Archives de catégorie : dîners de wine-dinners

dîner au Bristol – les photos des plats samedi, 23 février 2008

le bouchon du Cristal Roederer 1979 et sa capsule forment une sculpture à la Louise Bourgeois et ses araignées. Le jeu des amuse-bouche raffinés fait très "odyssée de l’espace" et ses petits hommes verts

 

délicatesse des goûts et raffinement des présentations …

 

sauf pour les deux mamellues vessies qui renferment des trésors gustatifs

 

tout cela est bon

 

ces trois verres forment une série impréssionnante : Mouton 1934, Latour 1934, Lafite 1934. Du beau monde !

petite publicité pour Apple ? En tout cas, dessert apprécié.

 

dîner de wine-dinners du 23 février – les vins samedi, 23 février 2008

Champagne Cristal Roederer 1979

Chateau Haut-Brion blanc 1955. La photo de droite donne l’impression que le château est en flammes. Heureusement non !

Chateau Mouton-Rothschild 1934. On voit distinctement que le n° de la bouteille est "RC", ce qui signifie : "Réserve du Château.

Chateau Lafite 1934 et Chateau Latour 1934

Chateau Gilette Crème de Tête 1937

 Photo des trois bouteilles apportées par mon ami collectionneur.

97ème dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol samedi, 23 février 2008

Je viens au restaurant de l’hôtel Bristol pour ouvrir les bouteilles du dîner de vins rares qui proviennent de la cave de mon ami S. et de la mienne. Le dîner se déroulant selon les canons de wine-dinners, j’ai pris l’habitude de les compter dans mes dîners officiels, aussi ce sera le 97ème dîner de wine-dinners. Les participants, en plus de S. et moi sont Etienne de Montille qui nous avait reçus aimablement au château de Puligny-Montrachet et Olivier Bernard, propriétaire de Domaine de Chevalier, ami des trois autres convives. Les deux vignerons se lanceront des petites piques amusantes, selon un rituel convenu qui veut que l’on discrédite les vins de l’autre région. Mais c’est un jeu. Les cinq vins ont des niveaux extrêmement beaux. Le Mouton a un niveau dans le goulot qui correspond au fait qu’il s’agit d’une réserve du château, reconditionnée en 1998. Son bouchon est tellement serré que je me suis presque blessé les mains en essayant de l’extirper ce qui m’a pris presque vingt minutes. Les odeurs ne m’inquiètent pas mais celle du Mouton est incertaine. William, sympathique sommelier m’a assisté pour l’ouverture et fit un service à table remarquable.

Nous nous retrouvons dans la magnifique salle lambrissée élégamment décorée, et l’on nous sert le champagne Cristal Roederer 1979 sur des amuse-bouche d’une sophistication maîtrisée. La couleur du vin est dorée, le nez subtil et en bouche il évoque le miel et la brioche. Ce champagne est déjà évolué, sa bulle est discrète et Olivier dit qu’il préfère les champagnes plus jeunes que cette forme de maturité.

Le menu préparé par Eric Fréchon et qui sera remarquablement réalisé, même un samedi, est : lentilles fondantes, œuf de caille cuit au plat, gelée de pain brulé, émulsion de jambon / tête de veau fondante, ravigotée aux anchois, câpres et piments doux / poularde de Bresse cuite en vessie aux écrevisses, royale d’abats et truffe noire / la pomme confite au caramel épicé, sorbet à la crème fermière.

Le Château Haut-Brion blanc 1955 est d’une belle couleur dorée tendant vers le jaune orangé. Le nez est très botrytisé et évoque les vieux sauternes. En bouche le vin est bien sec, mais la parenté au sauternes existe. Ce vin est très puissant, de forte personnalité. Il est très élégant et d’une race rare. D’une grande longueur, c’est un très grand vin, sans doute un peu plus évolué qu’il ne pourrait l’être. 

Lorsque S. mon ami, m’avait adressé sa liste de vins, qui inclut les deux ci-dessus plus Mouton 1934, m’inspirant de la comparaison que nous avions faite récemment au Château Latour entre Lafite et Latour, j’ai apporté Lafite et Latour 1934 pour que nous puissions faire une horizontale qui n’est pourtant pas dans la philosophie de mes dîners. Mais la circonstance s’y prêtait. Nous allons boire ces trois vins ensemble sur la délicieuse volaille présentée en deux services. Le blanc de poulet du premier service est d’une tendreté fondante.

Le Château Mouton-Rothschild 1934 a été rebouché et complété en 1998 au château. Sa couleur est trouble, malgré la semaine de repos que le vin a connu à mon domicile et en cave du Bristol car j’avais cherché les bouteilles de S. à son hôtel à son arrivée à Paris. Le vin montre une belle race, mais on ressent trop sa fatigue.

