Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dîner avec trois Krug, un Clos du Mesnil et deux Private Cuvée mardi, 9 octobre 2018

Mon fils est le seul amateur avec lequel je peux oser d’ouvrir de vieux Krug Private Cuvée aux niveaux incertains. Les champagnes vieillissent quand leurs bouchons ne sont pas parfaits et cela se produit naturellement dans ma cave. Je prends deux bouteilles, une qui a perdu 10% de son volume et une qui a perdu autour de 20%. Il reste de la veille un bon tiers du Krug Clos du Mesnil 2002 aussi le programme fait sens (comme on dit aujourd’hui). Ma femme a prévu ce soir de traiter des filets de Pata Negra comme des steaks. Il y aura ensuite des fromages dont mon fils raffole.

J’ouvre les champagnes Private Cuvée une bonne heure avant le dîner. Si les étiquettes des deux bouteilles sont strictement identiques, l’une des bouteilles, la plus basse, a une cape argentée alors que l’autre a une cape dorée. Le bouchon de l’une est couvert d’une capsule au métal brut alors que l’autre a une capsule au métal peint. Chose curieuse, alors que les deux champagnes semblent de la même décennie que j’imagine être la décennie 50, le bouchon de la plus pleine est deux fois plus long que celui de la moins pleine, qui est venu sans résistance au moment où j’ai voulu le prendre, suggérant que le contact de l’air a été abondant.

Preuve en est que le champagne au bouchon le plus court sent mauvais, alors que le champagne au bouchon le plus long a un parfum très engageant. Bonne pioche !

Quand mon fils arrive, nous décidons de commencer par le Champagne Krug Private Cuvée années 50 au niveau le plus haut et au bouchon le plus long. Ce champagne n’est que plaisir. Il ne montre aucun défaut, il est doux, au pétillant sensible. C’est un régal et je me félicite de m’être intéressé à ces champagnes. La viande de porc ibérique traitée en steak est ferme et très goûteuse. C’est un régal et le champagne s’en accommode même si l’on ne peut pas prétendre à un accord transcendant. Les saveurs de ce champagne sont douces, délicates et très assemblées. La longueur est belle et le pétillant sensible.

Nous essayons le second Champagne Krug Private Cuvée années 50 au niveau le plus bas et au bouchon le plus court. Depuis l’ouverture, les mauvaises odeurs se sont estompées et même si ce champagne est moins bon que le premier, il offre quand même des douceurs agréables. Il est lui aussi de belle personnalité.

C’est maintenant que la dégustation du Champagne Krug Clos du Mesnil 2002 va être extrêmement intéressante. Il est ouvert depuis plus d’une journée et s’est donc étoffé. Mais mon Dieu, qu’il est jeune ! Tout en lui est citron, agrumes qui pincent les gencives. On sent bien sûr qu’il a d’énormes qualités, mais il lui manque vingt ans. Et ce qui est bouleversant, c’est que si l’on retourne au Private Cuvée de cinquante ans son aîné, on voit à quel point la complexité du Clos du Mesnil le met au firmament malgré sa jeunesse. On peut aimer les vieux Private Cuvée pour leurs douceurs, mais le Clos du Mesnil est transcendantal, quelle que soit sa jeunesse. J’adore ces mises en perspective. Les vieux sont charmants, tout en douceur, accueillants, et le jeune d’Artagnan, à qui on conseillerait de vieillir, montre que bon sang ne peut mentir.

Au final j’ai classé en 1 – Champagne Krug Private Cuvée années 50 au meilleur niveau, 2 – Champagne Krug Clos du Mesnil 2002, 3 – Champagne Krug Private Cuvée années 50 au plus bas niveau. Il est inutile de dire que les trois sont de pures merveilles. C’est une grande joie de les partager avec mon fils.

deux couleurs différentes de capes

deux longueurs différentes de bouchons

Dîner avec un vin provenant de la cave du Bern’s Steak House mardi, 9 octobre 2018

Le soir, c’est le grand moment pour fêter les 273 kilomètres du cross de mon fils. J’ai choisi un champagne que j’adore dans des versions plus âgées, le Champagne Krug Clos du Mesnil 2002. Ça fait drôle d’avoir un pschitt aussi sensible avec un champagne, car il est rare que j’en boive d’aussi jeunes. Le nez est particulièrement intense et minéral. En bouche, il est très vert car il est très jeune, mais la noblesse de ses complexités est remarquable. Le plat est un osso-buco avec des tagliatelles.

J’ai ouvert un vin qui a une belle valeur sentimentale parce qu’il m’a été offert par Brad Dixon le célèbre sommelier du Bern’s Steak House à Tampa, restaurant où je suis allé chaque fois avec mon fils. Brad me l’a offerte parce que nous avions sympathisé en choisissant ensemble dans sa cave des vins centenaires. Il s’agit d’un Châteauneuf-du-Pape Pierre Ponnelle Négociant à Beaune (Abbaye de Saint-Martin) 1961. Cette demi-bouteille provient de la cave du Bern’s Steak House acquise auprès de l’importateur Consolidated Distributors of Tampa qui a indiqué sur la petite étiquette « Red Burgundy Wine », ce qui est peu à-propos. Le nez du vin est très intense, profond, et racé. Le vin est vif. Mon fils estime qu’il fait son âge mais je trouve que sa vivacité et sa profondeur correspondent à un vin qui est deux fois plus jeune que 1961. Il est riche, rhodanien, bien structuré et d’une longueur que je n’imaginais pas à ce nouveau. C’est un concentré de qualités.

