Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Dîner d’anniversaire de mon ami Tomo samedi, 10 octobre 2020

C’est l’anniversaire de mon ami Tomo. Ma femme et moi sommes invités chez Akiko et Tomo à dîner. Lorsque nous arrivons Tomo m’offre un verre de Champagne Krug magnum 1979 qu’il a ouvert il y a une demi-heure. Le champagne est noble mais souffre d’une amertume un peu prononcée. Mais elle disparaît extrêmement rapidement, comme par miracle. Et ce Krug nous offre sa richesse, ses complexités et une longueur quasi infinie. C’est un très grand champagne racé.

J’avais apporté pour partager avec Tomo un Château Chalon Jean Bourdy 1911. Je l’ouvre et le parfum de noix est très fort. La couleur dans les verres est ambrée et sombre. Le vin est énergique, puissant, riche de noix et pour 109 ans, il offre un dynamisme rare. Je fais faire à Tomo et aux deux autres convives l’expérience de boire le champagne, puis le vin jaune et de revenir ensuite au champagne. Le vin jaune élargit le champagne et c’est un vrai bonheur. Frédéric est un commerçant de vins anciens que j’ai connu il y a plus de vingt ans et qui a participé à mes tout premiers dîners au restaurant Maxence de David van Laer.

En cuisine Lumi et Ken s’affairent pour préparer les mets du repas. Le jambon Pata Negra Bellota 36 mois dont Lumi a patiemment enlevé le gras est superbe pour le champagne. Nous commençons à table par un bouillon de poularde façon Païtan, chou rave et zestes de yuzu vert. Ce plat délicat accueille Un Meursault Pré de Manche Domaine d’Auvenay Lalou Bize-Leroy 2000. Ce vin combine puissance et légèreté. Il est intense et imprégnant, complexe et aussi charmeur. C’est un blanc magnifique qui n’a pas la puissance des vins de la région de Puligny-Montrachet mais a la persuasion des meursaults.

Le plat suivant est un carpaccio de Saint-Jacques, coques d’Utah Beach, caviar Daurenki, Citron Caviar. On peut essayer sur ce plat les vins déjà servis et à mon sens le plus bel accord se trouve avec le Château-Chalon puis le champagne. Les coques n’étaient pas forcément utiles pour ce plat alors que les tranches de radis apportent du croquant qui renforce l’accord coquille crue et caviar. C’est délicieux.

Nous avons ensuite des tempuras de homard au Shiso rouge, sauce bisque de homard coraillé, sur lequel apparaît un Château Lafleur Pomerol 1975. Le vin est superbe, d’une folle énergie, au goût de truffe noire et de mine de crayon. Ce vin est un seigneur. A mon sens, les queues de homard sont un peu trop grosses pour être présentées en tempura et il est sans doute préférable de les servir sans le tempura. La chair du homard est divinement cuite et se suffirait à elle-même. Elle résonne avec le pomerol de bien belle façon.

Ken a cuit deux poulardes Culoiseau en croûte de sel et d’algue Kombu, girolles poêlées, riz gluant aux marrons. Il vient les découper à notre table. Leur chair est divine de tendreté sous cette cuisson. Tomo nous montre une énorme et belle truffe blanche d’Alba qui embaume d’un parfum envoûtant et qu’il disperse en fines tranches sur nos assiettes avec une extrême générosité. Il sert alors un vin de légende, le rare et fameux Château Trotanoy Pomerol 1945. L’année 1945 est celle de la plus grande réussite de Trotanoy, comme 1947 l’est pour Cheval Blanc. Le vin est grand, mais je ne trouve pas qu’il offre la légende attendue. C’est un grand vin mais j’aurais tendance à préférer Lafleur 1975 plus vif et plus expressif. Il est évident que les deux pomerols sont très grands.

Yuki Hayato, la talentueuse pâtissière du restaurant Pages, n’est pas présente mais elle a créé un dessert Opéra au chocolat d’une qualité exceptionnelle. Tomo ouvre un Champagne Salon 1999. Il est agréable mais après les autres vins beaucoup plus anciens, il a du mal à faire sa place, comme le Champagne Roederer Cuvée Cristal Roederer 2002 qu’il ouvre ensuite, même s’il offre une largeur joyeuse.