Le Château Lafite-Rothschild 1934 qui avait un bouchon d’origine, brisé en morceaux à l’ouverture mais ayant joué son rôle puisque le niveau est juste sous le goulot, a une couleur plus jeune que celle du Mouton et son nez est bizarre. Il sent fortement le soufre, ce qui me gêne plus que les deux vignerons. Je m’en veux de ne pas être venu plus tôt que 17h30 pour ouvrir les bouteilles car je sens que trois heures de plus rendraient ce vin nettement grand. Etienne pense le contraire et croit que le vin va s’évanouir. Il est extrêmement surpris que le contraire se passe : le vin amorce un retour à la vie prometteur et progressif.

C’est le Château Latour 1934 qui est le plus beau de ces trois Pauillac. Le bouchon d’origine semble fait d’un liège un peu vulgaire, mais a tenu remarquablement car seul le haut est noirci sur un centimètre, le bas montrant une belle élasticité. Le vin a une couleur dense dont le rouge rubis est d’une jeunesse fringante. Le nez est pur et profond mais c’est surtout en bouche que l’on a la noblesse veloutée de ce vin élégant. C’est un grand vin qui nous donne entièrement ce que Latour peut donner. Olivier dit que sa prestance est très supérieure à celle de l’année. Etienne n’en revient pas du retour à la vie du Lafite.

Le Château Gilette crème de tête 1937 avait lui aussi un bouchon d’origine et un niveau à la base du goulot. Le nez à l’ouverture était impérial. Le vin nous remplit les narines d’un parfum merveilleux. Ce vin, à l’instar des liquoreux de cette décennie, a perdu un peu de son sucre. Mais j’adore la noblesse que cela lui confère. Je cite à mes amis l’image du Rubik’s Cube quand on a réussi à l’assembler, car ce vin est d’un équilibre parfait. Je suis absolument conquis par ce vin d’un charme qui m’émeut. C’est l’équilibre qui me transporte d’aise. Olivier fait remarquer que mon amour pour les vieux liquoreux transpire dans tous mes écrits. La pomme confite est délicieuse sur le Gilette qui prend alors des notes plus caramélisées.

Comme il s’agit d’un dîner de wine-dinners, j’ai demandé que notre tout petit groupe de quatre vote. Une chose m’a gênée et j’en ai fait la remarque à S. Aucun de nous deux, les apporteurs des vins, n’est indifférent à l’origine du vin qu’il goûte. Ainsi S. a fait figurer dans son vote Mouton et pas Latour, contre toute logique. Je lui ai suggéré que pour nos prochains dîners, tous les vins du dîner californien soient de sa cave et tous ceux du dîner parisien de la mienne. Nous éviterons ainsi d’incontrôlées concurrences qui nuisent au plaisir.

Les six vins ont eu des votes, ce qui est sympathique, et trois vins ont été nommés premiers, ce qui montre bien la diversité de nos goûts. Le Gilette a été nommé deux fois premier, et le Haut-Brion et le Latour une fois. Le vote du consensus serait : 1 – Château Gilette crème de tête 1937, 2 – Château Latour 1934, 3 – Château Haut-Brion blanc 1955, 4 – Château Lafite-Rothschild 1934.

Mon vote est : 1 – Château Gilette crème de tête 1937, 2 – Château Latour 1934, 3 – Château Haut-Brion blanc 1955, 4 – Champagne Cristal Roederer 1979.

L’ambiance était particulièrement gaie, chacun ayant pour les autres des sentiments de respect et de chaude amitié. La cuisine du Bristol est d’une grande solidité. Le service est chaleureux, avec une volonté de plaire qui se sent à chaque détail. Pour les quatre, l’amitié s’est renforcée et les rendez-vous sont pris pour se revoir. Pour moi, ce sixième dîner à la suite a couronné une semaine unique de plaisirs inoubliables dont le dénominateur commun a été l’amitié.

dîner chez Gérard Besson, les photos jeudi, 14 février 2008

Les vins dans l’ordre de service et la cire du Chateau Chalon, gravée de "29".

 

Les coquilles Saint-Jacques et le dos de barbue

 

L’agneau et la puce

 

Haut de cuisse de volaille de Bresse, comme un coq au vin, dessert au litchi

 

magique dessert aux agrumes

La forêt de verres en fin de soirée.

