Archives de catégorie : dîners de wine-dinners

dîner du 18 janvier 2007 – les vins jeudi, 18 janvier 2007

le demi-sec de Veuve Clicquot, et l’esquisse du Krug 1988. Rien n’indique que leplus âgé est un rosé : énigme.

 A noter le muselet qui indique un âge certain !

Coche-Dury et Bouchard

Margaux 1934

 Je préfère une étiquette comme celle-là pour Pétrus 1934, car les chances d’un faux sont nettement plus faibles.

 Loubens 1940 et Climens 1943

dîner wine-dinners du 18/01/2007 – le menu jeudi, 18 janvier 2007

Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec  vers années 60

                            Saveurs" terre et rivière"

Champagne Krug 1988

                            Noix de saint-Jacques à l’écume de mer

 Meursault Jean François Coche-Dury 1990

Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997

                            Truffe en croque au sel, onctueuse quenelle de foie gras

Château Rayas Chateauneuf du Pape 1992

                            Blanc de turbot de ligne juste braisé,  pommes rattes truffées 

Pétrus 1934

Château Margaux 1934

                           Feuilleté brioché de truffes noires en gros morceaux

Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951

                           Noisettes de chevreuil, fruits et légumes d’hiver

Château Loubens 1940

                           Stilton

Château Climens 1943

                           Brochette Mangue/Ananas

dîner wine-dinners du 18/01/07 – liste des vins jeudi, 18 janvier 2007

dîner du 18 janvier 2007

1. Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Demi Sec vers années 60

2. Champagne Krug 1988

3. Meursault Jean François Coche-Dury 1990

4. Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997

5. Pétrus 1934

6. Château Margaux 1934

7. Musigny vieilles vignes Comte Georges de Voguë 1951

8. Château Rayas Chateauneuf du Pape 1992

9. Château Loubens 1940

10. Château Climens 1943

dîner des amis de Bipin Desai jeudi, 14 décembre 2006

J’ai déjà abondamment parlé de Bipin Desai, ce scientifique américain qui organise les dégustations thématiques les plus grandioses de la planète. Chaque année depuis six ans, il me charge d’organiser un déjeuner ou un dîner amical, à vins et frais partagés, qui lui permette de rencontrer des amis ou de nouvelles connaissances. Ces dîners étant comptés au sein des dîners de wine-dinners, même si les vins ne viennent pas en totalité de ma cave, ce sera donc le 80ème dîner de wine-dinners.

Bipin m’ayant prévenu très tard, des participants fidèles comme Alexandre de Lur Saluces, Aubert de Villaine ou Didier Depond ne pourront être présents. Ce sera l’occasion d’accueillir de nouveaux amis comme Jean-Jacques Bonnie, propriétaire de Malartic-Lagravière, Jean Hugel, de la maison alsacienne éponyme, Richard Geoffroy, le magicien qui fait Dom Pérignon, ainsi que l’ami qui fut le déclencheur du fabuleux dîner à l’Astrance où figurait le légendaire Cheval Blanc 1947. Les deux habitués sont Bernard Hervet, qui va rejoindre ou a rejoint Faiveley, et mon fils.

Dans le délicieux hall d’entrée Empire du restaurant Laurent, nous découvrons un magnum de Dom Pérignon Oenothèque 1966 dégorgé fin 2004. Un dégorgement de deux ans lui va bien, nous indique Richard. Ce champagne est spectaculaire, et nous laisse quasi sans voix. Le boire avec les commentaires de Richard Geoffroy et ses mises en perspective rajoute énormément à notre plaisir. Les premières évocations vont vers le salin, iodé, Richard dit feuilles vertes comme le troène. Puis arrivent les fleurs blanches comme le jasmin et les fruits roses. Le champagne s’étend lascivement dans le verre, et les fleurs blanches s’ouvrent. Les fruits se densifient. Le message se structure et se simplifie. Et Richard, qui a le même enthousiasme que nous en le goûtant, adore cette simplification qui est le gardien du message historique de Dom Pérignon. Il explique sa démarche qui doit être fondée sur la recherche de la qualité totale, dans le cadre de la continuité décennale du goût. Ce champagne qui ne cesse de s’ouvrir et de dévoiler des myriades de séductions est impressionnant pour tous. Je pense qu’il serait à l’aise avec des plats qui vont dans son sens et des plats qui le provoquent. Ainsi des huîtres et des coques exploiteraient sa tendance iodée, quand un fromage de tête l’exciterait pour exacerber ses arômes.