Il est assez difficile de classer des vins aussi différents mais je vais m’y risquer : 1 – Château Chalon 1911, 2 – Château Lafleur 1975, 3 – Meursault d’Auvenay 2000, 4 – Krug magnum 1979, 5 – Trotanoy 1945. Comme toujours Tomo et Akiko ont été d’une extrême générosité.

Déjeuner de famille avec des comparaisons de vins lundi, 5 octobre 2020

Malgré la mauvaise réputation que l’on donne aux réunions de famille, qui seraient des sources de contamination très fortes, nous organisons un déjeuner avec mes deux filles, et deux petites-filles. Nous serons sept. J’ai eu l’envie de faire deux confrontations de vins. J’ouvre quatre heures à l’avance deux bourgognes, chacun de l’année de naissance d’une de mes filles. Un des bouchons, celui du 1967 vient en charpie tant il s’effrite, tout en restant collé au goulot. C’est une véritable dispersion. Il faut dire que la capsule du vin est en plastique et lorsque j’ai enlevé le haut de la capsule on voit que le bouchon a dû être attaqué par de minuscules parasites, qui ont provoqué cet égrenage. Le nez à l’ouverture est absolument superbe. Le bouchon du 1974 au contraire vient entier, sans aucune difficulté. Le parfum moins fort est tout aussi prometteur.

La première comparaison se fera entre deux champagnes Salon, le 1997 et le 1999. Selon une habitude persistante, le bouchon du 1997 est impossible à retirer à la main tant il est coincé dans le goulot. Il faut un casse-noisettes pour y arriver alors que celui du 1999 vient normalement. Les deux pschitt sont de belle énergie. Les champagnes ont été ouverts deux heures avant d’être servis.

L’apéritif consiste en des gougères faites par ma femme et des palets au parmesan aussi faits par elle, qui ont embaumé la maison de bon matin. Il y a aussi un saucisson de canard, de la tête de moine et des petites galettes goûteuses apportées par les enfants.

Le Champagne Salon 1999 est très clair, comme d’ailleurs le 1997. La bulle est abondante et assez grosse. Le vin est droit et linéaire.

Le Champagne Salon 1997 a la bulle plus fine. En bouche il est vif et large, gourmand et de belle personnalité. Au premier abord, la cause semble entendue, le 1997 est plus généreux et riche que le 1999. Mais il faut regarder plus loin. Le 1999 est très précis et il me semble qu’il est à maturation plus longue que le 1997. Je pense que dans dix ans il exprimera beaucoup mieux une personnalité plus complexe et profonde. Le 1997 est brillant maintenant et va le rester longtemps. Les deux ont un bel avenir devant eux.

Le plat principal est une pièce de veau qui est entaillée de tranches de lard et de parmesan. De petites pommes de terre en robe des champs complètent le plat. Le Chambolle-Musigny Coron Père & Fils 1967 a une couleur très foncée, un niveau parfait et un parfum intense et envoûtant. Il est riche large et gourmand. C’est un Bourgogne accompli qui n’a pas d’âge tant il est à maturité idéale.

Le Pommard Grands Épenots Michel Gaunoux 1974 au niveau aussi parfait a une couleur extrêmement claire. Le parfum de ce vin de la Côte de Beaune est excitant mais moins exubérant que celui du vin de la Côte des Nuits. En bouche, le goût est à l’opposé de celui du 1967. C’est un vin de belle râpe, sans concession, dont le côté salin évoque celui des vins de la Romanée Conti. Les deux vins sont parfaits et si dissemblables qu’il est difficile de dire lequel on préfèrerait. J’ai malgré tout une tendance à aimer les vins terriens qui ne veulent pas séduire et j’ai donc un petit faible pour le Pommard, sachant que le caractère gourmand du Chambolle-Musigny le met à quasi égalité.

Il faisait soif aussi ai-je ouvert sur l’instant un Château Mouton-Rothschild 1978 absolument superbe, le jeune premier conquérant doté aussi d’une belle sagesse qui a brillé sur les fromages, surtout sur un beau chèvre, et a accompagné poliment la divine tarte aux quetsches de ma femme.