 

vins du dîner wine-dinners du 14 février 2008 jeudi, 14 février 2008

Champagne Dom Pérignon 1985

Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Carte Or 1976

Château Carbonnieux blanc 1987

Château Margaux 1957

Château Langoa Barton 1950

Château Lynch Bages 1924

Vosne-Romanée Charles Noëllat 1969

Clos des Lambrays 1943

Vega Sicilia Unico 1960

Blanc Vieux d’Arlay 1929

Riesling Vendanges Tardives Hugel 1981

Château Lafaurie-Peyraguey 1912

96ème dîner de wine-dinners au restaurant de Gérard Besson jeudi, 14 février 2008

Le 96ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Gérard Besson, grand amateur de vins anciens et spécialiste des gibiers. J’avais choisi la date en regardant un calendrier électronique. Les chiffres ne m’interpelant pas outre mesure je constatai assez tard que c’est la Saint Valentin. Deux couples d’amis s’inscrivent et une jeune cousine ayant reçu un dîner en cadeau de mariage, voici un troisième couple. Ajoutons à cela les couples de deux de mes enfants. La présence de mon épouse s’impose, qui assistera pour la première fois à l’un de mes dîners. Comme les soldats napoléoniens elle pourra dire à son Empereur : « j’y étais ».

L’ouverture des bouteilles avec Arnaud se passe en un temps record. Le Lafaurie-Peyraguey 1912, année de naissance de ma mère, a été rebouché et étiqueté de neuf par la maison Cordier qui est propriétaire. Le nez ne fait aucun doute, c’est du 1912 et seulement du 1912. Les blancs sentent bon et sans histoire. Les deux plus jeunes bordeaux – tout est relatif, puisqu’ils dépassent tous cinquante ans – sont un peu fermés mais s’ouvriront. Le nez du Lynch Bages 1924 est tonitruant. Il faudra un miracle pour que le Vosne-Romanée revienne à la vie, car dès que j’ai cassé la cire, une odeur de pieds sales a envahi la pièce, avec une insistance qu’on ne trouve que dans des chambrées, et dès que le bouchon est sorti, c’est un méchant vinaigre qui apostrophe mon nez. Nous verrons. Le Clos des Lambrays 1943 sent acide, mais devrait se réveiller. Le Vega Sicilia 1960 est sûr de lui et le Blanc d’Arlay 1929 est incertain mais normalement prometteur. Le sommelier de bonne mémoire me rappelle que je sens le haut des bouteilles quand la capsule est enlevée mais le bouchon toujours en place. Le Langoa Barton 1950 et le Clos des Lambrays sentent tous les deux la terre, en ayant exsudé une poudre noire terreuse.

Le restaurant se remplit de couples d’amoureux. Mes convives arrivent et je donne aux nouveaux les consignes pour bien profiter de cette expérience gastronomique.

Le menu préparé par Gérard Besson avec le directeur de salle d’expertise sommelière est  rédigé ainsi : Friandine de volaille et œufs brouillés à la truffe / Noix de Saint Jacques sur un lit d’algues à la crème d’huîtres / Dos de barbue de la Baie d’Erquy, sauce au vin / Médaillon de veau " tradition France " cannelloni duxelles / Filet d’agneau de Mauléon, sauce italienne / Une puce / Haut de cuisse de volaille de Bresse, comme un coq au vin / Un vieux Comté 2003 " Forts Saint Antoine" / Un litchi / Agrumes. J’aime beaucoup le néologisme « friandine » et la sobriété de certains intitulés qui nous a fait sourire, comme celui du litchi, imposante construction multiforme à base de pétales de roses de nougatine et de litchi résumée de ce seul mot.

Nous portons un toast à nos amours sur le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Carte Or 1976 dont la bouteille est d’une rare beauté dans des tons de tissus anciens. La couleur du vin est d’un bel or gris, la bulle est évanescente, et pour plusieurs nouveaux les saveurs insolites sont un enchantement. Les tons toastés, pâte de fruit, sont chaleureux. Je suis un peu gêné par une amertume minérale qui disparaîtra progressivement pour laisser la place à la joie de vivre de ce beau champagne ancien aux goûts surannés.

Sur les œufs brouillés à la truffe dosés à la perfection, grand classique de Gérard Besson, le Champagne Dom Pérignon 1985 offre un contraste saisissant avec le précédent champagne. Alors que seulement neuf ans les séparent, c’est plus d’une génération de goûts qui creuse un fossé. Les plus novices sont évidemment rassurés par l’abondance des bulles et le délicat aspect floral de ce grand champagne. La symbiose ne se fait pas avec les œufs, mets et vin refusant chacun de publier les bans.

