Deux repas avec des vins étonnantsjeudi, 17 février 2022

Mon fils vient périodiquement à Paris pour gérer la société industrielle de famille. Pour l’accueillir à son arrivée vers 13 heures, j’ouvre un Champagne Krug Private Cuvée années 60 ou peut-être plus vieux. Le bouchon parfaitement cylindrique est court. Aucun pschitt n’accompagne son extraction. Dans le verre le champagne est d’un ambre doré magnifique et ne montre aucune bulle. Mais le pétillant est là, bien présent. Le vin a une belle acidité, il est intense et dynamique. Il a des accents légers d’agrumes mais il est surtout vineux. Il est solide et généreux, au finale tonique. C’est un très grand champagne qui accompagne des chips dont à la truffe et de beaux fromages.

Nous allons ensuite nous promener dans un forêt voisine et vers 16 heures je commence à ouvrir les vins du dîner que j’envisage de faire goûter à mon fils à l’aveugle.

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1963 a un niveau convenable pour les vins du domaine de cette époque. Sous la capsule et au-dessus du bouchon il y a une forte poussière noire qui ne sent pas la terre. Le bouchon a manifestement souffert et vient presque entier. Le parfum du vin est discret mais plutôt prometteur.

J’ai dans ma cave une zone de très vieilles bouteilles difficiles à identifier. J’ouvre une bouteille mise en bouteille par Cruse et Fils comme l’indique la capsule dorée. Le niveau dans la bouteille très opaque est en dessous de l’épaule, dans la zone dite « vidange ». Le bouchon vient en charpie en une multitude de morceaux de liège très noirs. Le parfum est tellement incroyable de fruit puissant que je me méfie. Il est une expression française qui dit « trop beau pour être vrai ». Ce parfum est si brillant que j’ai peur qu’il ne s’évanouisse. Nous verrons.

Vers 18 heures j’ouvre une bouteille de Champagne Lanson 1969. Elle a une forme de quille qui est très jolie. Le fil de fer du muselet est extrêmement difficile à défaire et je suis obligé d’utiliser une pince. Un beau pschitt salue l’ouverture et la sortie du bouchon court et au miroir incliné, le miroir étant la face du bouchon au contact du liquide.

Un peu avant 20 heures nous passons à table. Le Champagne Lanson 1969 est d’un charme enthousiasmant. Si l’on voulait faire une comparaison ‘genrée’, le Krug du midi est masculin et le Lanson est féminin. Le Krug est plus noble, mais le Lanson est plus chaleureux. J’aime beaucoup les champagnes Lanson de cette époque. Sur des rillettes, le champagne est brillant.

Je sers deux verres remplis dans une pièce voisine, afin que mon fils n’ait pas d’indication. A gauche une couleur intense d’un rouge sang. A droite une couleur plus claire. Mon fils n’a pas commis d’erreur puisqu’il a cité Bordeaux et Bourgogne et ne s’est pas trompé dans les décennies des vins.

Le Bordeaux inconnu mis en bouteille par Cruse & Fils est très probablement des années 20. Ce pourrait être un Rauzan-Ségla ou un Pichon Longueville. Son parfum est resté large et généreux, tonique. En bouche c’est un vin presque parfait montrant un beau fruit rouge et une belle expression. Comment est-ce possible pour un vin dont le niveau dans la bouteille était à cinq centimètres sous le bas de l’épaule. Les vins anciens me surprendront toujours. Nous sommes subjugués par sa richesse et sa longueur. Quelle surprise !

Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1963 a un nez qui exprime le sel et c’est la bouche qui offre la rose. Il y a la délicatesse des vins du Domaine, pour une année peu expressive. Mais le charme agit. Sur de délicieux pigeons, c’est le Richebourg qui s’exprime le mieux.

Plus le temps passe et plus la couleur du vin devient riche car la densité est plus grande dans le bas de la bouteille et le vin gagne en énergie et en largeur. Le dernier verre sera presque noir avec une lie qui se boit. Bien sûr nous préférerons le vin bourguignon, mais en termes de précision et de finesse le bordeaux marque des points.

Le lendemain midi, le repas sera consacré au bœuf Wagyu. Il se trouve que je venais d’acheter deux jours auparavant deux bouteilles de Sidi-Brahim 1939. J’avais le souvenir d’un Sidi-Brahim 1942 absolument superbe et riche. Ce 1939 devrait être le compagnon du Wagyu. Au moment de l’ouvrir je regarde plus précisément l’étiquette et je vois marqué « blanc ». La bouteille est très opaque et lorsque je la mets face à la lumière, je constate qu’il s’agit d’un vin blanc. Je vérifie ma facture d’achat et effectivement le vin était annoncé blanc. Pour moi, un Sidi-Brahim est rouge, ce qui justifie que je n’aie pas vérifié, d’autant que les deux bouteilles sont complètement opaques.

Alors, c’est une tempête sous mon crâne. Vais-je ouvrir ce blanc dont je n’ai aucun repère ? Je me souviens qu’au Japon nous avions mangé du Wagyu en fines tranches cuites sur des pierres chaudes en buvant un Corton-Charlemagne de Coche-Dury et l’accord avait été divin. Je tourne dans ma tête les risques à prendre et je décide de ne pas tenter l’aventure. Je prends en cave un Santenay-Gravières Jessiaume Père et Fils 1928. Le niveau dans la bouteille est absolument parfait, de trois centimètres sous le bouchon. La bouteille est extrêmement épaisse et paraît particulièrement saine.

Le bouchon sort entier mais au lieu de glisser dans le goulot il remonte en saccades de cinq millimètres en cinq millimètres. C’est assez curieux. Le parfum est idéal.

Le vin est servi trois heures et demi plus tard et le parfum du vin est miraculeux et pur. En bouche, le gras maîtrisé du Wagyu lui donne un caractère aérien. On sent bien que ce vin n’est pas d’une appellation tonitruante, mais il a une précision et une justesse de ton qui le rendent magique. Plus le vin est servi plus il est ample et généreux. Le Wagyu est accompagné de pommes de terre grenailles et l’accord est pertinent. On ressent que le millésime 1928 a fait des vins éternels.

Mon fils préfère le Richebourg 1963 au Santenay 1928. Je mets les deux vins ex-aequo car je suis impressionné par la précision aérienne du vin le plus ancien.

En deux jours nous avons fait une belle exploration de vins anciens inhabituels. Ces vins nous réservent de belles surprises. Tant mieux.

le lendemain, le vin que je voulais ouvrir est un blanc !!!

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