Archives de catégorie : dîners de wine-dinners

le 7ème dîner des amis de Bipin Desai vendredi, 14 décembre 2007

Deux jours après le dîner à Fargues, le 7ème dîner des amis de Bipin Desai, que je comptabilise parmi les dîners faits « à la façon wine-dinners » ce qui lui donne le numéro 94, se tient au restaurant Laurent, à la même date et au même lieu que le 6ème. Chacun des convives a apporté un vin ou un peu plus. Les participants sont Jean Berchon des champagnes Moët & Chandon, Alfred Bonnie du Château Malartic-Lagravière, Didier Depond des champagnes Salon et Delamotte, Bernard Hervet du domaine Faiveley, Jean-Nicolas Méo du domaine Méo-Camuzet, Etienne de Montille du domaine de Montille, Jean-Charles le Bault de la Morinière du domaine Bonneau du Martray, Alexandre de Lur Saluces du Château de Fargues, Aubert de Villaine du domaine de la Romanée Conti, Bipin Desai et moi.

Je viens ouvrir les vins dès 16h30, avec la ferme intention de montrer à ces prestigieux vignerons l’intérêt de ma méthode d’ouverture. Les odeurs les plus belles sont celles du Haut-Brion blanc 1966, de La Tâche 1962 et du Fargues 1947. Pour attendre les convives nous buvons un champagne Laurent-Perrier Grand Siècle NM qui glisse en bouche avec facilité. C’est la meilleure façon possible de se préparer à ce grand dîner.

Nous passons à table et voici le menu conçu par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret : Rouelles de pied de porc / Huîtres spéciales « Gillardeau » N° 2 lutées dans leurs coquilles, bouillon de mousserons citronnés / Homard cuit dans un beurre mousseux, pleurotes et trompettes de la mort / Foie gras de canard rôti posé sur une cracotte, truffes noires / Lièvre à la cuiller / Râble de lièvre saisi en cocotte, salsifis et jus court / Risotto à la truffe blanche d’Alba / Mille-feuille gaufrette à la mangue / Petits financiers aux noix.

Le Champagne Dom Pérignon Œnothèque en magnum 1973 est imposant. Son style est d’une noblesse rare. Le nez est de truffe, de brioche, la bulle est fine et distinguée, mais c’est surtout la trace en bouche qui m’impressionne, déterminée, gaillarde, qui bouscule tout sur son passage. La rouelle de porc est idéale pour mettre en valeur ce champagne d’immense raffinement.

Les huîtres lutées sont marines et délicieuses. Leur originalité plait à tous les convives et c’est le partenaire idéal pour le Champagne Salon 1979 sur lequel j’ai peu d’objectivité tant son goût m’est connu, confortable, rassurant sur sa conformité à son image d’excellence. C’est un grand champagne typé, peut-être moins fou que certains autres millésimes de Salon. Tout le monde se plait à dire que les associations mets et vins démarrent de belle façon.

Sur le homard, nous avons deux vins. Le Château Haut-Brion blanc 1966 se présente au premier abord avec une légère fatigue qui disparaît très vite. A ma surprise nous allons nous livrer avec un de mes amis bourguignons à une joute verbale – heureusement amicale – sur les vertus de ce vin que j’ai apporté. Il dit que ce vin est d’une simplicité affligeante que l’on ne devrait pas associer au nom de Haut-Brion qui ne devrait pas faire de blanc. Je raccourcis le propos bien sûr, en poussant le trait. Bipin vient à mon aide en disant que 1966 est une très grande année pour Haut-Brion blanc et je trouve dans ce vin de plus en plus de charme, de complexité et de subtilité. Alors que j’avais connu cet ami d’une rare ouverture lorsque nous avons dégusté ensemble des vins dont certains n’avaient plus grand-chose à dire, il adopte ici un rejet qui m’était inconnu. Est-ce parce qu’il a un goût fait au vin blanc de Bourgogne qu’il est peu flexible à d’autres orientations ? Tout cela n’est pas bien grave car à côté de ce verre nous avons le Corton Charlemagne Bonneau du Martray en magnum 1969 aux tons dorés qui nous comble d’aise. Cette date a beaucoup de signification pour Jean-Charles qui le boit avec un supplément d’émotion. Le vin est extrêmement surprenant, énigmatique et d’un charme rare. Il est très inattendu et loin des acceptions actuelles du Corton Charlemagne. Le Haut-Brion a bien réagi à la sauce du homard et c’est sur les champignons que le bourgogne blanc crée un accord exceptionnel. Un grand blanc émouvant.