Nous passons à table dans la jolie salle à manger, et curieusement, notre belle table oblongue ne permettra pas aux conversations d’être générales, mais seulement en petits groupes. C’est sans doute la forêt de verres qui en est la cause.

Philippe Bourguignon a élaboré avec Alain Pégouret un menu très intelligent dont les sauces vont être, ce soir, de vraies vedettes. Saint-jacques marinées au citron, betteraves rouges cuites et fumées au feu de bois / filet épais de gros turbot cuit au naturel, ventrèche et condiments, jus iodé / jarret de veau cuit doucement, légumes d’automne en cocotte, rehaussés d’un jus acidulé / filet de chevreuil relevé au poire de Sarawak, « späzle » à la poêle / vacherin Mont d’Or et reblochon fermier / mousse un peu sucrée de marrons ardéchois en mille-feuille croustillant, brisures de châtaignes grillées. La magie de Laurent a de nouveau fonctionné, avec un service attentif et exemplaire.

Décidément, les vins de Didier Depond n’auront pas de chance. Pour l’académie des vins anciens, Didier avait expédié des vins qui étaient bien arrivés mais avaient été égarés. Pour ce dîner où Didier ne pouvait se rendre, sa gentillesse l’avait poussé à nous offrir un magnum de Delamotte 1985. Redoutant que deux magnums de champagnes soient excessifs, j’avais échangé ce cadeau contre un Salon 1988 qui avait été retrouvé après son absence à l’académie. Hélas, son champagne Salon 1988 est bouchonné. Que d’aventures ! Heureusement, le nez troublant n’empêche pas la bouche d’être passionnante, car si l’on a la sagesse d’accepter un voile un peu astringent et amer, le discours du Salon 1988 se positionne très bien. Nous en convenons volontiers avec Richard qui fait preuve en la matière d’une totale ouverture d’esprit. La combinaison de la mer et de la terre du plat un peu épicé est une belle trouvaille et aurait dû faire chanter ce Salon qu’il faudra vite goûter pour retrouver son charme et sa puissance.

Deux vins que tout oppose vont cohabiter sans se nuire. Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1985, cadeau de Jean-Charles de la Morinière qui ne pouvait venir à ce dîner, se présente un peu fermé. On dirait qu’il peine à ouvrir sa porte pour nous accueillir. On reconnaît cependant, mais en cherchant, tout ce qui fait la noblesse de ce grand vin. En revanche, le Meursault Perrières Coche-Dury 2004 est une bombe. Le nez minéral intense envahit l’espace. Et Richard jubile car il y a dans ce vin les goûts qu’il recherche. Et c’est vrai que le Dom Pérignon, association souvent égale entre le chardonnay et le pinot noir, porte en son chardonnay des intonations que l’on retrouve ici. Comme Richard m’explique, je le ressens beaucoup mieux. Ce Meursault est puissant, expressif, typé, et forme avec la ventrèche un de ces accords qui ravissent le palais, chaloupé par tant d’audace si bienvenue.

Le Château Malartic-Lagarvière 1961 de Jean-Jacques Bonnie arrive en scène avec le soupçon d’un petit voile de poussière. Mais  on sent qu’il va disparaître, et il le fait très vite. Et le doucereux presque sucré, les pain d’épices, moka, café de ce vin s’intègrent magnifiquement. Ce vin épanoui est joyeux. Le jarret de veau est un bonbon fondant dans la bouche, d’une jouissance rare. Mais c’est avec la sauce que le Malartic aime se confondre pour un accord délicat.

Plus de quarante ans séparent le doyen de la table, Jean Hugel aux 82 ans d’une tonicité invraisemblable et les deux jeunets Jean-Jacques et mon fils Frédéric. Et ça ne dérange pas, comme l’écart de plus de soixante ans cette fois entre les deux rouges qui cohabitent sur le gibier. Le Chambertin Clos de Bèze Faiveley 1990 est un vin jeune à qui il manque juste d’être un peu plus assemblé. Prometteur, l’alcool fonçant en avant, on en profite en se disant qu’il ferait mieux de dormir encore un peu en cave. Mais il a de l’avenir. A côté de lui, affichant une couleur d’une rare jeunesse, le Pommard Epenots Joseph Drouhin 1929 confirme à mes voisins Richard et Jean-Jacques tout ce que je racontais sur ma « main verte » ou mon « magic touch » qui les faisaient sourire. Car ce vin est éblouissant et exact au rendez-vous. Ouvert par Patrick Lair ou Christèle, la jolie et souriante sommelière il y a plus de six heures, ce vin explose de jeunesse, sérénité, joie de vivre, naturel. Tout en lui paraît tellement facile. Riche, onctueux, velouté, il forme lui aussi avec la sauce du chevreuil un accord éblouissant.