Près de sept mois sans se voir, ce déjeuner était un besoin qu’il fallait combler. Ce fut un grand bonheur.

souvenir d’un Madère du 18ème siècle

Déjeuner au restaurant Lucas Carton mercredi, 30 septembre 2020

Charles, un ami fidèle de mes dîners, a convié des amis à l’un de mes dîners. Comme pour le 244ème dîner, ce dîner était prévu au deuxième trimestre 2020 et a dû être reporté au deuxième semestre, confinement oblige. Le dîner sera la semaine prochaine. Charles a envie de partager une belle bouteille avec moi au restaurant Lucas Carton. Il me suggère d’apporter un de mes vins. Nous nous retrouvons à deux dans le magnifique décor de Majorelle.

Charles a prévenu le chef Julien Dumas de notre présence et convenu avec lui que le menu serait fait en fonction des vins. Nous prenons un des champagnes servis au verre qui est un Champagne Pommery Cuvée Louise 2004. Il est extrêmement confortable. Droit, simple et lisible il offre un charme et une sérénité bien sympathiques.

Nous ne saurons rien à l’avance du repas, dont voici le menu : amuse-bouche à l’étrille / amuse-bouche au champignon et calamar / maigre, poire et moutarde / thon rouge, prune / Culoiselle, tournesol, pourpier / chocolat vinaigre / petits fours.

J’ai apporté une bouteille que je chéris particulièrement, un Corton-Charlemagne Jean-François Coche-Dury 2003. La couleur du vin est très claire, presque verte de jeunesse. Le parfum est un envoûtement. Il est si complexe et si fort. En bouche, le choc est extrême. On se sent projeté au Paradis. Ce vin est la perfection même, malgré sa jeunesse, car il offre des complexités infinies. Il y a des notes de citron de Menton, d’eau fraîche de montagne qui rebondit sur des pierres rondes, des touches de soleil et ce sentiment qu’il hésite entre joie profonde et stricte retenue. Il est insaisissable et si plein. Il est à l’aise avec tous les plats, devenant très large sur les champignons, et tranchant sur le thon. Ce vin parfait est un miracle.

L’un des sommeliers que je connais depuis des années m’a reconnu, ce qui a permis de discuter de la préparation du Chambertin Domaine Armand Rousseau 2015. J’ai souhaité que la bouteille ne soit ouverte qu’au moment où le vin doit entrer en scène, pour que nous profitions de l’éclosion du vin dans nos verres. C’est ce qui fut fait. Le résultat me plait énormément, car aux premières gorgées, le vin est fragile, délicat, subtil et ce n’est que plus tard qu’il s’élargit. Et ces premiers moments sont divins.

Le vin est grand, aux muscles longs comme ceux d’un coureur de marathon. Il est brillant, conçu pour un avenir radieux mais déjà joyeux et généreux. Toutes ses subtilités sont cohérentes. Il est fin et tranchant, avant de s’élargir et offrir une palette large. La poularde est divine pour le vin.

Nous avons goûté deux des vins phares de la Bourgogne, faits par des vignerons parmi les plus grands des plus grands. Chaque gorgée était un régal de raffinement.

Dès la première bouchée des petites préparations d’amuse-bouche, on sait que le chef a du talent. Tous les plats sont cohérents, même lorsqu’ils sont très osés comme les champignons présentés avec de fines tranches de calamar. Il y avait du raifort avec le maigre, et ça se concevait. Je crois n’avoir pas souvent vu un tel esthétisme dans le choix des assiettes qui portent les plats. Les subtiles couleurs sont idéales pour chacun des plats. Cette cuisine intelligente est aussi une cuisine de goût.

Julien Dumas est venu s’asseoir à notre table en fin de repas. Je lui ai dit que sa cuisine a beaucoup de points communs avec celle du Clos des Sens de Laurent Petit. C’est évidemment un compliment. Dans ce lieu chargé d’histoire nous avons passé un déjeuner de grande qualité dans une ambiance amicale et avec des vins d’exception.

Repas de famille à la maison dimanche, 27 septembre 2020

Depuis le début du confinement, il y a presque six mois et demi, une de mes petites-filles est la seule de nos six petits-enfants que nous ayons reçue. Aujourd’hui enfin, c’est le premier déjeuner de famille avec ma fille cadette et ses deux enfants. C’est important que la vie familiale reprenne.