Nous allons vivre maintenant l’une des sensations que j’adore. L’huître goûteuse donne un coup de fouet d’un dynamisme rare au Château Carbonnieux blanc 1987. Quand on prend le vin en bouche, il s’installe comme il a appris à le faire avec son vocabulaire citronné, et  clac, le souvenir de l’huître le fouette, le propulse pour lui donner une longueur infinie. L’effet multiplicateur de l’huître sur le vin est spectaculaire. Gérard Besson qui est venu en fin de repas nous donner quelques explications sur les choix qu’il a faits en cours de route nous indiquera qu’il aurait été tenté d’abandonner les coquilles Saint-Jacques, car l’accord se fait sans elles. Tel qu’il est, le plat est plébiscité par toute la table.

Qui aurait dit que le Château Margaux 1957 au nez fermé à l’ouverture aurait gagné tant de joie de vivre ? Le vin est enjoué, charmeur, romantique, féminin, mais surtout, c’est son émancipation qui nous frappe. Alors qu’il est d’une année discrète, il chante avec entrain. Je suis surpris de son aisance raffinée. La résonance avec la barbue montre ce qu’est un véritable accord, quand le plat et le vin se transcendent mutuellement. C’est un vrai partenariat, très différent du précédent, car plus serein que le coup de fouet.

Ce que le Margaux offre en charme féminin, le Château Langoa Barton 1950 le décline en fruité, assise, confort. Ce vin a plus d’ampleur et de rondeur et je me plais à penser que la décennie des 1950 et suivants est de belle maturité en ce moment. Et les deux vins fermés à l’ouverture se sont ouverts avec grâce. Deux beaux exemples de quinquagénaires. 

Le Château Lynch Bages 1924 est une grande surprise. Qu’un vin de 83 ans ait cette jeunesse, cet aplomb et cet équilibre est évidemment une surprise. Il est d’une grande pureté et ce qui me plait, c’est la précision de sa définition. Il ne montre aucun signe de fatigue, se place parfaitement en bouche, offre un fruité de bon aloi. C’est un vin de grand plaisir embelli par la chair de l’agneau mais surtout par la sauce d’un apprêt d’une exactitude absolue. Il y a une raison à cela. Gérard Besson a goûté chaque vin avant de finaliser ses sauces et la démonstration est éclatante de la pertinence des sauces sur tous les vins.

Je n’en crois pas mon palais lorsque je goûte le Vosne-Romanée Charles Noëllat 1969. J’avais expliqué que ce vin sentant un méchant vinaigre à l’ouverture, nous constaterions sans doute son décès. Malgré une couleur d’un rose plus qu’isabelle, ce vin existe, sent bon et ne montre pas de défaut. L’incrédulité de mon entourage me pousse à appeler Arnaud à la rescousse pour qu’il dise ce dont il a été témoin : une odeur repoussante devenue maintenant engageante. Le vin est agréable à boire sans être pour autant un jeune premier et les votes montreront qu’il a été aimé. La subtilité de l’accord avec la chair intense du petit volatile est remarquable. On aimerait le prolonger pour l’étudier encore. C’est d’un raffinement extrême, la petite sauce aidant en servant de passeur entre chair et vin.

Jean-François, sommelier qui a déjà servi les vins de plusieurs de mes dîners ne peut s’empêcher, et il a bien raison, de signaler à toute la table l’intérêt de goûter maintenant ce vin rare, le Clos des Lambrays 1943. Je ressens à ses mots qu’il en est amoureux. A l’ouverture, il avait montré des signes de fatigue mais curables par opposition au Vosne-Romanée. Lui aussi se présente maintenant sans défaut. Ce qui me frappe instantanément, c’est la rose. C’est saisissant. Et ce vin a tout ce que la Bourgogne la plus belle est capable d’offrir. La salinité, les feuilles d’automne et cette rose insistante m’enchantent.

Les trompettes vont maintenant sonner avec une force à lézarder les murailles, car le Vega Sicilia Unico 1960 est au sommet de son art. Et la plénitude, l’aisance, la mâche imposante, sont naturelles. Ce vin est grand, facile à comprendre, joyeux, un plaisir comme un bonbon rare. La volaille est goûteuse et c’est encore une fois la sauce qui fait de Gérard Besson un maître saucier de première grandeur.

La bouteille du Blanc Vieux d’Arlay Bourdy Père & Fils 1929 est en elle-même une œuvre d’art, d’un art agreste et populaire. J’avais annoncé urbi et orbi qu’un comté de plus de trente mois ne ferait pas l’affaire ce que le superbe comté de 2003 de madame Quatrehomme allait battre en brèche avec brio. Insolence suprême, mon gendre allait en redemander pour prolonger le plaisir et montrer ainsi que j’avais parlé à tort. Le comté est succulent, mais la vedette est au vin. Il nous emporte sur une planète gustative inconnue où la noix abonde bien sûr mais au sein d’une myriade de subtilités. Il serait impossible de donner un âge à ce presque octogénaire. C’est d’une subtilité rare et d’un gras inhabituel pour les vins blancs du Jura. C’est un nirvana œnologique. Mais surtout un dépaysement absolu tant il est impossible de trouver une saveur qui puisse s’en rapprocher.