Une discussion s’instaure entre Richard Geoffroy et Bernard Hervet qui me donne un bonheur immense. Ces deux vignerons se racontent leur compréhension de l’année 2003 et les choix de vendanges qu’ils ont dû faire. Et à partir de là, toute la concordance de leurs analyses s’étale voire s’imbrique. Nous assistons à leur plaisir de constater l’unité de leurs deux visions, à l’avant-garde de ce qui se pratique. J’écoute, tel l’enfant qui laisse parler les grands. Rassurez-vous, Jean Hugel n’allait pas leur laisser la parole. Car quand le Jean est lancé, rien ne peut l’arrêter. Mais il dit des choses remarquablement sensées, et l’âge lui permet de raccourcir le propos sans politesse inutile. Alors, c’est passionnant. Et Jean peut parler, car ses vins lui en donnent la légitimité.

Le vacherin accompagne le deuxième vin que j’ai inclus parce que j’aurais bien aimé que Jean-Pierre Perrin assiste lui aussi à ce dîner qu’il a déjà fréquenté. C’est une bouteille très rare : Châteauneuf-du-Pape Domaine de Beaucastel blanc 1955. Un vin doré d’un cuivre discret, un nez intense d’une rare précision. En bouche, je me pâme, car ce vin a tout pour lui. Les évocations de tous les fruits possibles et imaginables sont là, mangues, ananas, kaki, mais aussi beaucoup de bois précieux. Le message du vin n’est pas dispersé. Il est précis, prononcé, typé, et montre que ces vins vieillissent avec un succès remarquable. 

Jean m’avait annoncé avant de l’envoyer qu’il subodorait que le Riesling Vendanges Tardives Hugel 1966 serait devenu presque sec. Le reblochon se justifie donc mieux que le roquefort qu’aurait aimé voir Bipin, en se fiant seulement au nom du vin. En fait, le choix est bon, même si Jean n’aime pas les fromages avec ses vins, car ce Riesling bien sec est délicat, soyeux, doucereux, calme, et demande une saveur confortable et lisible pour montrer toute la subtilité de ses épices et agrumes suggérés.

Le contraste avec le Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles 1997 est assez spectaculaire. J’avais déjà bu ce vin chez Jean et je m’en souviens comme d’une bombe. Elle est toujours là, donnant au nez autant de souffle que l’on en aurait à l’oreille si l’on était coincé en concert entre Miles Davis et John Coltrane. La puissance est au rendez-vous, mais c’est un David Douillet. C’est-à-dire que ce vin a une force tranquille qui n’a aucun besoin de parader. Le vin est remarquablement construit et n’a pas de nécessité d’en faire de trop.

Quand je demande que l’on vote, les vignerons présents hésitent, car il est toujours embarrassant de voter pour son propre vin. Le Dom Pérignon est consacré roi de la soirée par quatre votes de premier sur huit, sans avoir besoin du vote de Richard. Le Pommard 1929 a deux votes de premier, le Meursault 2004 un vote de premier, ainsi que le Riesling 1966. Tous les vins ont des votes sauf le Salon, naturellement. Le vote du consensus est assez difficile à faire car les votes ont été très dispersés. Ce serait : Dom Pérignon Oenothèque 1966 en magnum, Pommard Epenots Joseph Drouhin 1929, Beaucastel blanc 1955 et Riesling VT Hugel 1966.

Je n’ai pas eu la retenue de Richard et j’ai voté pour mes deux vins aux deux premières places pour une raison simple : je n’ai aucune raison d’avoir la pudeur du vigneron qui fait les vins, mais aussi parce que j’ai mis ces vins pour faire plaisir à mes amis. Il fallait donc que je les aime déjà ! Mon vote est : 1- Pommard Epenots Joseph Drouhin 1929, 2 – Beaucastel blanc 1955, 3 – Dom Pérignon Oenothèque 1966 en magnum, 4 – Riesling VT Hugel 1966.