Alfred Bonnie devait se sentir un peu seul à représenter les bordeaux rouges face à l’armée bourguignonne. Mais son Château Malartic-Lagravière 1947 a les armes qui conviennent. Ce n’est pas le plus puissant des Graves, mais il a une subtilité, une élégance qui révèle le foie gras. La petite cracotte est trop sucrée pour le vin et c’est sur la chair délicieuse du foie que ce vin brille de façon convaincante.

Le lièvre à la cuiller est particulièrement fort et goûteux, et l’on aurait peut-être dû concevoir un plat plus calme pour le Pommard Rugiens Domaine de Montille en magnum 1978, mais il s’en tire avec plus que les honneurs. Ce qui frappe immédiatement, c’est un nez spectaculairement joyeux et expressif. Ce nez annonce un grand vin et la bouche confirme. Etienne est heureux que le vin se présente si bien. Le vin se boit avec une rare facilité, glisse en bouche en laissant une trace de bonheur.

Le râble est absolument délicieux et joue juste pour les deux vins que j’ai associés, le Chambertin Clos de Bèze Faiveley 1978 et le Corton Clos Rognet Méo-Camuzet 1959. Philippe Bourguignon avait pensé mettre les deux 1978 ensemble, mais cela aurait créé une compétition non souhaitable alors qu’ici les deux vins sont tellement dissemblables que cela ne suscite aucun challenge. Le chambertin est un vin très précis, clair, droit, qui réagit fort bien sur le salsifis alors que le corton se délecte du râble qui met en valeur sa personnalité affirmée. Ce 1959 que j’avais déjà dégusté en cave avec Jean-Nicolas est une merveille de densité, de puissance et de maturité.

Ce sont maintenant deux exquises expressions de la Bourgogne qui vont accompagner un risotto qui ne met aucun facteur multiplicateur aux deux vins qui sont capables de jouer leur partition tous seuls. La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1962 arrive porteur d’une réputation solide, car c’est une année exceptionnelle pour ce vin. Cette aura n’est pas usurpée car il est splendide. Il est d’un équilibre parfait, d’une précision extrême et ce qui me frappe c’est que je ressens son parcours à l’inverse de celui du Dom Pérignon. Le champagne s’affirmait longitudinalement. La Tâche lance des milliers de flèches gustatives latéralement. Il emplit la bouche en complexifiant son trajet et c’est merveilleux. Fin, racé, élégant et précis sont les caractéristiques que je perçois. Le vin que j’ai apporté, le Pommard Epenots Joseph Drouhin 1929 est, quelle coïncidence, le même que celui que j’avais apporté un an plus tôt au même dîner des amis de Bipin Desai. Il y aurait donc un tropisme qui me pousse vers ce vin qu’Aubert de Villaine trouve excellent. Il a le charme que j’ai déjà décrit, qui me fait l’aimer et me presse inconsciemment de le choisir. Bien sûr, comme il est puissant, les vignerons bourguignons présents se demandent s’il a été un peu aidé. Force est de constater qu’un nez aussi pur et ce goût si bourguignon ne peuvent appartenir qu’à un vrai Pommard. Sa jeunesse pour 78 ans est remarquable. 

Le dessert réalisé par Alain Pégouret a la justesse qui sied au Château de Fargues 1947 éblouissant que nous dégustons sourire aux lèvres. Bipin dit qu’il le trouve supérieur à Yquem 1947. Je n’irais sans doute pas jusque là, car l’oxygénation que j’ai donnée à ce vin ouvert sept heures avant l’arrondit et l’épanouit. Mais ce qui est sûr, c’est que nous goûtons un immense sauternes, doré, joyeux, ensoleillé, plein en bouche, d’un vrai plaisir.