Le Riesling Vendanges Tardives Hugel 1981 va nous décevoir. Bien sûr l’accord avec les pétales de roses confits et le litchi est naturel. Mais le vin a décidé de garder son frein à main serré, refusant de sortir de sa réserve. Assez fade il ne délivre que l’ombre de l’excellence que je lui connais.

On comprend l’amour que je voue aux vins anciens lorsque l’on porte à ses lèvres le Château Lafaurie-Peyraguey 1912. C’est saisissant de perfection. Mais ce qui est le plus impressionnant, c’est que toutes les pièces gustatives sont assemblées, sans qu’aucune ne puisse être extraite de l’ensemble. Ce vin est, au sens mathématique, un ensemble parfait. J’ai déjà employé l’image du Rubik’s Cube quand il est ordonné. C’est ainsi que s’impose ce vin intemporel et d’un équilibre total. Les notes de thé, d’agrumes sont révélées par le dessert fort exact, même si les écorces confites d’orange amère sont un peu sucrées pour le vin. Sa couleur est d’un thé noir, il a perdu de son sucre, n’a pas du tout les tons de caramel que sa couleur suggérerait. C’est un sauternes encore une fois parfait.

Les votes sont toujours l’occasion de belles surprises. Nous sommes onze à voter puisque ma femme ne boit que les liquoreux. Les deux seuls vins sur douze qui n’ont eu aucun vote sont les deux plus jeunes : le Dom Pérignon 1985 et le Riesling Hugel 1981. C’est sans doute parce qu’ils sont moins porteurs de dépaysement. Six vins sur les dix qui ont eu des votes ont été couronnés par un vote de premier : le Lafaurie-Peyraguey 1912 cinq fois, le Blanc d’Arlay deux fois, et les Vega Sicilia Unico 1960, Langoa Barton 1950, Margaux 1957 et Veuve Clicquot 1976 chacun une fois premier. 

Le vote du consensus serait : 1 – Château Lafaurie-Peyraguey 1912, 2 – Blanc Vieux d’Arlay Bourdy 1929, 3 – Château Margaux 1957, 4 – Vega Sicilia Unico 1960.

Mon vote : 1 – Château Lafaurie-Peyraguey 1912, 2 – Blanc Vieux d’Arlay Bourdy 1929, 3 – Vega Sicilia Unico 1960, 4 – Château Lynch Bages 1924. Si l’on devait donner une prime au vin le plus inhabituel et dépaysant ce serait sans conteste le vin du Jura.

J’ai un très grand attachement à ce restaurant familial où la motivation se sent chez tous. Jean-François, Arnaud, le directeur de salle ont montré un engagement qui fait plaisir à voir. Et Gérard Besson, en s’investissant sur chaque plat avec un raffinement remarquable a réalisé ce qui constitue mon idéal : adapter chaque recette à la personnalité de chaque vin. Sur une cuisine traditionnelle rassurante, ce sont les sauces qui ont été spectaculaires. J’aurais volontiers léché plusieurs assiettes et je fus souvent à deux doigts de culbuter les codes du savoir-vivre. L’ambiance fut joyeuse. Les couples n’étaient pas séparés autour de la table, pour faire communier l’amour et la bonne chère, sur des vins d’un immense bonheur.

dîner au Bristol – les photos jeudi, 24 janvier 2008

Ils seront 13 à table, mais ce sont les vins !

 

 

photos de groupes, et la jolie capsule de Mouton 1964

 

les bouchons, anciens et récents. Deux beaux bouchons pour Pétrus et Yquem.

 

la jolie salle de restaurant d’été, rien que pour nous !!

 

plats délicieux (voir menu)

 

Le Parmentier est très goûteux et ce dessert osé sublime.

 J’aime quand il ne reste vraiment rien dans les verres. Certains convives ont pourchassé les fonds de verre !!!!