Nous étions huit dont quatre vignerons de quatre régions distinctes. La joie des discussions, la densité du contenu, la force de l’amitié, ont été considérables. Philippe Bourguignon et ses équipes ont une fois de plus réussi le tour de force de satisfaire tout le monde. Beaucoup de rendez-vous se sont pris, des promesses de se revoir. Grands vins et grande amitié : un grand moment.

dîner wine-dinners du 07/12/2006 jeudi, 7 décembre 2006

Les vins de ce dîner

  1. Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1997
  2. Champagne Dom Pérignon 1985
  3. Corton Charlemagne Verget 1993
  4. Château Latour 1943
  5. Château La Gaffelière Naudes 1929
  6. Vosne-Romanée Les Genévrières Charles Noëllat 1969
  7. Romanée Conti, Domaine de la Romanée Conti 1974
  8. Château Chalon Jean Bourdy 1955
  9. Château Filhot 1986
  10. Château Rayne-Vigneau 1947

dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol jeudi, 7 décembre 2006

Le 79ème dîner de wine-dinners se tient une nouvelle fois au restaurant de l’hôtel Bristol. C’est Virginie, sommelière attentive qui va faciliter une fois de plus le cérémonial de l’ouverture des vins. Un amateur éclairé canadien, qui vit aux Etats-Unis, est intéressé d’observer comment je procède. Les bouchons viennent particulièrement aisément, même si ce fut difficile pour l’un d’entre eux, collé au verre comme à la glu. Les odeurs sont encourageantes et je ne vois pas de problème saillant. La petite incertitude vient du Latour 1943 qui pourrait évoluer de diverses façons. Nous verrons. La Romanée Conti me semble nécessiter un peu plus d’oxygène. Comme son niveau est très haut dans le goulot, il faudrait élargir la surface. Comme j’ai pris depuis longtemps l’habitude d’apprécier le retour à la vie d’un vin en me fiant aux seules odeurs, sans boire le vin, on comprendra que c’est par pur dévouement que, Joe et moi, nous bûmes quelques gouttes de cette exquise Romanée Conti !

Les convives sont presque tous à l’heure et je donne les consignes d’usage sur un champagne Charles Heidsieck  mis en cave en 1997. Je suis très agréablement surpris par l’élégance charmante de ce champagne qui évoque des fleurs et des fruits roses. Le dosage n’est pas excessif, et ce champagne joue exactement son rôle, de nous préparer à un repas de rêve.

Eric Fréchon a travaillé avec Jérôme Moreau à la mise au point d’un chef d’œuvre. Voici ce qu’ils ont imaginé et réalisé : Royale de foie gras fumé, écume d’oseille / Noix de coquilles Saint-Jacques contisées à la truffe blanche d’Alba, gnocchis au jus de roquette et parmesan / Sole de petit bateau farcie aux girolles, sucs d’arêtes réduits à peine crémés au vin jaune / Faisane de foie gras, topinambour et truffe / Comté 18 mois / Stilton / Dégustation autour de la poire.

Nous passons à table dans la merveilleuse salle à manger lambrissée d’une ellipse parfaite. Notre table centrale est belle. Les premiers petits amuse-bouches annoncent que la perfection est ici la norme car la bouchée de chamallow au foie gras est le premier indice du talent du chef, exposé ensuite sur des saveurs délicates. Le champagne Dom Pérignon 1985 arrive sur une entrée que j’avais demandée, tant je l’avais aimée lors d’une récente visite. Cette combinaison de foie gras, d’oseille et de fumé insistant est extraordinairement troublante et vole la vedette au délicieux Dom Pérignon, tant l’énigme est excitante. Mais le Dom Pérignon est suffisamment civilisé pour se prêter à cette farandole gustative. Contraint d’être le Monsieur Loyal du plat, le champagne sophistiqué sait se tenir. Le Corton Charlemagne Verget 1993 est un blanc typé quasi intemporel. Il est tellement rassurant qu’on ne peut lui donner d’âge. La truffe blanche n’est pas la plus explosive, c’est l’année qui veut cela. Et l’intérêt est ailleurs. C’est l’exquise sauce à la roquette (c’est la première fois que je la vois domestiquée comme cela), qui forme avec le bourgogne noble une association d’une provocation passionnante.

