Sologne, crevette ‘botan-ebi’ (Jin) / langoustine, Makombu de Hokkaido (Passage 53) / huître de Quiberon, mousse d’oignon de Champagne (Alliance) / croquette au cœur de caviar Baeri royal de Finlande, barbue et purée de citron (Etude) / ‘Taikama’ collier de daurade royale, sauce umami à la livèche, coques (Pages) / soupe de civet de lièvre au cacao (Les Enfants Rouges) / ito wagyu, girolles sauce vin rouge (Nakatani) / tajarin classico aux cèpes (L’Inconnu) / Montblanc aux mirabelles et au yuzu, glace à la vanille (Hiroshi Mitsutake) / Mignardises (Les 3 Chocolats).

Le restaurant étant tout petit, le dîner sera en deux services, 18h30 et 20h30. Nous sommes inscrits à 20h30 et comme on pouvait l’imaginer, en arrivant à l’heure prévue, le premier service n’est pas terminé. Aussi est-il prévu que l’on puisse grignoter des tapas dans l’allée du Passage des Panoramas. Il est prudent de ne pas le faire car le dîner sera copieux, mais je me laisse tenter par une coupe de Champagne Delamotte Brut sans année délicieux, servi par Katsutoshi Kondo, l’heureux propriétaire du restaurant Sagan, à la tête d’une magnifique cave de vins anciens.

On pénètre enfin dans le restaurant dont la cuisine est au premier étage, communiquant avec la salle par un escalier en colimaçon qui interdit que se croisent ceux qui montent et ceux qui descendent, tant il est étroit. Alors, imaginez neuf chefs venant apporter les assiettes de leurs plats, cela fait un va-et-vient digne d’un ballet d’opéra. L’ambiance est enjouée et Guillaume Guedj, qui dirige le Passage 53 règle tous ces mouvements avec calme et bonhomie. Les vins sont des cadeaux de vignerons qui s’associent à cette bonne œuvre.

Le Champagne Initial de Selosse dégorgé en 2017 est très pur, direct et fluide il est sans concession et c’est le caviar de Sologne qui canalise son énergie dans un accord superbe même s’il est classique.

Le Saké pétillant Shuhari Yamada Nishiki Matsumoto Shuzo est assez neutre et convient bien à la délicieuse langoustine raffinée et délicate du cuisinier du lieu. Les fines lamelles de radis sont une signature du chef et apportent de la vivacité. On ne se rend pas compte que le saké titre 15°.

Alors que je suis généralement partisan de manger les huîtres pures sans aucune ajoute et aucune transformation, je suis très impressionné par cette huître en trois saveurs. Elle est délicieuse et le Chablis Villages Vincent Dauvissat 2012 est très agréable dans sa simplicité, même si un Grand Cru aurait apporté un supplément d’âme au plat. Car ce chablis est un peu court pour l’huître intelligente.

Le Meursault Clos de la Barre Domaine des Comtes Lafon 2011 est agréable sans être tonitruant. Il trouve un bel écho avec un caviar finlandais dont j’ignorais qu’il puisse exister. La présentation d’une coque en forme de cromesquis est un peu ferme et n’ajoute rien au goût du caviar. Le vin accompagne aussi la daurade, plat d’une grande originalité puisque l’on a la tête du poisson sur l’assiette mais aussi à cause des goûts d’un rare raffinement dont la sauce umami. Le meursault accompagne bien ce plat.

La soupe de civet de lièvre est pour mon goût le plat le plus gourmand de ce repas. On boit la sauce comme si l’on croquait le civet. Ce plat est fabuleux. Le Château Lagrange 2013 est un peu frêle pour un plat aussi puissant aussi, à ma demande, Guillaume Guedj sert à sa place à notre table un Gevrey-Chambertin Vieilles Vignes Sérafin Père & Fils 2005 qui est généreux et gouleyant, très adapté au plat.

Le wagyu est d’une grande qualité, bien gras et le Morey-Saint-Denis Clos de la Bussière Domaine Georges Roumier 2002
est une merveille de précision et de délicatesse sur la lourde viande. C’est un bonheur. Le service des cèpes est une aimable respiration après les viandes.

Le Champagne Aÿ Grand Cru Henri Giraud MV 12 à mon goût fait un peu commercial, un peu trop passe-partout, mais je sais que je suis sévère car ce n’est pas ma gamme de goûts. Les desserts n’accrochent pas autant notre attention que les autres plats car nous avons dîné de bon appétit.

Il y avait dans la salle des gourmets, jeunes et souriants, connaisseurs des restaurants représentés. Guillaume Guedj a été un hôte parfait. Les neuf chefs ont joué le jeu dans la bonne humeur avec une solidarité exemplaire. Les mets ont montré que la cuisine japonaise parisienne est de très haut niveau. J’ai particulièrement aimé le civet de lièvre en soupe, le caviar du début, la daurade, l’huître et la langoustine. Mais tous les autres plats étaient de très haute qualité. Il faut multiplier de telles expériences car elles doivent être enrichissantes pour les chefs comme elles le sont pour les hôtes ravis que nous fumes.