J’aime les hasards ou les signes : le bouchon de ce vin au moment où j’ai enlevé la capsule, a montré une lettre X couvrant presque toute la surface. Etant un « X », qui plus est de la promotion 1961, j’ai pensé que ce vin que je voulais boire avec mon fils en raison du succès de sa course et en raison des beaux souvenirs communs au Bern’s Steak House, m’envoyait un signe de bonheur.

Le champagne a pris la suite après le bel intermède du vin du Rhône et s’étant épanoui dans le verre il montre sa grâce délicate. Il en restera encore pour demain et il est à peu près sûr qu’il sera encore meilleur. Je suis content d’avoir ouvert ces deux vins pour mon fils, car les symboles comptent autant que les goûts, même quand, comme ce soir, ils sont grands.

X 61 (comme moi)

Déjeuner avec mon fils et un champagne inconnu dimanche, 7 octobre 2018

Cela fait presque deux mois que je n’avais pas revu mon fils qui vit à Miami. Pendant l’été, nous avions partagé de longs moments dans ma maison du sud où tous mes enfants et petits-enfants se sont retrouvés à un moment ou à un autre, pour la plus grande joie de ma femme et moi. Entretemps, mon fils a participé avec deux cadres de mon entreprise industrielle à la course la plus folle qui existe, de 270 kilomètres en cinq jours, sur des sols escarpés et souvent sableux autour de Las Vegas, en autosuffisance pour ce qui concerne les vêtements et la nourriture. Je n’imaginais pas que mon fils en soit capable mais en fait les trois compères, après moult souffrances et envies d’abandon, ont réussi l’épreuve.

Dans ce contexte, j’ai décidé que ce soir nous ouvrirons une très grande bouteille, car ce sont des circonstances exceptionnelles (il faut bien se trouver des excuses d’ouvrir grand). Le déjeuner qui fait suite à l’arrivée de son avion sera plus simple. Ma femme a prévu des fromages, comté, chèvre, saint-nectaire et camembert. J’ouvre un Champagne René Renard Premier Cru Brut qui doit être des années 40. Il vient d’Avenay Val d’Or près d’Aÿ. Sur l’étiquette, on parle de ses médailles d’argent de 1934 – 1935 – 1936 et 1937. La capsule est neutre avec pour seule indication « Champagne » et le bouchon se vrille lorsque je le tourne et se brise. La lunule du bas vient au tirebouchon, sans créer de pschitt.

La couleur est d’un ambre léger, presque rosé. La bulle est présente. Le champagne est très agréable, joyeux, fait de fruits roses et jaunes. La personnalité est belle et le champagne est confortable. Contre toute attente, c’est avec le chèvre que le champagne s’accorde mieux. Il n’a aucun défaut d’âge et même si le message est assez simple, c’est un champagne de plaisir.

Il restait du récent dîner au restaurant Pages un fond du Chypre 1869. Il a juste cent ans de plus que mon fils aussi est-ce émouvant de le boire ensemble. J’avais été légèrement contrarié par une trace camphrée aussi bien dans le parfum que dans le goût. Cette trace, même si elle subsiste, est considérablement atténuée et le beau gras d’un liquoreux onctueux triomphe maintenant. C’est tout ce qui fait le bonheur des vins de Chypre que ces saveurs réglissées, poivrées, où la pâte de fruit est doucereuse. Le vin a une longueur infinie et nous trinquons au plaisir de nous revoir après cet exploit sportif de mon fils.

c’est assez curieux que la petite étiquette « Brut » ne soit pas centrée

j’adore cette coupe de champagne qui déborde et qui n’est pas droite mais déborde quand même du mauvais côté aussi

fonds de bouteille superbe du Chypre 1869

Incroyable dîner à 18 mains par 9 chefs japonais au Passage 53 mardi, 2 octobre 2018

On pourrait présenter ce dîner à la façon d’un camelot qui vend des produits ‘indispensables’ sur les grands boulevards : ‘mesdames et messieurs, je peux vous inscrire à un dîner fait par deux chefs, ce qui fait quatre mains, je peux vous en proposer un à trois chefs, soit six mains ou à quatre chefs ce qui fait huit mains’. Et ce camelot serait bien loin du compte car ce soir avec ma femme, nous allons participer à un dîner à 18 mains, puisque neuf chefs vont composer un menu exceptionnel au restaurant Passage 53. Il s’agit d’un dîner caritatif pour aider les victimes d’un accident climatique qui s’est produit au Japon. Neuf chefs japonais parisiens se sont associés à cette bonne œuvre par le biais de ce repas.

Le menu indique entre parenthèses et en gras les noms des restaurants où officient ces chefs : ‘Osushi’ : thon, toro-caviar impérial de Sologne, crevette ‘botan-ebi’ (Jin) / langoustine, Makombu de Hokkaido (Passage 53) / huître de Quiberon, mousse d’oignon de Champagne (Alliance) / croquette au cœur de caviar Baeri royal de Finlande, barbue et purée de citron (Etude) / ‘Taikama’ collier de daurade royale, sauce umami à la livèche, coques (Pages) / soupe de civet de lièvre au cacao (Les Enfants Rouges) / ito wagyu, girolles sauce vin rouge (Nakatani) / tajarin classico aux cèpes (L’Inconnu) / Montblanc aux mirabelles et au yuzu, glace à la vanille (Hiroshi Mitsutake) / Mignardises (Les 3 Chocolats).