Le Château Latour 1943 a une robe d’un rose soutenu, un parfum de grande race. En bouche, il mérite un soin attentif pour en saisir toutes les nuances. Son élégance, sa subtilité sont de grand intérêt. Mais on est attiré par le verre d’à côté. Car le Château La Gaffelière Naudes 1929 fait vaciller toutes les certitudes. J’avais, comme souvent, fait un couplet enamouré sur l’année 1929. Et voici que ce vin, noir comme un 2003 sortant de fût, au nez de truffe, nous donne une perfection gustative presque irréelle. Ce vin est profond, lourd comme le serait un 1961, évoque un grand Cheval Blanc comme le 1947 que nous avons bu avec l’un des convives de ce soir, et dont nous rappelons la mémoire avec émotion. Des convives qui aiment cuisiner disent qu’il serait impossible d’imaginer la jeunesse de ce vin tant qu’on ne l’a pas essayé. L’expérience d’une telle pétulance ne peut pas être crue si on la raconte. Il faut l’avoir vécue.

Le Vosne-Romanée Les Genévrières Charles Noëllat 1969 est bu entre deux plats. Je l’avais ajouté pour le plaisir. Il y a autour de la table des amoureux des vins de Bourgogne. Ils sont comblés. Ce vin d’une grande année bourguignonne résume tout le charme troublant de sa belle région. Notre érudit canadien nous raconte que ce Genévrières a été acheté il y a treize ans par Lalou Bize-Leroy, l’une des grandes personnalités de la Bourgogne. Ce qui indique que le vin qu’on fait sur cette parcelle est de grande valeur. Notre verre le confirme. Le Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques Clair Daü 1961 était éblouissant à l’ouverture. J’en attendais beaucoup. Il est au rendez-vous. Et le contraste avec la Romanée Conti, Domaine de la Romanée Conti 1974 est assez saisissant. Le Gevrey est d’une année divine. Il est assuré, confiant, déclinant le charme généreux de la Bourgogne. Malgré une extraction plus roturière, il s’exprime en gentilhomme à côté de l’empereur des vins, d’une petite année, au charme romantique. Tout est en suggestion dans cette Romanée Conti de grande race. On comprend avec ce vin ce qui fait la réputation de la Romanée Conti car la subtilité est extrême, et les évocations d’épices et de parfums sont innombrables. Il est clairet en haut de bouteille, et j’eus la chance de déguster la fin de bouteille, très foncée sans avoir de lie. Cette concentration de saveurs délicates est un plaisir d’esthète. A deux dîners de suite, nous aurons eu Latour 1947 puis 1943 et Romanée Conti 1967 puis 1974. Cette conjonction est rare.

Pour les deux fromages qui vont suivre, j’ai appris à mes charmants convives le rôle primordial de la salive pour créer un accord gustatif parfait. Celui du comté avec le Château Chalon Jean Bourdy 1955 est naturel. Cet exemplaire du 1955 que j’ai maintes fois bu est particulièrement brillant, avec une présentation civilisée remarquable. Toute la table est sous son charme. Le Château Filhot 1986 est un vrai bambin. Mais c’est plaisant à ce stade du repas. Naturel, franc, il ne surprendra personne. En revanche, le Château Rayne-Vigneau 1947 à la couleur d’un cuivre épanoui, au nez de coing et de mangue, est d’une insolente sérénité. C’est le presque sexagénaire d’une séduction de Dom Juan. Il chante le chant du sauternes avec sérénité et passion. Les variations complexes sur la poire sont déroutantes pour lui.

Les votes sont plus concentrés que d’habitude. Quatre vins ont eu un vote de premier, dont quatre pour la Romanée Conti, trois pour le Gevrey Chambertin 1961, trois aussi pour le La Gaffelière 1929, et un pour le Vosne-Romanée 1969. Le vote du consensus serait Romanée Conti 1974, La Gaffelière Naudes 1929, Rayne Vigneau 1947 et Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques Clair Daü 1961. Mon vote a été : 1 – Château La Gaffelière Naudes 1929, 2 – Rayne Vigneau 1947, 3 – Romanée Conti, Domaine de la Romanée Conti 1974, 4 – Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques Clair Daü 1961.

Le plat le plus extraordinaire est la « Royale de foie gras fumé, écume d’oseille » qui est à se damner. L’accord le plus excitant est le jus de roquette avec le Corton Charlemagne. Le talent d’Eric Fréchon, qui ne cesse de s’affirmer, a permis à des vins de briller et à des convives conquis de s’extasier.