L’apéritif consiste en Cecina de Léon, Pata Negra, une rillette et une délicieuse terrine, des têtes de moines, des crackers et des amandes. Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou magnum 1979 avait été ouvert il y a un peu plus d’une demi-heure et avait offert un pschitt significatif, même si discret. Le bouchon est d’une grande beauté, au cylindre parfait. La couleur du champagne est d’un or très clair, beaucoup plus jeune que ce que son âge offrirait normalement. Le premier mot qui vient à l’esprit est « épanoui ». Ce champagne est brillant, large, confortable et je ressens pleinement l’influence du format de la bouteille. Le format magnum donne de la largeur et de la sérénité. C’est un très grand champagne que nous buvons, gastronomique et vif, de forte personnalité. A table, le champagne accompagne la tarte aux oignons. Le caractère sucré de l’oignon convient bien au champagne qui devient plus vif.

Pour le poulet, je sers un Châteauneuf-du-Pape « Le Père Caboche » Théophile Boisson 1943. Le vin a été ouvert quatre heures avant d’être servi. Il est d’une belle couleur foncée, jeune. Son nez est très engageant et en bouche, il est d’un charme rare. Il est impossible d’imaginer qu’il a 77 ans tant il est vif et plein. C’est un vin équilibré, gourmand, riche. Un véritable plaisir. Alors qu’il est résolument rhodanien, je lui ai trouvé parfois des accents bourguignons. Il a une persistance en bouche remarquable. Il accompagne aussi un camembert et un comté d’aimable façon.

N’ayant pas de mangues disponibles, ma femme a préparé des pamplemousses roses en suprêmes. Le Château de Fargues Sauternes 1950 avait attiré mon attention car il a une couleur incroyablement foncée pour ce millésime. A l’ouverture, le vin avait offert il y a plus de cinq heures un parfum d’une rare délicatesse. La première impression est qu’il a « mangé » une partie de son sucre, mais on ressent qu’existe encore le gras qu’offre un sauternes généreux. Lorsqu’il est servi, la couleur dans le verre est d’un bel or beaucoup plus clair que sa couleur en bouteille. Le nez combine le sec et l’onctueux. En bouche c’est un régal. C’est probablement une des formes les plus abouties du sauternes car son élégance est impressionnante. Il est magnifiquement équilibré, entre le vif et le gras. Les pamplemousses roses l’excitent sans le rétrécir. C’est un régal.

Un moelleux au chocolat préparé par ma femme selon une recette de Pierre Hermé est dégusté sans vin. Les trois vins de ce repas se sont montrés au sommet de leur art. Tant mieux.

Déjeuner avec un journaliste vendredi, 11 septembre 2020

Un magazine veut faire un article sur ma façon de penser et de gérer une collection de vins. Un journaliste m’appelle et propose de me rencontrer dans le sud. Compte-tenu de ses horaires de trains, je l’invite à déjeuner dans ma maison du sud. Je ne le connais pas et je ne sais rien de ses goûts.

Il faut un repas qui convienne à tous les goûts possibles et des vins sûrement bons et faciles à comprendre, ce qui ne veut pas dire que les vins ne seront pas complexes.

Pour l’apéritif nous aurons des olives de Kalamata, des dés de mimolette, une rillette de maquereau sur du pain. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1998 a une jolie couleur de blé d’été. La bulle est active et le pschitt discret est sympathique. Dès la première gorgée on ressent que ce champagne est accueillant, équilibré, ouvert et très agréable à boire. Les olives lui donnent une tension supplémentaire et le rendent très vif, alors que la mimolette n’apporte pas de valeur ajoutée.

Nous passons à table et sur un goûteux et typé foie gras en tranches l’accord avec le Henriot est d’un classicisme parfait. Le champagne est gourmand et joyeux.

Pour le poulet accompagné d’un gratin de pommes de terre, j’ouvre sur l’instant un Châteauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 2007. Je veux montrer la procédure d’ouverture des vins anciens, mais le bouchon est tellement serré dans le goulot que je ne peux pas tirer avec ma mèche. Il faut utiliser le levier du tirebouchon limonadier. Le vin très foncé est d’une densité extrême. Il est riche, fringant, d’une longueur infinie et en même temps il est accueillant, facile à vivre et cohérent. Avec le poulet, il joue sur du velours. Nous avons pu vérifier que l’ouverture au dernier moment offre sur le premier tiers de la bouteille une vibration délicate et ciselée, alors qu’à la suite, le vin devient plus opulent et construit. J’aime les éclosions des vins jeunes.