Le restaurant étant tout petit, le dîner sera en deux services, 18h30 et 20h30. Nous sommes inscrits à 20h30 et comme on pouvait l’imaginer, en arrivant à l’heure prévue, le premier service n’est pas terminé. Aussi est-il prévu que l’on puisse grignoter des tapas dans l’allée du Passage des Panoramas. Il est prudent de ne pas le faire car le dîner sera copieux, mais je me laisse tenter par une coupe de Champagne Delamotte Brut sans année délicieux, servi par Katsutoshi Kondo, l’heureux propriétaire du restaurant Sagan, à la tête d’une magnifique cave de vins anciens.

On pénètre enfin dans le restaurant dont la cuisine est au premier étage, communiquant avec la salle par un escalier en colimaçon qui interdit que se croisent ceux qui montent et ceux qui descendent, tant il est étroit. Alors, imaginez neuf chefs venant apporter les assiettes de leurs plats, cela fait un va-et-vient digne d’un ballet d’opéra. L’ambiance est enjouée et Guillaume Guedj, qui dirige le Passage 53 règle tous ces mouvements avec calme et bonhomie. Les vins sont des cadeaux de vignerons qui s’associent à cette bonne œuvre.

Le Champagne Initial de Selosse dégorgé en 2017 est très pur, direct et fluide il est sans concession et c’est le caviar de Sologne qui canalise son énergie dans un accord superbe même s’il est classique.

Le Saké pétillant Shuhari Yamada Nishiki Matsumoto Shuzo est assez neutre et convient bien à la délicieuse langoustine raffinée et délicate du cuisinier du lieu. Les fines lamelles de radis sont une signature du chef et apportent de la vivacité. On ne se rend pas compte que le saké titre 15°.

Alors que je suis généralement partisan de manger les huîtres pures sans aucune ajoute et aucune transformation, je suis très impressionné par cette huître en trois saveurs. Elle est délicieuse et le Chablis Villages Vincent Dauvissat 2012 est très agréable dans sa simplicité, même si un Grand Cru aurait apporté un supplément d’âme au plat. Car ce chablis est un peu court pour l’huître intelligente.

Le Meursault Clos de la Barre Domaine des Comtes Lafon 2011 est agréable sans être tonitruant. Il trouve un bel écho avec un caviar finlandais dont j’ignorais qu’il puisse exister. La présentation d’une coque en forme de cromesquis est un peu ferme et n’ajoute rien au goût du caviar. Le vin accompagne aussi la daurade, plat d’une grande originalité puisque l’on a la tête du poisson sur l’assiette mais aussi à cause des goûts d’un rare raffinement dont la sauce umami. Le meursault accompagne bien ce plat.

La soupe de civet de lièvre est pour mon goût le plat le plus gourmand de ce repas. On boit la sauce comme si l’on croquait le civet. Ce plat est fabuleux. Le Château Lagrange 2013 est un peu frêle pour un plat aussi puissant aussi, à ma demande, Guillaume Guedj sert à sa place à notre table un Gevrey-Chambertin Vieilles Vignes Sérafin Père & Fils 2005 qui est généreux et gouleyant, très adapté au plat.

Le wagyu est d’une grande qualité, bien gras et le Morey-Saint-Denis Clos de la Bussière Domaine Georges Roumier 2002
est une merveille de précision et de délicatesse sur la lourde viande. C’est un bonheur. Le service des cèpes est une aimable respiration après les viandes.

Le Champagne Aÿ Grand Cru Henri Giraud MV 12 à mon goût fait un peu commercial, un peu trop passe-partout, mais je sais que je suis sévère car ce n’est pas ma gamme de goûts. Les desserts n’accrochent pas autant notre attention que les autres plats car nous avons dîné de bon appétit.

Il y avait dans la salle des gourmets, jeunes et souriants, connaisseurs des restaurants représentés. Guillaume Guedj a été un hôte parfait. Les neuf chefs ont joué le jeu dans la bonne humeur avec une solidarité exemplaire. Les mets ont montré que la cuisine japonaise parisienne est de très haut niveau. J’ai particulièrement aimé le civet de lièvre en soupe, le caviar du début, la daurade, l’huître et la langoustine. Mais tous les autres plats étaient de très haute qualité. Il faut multiplier de telles expériences car elles doivent être enrichissantes pour les chefs comme elles le sont pour les hôtes ravis que nous fumes.