Le Vin de paille Jean Bourdy 1921 que j’ai inséré à la fin du dîner est pour moi comme un bonbon délicieux, évocateur de fruits bruns et de raisins secs. Il est élégant, sans force excessive, et ponctue très bien le parcours que nous avons fait.

Quand je demande que l’on vote, comme à chaque fin de dîner, l’opposition est unanime car l’exercice est jugé trop difficile devant les vignerons eux-mêmes. Je sens que cet exercice modifierait l’ambiance aussi nous ne votons pas. Comment vais-je faire pour archiver ce dîner s’il n’y a pas de vote ? J’en risque un, fait le lendemain : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1962, 2 – Château de Fargues 1947, 3 – Champagne Dom Pérignon Œnothèque magnum 1973, 4 – Corton Clos Rognet Méo-Camuzet 1959. Je n’ai pas inclus le Pommard 1929 que j’avais mis en première place l’an dernier, car ce vote fait le lendemain ne doit pas inclure mes vins, et je suis heureux de mettre en évidence des vins brillants parmi les vins exceptionnels que nous avons bus hier soir. Ces votes, comme je l’ai maintes fois dit, ne portent pas sur la valeur qualitative intrinsèque de chaque vin mais sur le plaisir de l’instant qu’ils ont créé.

Chacun des vignerons était heureux de se retrouver avec ses pairs, Bipin Desai était ravi de se voir fêté par une si prestigieuse assemblée. Il eut à mon égard des mots de reconnaissance qui m’ont particulièrement touché, car je considère Bipin comme l’un des plus grands  ambassadeurs du monde des vins anciens. La brigade du restaurant Laurent ausculte toujours les convives qui sortent de la salle. Ils m’ont confirmé que chacun semblait heureux, réjoui, prêt à recommencer un dîner aussi magnifique. Tous ont vanté le talent d’Alain Pégouret, le service efficace de Denis et de tout le personnel de ce restaurant, sans doute le plus attachant de tout Paris. Une anecdote pour finir : le chef d’Etat Kadhafi avait envoyé ce matin un de ses conseillers pour occuper ce soir la totalité du restaurant Laurent, en promettant d’indemniser tous les clients, quel qu’en soit le prix. Merci Philippe et Patrick de l’avoir renvoyé sous sa tente, car nous aurions perdu un moment irremplaçable de nos vies.

les vins, les plats et les convives du dîner du 14 décembre 2007 vendredi, 14 décembre 2007

Les vins sont dans l’ordre de service.

Il manque le Laurent Perrier Grand Siècle, bu debout dans le salon de réception du rstaurant Laurent.

Les plats :

il y a hélas des photos floues et des photos prises après quelques bouchées !!!

 

Les personnes :

Bipin Desai, Jean Nicolas Méo, Bernard Hervet, Alfred Bonnie, Etienne de Montille.

Le nez d’Aubert de Villaine, Bipin Desai, Jean Nicolas Méo, Bernard Hervet.

Alfred Bonnie, Etienne de Montille qui cache Jean Berchon, François Audouze

 les mêmes

 Aubert de Villaine, Bipin Desai, Jean Nicolas Méo

 La table en fin de repas.

dîner au restaurant de Patrick Pignol – les plats jeudi, 6 décembre 2007

Ceci n’est pas au menu, mais Patrick a toujours un bocal plein de truffes, qui embaument dès qu’on ouvre le couvercle.

 

je n’ai pas réagi tout de suite;

j’ai photographié le poisson avec un peu de retard !

 

 

 

Ma femme est amoureuse de ces coquetiers, mais l’artiste qui les fait a cessé son activité. Hélas !