95ème dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol jeudi, 24 janvier 2008

Le 95ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de l’hôtel Bristol. Des amis italiens de passage à Paris ayant exprimé le souhait de participer à ce dîner, j’ai porté la taille de notre groupe à douze, ce qui semble la limite pour bien déguster des vins. Une table de douze serait difficile à placer dans la magnifique salle du restaurant d’hiver, aussi Eric Fréchon nous fit la gentillesse de nous accorder la salle du restaurant d’été que nous avons pour nous seuls. Lorsque j’arrive pour ouvrir les bouteilles déjà présentées sur une table en attente de cette opération je constate la beauté du lieu et le confort de disposer d’un si grand espace. Mon ami italien qui loge à l’hôtel vient voir comment se passe la cérémonie d’ouverture. Quand il sent le Mouton 1964 extrêmement poussiéreux et voit ma sérénité, il fait des yeux ronds. Il doit se demander si je suis sain d’esprit en restant calme devant un vin à l’odeur particulièrement inamicale. Il eut un large sourire quand il constata la perfection du parfum de ce vin au moment où nous le bûmes. Les bouchons ne me posent pas de difficulté particulière. Une fois de plus je vois que le bouchon de La Tâche 1964 est recouvert d’un sédiment noir poussiéreux qui sent la terre de la cave de la Romanée Conti. Les senteurs les plus belles à l’ouverture sont dans l’ordre : Yquem 1918, Clos Sainte-Hune 1990 qui est une bombe olfactive, et Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974. Le Pétrus 1994 a une odeur très élégante, et le vin d’Algérie que j’avais annoncé d’un niveau très bas, en dessous de ce qui est considéré comme « vidange », et qui était surnuméraire, a une odeur très agréable, légèrement torréfiée.  

Les convives arrivent presque tous à l’heure mais c’est le « presque » qui est gênant, car il est quasi impossible d’accueillir l’ensemble de la table à l’heure dite. Nous prenons l’apéritif debout avec un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle années 60 qui est une belle introduction dans le monde des vins anciens. La couleur est très ambrée, la bulle est moyennement active. Le parfum est intense et en bouche c’est un vin délicat, avec des évocations de caramel. C’est délicieux si, comme je le suggère, on entre dans la logique d’un vin qui n’a pas grand-chose à voir avec un Grand Siècle actuel.

Nous passons à table et voici le menu créé par Eric Fréchon et Jérôme Moreau : Saint-Jacques à la plancha, gnocchi à la truffe noire, jus de mâche et beurre noisette / Macaronis farcis truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan / Oignon rosé de Roscoff carbonara, royale de lard fumé, truffe noire et girolles / Parmentier de queue de bœuf, sauce vin rouge / Pamplemousse en sorbet, écume de combava, meringue à la poudre d’amande / Café, friandises et chocolats. Lorsqu’Eric Fréchon m’a envoyé son projet de menu, il a considérablement chamboulé l’ordre des vins que j’avais indiqué. Il y a dans son schéma des séries particulièrement osées. Je me suis dit : « pourquoi pas ? ». Il faut savoir oser de telles nouveautés pour vérifier si mes repères peuvent être élargis.

La table est particulièrement jeune et enjouée, quatre femmes illuminant la pièce de leur beauté. Les compétences œnologiques sont variées, la moitié de la table étant formée d’habitués et l’autre de novices de ces exercices.

Sur le premier plat, le Champagne La Grande Dame, Veuve Clicquot Ponsardin 1990 est présenté en même temps que le Champagne Dom Ruinart Blanc de Blancs 1961. Le plus jeune est d’un jaune clair et fait gamin, alors qu’il a 17 ans, à côté de son aîné qui est ambré comme le Laurent Perrier, avec un peu plus d’orangé clair. Le champagne la Grande Dame est très bon, mais l’intérêt se concentre sur le Dom Ruinart dont j’aime la bouteille de toute beauté, qui représente, à mon sens, la perfection du champagne. Tout est exact dans le goût de ce champagne évolué mais parfaitement équilibré. Ce pourrait être le sauvage compagnon de folies gastronomiques car je le sens prêt à s’adapter à toutes les situations. Il est long en bouche, imprégnant, et je l’adore.

Au lieu des blancs qui suivent généralement les champagnes, nous allons démarrer par une première série de rouges, et c’est particulièrement étonnant que l’on mette en scène aussi tôt un vin de la Romanée Conti. Le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974 est associé, pour mon plus pur plaisir au Morgon Champy 1970. J’aime ces unions morganatiques et ce d’autant plus qu’un ami à qui j’avais montré la liste des vins de ce dîner auquel il n’assisterait pas m’avait prédit que le beaujolais n’aurait pas d’intérêt. Il faut tuer les préjugés. Le Grands Echézeaux a un nez qui est typiquement de la Romanée Conti. Nous en sourions avec un convive dijonnais qui connaît bien les vins du Domaine. Le nez est subtil, raffiné et en bouche les évocations partent dans d’innombrables directions feutrées. Tous les convives qui boivent leur premier vin du Domaine en sont émerveillés. Le sel, la terre, sont des racines du goût de ce vin bien épanoui. Pendant ce temps là, le Morgon montre une joie de vivre, une assise en bouche d’une folle jeunesse. Il y a tant de gouleyant dans ce vin simple que l’on est séduit. Ah, bien sûr, on est loin de la complexité du bourguignon, mais c’est joyeusement bon. Le plat de macaronis est divin, dionysien, et l’accord est d’une franchise rare.