Dîner d’amis au nord de Bordeaux avec un Haut-Brion 1928 qui m’a envoûté mardi, 2 octobre 2018

Ravi de cette étape qui m’a permis de déjeuner au château dans une salle où j’ai de grands souvenirs, d’avoir eu un dialogue fécond avec le chef et d’avoir mis en lieu sûr mes vins, j’ai repris la route pour me rendre à l’endroit où Tim, ami américain, fêtera ses 50 ans. Le GPS une fois de plus me fait visiter la France profonde et j’arrive à 20 kilomètres au nord de Bordeaux devant un château qui, de loin, paraît à l’abandon. C’est une demeure du 19ème siècle encadrée de deux tours pointues, un peu à la façon du château de Pichon Baron de Longueville. Les abords du château sont peu entretenus et il y a des tentes bizarres pour d’éventuels campeurs. Il n’y a personne à l’accueil et ce sont des amis de Tim qui vont m’orienter. L’intérieur est assez curieux, de décoration sommaire et j’ai la chance que l’on m’ait attribué une chambre immense et haute de plafond avec une salle de bain minimaliste dans une des tours.

Nous serons quinze pour fêter Tim. A 17 heures quand j’arrive, de nombreuses bouteilles ont été ouvertes. J’ai prévu d’offrir à Tim deux vins qu’il peut garder comme cadeau mais il préfère que je les ouvre. J’aide à l’ouverture d’autres bouteilles et alors qu’il y a déjà profusion, un des amis apporte un jéroboam de 5 litres de Château Ausone 1982. Quel cadeau ! Les amis arrivent petit à petit. Chacun prend ses marques dans le château et il est curieux que nous soyons laissés à nous-mêmes. Les propriétaires ont mis cette demeure en location pour des fêtes, sans s’en occuper et sans être présents. Tim a trouvé un traiteur pour le dîner.

Après une douche réparatrice car je me suis levé ce matin à 5h30, je rejoins notre groupe cosmopolite puisque six pays sont représentés, dont Etats-Unis, Grande Bretagne, Canada, Algérie, et d’autres et tous sont des amateurs de vins qui se sont connus sur le forum « Bordeaux Wine Enthusiasts ». L’apéritif se prend dans le grand salon billard avec un Champagne Drappier Brut qu’un des amis est allé acheter chez un épicier du village car personne n’avait apporté de champagne. Ce champagne est une belle surprise car il est franc, gourmand et vif. Il est porteur d’une belle émotion. Il se passera un phénomène étrange qu’un ami ressent comme moi. Autant dans l’atmosphère de l’apéritif j’ai aimé ce champagne vif, autant à table, assis, je l’ai trouvé plus banal. Pourquoi ce changement ? Affaire d’atmosphère ? Je ne sais pas.

Le repas est de coquilles Saint-Jacques présentées sur du riz noir, des filets de pintade sur une purée de céleri, de brillants fromages choisis par Ed qui est expert en fromages et un dessert que je n’ai pas mémorisé et qui n’apportait rien aux Yquem. La très jolie serveuse a présenté les plats en un anglais parfait ce qui est à signaler. Je n’ai pas pris de notes aussi les commentaires de mémoire seront succincts.

Le Meursault Hospices de Beaune Cuvée Jehan Humblot Albert Bichot 1995 est très agréable et vif, très frais à boire. Tim nous fait un cadeau immense en partageant une bouteille de Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2003. La puissance de ce vin est extrême ainsi que sa profondeur. C’est dans le même corps une anamorphose de Sylvie Guillem et Mohamed Ali. On ne peut qu’être impressionné par ce vin si riche et si émouvant.

Le Bahans Haut-Brion 2005 n’apporte pas beaucoup d’émotion. Sachant l’ampleur du programme, je ne cherche pas à mieux le comprendre. Le Château Haut-Brion 1978 se présente curieusement fatigué. Il a des amers de vieux vin et ne correspond pas à ce qu’il devrait être ce qui est confirmé par la série des deux vins qui suivent.

Le Château Haut-Brion 1953 correspond à la définition du Haut-Brion dans son essence. Il a une forte charpente truffée, il est riche et carré, solide et bravant l’histoire. A côté de lui, le Château Haut-Brion 1958 est beaucoup moins archétypal. Il est plus frêle, plus frais mais possède un charme tout particulier et une belle longueur. Je ne l’aurais pas attendu à ce niveau de grâce. Et c’est bien difficile de choisir entre les deux, même si le 1953 est le plus Haut-Brion.

La série suivante est de deux vins légendaires. Le Château Haut-Brion 1989 est plébiscité par tous les amoureux du vin autour de la table parce qu’il est parfait. Il est effectivement doué de toutes les qualités mais pour moi il est une promesse. Il va progresser tellement que je ne le ressens qu’en devenir. Et c’est sur le deuxième vin de cette série que je vais avoir un choc d’une force inouïe.

Le Château Haut-Brion 1928 est d’une bouteille sale, opaque, au niveau très bas. Le nez n’est pas parfait et peu d’amis le comprennent comme je peux l’appréhender, prometteur de merveilles. En bouche je reçois un coup de poing d’une rare intensité. J’ai en bouche un vin d’une émotion aussi forte que les plus fortes. C’est insensé le plaisir quasi orgasmique que je prends avec ce vin qui n’est pas parfait mais qui offre le plaisir parfait. On peut imaginer deux lourds rideaux de théâtre, qui sont de charbon et de truffe. Les pans du rideau s’écartent et apparaît un diablotin qui est de fruits rouges. L’explosion du fruit sous la chape de saveurs noires est inouïe. Mes voisins de table me voient prendre ma tête dans mes mains, stupéfait de ce goût unique, idéal, le goût que l’on rêve. Je n’en reviens pas d’être touché à ce point, quasiment groggy. Ce vin est un miracle et je ne comprends même pas comment il a pu décocher une flèche au centre de mon cœur. Il a fallu de longues minutes avant que je ne redescende sur terre. J’ai vécu un moment transcendant avec un vin à l’émotion infinie.