93ème dîner de wine-dinners au restaurant Patrick Pignol jeudi, 6 décembre 2007

Le 93ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Patrick Pignol. J’aime beaucoup ce chef bouillonnant, enjoué et créatif. Vibrionnant, il crée à l’ultime seconde mais c’est fort juste car il connaît les vins et leurs champs d’excellence. L’équipe est motivée, active, ce qui fait de chaque dîner un grand moment de complicité.

Je viens à 17h30 pour ouvrir les vins avec Nicolas, excellent et sympathique sommelier. Les bouchons, même les plus déchirés, s’extirpent sans difficulté. Les odeurs fatiguées ne représentent aucun souci majeur. Je trouve l’Yquem 1978 un peu endormi et le Laroze 1947 légèrement torréfié. C’est peut-être le seul qui me pose question.

A notre table de neuf il y a six nouveaux dont quatre associés d’une jeune start up qui fêtent les dix ans de leur société. Un ami qui évolue dans le monde du vin participe avec son épouse et deux piliers connaisseurs ferment le cercle d’une table particulièrement joyeuse.  J’ai changé l’ordre des plats prévus par Patrick pour créer des mariages différents. Patrick, avec sa souplesse légendaire a su s’adapter à ces nouveaux choix. Voici le menu : Oursin servi dans sa coque, saveur de panais et tartine iodée / Damier de Saint-Jacques et truffes de Carpentras / Rouget saisi à la minute, huile d’olive aromates et chou-fleur craquant / Perdreau rôti en cocotte, baies sauvages, polenta au lard / Lièvre de Beauce, râble poêlé et crépinette à l’ancienne / Saint-Nectaire / Bleu d’Auvergne / Petits palais de Baba au safran, clémentines rôties. Je mettrais la palme au damier et au dessert, mais nous allons voir.

Le Champagne Dom Ruinart rosé 1986 est une des très belles expressions du champagne rosé. Nous le prenons en apéritif pour attendre un convive qui ne viendra pas. Regarder la porte d’entrée et scruter chaque nouvel arrivant en se demandant si c’est bien lui, c’est un exercice qui demande une souplesse de cou. Cela n’empêche pas ce champagne d’être en pleine possession de ses moyens, sans l’once d’une trace de vieillissement et de déployer son charme féminin.

Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1986 est un des sommets du monde du champagne. Celui-ci est fringant, intense, d’une profonde trace en bouche et il faut bien ça pour tenir le choc d’un oursin puissant, marqué, et envahissant comme il doit l’être. Cet exercice a montré l’adaptabilité du Clos du Mesnil, même si l’image qu’il a donnée dans ce contexte n’est que l’une des facettes de son talent qu’il pourrait déployer sur de nombreuses textures.

Lorsque j’avais ouvert le Meursault Genévrières Nicolas 1952, Nicolas (le sommelier) m’avait immédiatement dit : « il sent la truffe ». C’est cet indice qui m’a poussé à changer l’ordre des plats pour que le Meursault accompagne le damier de Saint-Jacques et truffe. Le Meursault a un nez d’une invraisemblable générosité. Nous l’essayons sur la coquille seule, puis sur la truffe et c’est avec la combinaison des deux que le Meursault s’exprime le mieux. En buvant ce vin chaleureux, joyeux, d’une plénitude conquérante, je repensais au dîner de l’académie des vins anciens où les vins blancs secs avaient tous été parfaits. Voici que de nouveau je bois un vin blanc sans le moindre défaut, qui provient de plus de la cave Nicolas, comme le merveilleux 1947 que j’avais apporté à l’académie. C’est une indication précieuse, mon cher Watson !