J’avais choisi pour le fromage un époisses et un fromage au lait de chèvre recouvert de fleurs comestibles qui m’est inconnu. En les regardant, je sens que ce sera le chèvre qui conviendra et effectivement l’accord est subtil et frais, alors que l’époisses rend le vin un peu pataud. Le vin du Rhône est d’un charme extrême et d’une densité remarquable. C’est un pur plaisir.

Le dessert est une salade de fruits qui n’appelle aucun vin. Nous avons longuement discuté, le journaliste étant très intéressé à comprendre par quel cheminement le désir d’une collection a pu naître. Ce fut un déjeuner sympathique et les vins que j’avais choisis ont parfaitement joué le rôle que j’imaginais.

Magnifique Coulée de Serrant 1976 samedi, 5 septembre 2020

Des amis nous rendent visite. Ma femme, qui avait adoré la cuisine d’Alexandre Mazzia, a envie de cuisiner en reproduisant le lait fumé qu’elle avait aimé. Elle veut l’associer à du cabillaud. Souvent, sur du cabillaud, je sers un vin rouge. Mais avec du lait fumé, que faire ? Aussi, la veille de l’arrivée des amis, ma femme a préparé des langoustines cuites à la perfection, avec du lait fumé qui a été fait en infusant du lard fumé dans le lait pendant des heures. Immédiatement j’ai pensé à un Clos de la Coulée de Serrant.

A l’apéritif, nous partageons un délicieux cou d’oie farci et des chips à la truffe. Le Champagne Pommery 1989 à l’ouverture avait produit un pschitt particulièrement dynamique. Le bouchon est beau. La robe est d’un or encore clair et la bulle est présente mais discrète. Le champagne est généreux, accueillant, complexe mais gourmand. Il forme avec le cou d’oie un accord superbe. C’est un très beau champagne. J’avais ouvert il y a peu un Pommery 1964 majestueux. Celui-ci à 31 ans montre une belle vivacité et une acidité charmante. C’est un grand champagne d’une belle année épanouie.

L’entrée est de dés de coquilles Saint-Jacques sur une crème de basilic et une crème de tomate très douce. La tomate n’est généralement pas l’amie des vins. Le Clos de la Coulée de Serrant Madame A. Joly Savennières 1976 a un bouchon dont le bas est imbibé et se brise à la montée. Le niveau est parfait. La couleur du vin est superbe d’un or très clair, comme celle d’un vin jeune. Le nez est intense. En bouche le vin est magique. Il a une acidité marquée, mais il a des intonations solaires d’été. Avec la crème à la tomate, l’accord est inouï. Ce vin qui faisait partie des cinq plus grands vins blancs français de Curnonsky est dans une forme éblouissante. Jusqu’alors, je considérais que le plus grand était le 1967 fait par la mère de Nicolas Joly, mais là, je suis ébloui par ce vin que je mettrais en tête du classement des Savennières de la famille Joly. Alors que ce vin est assez strict, il arrive sur le cabillaud très typé à devenir gourmand. L’accord se trouve grâce au lait fumé qui se confronte à l’acidité du vin.

Nous avons conclu le repas sur une tarte aux quetsches. La Coulée de Serrant a illuminé ce beau repas.

L’essai de lait fumé la veille :

la délicieuse tarte aux quetsches

déjeuner au restaurant Alexandre Mazzia mercredi, 2 septembre 2020

Nous allons déjeuner au restaurant Alexandre Mazzia à Marseille, qui a obtenu deux étoiles au guide Michelin. Dans une rue discrète, avec une façade elle-même discrète, nous entrons dans une salle petite, à la décoration minimaliste. L’accueil est chaleureux, tout le personnel de service portant des masques en plastique transparent permettant de voir les visages. Seuls le chef et le personnel de cuisine portent un masque noir. Le chef est présent dans l’espace entre la salle et la cuisine et suit avec attention le ballet des serveurs qui distribuent un nombre incroyable de plats différents.