Tim m’avait demandé s’il fallait ouvrir le Château Lafite-Rothschild 1968 de son année de naissance qui est une des pires du siècle. J’avais envie d’y croire, mais même s’il y a des suggestions de Lafite, la couleur et la fatigue signent un vin imparfait et fade.

Le Château Léoville Las Cases 1945 que j’ai offert va-t-il m’embarquer sur les mêmes Olympes que le 1928 ? On n’en est pas loin car ce Léoville est absolument parfait, d’un équilibre qui n’appartient qu’aux grands 1945. Il est très grand riche, équilibré, complexe, et s’il ne crée pas l’émotion du 1928, il est quasiment parfait.

Le Château Rausan Ségla Hannapier 1948 est le deuxième vin que j’ai offert et comme le 1945 il a dans la bouteille un niveau à la base du goulot ce qui est exceptionnel. C’est une très belle surprise car il est pur et précis, mais évidemment, après le 1928 et le 1945, c’est assez difficile de s’imposer.

Le Château Ausone Jéroboam 1982 est d’une jeunesse incroyable. Il est équilibré, cohérent, fluide et n’a pas tellement la typicité de saint-émilion. Il est agréable et comme la fête continue demain, mais sans moi, il aura avec l’aération un charme redoutable.

Les deux vins italiens, le Gaja Barbaresco 1964 et le Gaja Barbaresco 1967 sont remarquables. Très typés ils ont beaucoup de charme. Le 1964 est plus puissant et le 1967 plus fluide et charmeur. Je suis impressionné par la belle personnalité de ces deux vins, aux goûts peu conventionnels.

Comme les vins italiens les Yquem viennent par deux. Le Château d’Yquem 1976 est superbe et je l’adore, Yquem très droit et bien construit. Le Château d’Yquem 1967 a plus de complexité et il fait du hors-piste car il nous entraîne dans des tonalités lascives. Je serais bien embarrassé de dire lequel je préfère car même si le 1967 est plus haut dans l’échelle des célébrités, le 1976 est si bien construit qu’il donne aussi un grand plaisir.

Entre amateurs de vin les discussions sont toujours passionnantes et ces amis de tous pays sont charmants. Tim a soufflé quelques bougies. Sa générosité extrême a été applaudie. Il se souviendra toujours de cet anniversaire aux vins prestigieux. La fête continuera demain dans ce château si particulier.

Après une nuit réparatrice et un petit-déjeuner improvisé avec les premiers levés, je suis reparti à Paris, ne comprenant toujours pas pourquoi le Haut-Brion 1928 a eu en moi, physiquement, la résonance d’un vin parfait. Des émotions d’une telle magnitude sont rares. Mon ami canadien en face de moi n’en revenait pas de me voir si ému. La vie est belle !

Le chateau

ma chambre

les vins déjà ouverts quand j’arrive

Meursault Hospices de Beaune Cuvée Jehan Humblot Albert Bichot 1995

Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2003

Bahans Haut-Brion 2005

Château Haut-Brion 1978

Château Haut-Brion 1953

Château Haut-Brion 1958

Château Haut-Brion 1989 (provenant de la cave du Palais de l’Elysée)

Château Haut-Brion 1928

Château Lafite-Rothschild 1968

Château Léoville Las Cases 1945

Château Rausan Ségla Hannapier 1948

Château Ausone Jéroboam 1982 et son énorme bouchon

Gaja Barbaresco 1964

Gaja Barbaresco 1967

Château d’Yquem 1976

Château d’Yquem 1967

le dîner

l’anniversaire !

les bouteilles en fin de repas

le lendemain matin les croissants arrivent au moment où je dis au revoir. Tant pis !

Déjeuner au restaurant Le Gaigne mardi, 2 octobre 2018

Tim est un américain que j’ai connu par un forum américain sur le vin au début des années 2000. Nous nous sommes rencontrés de nombreuses fois, d’abord aux réunions que le forum BWE (Bordeaux Wine Enthusiasts) organisait à New York puis lors d’un voyage que des membres du forum ont fait en Bourgogne puis dans le bordelais. Nous nous sommes revus ensuite pour partager de bonnes bouteilles à Paris, à Londres et aussi à l’académie des vins anciens dont il est devenu fidèle. Il va fêter ses cinquante ans à Bordeaux et a invité de nombreux membres américains du forum que je connais. Certains sont à Paris plusieurs jours avant l’événement et je vais déjeuner avec Ed et Lisa, couple d’américains de San Francisco que je connais bien car ils ont notamment participé à un de mes dîners pendant leur voyage de noces.

Le restaurant que j’ai choisi est le restaurant Le Gaigne que m’a fait connaître Tim. Il est convenu qu’Ed et moi apportons une bouteille chacun. J’arrive en avance d’une heure pour ouvrir mon vin. Je suis accueilli par Régis qui est heureux de me voir et se souvient de quelques repas mémorables où avec des amis nous avons ouvert de grands vins. J’ouvre le Château Tertre Daugay Saint-Emilion 1961. Le bouchon est d’un liège superbe et le parfum du vin est très riche, pointu, l’archétype d’un saint-émilion concentré.