Il faut un peu de temps aux novices pour accepter la chair du rouget sur deux bordeaux présentés ensemble. Mais l’accord se fait bien. Le Château Mouton-Rothschild 1964 est rassurant comme pas deux. Il joue dans la douceur, dans le calme et la sérénité. C’est le gendre idéal ou plutôt la bru parfaite car son registre est féminin. C’est un vin confortable. Le Château Laroze Saint-Emilion 1947 en revanche demande une adaptation. Mes jeunes convives qui avaient déjà bu un 1947, leur plus vieux vin, sont heureux de constater la similitude de nez et de goût, qui est le signe de l’année. Et le plus fidèle de mes amis, qui a mémorisé pour toujours le Cheval Blanc 1947, autre saint-émilion, trouve beaucoup de points communs. Il y a dans ce vin un petit caractère torréfié, une once de Porto. Ce qui est spectaculaire, c’est que le vin s’épanouit dans le verre et gagne un charme viril plus qu’étonnant. Alors que le Mouton semblait la vedette sans compétition, le Laroze fit parler de lui plus l’on avançait dans le temps. Il serait assez difficile d’envisager deux bordeaux plus dissemblables que ces deux là. C’est sans doute cette diversité qui comble de plaisir.

Dès la première gorgée, le Pommard Grands Epenots Maurice Bouvret 1969 m’étonne au plus haut point. Jamais je n’aurais imaginé autant de maturité et de sérénité dans ce vin. Il est beaucoup plus riche que ce que je pensais. L’accord au perdreau est parfait. Ce vin est un exemple de gaieté.

Nous allons maintenant avoir une succession de trois bourgognes des années trente qui pourraient remettre en cause beaucoup d’idées reçues. Lors d’un des tout premiers dîners de wine-dinners, le quatrième, j’avais aussi ouvert chez Guy Savoy quatre bourgognes chacun d’une décennie. Un 1955, un 1949, un 1933 (le même Bonnes Mares qu’ici) et un 1926. Aujourd’hui, après le 1969, les trois sont de la même décennie. Le Corton Clos du Roi Brénot Père & Fils 1934 a un niveau bas que j’avais annoncé aux convives. J’avais ajouté une bouteille au programme, pour le cas où. A l’ouverture, le nez était très droit, clair, prometteur d’un retour rapide à la vie. Un de mes amis taquins ne cesse de dire qu’il y a dans ce vin autre chose que du pinot noir, mais je ne suis pas forcément d’accord. C’est vrai qu’il est riche, puissant, imposant. Mais n’y a-t-il pas des bourgognes conquérants ?

Ce qui mène mon ami sur cette piste c’est que le Bonnes Mares Fernand Grivelet 1933 est d’une finesse précieuse assez rare. C’est du Lamartine quand le Corton est du Frédéric Dard. Force est de constater que le Bonnes Mares est d’une subtilité assez inouïe. On rangerait volontiers ses dossiers, tant la cause est entendue. Mais le Corton amorce un de ces retours en grâce qui laissent sans voix. Le Corton se met à s’arrondir, s’anoblir, pour devenir le plus galant des séducteurs. Alors, lequel préférer, nous le verrons au moment des votes. Le lièvre exécuté par Patrick est d’une virilité spectaculaire. On ne rigole pas ! C’est goûteux, même délicieux, et les deux bourgognes s’en tirent avec les honneurs, sans être écrasés ou dominés par la sauvage animalité de la bête.

L’Echézeaux Joseph Drouhin 1937 fait partie de mes chouchous. Il est servi avec un saint-nectaire, car trois vins sur le lièvre eussent été de trop. Et c’est bien qu’il apparaisse seul, car il est éblouissant. Il est une synthèse des deux précédents. Il a la grâce et la subtilité du Bonnes Mares dont la frêle expression bourguignonne m’enchante et la puissance, le coffre du Corton. Tout ceci est tellement bien intégré que j’éprouve un de ces frissons qui ne me trompent pas. Quand un vin est parfait, je ressens comme un choc qui bloque mon corps dans une position d’adorateur, comme figé par une miraculeuse apparition. Ce vin est merveilleux, d’un équilibre rare. Il est à noter que les trois bourgognes de cette décennie sont bons, et représentent chacun une caractéristique flatteuse de la Bourgogne.

Le bleu d’Auvergne est très fort et très salé. Le Château d’Yquem 1978 qu’on me fait goûter entraîne une grimace. Je sens un nez de bouchon qui n’était pas présent à l’ouverture. Le vin est loin de ce qu’il pourrait être. Le nez désagréable disparaît progressivement et le vin s’arrondit. Le bleu révèle même un très bel abricot. Mais cet Yquem n’est pas au mieux sauf pour l’un d’entre nous qui le mettra dans son vote.