Nous choisissons le menu le plus complet des trois possibles, dont les intitulés ne sont pas communiqués. Voici le texte très long de la très grande succession de plats : algues cristallisée, patate douce, poutargue / courgette fumée en aigre-doux, feuille d’amidon / crousti-galanga, bœuf limousin, Campari / crevettes grises, Katsubushi / baudroie, levure de bière, voile de bonite / chou cristallisé, poutargue de caviar / parmesan, pistache, grenade / œufs de truite et saumon sauvage, noisette, lait fumé / biscotte végétale / anguille fumée et chocolat / chair d’araignée de mer, denti mariné betteraves-saké / semoule aux épices et fleur d’oranger, raifort, garum / moules, hareng, maquereau, betterave, noix de coco, eau de tomate / langoustine, popcorn d’algue, condiment citron-géranium / langoustine, carotte, manioc, lait de poule, texture herbacée / trompettes, beurre blanc safran, jus de queue de bœuf / haricots verts, suc d’oignons grillés, cerise pimentée / épinards, jus vert satay, jus de betterave, vermicelle de légumes au curry / chénopodes en tempura-vodka, œufs de brochets fumés, piment / fleur de courgette, fruit de la passion, noix de cajou / glace confiture de lait et thé vert Matcha / texture de brioche cannelée, abricot verveine, tamarin-hibiscus / banane, mangue, riz soufflé, kumquats, cacahuète.

La carte des vins est assez modeste pour un deux étoiles, mais on peut y trouver de belles choses. Le Champagne Mailly Bérêche et fils, blanc de noirs 2013 est d’une grande puissance, fort comme un roc, et offre une des plus belles expressions du blanc de noirs. Racé, tranchant, il va accompagner avec bonheur les plats extrêmement variés du menu. C’est un champagne vif et très imprégnant.

Le Blanc fumé de Pouilly Silex Louis-Benjamin Dagueneau 2017 est un blanc sans concession, lui aussi tranchant, qui s’associe bien avec les plats les plus marins et iodés du repas. Il est moins à l’aise sur les saveurs douces. C’est un grand vin au finale très long et je le trouve plus civilisé que les Silex du temps de Didier Dagueneau. C’est peut-être le fait de sa jeunesse.

Quand arrive le délicieux bouillon, je ressens l’envie d’un vin rouge et le sommelier conseille un Clos Rougeard Saumur Champigny Le Clos 2014. Ce vin a un nez discret mais raffiné. La bouche n’est pas puissante mais élégante et raffinée comme le nez. Ce vin est extrêmement gastronomique. Ce qui le caractérise, c’est l’élégance. Les trois vins se sont montrés cohérents avec l’ensemble du repas.

Venons-en aux plats. On est émerveillé de voir qu’une cuisine qui semble petite puisse émettre autant de plats différents. Quelle logistique ! Et la plus belle surprise, c’est de constater qu’Alexandre Mazzia est un magicien des saveurs. Toutes les bouchées de tous les plats ont des goûts cohérents. Ce qui veut dire que le chef ne fait pas des plats pour ajouter des complexités et des ingrédients nombreux, mais pour que le goût final soit abouti et donne du plaisir.

La cohérence de la cuisine est saisissante. De plus, le chef compose des plats colorés de grande beauté. Tout au long du repas, chaque saveur est d’une exactitude parfaite, ce qui est rare. Si le cadre le permettait, Alexandre Mazzia pourrait briguer les trois étoiles. Il me fait penser à la cuisine de Laurent Petit, le chef trois étoiles du Clos des Sens, près d’Annecy qui maîtrise ses plats de façon spectaculaire.

Les épices sont très présentes ainsi que les fleurs comestibles. Tout est léger, à tel point que nous avons ajouté au menu le comté de 24 mois, associé à du caviar et à du chocolat blanc. Une réussite.

Nous avons passé un excellent repas avec des saveurs excellentes, complexes et cohérentes formant une cuisine gourmande et raffinée. On ne peut que recommander ce restaurant de haute qualité.

la façade discrète

Krug Clos du Mesnil 1998 lundi, 31 août 2020

Dans mes caves, lorsque je cherche les vins d’un repas, il y a une catégorie de vins que j’appelle les « pas ce soir ». Car lorsque l’on reçoit des amis, il y a des bouteilles que l’on estime ne pas pouvoir être ouvertes : « pas ce soir ». Ce n’est pas de la pingrerie, c’est que les conditions ne me semblent pas réunies pour que ce vin soit bu.