En attendant mes amis, je bavarde avec Aurélie, la femme de Mickaël Gaignon, le chef du restaurant. Elle a suivi des cours d’œnologie et gère la carte des vins intelligente du restaurant. Quand mes amis arrivent, Ed me donne le choix entre un Pinot Noir californien et un Cabernet Sauvignon Dunn Vineyard Howell Mountain Napa Valley 1999. C’est ce vin que nous boirons.

Pour commencer le repas nous prenons un Champagne Joseph Perrier Blanc de Noirs Brut Nature 2009. Nous hésitions entre le 2008 et le 2009 et il nous a semblé que si le 2008 a un plus grand avenir, le 2009 serait plus accessible maintenant. Ce 2009 est direct, franc, et son message est limpide. L’absence de dosage lui va bien. Il a été dégorgé en juillet 2017. Les amuse-bouches sont nécessaires pour qu’il s’élargisse. Il est très plaisant.

Le tartare de saumon est excellent et sa préparation est délicate. Le champagne est plaisant par sa franchise. Il est de bel équilibre et précis. J’ai pris un délicieux poisson alors que mes amis ont choisi la pintade. Le Château Tertre Daugay Saint-Emilion 1961 au nez très expressif et profond me gêne sur les premières gorgées par une impression glycérinée, mais elle disparaît rapidement. Le vin est complexe, doux, relativement peu puissant mais d’un grand charme.

Le Cabernet Sauvignon Dunn Vineyard Howell Mountain Napa Valley 1999 a un nez très précis qui n’est pas très éloigné de celui du bordeaux, peut-être un peu moins profond. Le vin est très équilibré, facile à vivre, mais il a un certain manque de complexité. Il est rond, agréable, mais il n’entraîne pas dans des zones d’émotion que peut offrir le 1961. Je suis favorablement impressionné par l’équilibre de ce vin. Un munster de bon affinage forme avec le saint-émilion un accord que j’apprécie.

L’accueil de ce restaurant mérite les éloges. Aurélie, Régis sont des connaisseurs en vins et c’est un plaisir de les voir accompagner le repas. La cuisine de Mickaël Gaignon est de grande qualité. Dans ce restaurant, on se sent bien.

On devrait toujours ouvrir les champagnes la veille lundi, 10 septembre 2018

Le lendemain à déjeuner, d’autres amis nous rejoignent à la maison. L’apéritif contient des amuse-bouches similaires, dont l’anchoïade sur des gressins, des olives noires, des petites tomates du jardin et des biscuits italiens au poivre noir. Il restait du Champagne Dom Pérignon 2004 ouvert hier. Il a manifestement profité de la nuit car il a une belle bulle fine très active et paraît nettement moins dosé. Il est vif et floral et me plait beaucoup plus.

L’entrée est un foie gras agrémenté de kumquats confits du jardin et d’une gelée de coquelicot. Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2005 est un champagne très agréable. Il a l’esprit d’un blanc de blancs dans une belle définition. Généreux, droit, flexible, il cohabite agréablement avec le foie gras.

Sur des côtelettes d’agneau, nous buvons le reste du Vosne-Romanée 1er Cru Les Chaumes Prince S. H. de Bourbon-Parme 2001 qui est moins velouté que la veille et montre un alcool un peu fort. Il a des notes légèrement torréfiées qui ne sont pas désagréables, même si le vin a perdu un peu de son charme. Une tarte aux mirabelles faite par mon épouse parachève ce déjeuner d’amitié.

Le lendemain, je bois le reste du Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2005. Plus vif, plus cinglant, il incarne la noblesse du blanc de blancs. Il est beaucoup plus conforme au souvenir que j’en avais, d’un champagne très grand, généreux et noble. Alors ? On devrait toujours ouvrir les champagnes la veille !

Belle surprise d’un Vosne-Romanée samedi, 8 septembre 2018

Des amis viennent dîner dans notre maison du sud. Dès 17 heures j’ouvre les vins. Le menu comprenant des langoustines et des dos de cabillaud j’ouvre un vin blanc, un Châteauneuf 1991. Le bouchon est le pire qui soit. Avec le tirebouchon, je retire un carottage du centre du bouchon. Avec une longue mèche torsadée, je ne relève que des miettes car le bouchon est totalement collé au verre. Avec un couteau fin je décolle le bouchon du verre en faisant attention à ce que le bouchon ne tombe pas dans le vin, mais je ne peux empêcher que des miettes tombent. Je nettoie tout ce qui doit l’être et je sens. Normalement, je n’aime pas que l’on dise qu’un vin est madérisé lorsque l’on confond évolution et madérisation. Mais là, force est de reconnaître que ce 1991 est l’archétype du vin madérisé. Je le ferai goûter ce soir, pour l’expérience, mais j’ouvre un chablis de 2002 au parfum idéal. C’est aussi le cas du vin rouge de 2001. Nous boirons bien.