Le Château Filhot 1924 avait à l’ouverture un parfum inoubliable. D’un bel or serein il inonde les narines d’une odeur sensuelle. On voudrait s’en faire un bain. En bouche, c’est le plaisir le plus pur, chaud, profond. Le sucre est discret et l’on note des esquisses de thé. Les agrumes sont caressants. C’est surtout l’impression d’accomplissement et la perfection d’assemblage qui dominent dans nos esprits. A noter que le dessert qui me faisait peur dans son intitulé fut d’une précision horlogère pour se marier avec le vin. Ce Patrick Pignol sait y faire.

Il est temps de voter et j’ai eu peur que les votes soient très concentrés, tant nous devisions sur les mérites de nos préférés. Or en fait neuf vins sur onze ont figuré dans les votes. Il y a une logique pour les deux ignorés, le Dom Ruinart 1986 et le Mouton 1964 : ce sont de grands vins, mais ce sont les plus attendus, les plus conformes à l’image qu’on s’en faisait. Cinq vins ont eu la chance d’être nommés premiers, l’Echézeaux Drouhin 1937 quatre fois, le Bonnes Mares 1933 deux fois et le Meursault 1952, le Corton 1934, et le Filhot 1924 chacun une fois.

Le vote du consensus serait : 1 – Echézeaux Joseph Drouhin 1937, 2 – Bonnes Mares Fernand Grivelet 1933, 3 – Château Filhot 1924, 4 – Meursault Genévrières Nicolas 1952. Mon ami le plus fidèle a voté strictement comme le consensus.

J’ai été bien embarrassé car mon amour pour les vieux sauternes me dictait de mettre Filhot en premier, mon amour pour les vins qui me surprennent me conduisait à voter pour le Meursault. Mais j’ai choisi ainsi :

1 – Echézeaux Joseph Drouhin 1937,

2 – Château Filhot 1924,

3 – Bonnes Mares Fernand Grivelet 1933,

4 – Meursault Genévrières Nicolas 1952.

L’ambiance était si agréable que mes amis se mirent à commander des digestifs blancs ou bruns. Est-ce à dire qu’avec 11 bouteilles pour neuf nous n’avions pas assez bu ? Ce dîner amical et enjoué dans un lieu que j’aime fut d’un équilibre parfait.

dîner wine-dinners du 6 décembre 2007 – les vins jeudi, 6 décembre 2007

Champagne Dom Ruinart rosé 1986

Champagne Krug Clos du Mesnil 1986

Meursault Génévrières Nicolas 1952

Château Mouton-Rothschild 1964

Château Laroze Saint-Emilion 1947

Corton Clos du Roi Brénot Père & Fils 1934 (niveau bas)

Bonnes Mares Fernand Grivelet 1933

Echézeaux Joseph Drouhin 1937

Pommard Grands Epenots Maurice Bouvret 1969

Château d’Yquem 1978

Château Filhot 1924

 

statistique sur les 92 dîners de wine-dinners jeudi, 29 novembre 2007

En préparation du Grand Tasting, si jamais des questions m’étaient posées, j’ai regardé les années présentes dans mes dîners.

Sur 92 dîners de wine-dinners, 105 années différentes ont été présentes sur les tables de 25 restaurants ou sites différents.

Voici les millésimes dans l’ordre, avec indication du nombre de vins bus :