78ème dîner de wine-dinners au restaurant l’Astrance mercredi, 15 novembre 2006

Le 78ème dîner de wine-dinners est vraiment très spécial. Je cherchais une occasion pour faire un dîner au restaurant l’Astrance, car j’ai une sympathie très forte pour le talent de Pascal Barbot et l’intelligence de Christophe Rohat. Il fallait une table qui ne dépasse pas huit convives. Il y a quelques semaines, un ami m’appelle et me demande : « je voudrais faire regretter à un ami de vivre au Chili et pas à Paris. Il faut que tu fasses un dîner tellement extraordinaire qu’il ait des remords de repartir chez lui ». Je cherche un niveau de dîner dont il se souviendrait toute sa vie. Je parle à peine à deux ou trois autres amis de ce projet, et la table est vite formée. Je suis heureux que ce dîner s’organise aussi vite. Aussi, je décide d’ajouter deux bouteilles au programme pour récompenser leur fidélité. Nous nous embarquons dans le grandiose.

Je suis venu déjeuner un mois à l’avance à l’Astrance pour travailler avec Pascal Barbot sur l’adéquation de sa cuisine aux besoins des vins anciens. Nous mettons au point les grandes tendances du menu dans une ambiance studieuse et sympathique.

Le jour dit, j’arrive à 16h30 pour ouvrir les bouteilles, et Pascal, Christophe, et l’attentif Alexandre, sommelier qui avait participé au service, lors du précédent dîner avec une Romanée Conti, vont assister à l’ouverture, sentir les vins, ce qui va nous permettre de changer radicalement le plat qui accompagne le Cheval Blanc 1947. Tous les bouchons viennent entiers, les odeurs très variables n’indiquent aucun risque majeur. Tout se présente bien.

Le menu créé par Pascal Barbot et Christophe Rohat est d’une extrême sensibilité.  Huître au naturel, Caviar / Galette de champignons de Paris, foie gras mariné au verjus, huile de noisette / Rouget, fondue de trévise aux câpres / Quasi de veau grillé, poireau et soja / Pigeon cuit au sautoir, jus de cuisson, potiron / Foie gras chaud, zestes d’agrumes / Stilton crémeux / Mangue tiède et pamplemousse tiède et coing / Madeleines.

Nous sommes tous fébriles, car nous connaissons le programme des vins. Le Champagne Dom Pérignon 1966 est d’un or intense. Sa bulle est très active. Le parfum est envoûtant, et en bouche, c’est d’une intensité et surtout d’une longueur quasi insoupçonnable. Un convive dira qu’il le préfère sans plat. Il est vrai que sa longueur est plus belle quand on le boit seul. Mais l’huître lui fait développer une autre personnalité, et le champignon de Paris tire de lui des accents romantiques. Ces trois situations permettent de voir à quel point ce Dom Pérignon est un vin de gastronomie.

Le Château Lafleur Pétrus 1945 a une couleur qui nous stupéfie. Le rouge est beau, intense, d’un jeune vin. Il est très peu pomerol. Un convive dit Pauillac. En fait les caractéristiques de pomerol se révèlent quand le vin s’épanouit. C’est un grand vin, mais les choses sont difficiles pour lui à côté de Château Latour 1947. J’ai bu de grands Latour, mais je crois volontiers que celui-ci est le plus grand. Sa perfection est impressionnante. Il ressemble au Bordeaux parfait. Une onctuosité, une intégration de toutes les saveurs, une lisibilité parfaite. C’est un vin quasi intemporel. Le vin parfait au bon moment. Avec le côté aérien et romantique des grands bordeaux. Les deux vins ont nagé de jolie façon avec le rouget à la chair très adaptée au pomerol. La trévise était moins à son affaire.

Le vin qui suit est un de mes deux cadeaux, une des légendes absolues de l’histoire du vin : Château Cheval Blanc 1947. J’avais beaucoup d’anxiété. Ce vin allait-il être conforme à sa légende ? Le niveau dans la bouteille était à mi-épaule. Le vin a une couleur d’un rouge de sang en train de sécher, d’une densité extrême. Le nez est sublime, et la légendaire évocation de Porto est là. Plus au nez qu’en bouche. Et  quand on boit, c’est un embarquement vers l’infini. Ce vin n’a aucun équivalent. Pas de repère bordelais. On est conquis par sa densité. Il impressionne, et le quasi de veau était bien le bon choix, décidé seulement à l’ouverture cinq heures avant. Ce vin est grand, dense. J’ai bu quatre fois Cheval Blanc 1947 auparavant. Il est très probable que celui-ci est le premier ou le deuxième des cinq.