Les amis arrivent au quatrième top de 20 heures. L’apéritif va consister en de petites sardines, des tranches de saucisson, des olives noires, une délicieuse anchoïade, des petits biscuits italiens au poivre noir, un gouda à la truffe et un gouda au pesto. Le Champagne Charles Heidsieck Brut sans année doit être des années 70. Au moment de relever le bouchon qui vient entier, des petites bulles éclataient le long du bouchon, signe que le pétillant est bien là. La couleur est ambrée, la bulle quasi inexistante. C’est un champagne ancien, doucereux, au joli fruit brun, mais dont le message est trop monocorde. Il est agréable et cohabite bien avec les saveurs variées de l’apéritif, mais il lui manque un peu de vivacité et d’émotion.

Dès que j’ouvre le Champagne Dom Pérignon 2004, on grimpe dans l’échelle des saveurs, car ce champagne est vif, joyeux de se montrer fringant. Il a un dosage qui le rend assez doux, mais c’est un champagne complexe et plein de charme d’une belle longueur. Il y a toujours de la joie et du romantisme dans les jeunes Dom Pérignon.

Nous passons à table et sur des langoustines accompagnées de betteraves blanches, de fleurs comestibles et d’une huile d’olive parfumée à la mandarine, je sers le Châteauneuf-du-Pape Domaine de Cristia 1991 que j’annonce madérisé. Par rapport à ce que j’avais senti à l’ouverture, le vin a fait de réels progrès parce qu’il serait buvable, mais nous n’insistons pas.

Et nous avons raison, car le Chablis Grand Cru Moutonne Domaine Long-Dépaquit Albert Bichot 2002 est au sommet de sa forme, puissant, riche en bouche, de belle mâche, avec de très agréables complexités et une minéralité délicate de galets qui roulent dans des torrents d’été. Les langoustines sont fondantes et l’accord est idéal, la trace de mandarine titillant le vin. Le dos de cabillaud est d’un goût très typé qui s’accorde bien au chablis.

Le camembert Jort est un rite que nous avions peu pratiqué cet été. Celui que nous goûtons est d’un affinage idéal. Le Vosne-Romanée 1er Cru Les Chaumes Prince S. H. de Bourbon-Parme 2001 est une immense surprise car je n’imaginais pas ce vin à ce niveau de grâce et de subtilité. Ce vin est un pur velours. Il cohabite bien avec le camembert, mais il se boit aussi bien seul, comme un nectar velouté. Il est d’une noblesse raffinée. Quel plaisir !

Des petits fours sucrés délicieux s’accompagnent de champagne, de vin rouge ou d’eau, au gré de chacun, tandis que les conversations se poursuivent, marquées par la joie de retrouvailles. La belle surprise est celle de ce Vosne-Romanée que je découvrais, dont j’ignore comment il est parvenu dans ma cave.

pour le Châteauneuf-du-Pape on voit à quel point le bouchon a été creusé par le tirebouchon qui a fait de la charpie

le fameux camembert Jort !

dîner au restaurant de l’hôtel du Castellet vendredi, 7 septembre 2018

Valérie Costa était chef du restaurant La Promesse, qu’elle dirigeait avec son mari Jean-Marc. Ils ont pris une décision d’une importance extrême pour leurs vies : ils ont vendu tout ce qu’ils possèdent pour aller diriger la restauration d’un hôtel de luxe dans une minuscule île polynésienne. La probabilité de les revoir s’amenuise, aussi ma femme et moi les invitons à dîner au restaurant de l’hôtel du Castellet. Valérie connaît depuis toujours Christophe et Alexandra Bacquié. Le chef a obtenu depuis quelques mois sa troisième étoile. C’est aussi l’occasion de voir comment a évolué sa cuisine, à la suite de sa promotion.

L’hôtel est installé dans un vaste espace de verdure puisque le parcours de golf est en continuité immédiate de la pelouse. La terrasse propre au restaurant gastronomique est agréable et spacieuse. Etant arrivé en avance, je bavarde avec le chef-sommelier Romain Ambrosi pour choisir les vins du repas, sachant que j’ai été autorisé à apporter une bouteille.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2006 est d’une belle opulence, joyeux, facile à vivre. J’aurais tendance à penser que le 2005 est plus vif que celui-ci. Le 2006 est très agréable mais manque peut-être de vibration. Il est presque trop confortable. Il va convenir parfaitement aux préparations d’apéritif.

Dès la première bouchée d’un minuscule gâteau d’une recette locale, on sent que l’on est dans le plus haut niveau gastronomique. Toutes les saveurs sont claires, lisibles, précises et compréhensibles. Dans les diverses présentations aucune complexité n’est présente pour être complexe, mais pour être cohérente avec les saveurs qui l’accompagnent. Ça s’annonce bien. On se régale.

Nous passons à table dans la salle à manger à la décoration minimaliste et assez froide. Deux menus sont possibles et le nombre de plats par repas peut varier. Nous prenons le menu « au fil des années » à cinq plats : aïoli moderne, légumes de nos maraîchers locaux, poulpe de Méditerranée / Gambon écarlate juste snacké, la quintessence des têtes / saint-pierre en filet, jus d’oignon, huile de tagète / pigeonneau au sang « excellence Mieral » cuit en pâte à sel épicée, jus acidulé au vinaigre de myrte sauvage / le pamplemousse, eau à la baie des Batak / soufflé chaud Cazette, crème glacée aux grains de café torréfiés.

En attendant le premier plat, on nous offre un pain absolument gourmand que l’on peut accompagner d’un beurre de bonne qualité et d’une fleur d’huile exceptionnelle du moulin du Partégal à La Farlède, huile bio.

