Déjeuner de grands vins au restaurant Michel Rostangmercredi, 5 décembre 2018

C’est par Instagram qu’un comédien célèbre m’a contacté par curiosité de ce que je fais. J’ai eu envie de le faire entrer dans ‘mon’ monde des vins anciens. Nous serons quatre à déjeuner au restaurant Michel Rostang, le comédien qui m’avait contacté, un autre comédien de ses amis, un ami belge du premier comédien et moi. Je suis arrivé à 10h45 au restaurant pour ouvrir mes quatre bouteilles de vins qui ne sont pas des vins d’étiquettes, et qui ont des années comprises entre 1927 et 1943. J’aime prendre des risques. J’ai aussi apporté les fonds de bouteilles des deux Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 2003 et des deux Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1962 que j’avais fait goûter hier dans un atelier du salon Vinapogée. Ayant fini les ouvertures à 11h20 j’attends en me promenant dans le quartier l’arrivée de mes convives.

Avant que le déjeuner ne démarre vraiment, je fais apporter des morceaux de pâté en croûte pour que nous goûtions les fonds des quatre bouteilles de Beaune Grèves. Ce qui me frappe instantanément, c’est que les vins ont fortement profité de l’aération qu’a donnée ce jour supplémentaire. Les deux 2003 sont larges et souriants et les deux 1962 sont glorieux, le nez imprécis de l’une des bouteilles ayant disparu, les deux vins se montrant également brillants. Mes convives sont subjugués par la grandeur de ces Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1962.

J’avais eu le temps de réfléchir avec le chef du restaurant Nicolas Beaumann au menu qui sera : langoustines / jarret de veau / foie gras poché. Le dessert sera choisi plus tard. Le chef du restaurant, spontanément, et cela m’a plu, a proposé de simplifier les recettes des plats de la carte pour les vins.

Nous commençons par un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2005, apporté par Stéphane, qui avait créé le contact avec moi. Le parfum du 2005 est diabolique. Quelle présence dans ce nez. Ce Comtes de Champagne, dans cette année, est une vraie réussite. Il est très flexible avec les amuse-bouches aux goûts variés.

Le Meursault Aligoté Magnien Frères 1927 avait un bouchon qui est venu entier, d’une totale perfection. J’imagine que la bouteille a été reconditionnée, mais qui s’amuserait à reboucher un meursault aligoté de 1927 ? La couleur du vin est très ambrée et très jolie. Le nez est vif et racé. En bouche l’acidité est d’une folle jeunesse. Le vin est vif, jeune, intemporel et d’une mâche agréable grâce à la délicatesse de ses complexités de fruits jaunes et dorés. Ce vin est assez irréel. Il s’adapte très bien à la langoustine reconstituée dont le croquant n’est pas assez affirmé. J’avais mis ce vin sans savoir ce qu’il donnerait, car c’est une inconnue, et il s’est révélé d’un niveau très au-dessus de mes attentes.

Le jarret de veau est généreux et remarquablement cuit. Le Musigny 1929 de producteur ou plutôt négociant inconnu (on ne lit sur l’étiquette que « Les Vins de Bourgogne », en plus de Musigny) est d’une superbe couleur rouge sang. Le nez est intemporel et riche et en bouche on boit un Musigny hyper puissant, riche, à qui on donnerait volontiers cinquante ans de moins. Il se trouve que j’ai eu l’occasion de boire ce même vin à l’académie des vins anciens il y a une quinzaine d’années avec Aubert de Villaine qui lui reprochait d’être hermitagé. Il l’est évidemment, mais il y a prescription et ce qui est dans le verre est guerrier, puissant et plaisant.

A côté de lui, il y a le Corton Clos du Roi L.A. Montoy 1929. Je connaissais déjà ce vin que j’adore. Celui-ci est encore plus brillant que la mémoire que j’en ai. Il a l’opulence joyeuse que donne l’année 1929 mais il est d’une sensualité rare, très féminine, avec un fruit rouge que le Musigny n’a pas. Les deux rouges de 1929 cohabitent très bien sans se nuire, mais mon cœur va tout droit vers la délicatesse infinie du Corton. Nous buvons une bouteille sans le moindre défaut qui ferait pâlir d’envie tous les vins de moins de trente ans classés à 100 points par Robert Parker.

Le quatrième de mes apports au-delà des quatre fonds de Beaune Grèves est un Châteauneuf-du-Pape Paul Etienne 1943. Voilà une bouteille très rare et d’une grande beauté. Lui aussi n’a, dans sa couleur, aucune trace de tuilé. Il est rouge et beau. Le nez est aussi précis que celui des vins précédents, et la bouche est généreuse, directe, franche, solide. C’est un vin droit, courtois et de plaisir. Mes convives qui sont de solides amateurs de vins sont assez subjugués par le fait que mes quatre vins sont parfaits. François-Xavier qui pratique les bons restaurants et les bons vignerons est étonné par ce tir groupé de vins excellents. Alors, nous bâtissons tous les projets possibles pour nous retrouver atour de tels vins.

Pour les fromages nous goûtons à l’aveugle l’apport de François Xavier. Reconnaître Sauternes n’est pas difficile. L’année pose plus de problème mais je lance au troisième essai la bonne réponse. Le Sauternes Nicolas 1959 est un sauternes d’assemblage fait par la cave Nicolas. Sa couleur d’un ambre doré peu foncé et le vin est particulièrement agréable et serein. Il se boit sur des fromages aux pâtes persillées. Il est suivi par un Muscat Clos Saint Landelin Vorbourg Sélection de Grains Nobles René Muré 2001. Si l’Alsace se reconnaît tout de suite jamais je n’aurais donné une année aussi jeune, car ce vin fait plus ancien. Sa jolie fluidité le rend charmant et frais, malgré ses 13,5°. Là aussi il s’agit d’un très joli vin. On ne boit pas assez de vins d’Alsace, si cristallins.

Le dessert est choisi en fonction du Porto Graham’s Vintage 1977. Il sera au chocolat. Le Porto est agréable et frais, fluide comme les grands portos. Il titre 20,7°.

Il me restait un fond de bouteille de Marc du domaine d’Ott 1929 que j’ai ajouté pour que mes apports de 1929 soient de trois. Il est toujours aussi exceptionnel de douceur, ce qui n’est pas la qualité première des marcs.

Le service du restaurant Michel Rostang a été exemplaire pendant les plus de quatre heures qu’a duré ce déjeuner. Baptiste a fait un travail de sommellerie d’une exactitude parfaite.

Mes trois nouveaux amis se sont montrés des convives passionnants. Nous avons parlé de vins essentiellement et j’ai senti à quel point ils sont attentifs à ce qu’ils boivent. Je suis très content de cette rencontre et bien sûr de la performance de mes vins mais aussi de la performance de leurs vins. L’idée de faire un prochain dîner sur la scène d’un théâtre que possède l’un des trois est amusante. Explorer de nouvelles ambiances sera un plaisir de plus. Vite, remettons le couvert !


Mes apports photographiés en cave

pour les Beaune Grèves ce n’était que des fonds de bouteilles