1828 : (2)  – 1845 : (5)  – 1860 : (1)  – 1861 : (1)  – 1864 : (1)  – 1865 : (1)  – 1867 : (1)  – 1868 : (1)  – 1870 : (1)  – 1880 : (1)  – 1889 : (1)  – 1890 : (2)  – 1891 : (1)  – 1893 : (1)  – 1896 : (1)  – 1898 : (1)  – 1899 : (3)  – 1900 : (4)  – 1906 : (1)  – 1908 : (2)  – 1910 : (1)  – 1911 : (2)  – 1912 : (1)  – 1913 : (2)  – 1915 : (6)  – 1917 : (1)  – 1918 : (6)  – 1919 : (6)  – 1921 : (8)  – 1922 : (2)  – 1923 : (1)  – 1924 : (8)  – 1925 : (4)  – 1926 : (11)  – 1927 : (2)  – 1928 : (24)  – 1929 : (24)  – 1930 : (4)  – 1931 : (3)  – 1932 : (1)  – 1933 : (5)  – 1934 : (25)  – 1935 : (3)  – 1936 : (2)  – 1937 : (10)  – 1938 : (3)  – 1939 : (2)  – 1940 : (6)  – 1941 : (4)  – 1942 : (1)  – 1943 : (14)  – 1945 : (20)  – 1947 : (35)  – 1948 : (6)  – 1949 : (20)  – 1950 : (11)  – 1951 : (1)  – 1952 : (6)  – 1953 : (19)  – 1954 : (1)  – 1955 : (29)  – 1956 : (5)  – 1957 : (5)  – 1958 : (4)  – 1959 : (32)  – 1960 : (13)  – 1961 : (24)  – 1962 : (14)  – 1963 : (3)  – 1964 : (24)  – 1965 : (6)  – 1966 : (27)  – 1967 : (16)  – 1968 : (1)  – 1969 : (6)  – 1970 : (7)  – 1971 : (15)  – 1972 : (6)  – 1973 : (5)  – 1974 : (5)  – 1975 : (15)  – 1976 : (22)  – 1977 : (1)  – 1978 : (11)  – 1979 : (18)  – 1980 : (10)  – 1981 : (9)  – 1982 : (15)  – 1983 : (20)  – 1984 : (6)  – 1985 : (20)  – 1986 : (16)  – 1987 : (11)  – 1988 : (34)  – 1989 : (19)  – 1990 : (25)  – 1991 : (5)  – 1992 : (14)  – 1993 : (13)  – 1994 : (2)  – 1995 : (5)  – 1996 : (7)  – 1997 : (9)  – 1998 : (4)  – 1999 : (1)  – ss A : (16)  – Total : (918) 

Voici le tri par fréquence d’apparition des années :

1947 : (35)  – 1988 : (34)  – 1959 : (32)  – 1955 : (29)  – 1966 : (27)  – 1934 : (25)  – 1990 : (25)  – 1928 : (24)  – 1929 : (24)  – 1961 : (24)  – 1964 : (24)  – 1976 : (22)  – 1945 : (20)  – 1949 : (20)  – 1983 : (20)  – 1985 : (20)  – 1953 : (19)  – 1989 : (19)  – 1979 : (18)  – 1967 : (16)  – 1986 : (16)  – ss A : (16)  – 1971 : (15)  – 1975 : (15)  – 1982 : (15)  – 1943 : (14)  – 1962 : (14)  – 1992 : (14)  – 1960 : (13)  – 1993 : (13)  – 1926 : (11)  – 1950 : (11)  – 1978 : (11)  – 1987 : (11)  – 1937 : (10)  – 1980 : (10)  – 1981 : (9)  – 1997 : (9)  – 1921 : (8)  – 1924 : (8)  – 1970 : (7)  – 1996 : (7)  – 1915 : (6)  – 1918 : (6)  – 1919 : (6)  – 1940 : (6)  – 1948 : (6)  – 1952 : (6)  – 1965 : (6)  – 1969 : (6)  – 1972 : (6)  – 1984 : (6)  – 1845 : (5)  – 1933 : (5)  – 1956 : (5)  – 1957 : (5)  – 1973 : (5)  – 1974 : (5)  – 1991 : (5)  – 1995 : (5)  – 1900 : (4)  – 1925 : (4)  – 1930 : (4)  – 1941 : (4)  – 1958 : (4)  – 1998 : (4)  – 1899 : (3)  – 1931 : (3)  – 1935 : (3)  – 1938 : (3)  – 1963 : (3)  – 1828 : (2)  – 1890 : (2)  – 1908 : (2)  – 1911 : (2)  – 1913 : (2)  – 1922 : (2)  – 1927 : (2)  – 1936 : (2)  – 1939 : (2)  – 1994 : (2)  – 1860 : (1)  – 1861 : (1)  – 1864 : (1)  – 1865 : (1)  – 1867 : (1)  – 1868 : (1)  – 1870 : (1)  – 1880 : (1)  – 1889 : (1)  – 1891 : (1)  – 1893 : (1)  – 1896 : (1)  – 1898 : (1)  – 1906 : (1)  – 1910 : (1)  – 1912 : (1)  – 1917 : (1)  – 1923 : (1)  – 1932 : (1)  – 1942 : (1)  – 1951 : (1)  – 1954 : (1)  – 1968 : (1)  – 1977 : (1)  – 1999 : (1)  – Total : (918) 