Le Champagne Philipponnat Clos des Goisses 2005 est beaucoup plus vif et tranchant que le Taittinger. En fait, ce sont deux champagnes très différents, qui ne visent pas les mêmes émotions. Le Taittinger est confortable et le Clos des Goisses est hautement gastronomique. Il réagit à chaque saveur. L’aïoli est délicieux et les morceaux de poulpes dont divins.

Valérie et Jean-Marc veulent offrir un vin blanc et commandent un Puligny-Montrachet Domaine de la Vougeraie 2015. Ce vin, bien que jeune, a une acidité d’un rare équilibre. Il offre des bouquets de saveurs raffinées et il va provoquer le plus bel accord de la soirée en étant associé à un superbe saint-pierre. Je suis aux anges face à ces subtilités de grande délicatesse. Le vin blanc est absolument plaisant par le dosage de ses variations gustatives. Nous vivons un grand moment de bonheur.

Le pigeon est joliment présenté, mais la chair des suprêmes manque un peu de mordant. J’aime le pigeon un peu plus sauvage. Le Vega Sicilia Unico 1989 que j’ai apporté est d’une belle richesse. C’est un vin plein qui trouve avec la cuisse de pigeon une résonnance beaucoup plus forte qu’avec les filets. Le vin espagnol est noble, mais il n’a pas la fraîcheur mentholée que j’adore, qui est offerte par de plus jeunes millésimes.

Il reste suffisamment de vin pour que nous allions regarder du côté des fromages. Une salle leur est consacrée, comme une cave à température contrôlée où mûrissent de très nombreux fromages. Jean-Marc a pris une variété de fromages plus large que ce que les vins peuvent accepter alors que je me suis concentré sur des goûts très proches de ceux du camembert, pour accompagner le Vega Sicilia.

Vient alors le temps des desserts. Tout est tentant, le pamplemousse aussi bien que le soufflé chaud, mais dans un ballet qui n’en finit pas on nous a servi des dizaines de desserts plus aguichants les uns que les autres. Le dicton affirme : « abondance de biens ne nuit pas ». C’est faux, car cette avalanche de desserts gourmands est excessive. Trop, c’est trop pour nos capacités d’absorption.

Que dire de cette expérience dans ce restaurant ? Romain est un sommelier sympathique et très compétent. C’est un plaisir de vivre le repas avec son service et ses conseils. Dans la carte des vins très bien fournie il y a évidemment des prix exorbitants, mais il y a aussi un très grand nombre de vins à des prix mesurés. Des bonnes pioches sont possibles.

Christophe Bacquié fait une cuisine qui est réellement de trois étoiles. Les goûts des amuse-bouches de l’apéritif sont d’une précision qui fait plaisir. La soupe de poisson servie dans un verre est une merveille, très typée. L’aïoli est une belle réussite notamment par les poulpes. Le saint-pierre est magnifique et goûteux splendidement aidé par le Puligny. Pour mon goût le pigeon n’était assez sauvage, les fromages un peu trop affinés, et les desserts trop copieux. Ces remarques sont « à la marge », car ce dîner fut de très haut niveau. La salle à manger mériterait une décoration plus moderne et plus vive.

Lorsque nous reviendrons ici, car nous en avons envie, nous penserons à Valérie et Jean-Marc qui vont s’installer sous des cieux où il fait toujours beau, où les gens sont souriants, et où ils pourront développer une belle cuisine au bout du monde.

Comme Arnaud Donckele de la Vague d’Or qui a aussi trois étoiles, Christophe Bacquié appuie sa cuisine sur ses racines et son histoire. La quête de l’authenticité historique des recettes et des goûts est certainement un facteur qui participe au succès de ces deux chefs.

la salle des fromages

les desserts (quelques uns)

1973 a fait de beaux champagnes jeudi, 6 septembre 2018

Une amie vient nous rendre visite dans le sud. Elle a apporté divers cadeaux dont une anchoïade et une tapenade. L’appel au champagne est évident pour l’apéritif. Je choisis un Champagne La Royale Charles Heidsieck 1973. Il était très prévisible que le bouchon se brise lorsque l’on veut le tourner, la lunule du bas se désolidarisant. C’est le cas. Je prends mon tirebouchon pour extraire ce disque de quelques millimètres d’épaisseur, et c’est la première fois, je crois, que je ne relève qu’un disque beaucoup plus petit, d’un diamètre inférieur, ce qui laisse comme une auréole qui continue de coller au goulot. Cette auréole est levée avec la mèche longue qui me sert à la suite du tirebouchon.

La couleur du champagne est d’un ambre clair, doré comme un blé d’été. La bulle est rare mais le pétillant est vif. Le champagne pétille sur la langue. Il a une très jolie maturité avec des accents miellés et des évocations de fruits jaunes délicats. La couleur influence l’impression de mâchonner des blés d’été. Ce Charles Heidsieck est d’une rare flexibilité avec la délicieuse anchoïade, du saucisson, du gouda au pesto, mais ce qui est le plus impressionnant, c’est l’accord qu’il crée avec de la poutargue, qui semble en continuité gustative absolue. L’effet couleur sur couleur joue à plein.

Le repas consiste en un plat de crevettes roses mariées à du riz noir. Ce 1973 est une belle réussite.