Sur le pigeon, je demande à Alexandre, attentif et efficace, de servir d’abord le Vosne Romanée producteur inconnu 1934, pour boire chaque vin séparément. Mais quand je constate qu’il a commencé à servir la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1967, je le laisse faire.

Le 1934 a été mis dans ce dîner car je souhaite qu’il y ait toujours un fantassin dans des dîners de grands vins. Etiquette de négoce sans indication de vigneron, ce 1934 est de la plèbe. Mais quel bonheur ! Tout en lui est simple, calme, serein, et complètement équilibré. C’est beaucoup plus franc et convivial que les bordeaux. Il n’y a pas l’astringence titillante de certains bourgognes. Ici le message est d’une lisibilité totale. Un ami qui suit mes commentaires savait que j’avais l’intention que ce roturier soit dans mon quarté. Je lui trouvais donc de belles qualités. Mais il y a trop de légendes dans ce dîner. La tâche sera rude. Quand je trempe mes lèvres au vin de la Romanée Conti, je pousse un ouf de soulagement, car j’attendais une bonne Romanée Conti après deux ou trois expériences frustrantes. C’est une grande Romanée Conti, totalement conforme à ce que Romanée Conti doit être. L’année est considérée au Domaine comme délicate. Mais c’est dans ces années là que la Romanée Conti montre son talent. La couleur est assez pâle, le nez est d’une complexité rare, et en bouche, toute l’énigme que doit représenter ce vin est affichée. Les dégustateurs qui auscultent chaque épice d’un vin pourraient couvrir des pages entières pour décrire tout ce que ce vin délivre. C’est impressionnant, mais c’est surtout émouvant. J’y vois de jolis fruits rouges frais, des escarpolettes que l’on pousse en chantant, une partie de cache-cache dans les bosquets du jardin du château de Versailles. Mon bonheur est à son comble, car ouvrir Cheval Blanc conforme à sa légende et la Romanée Conti qui donne tout ce qu’elle doit exprimer, c’est une réussite merveilleuse.

Mes convives se demandent vers quels sommets nous allons voyager. Pour tous, l’irréalité de ce que nous vivons est plus enivrante que le vin. La salle le sent aussi car les regards sont insistants autour de nous. Christophe fait disposer les bouteilles vides sur un guéridon visible de tous. Ça en jette !

Arrive alors un de ces accords qui clouent sur place. Qu’un plat et un vin puissent se multiplier avec tant de force est presque insoutenable. Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1999 est une bombe aromatique. Mon voisin chilien n’en revient pas. Tout ce qu’on peut imaginer dans le registre des agrumes et des épices est là, avec une puissance dévastatrice. Et le foie gras dompte toute cette fougue pour créer une suavité diabolique. Le dosage de la sauce aux zestes est l’une des créations les plus réussies que j’aie jamais goûtées.

Bon, on pourrait se dire que ça suffit maintenant. Non, il n’y a pas de limite à l’irréel. Le Château Climens 1929 est servi, et je suis prêt à m’évanouir. C’est le sauternes le plus éblouissant que l’on puisse imaginer. Le Château d’Yquem 1929 est un immense vin. Sa couleur est celle d’un vin de grande race. Mais il provient d’un rebouchage récent, quand le Climens 1929 n’a jamais été  rebouché. Et la différence est sensible. Mon amour des vins anciens est né le jour où j’ai goûté Climens 1923. Avec ce Climens 1929, c’est la perfection la plus inimaginable du sauternes. J’avais demandé des petites assiettes séparées pour la mangue poêlée en dés et les tranches pelées de pamplemousse. Pascal y a ajouté une assiette de coing. L’accord des dés de mangue avec le Climens 1929 est tellement fort que j’appelle en urgence Pascal bien qu’il soit en plein travail. Il constate que cet accord est d’une pureté académique et d’une jouissance sensorielle unique.

Mon deuxième cadeau, c’est le plus grand vin de ma vie : Vin de Chypre 1845. Je l’ai bu de très nombreuses fois, aussi, je n’ai pas la même surprise que mes hôtes subjugués. Le nez de ce vin est un parfum où se mêlent les épices riches et la réglisse. Ce parfum précis est rare. En bouche c’est du bonheur en lingot liquide. Magique, infini, complexe et raffiné, c’est le plaisir pur. Pascal, très passionné par cette expérience, nous apporte une petite crème légère à la réglisse qui s’amuse avec le Chypre.