Ce soir, pour honorer nos amis, j’ai envie d’ouvrir un « pas ce soir ». Le programme sera conçu autour de ce vin. Nous aurons un apéritif pendant lequel nous grignoterons poutargue, saucisson, chips à la truffe et autres petits biscuits. L’entrée sera un foie gras mi-cuit, le plat sera un bar suivi d’un fromage Jort, le dessert une tarte au citron.

J’ai ouvert les deux champagnes une heure avant l’apéritif et les deux ont eu des explosions gazeuses énergiques et sympathiques. Les bouchons sont de qualité parfaite. Le champagne d’apéritif est un Champagne Comtes de Champagne Taittinger 2005. Tout en lui est soleil. Ce champagne est joie de vivre. Il est généreux, facile à comprendre. C’est un marchand de bonheur. L’année 2005 n’est pas l’une des plus grandes, entourée d’années glorieuses comme 2002, 2004 et 2008, mais elle a produit ce prodige, le Comtes de Champagne. Tout en lui est positif et gourmand.

Nous passons à table et je sers le Champagne Krug Clos du Mesnil 1998. Le nez est saisissant. On ressent des tout petits fruits jaunes et rouges lancés en un bouquet comme un feu d’artifice. En bouche, tout est complexité, subtilité et raffinement. Ce champagne est immense. J’aurais préféré un foie gras en terrine, mais je n’en avais pas trouvé. Le foie gras mi-cuit est bon, mais un peu fort pour le champagne romantique et aérien, ce qui n’exclut pas la puissance, car il s’impose en conquérant. Nous vivons un moment important avec un champagne qui est au sommet de l’aristocratie champenoise. Le festival de petits fruits qui illuminent le goût précis du champagne est enthousiasmant.

Pour les bars, j’ai ouvert il y a plus de quatre heures un Château Le Caillou Pomerol 1953. Le bouchon de belle qualité était venu entier sans difficulté, et dès l’ouverture, un parfum intense et truffé avait envahi la pièce. Ce vin est l’expression d’un beau pomerol, peut-être pas aussi dense que les plus grands pomerols, mais extrêmement riche et profond. L’accord avec le poisson juste cuit en papillote est d’une rare pertinence. Ce vin de 67 ans est d’une énergie peu commune, à la trace persistante.

Et ce vin rouge va se montrer absolument adapté au camembert Jort à boîte bois, la perfection typée du camembert. Comme quoi le Vega Sicilia Unico n’a pas le monopole de l’accord avec le camembert Jort. Ce pomerol montre une étonnante flexibilité.

La tarte au citron a été choisie plus pour faire plaisir à ma femme qui adore ce dessert que pour les vins. C’est le Comtes de Champagne 2005 qui se montre le plus adapté.

Il reste dans nos verres suffisamment de Clos du Mesnil 1998 pour que nous puissions méditer et deviser sur la grandeur de ce champagne exceptionnel.

la lie du pomerol

Restaurant Bruno à Lorgues samedi, 29 août 2020

L’abbaye du Thoronet est un monument splendide, merveille de l’art cistercien, qui confirme s’il en était besoin que la France a des racines chrétiennes. Nous avons fait sa visite avant de nous rendre au restaurant Bruno à Lorgues. Le chemin d’arrivée est joliment décoré, à l’italienne. Un voiturier prend soin de notre voiture. Dans le jardin des œuvres d’art sont nombreuses et colorées.

La menace de pluie fait que nous prenons place à l’intérieur du restaurant, au lieu du jardin, ce qui impose un respect plus strict du port des masques. Tout le personnel, nombreux est doté de masques ce qui n’exclut pas une franche bonne humeur, contrairement à ce qu’offrait la brigade de Mirazur.

Nous avons le choix entre plusieurs menus et nous nous mettons d’accord pour prendre le menu à la truffe blanche sauvage d’Alba. Il est ainsi rédigé : apéritif de bienvenue et amuse-bouche / filet de veau à la piémontaise aux truffes Tuber Magnatum Pico / nos pâtes aux truffes Tuber Magnatum Pico / homard bleu de Bretagne tout simplement rôti accompagné de sa bisque légère et râpée de truffe Tuber Magnatum Pico / prédessert / les douceurs récréatives.