Oser l’association de trois stars aussi disparates est un moment que je suis content d’avoir vécu, même s’il faut une flexibilité du palais particulièrement affutée. C’est un peu comme mettre sur scène en même temps Diam’s, Lino Ventura et Sarah Bernhardt. Ça pulse ! J’ai cependant retardé l’arrivée sur scène du troisième, pour qu’il n’écrase pas les deux premiers. Sur l’oignon se présente le Pétrus 1994 qui a un nez d’une délicatesse folle. En bouche, ce sont des gymnopédies. Il déroule tant de finesse que l’on est emporté comme dans une valse étourdissante. Quand on passe au Montrachet Bouchard Père & Fils 1999 il faut attacher sa ceinture, car ça démarre en trombe, avec une palette aromatique dont il est impossible de faire le tour. Ça change tout le temps. On peut y voir des milliers d’évocations de fleurs blanches, de fruits frais, et c’est, malgré la puissance, d’une délicatesse particulière. Aussi, quand le Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1990 arrive, c’est une bombe aromatique et gustative dont le potentiel s’exprime en mégatonnes. S’il y a une belle distribution complexe, la première impression est quand même monolithique. C’est le pack de rugby qui avance sans se poser de question. Je suis amoureux de ce vin parfait, envahisseur du palais au-delà de l’imaginable. Alors, repasser de l’un de ces vins à l’autre est un exercice de gymnastique difficile, mais je suis reconnaissant à Jérôme Moreau de nous avoir suggéré de le tenter. Ces trois vins sont si différents qu’il est très difficile de juger de leur adaptation au plat d’autant qu’ils ont un calibre supérieur au sien. C’est sans doute le Pétrus qui convient le mieux.

J’expliquais à des convives la différence que je fais entre les « accords de surf » et les « accords de boxe », ceux où vins et mets voguent ensemble ou au contraire se provoquent et j’en fis discrètement l’expérience en goûtant un peu du Parmentier avec le Sainte-Hune. C’est tout simplement prodigieux. Mais ce plat est conçu pour d’autres vins.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1964 a un nez salin qui ressemble à celui du Grands Echézeaux, mais il fait plus fatigué. Ma voisine qui est avec son époux une fidèle parmi les fidèles considère les vins du Domaine comme des mythes dont elle est l’adoratrice. Aussi est-elle un peu frustrée de voir que certains de ces vins peuvent ne pas être au firmament. Moins gênés que d’autres, le dijonnais et moi savons lire entre les lignes et nous en profitons. Mais La Tâche est ici en jeu un peu faible. Tout-à-coup, comme si un réveil avait sonné, La Tâche se met à délivrer des fulgurances de perfection qui sauvent l’opinion que je commençais à me forger. A côté de lui, le Château Mouton-Rothschild 1964 au parfum totalement opposé à ce qu’il avait délivré il y a six heures, déborde de joie folle. Il m’évoque le velours et une goûteuse confiture de fruits rouges. Il est joyeux, juteux, jeune d’esprit et se complait en bouche. On le boit comme on goûte un bonbon. Pas franchement dans le style de Mouton il a cependant une caractéristique de ce vin : il ne laisse pas indifférent, et quand on l’aime, on l’adore.

Le vin de la même série mais servi en léger décalage est un Osmara Dom. De Feudeck, Comte Hubert d’Hespel Prop. à Jemmapes (Algérie) 1945. J’avais annoncé son niveau très bas ce qui fait que Jérôme Moreau n’avait même pas fait imprimer son nom sur le menu. D’une odeur agréable à l’ouverture, il se présente comme un grand vin au moment où nous le buvons. Il serait servi seul dans un repas, on l’apprécierait énormément. A côté des deux autres il fait même belle figure. Il évoque un peu un porto légèrement sec, en donnant au mot sec une connotation qui n’est pas péjorative. Très goûteux, très dense, légèrement fumé, il ressemble à un vin lourd du Rhône. Si le Mouton évoque les fruits rouges, l’Osmara rappellerait un peu la figue. Sa longueur en bouche ne dévie pas ce qui démontre que sa baisse de niveau ne l’a pas blessé. C’est un vin particulièrement intéressant car on a peu de repères. Le Parmentier est un joyau de cuisine bourgeoise.

Le dessert qui accompagne le Château d’Yquem 1985 est une merveille d’intelligence. La justesse de ton pour cet agréable Yquem est remarquable. On sent tout le travail qui est fait entre Eric Fréchon et Jérôme Moreau pour coller aux vins. Certains novices qui découvrent Yquem sont conquis. C’est un Yquem classique, très rassurant.