Nous allons voter, alors que nous n’avons encore fait le plein de surprises. Pour huit votants, cinq vins ont eu l’honneur d’être classés premier, ce qui, compte tenu des vins en compétition, est particulièrement remarquable. Le chouchou de mes chouchous, le Chypre 1845 a été plébiscité, puisqu’il a eu droit à quatre votes de premier, sans le mien ! Dom Pérignon 1966, Cheval Blanc 1947, Romanée Conti 1967 et Climens 1929 ont eu chacun un vote de premier. Peut-on imaginer, dans un dîner où l’on vote pour quatre vins, qu’Yquem 1929 et Lafleur Pétrus 1945 n’aient recueilli aucun vote. C’est inimaginable. C’est renversant. Et c’est pour moi le signe le plus tangible du caractère exceptionnel de ce dîner. Le vote du consensus serait le suivant : Chypre 1845, Cheval Blanc 1947, Romanée Conti 1967 et Climens 1929 (quelle liste !). Mon vote a été : 1- Château Climens 1929, 2 – Romanée Conti 1967, 3 – Château Latour 1947, 4 – Château Cheval Blanc 1947. Je n’ai pas mis dans mon vote le Chypre 1845 car je le connais trop. Ce sont les sublimes surprises que j’ai couronnées. Quelle brochette de vins historiques !

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Un américain avec qui je converse sur des forums avait réservé une table pour dîner avec son épouse. Il m’avait indiqué qu’il apporterait un Bourbon de 1900. C’était le prétexte à faire une troisième surprise.

Le Bourbon whiskey, Boone & knoll Kentucky 1900 est particulièrement éblouissant. Il y a toujours cet effet de l’âge, comme pour les grands cognacs qui vieillissent si bien. Les saveurs s’assemblent, s’imbriquent, et le résultat est d’un charme fou. Magnifique breuvage long, typé comme un Bourbon habillé en dandy. Pour répondre à cette générosité, j’ai apporté la plus belle bouteille que j’ai acquise de la cave du Duc de Windsor. La bouteille est carrée à sa base, et les parois verticales se courbent en haut pour rejoindre le goulot. Sur un écu, le sceau du Duc de Windsor est frappé dans la cire. L’étiquette manuscrite indique : the finest scotch whisky, very great age, John Dewar and sons ltd, Perth rs. Tout me laisse penser que c’est un whisky qui doit dater de 1860 environ. Le whisky sent la tourbe de façon intense. Son nez ne serait pas fade s’il était comparé à des tourbés de notre époque. Mais il n’est plus flamboyant comme il a dû l’être. Ce qui compte, c’est l’échange des générosités. Le Bourbon a gagné. Vive le Bourbon.

Que dire de ce dîner ? Il représente pour moi quelque chose de fort, car on ne prélève pas en cave tous ces flacons historiques sans une grande émotion. Quand on trouve des convives, qui plus est des amis, qui savent apprécier ces vins, même si certains sont inconnus pour eux, la joie est encore plus belle. Quand on sait que chacun des vins était exact au rendez-vous et s’est montré sous son plus beau jour, c’est une satisfaction. Et quand un chef créatif et une équipe attentive réalisent des accords parfaits, alors, on se dit qu’une belle page de la gastronomie la plus fine a été lue ou écrite ce soir par huit amoureux des vins.

les vins de wine-dinners à l’Astrance mercredi, 15 novembre 2006

Les vins :

dans l’ordre : Climens 1929, Yquem 1929, Montrachet DRC 1999, Romanée Conti 1967, Vosne Romanée 1934, Cheval Blanc 1947, Lafleur-Pétrus 1945, Latour 1947, Dom Pérignon 1966, Chypre 1845, whisky cave du duc de Windsor vers 1860.

L’année du Cheval Blanc n’est pas facile à lire. Mais c’est 1947, et un "vrai" 1947.

Un Latour 1947 à la sensibilité unique :

Le Vosne-Romanée, à l’étiquette standard d’un négociant caviste, est ici entouré de Romanée-Conti 1967 et Cheval Blanc 1947. Quel voisinage !

Le goût le plus brillant, cotoyant un champagne de rêve :

Le whisky de la cave du duc de Windsor :