Je commande deux vins pour ce déjeuner à quatre. Le Champagne Dom Pérignon 2008 arrive un peu froid et s’épanouira dès qu’il atteint sa température d’excellence. Il est vif et racé. L’amuse-bouche est d’une crème au fenouil, un peu trop marquée par de la vanille. L’accord se trouve plutôt avec un toast huilé et à la truffe d’été. Le champagne noble trouvera son envol avec le filet de veau traité en tartare dont l’œuf mollet est idéal.

Le vin du repas est le Châteauneuf-du-Pape Château de Beaucastel Roussane Vieilles Vignes 2015. Le très compétent sommelier nous avait exposé les différences entre le 2015 et le 2016 présents sur la liste des vins. Nous avons pris le 2015 pour que sa puissance se confronte aux plats. Le vin est riche et large et avec le temps devient gras, ce qui lui va bien. Il a des notes fumées que donnent les vieilles roussanes, et la largeur de sa palette aromatique le rend très gastronomique. Il est opulent et pertinent.

Notre intérêt est captivé par la cuisine de Benjamin, fils de Clément Bruno. La crème au fenouil est parfaitement dosée même si la trace vanillée est un peu forte, le toast à la truffe d’été est gourmand à souhait, on trempe l’excellent pain dans l’huile d’olive divine, voilà pour l’arrivée. Le filet de veau est frais et léger, formant un plat équilibré qui se marie au champagne. Les pâtes sont gourmandes à souhait et on a l’impression de manger goulûment dans la ville d’Alba. Le homard est cuit à la perfection. Sa coquille est enlevée sur table par un maître d’hôtel et le plat est divin. Les desserts sont gourmands et parfaits. Ce repas est un sans-faute. Comme nous l’avait expliqué Clément Bruno il y a longtemps, on fait chez lui la cuisine des mères. Ce n’est pas une cuisine qui cherche à épater, c’est une cuisine qui cherche à faire plaisir. Tout ce que nous avons mangé est bon et juste. C’est un champion de la cuisine gourmande bien faite.

Le service est absolument parfait, bien organisé, efficace et joyeux. On ne peut que recommander une table aussi accueillante et professionnelle, et il est sûr que nous y reviendrons. Les deux vins de haut niveau ont eux aussi parfaitement joué le jeu pour faire de ce repas un déjeuner mémorable.

dans le jardin

le chef vient nous saluer avec un panier de truffes d’été

De divins accords face à la lune vendredi, 28 août 2020

Pour le dîner ma femme a prévu des très grosses crevettes qui ne sont ni des gambas ni des camerones et ont une chair qui est entre celle d’une langoustine et celle d’une crevette. En visitant ma cave locale, mon œil tombe sur un Montrachet Bouchard 1989. Il me semble approprié.

Pour l’apéritif, lors de la balade en cave, l’envie me prend d’ouvrir un Moët 1971, champagne que j’adore.

L’apéritif se prendra autour de poutargue, deux saucissons bien moelleux, mimolette et gouda au pesto. Le Champagne Moët et Chandon Brut Impérial 1971 a été ouvert une heure avant. Aucun pschitt ne ponctue l’ouverture d’un bouchon qui se laisse extraire très facilement. La couleur est d’un ambre plutôt clair. Le nez est riche et envoûtant. En bouche, c’est une explosion de fruits et de fleurs en un feu d’artifice. Ce champagne est riche, complexe, glorieux. C’est un étalon du champagne ancien.

Il est amusant de constater que l’accord se trouve plus naturellement quand il est « couleur sur couleur ». Ainsi, la mimolette et la poutargue sont les meilleurs compagnons du champagne. On mesure à quel point la matière vineuse de ce champagne est d’une grande qualité. L’émotion est là.

Les crevettes sont divinement cuites, à la seconde près. L’accord avec le Montrachet Bouchard Père & Fils 1989 est fusionnel. Le vin et la crevette sont le miroir l’un de l’autre. Et l’on remarque à quel point ce montrachet est complexe. Aucun vin blanc du monde ne peut rivaliser avec ce climat béni des dieux. Un gratin de pommes de terre discret joue le rôle de modérateur. Nous sommes emportés par la continuité gustative de la crevette et du montrachet. Des continuités de ce genre transcendent la gastronomie.

La tarte aux quetsches du déjeuner apporte un coussin de douceur pour que nous puissions contempler la lune qui se reflète sur la mer en une pluie d’éclairs argentés.

La simplicité est parfois le sommet de la sophistication.

la lune