De convention entre Eric et moi, le Château d’Yquem mise Van der Meulen 1918 est servi seul comme un dessert à part entière. Au moment où nous l’appréhendons, le vin confirme le parfum inoubliable qu’il disperse autour de nous, halo de bonheur. Nous sommes à un sommet de ravissement. En bouche, l’agrume et le thé sont si présents que je demande à Sébastien, le maître d’hôtel particulièrement zélé de nous faire apporter des tranches de pamplemousse rose. Et l’association est divine. L’Yquem est d’un or d’airain, tout en agrumes et en thé, peu sucré et le bonheur de boire cet Yquem est comparable au charme d’une geisha pratiquant l’art de la conversation.

La tradition du vote a été particulièrement intéressante, car aucun des convives n’aurait pu imaginer une telle diversité des votes. Cela devrait donner beaucoup d’humilité aux experts qui pensent qu’il y a un goût universel ou pour le moins consensuel. Car sur les treize vins du repas, onze ont figuré dans les quartés. Et les deux qui n’y figurent pas sont de très bons vins : le Veuve Clicquot la Grande Dame 1990 qui brillerait en un autre endroit a été étouffé par le Dom Ruinart 1961, et le délicieux Morgon 1970 était entouré de trop de merveilles. Autre sujet d’étonnement et de fierté pour moi, sept vins ont eu droit à un vote de premier. Ce qui fait que sur douze convives, sept ont choisi différents chouchous pour leur soirée. C’est une leçon sur la diversité des goûts. Les vins qui furent nommés premiers sont : Yquem 1918 quatre fois, Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974 et Pétrus 1994 deux fois, Dom Ruinart 1961, Clos Sainte-Hune 1990, Montrachet Bouchard 1999, Yquem 1985 une fois. Le vin le plus fréquent dans les votes est le Grands Echézeaux, suivi du Mouton. Le vin d’Algérie au niveau bas a figuré dans quatre votes, ce qui est spectaculaire.

Le vote du consensus serait : 1 – Yquem 1918, 2 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974, 3 – Clos Sainte-Hune 1990, 4 – Mouton-Rothschild 1964.

Mon vote a été beaucoup plus difficile que d’habitude. Car il y a tellement de vins que je voudrais encourager comme le Pétrus 1994 si joli, le Montrachet ou le Grands Echézeaux. J’ai eu comme mes convives de longues hésitations. Le vote que j’ai retenu est : 1 – Yquem 1918, 2 – Clos Sainte-Hune 1990, 3 – Mouton-Rothschild 1964, 4 – Dom Ruinart 1961. Tout le monde a compris qu’il y a une cohérence entre le fait de demander de ne pas juger les vins lorsqu’on les boit et de procéder à des votes, car ces votes ne constituent en aucun cas une critique des vins. C’est un exercice ludique qui montre sur quels vins chacun a le plus vibré. La personne qui a voté en numéro un pour Yquem 1985 et n’a pas cité dans son quarté Yquem 1918 a un palais différent du mien. Vive la différence ! Une autre question que l’on peut se poser : si pour des vins très disparates les préférences sont aussi variées, à quoi cela sert-il de donner des descriptions analytiques d’une précision confondante, si cela ne sera pas perçu de la même façon par des dégustateurs ?

Nous avons eu ce soir la cuisine épanouie d’un Eric Fréchon au sommet de son art. Les goûts sont francs, lisibles, et cela convient parfaitement aux vins anciens. Jérôme Moreau a suggéré des audaces et je lui en suis reconnaissant. Dans cette belle salle que nous avions pour nous tous seuls, au milieu des rires, nous avons passé une soirée raffinée et mémorable. Une preuve de plus : plus d’une heure après la fin du repas, personne ne voulait quitter la table.

les vins du dîner du 24 janvier 2008 jeudi, 24 janvier 2008

Champagne Laurent Perrier Grand Siècle (ancien)

Champagne La Grande Dame, Veuve Clicquot Ponsardin 1990

Champagne Dom Ruinart Blanc de Blancs 1961

Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1990

Montrachet Bouchard 1999

Pétrus 1994

(l’étiquette est détachée)

Château Mouton-Rothschild 1964

Morgon Champy 1970

Osmara Dom. De Feudeck, Comte Hubert d’Hespel Prop. à Jemmapes (Algérie) 1945

Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1964

Château d’Yquem 1985

Château d’Yquem mise Van der Meulen 1918

 

 Il est à noter que ce qui est écrit est Chateau Yquem et pas Chateau d’Yquem, ainsi que la mention "premier des grands crus", qui n’a jamais été revendiquée par Yquem.