C’est donc un chemin dans le temps que ces dîners ont permis d’accomplir.

Ces dîners font partie de tout ce que j’ai raconté dans 247 bulletins (tous les textes sont sur ce blog), qui couvrent plus de 5000 vins. Voici les années :

En 247 bulletins, les vins racontés concernent 141 années distinctes, plus les « sans année ».

Voici les millésimes dans l’ordre, avec indication du nombre de vins bus :

1769 : (2)  – 1780 : (2)  – 1800 : (1)  – 1805 : (1)  – 1811 : (1)  – 1822 : (1)  – 1828 : (3)  – 1830 : (2)  – 1835 : (1)  – 1840 : (1)  – 1845 : (11)  – 1846 : (2)  – 1856 : (1)  – 1858 : (5)  – 1860 : (3)  – 1861 : (2)  – 1864 : (2)  – 1865 : (6)  – 1867 : (1)  – 1868 : (1)  – 1869 : (1)  – 1870 : (7)  – 1874 : (3)  – 1875 : (4)  – 1876 : (1)  – 1877 : (1)  – 1878 : (1)  – 1880 : (11)  – 1887 : (1)  – 1888 : (3)  – 1889 : (3)  – 1890 : (9)  – 1891 : (3)  – 1893 : (9)  – 1895 : (2)  – 1896 : (2)  – 1898 : (3)  – 1899 : (9)  – 1900 : (20)  – 1904 : (6)  – 1905 : (1)  – 1906 : (6)  – 1907 : (5)  – 1908 : (4)  – 1909 : (2)  – 1910 : (2)  – 1911 : (7)  – 1912 : (2)  – 1913 : (4)  – 1914 : (5)  – 1915 : (18)  – 1916 : (5)  – 1917 : (1)  – 1918 : (13)  – 1919 : (25)  – 1920 : (11)  – 1921 : (29)  – 1922 : (9)  – 1923 : (9)  – 1924 : (21)  – 1925 : (15)  – 1926 : (36)  – 1927 : (3)  – 1928 : (71)  – 1929 : (98)  – 1930 : (15)  – 1931 : (8)  – 1932 : (5)  – 1933 : (23)  – 1934 : (66)  – 1935 : (16)  – 1936 : (7)  – 1937 : (44)  – 1938 : (9)  – 1939 : (8)  – 1940 : (13)  – 1941 : (8)  – 1942 : (22)  – 1943 : (40)  – 1945 : (68)  – 1946 : (5)  – 1947 : (107)  – 1948 : (23)  – 1949 : (70)  – 1950 : (48)  – 1951 : (5)  – 1952 : (39)  – 1953 : (52)  – 1954 : (11)  – 1955 : (92)  – 1956 : (14)  – 1957 : (20)  – 1958 : (12)  – 1959 : (111)  – 1960 : (28)  – 1961 : (83)  – 1962 : (39)  – 1963 : (6)  – 1964 : (79)  – 1965 : (14)  – 1966 : (76)  – 1967 : (50)  – 1968 : (3)  – 1969 : (27)  – 1970 : (52)  – 1971 : (44)  – 1972 : (19)  – 1973 : (25)  – 1974 : (25)  – 1975 : (48)  – 1976 : (79)  – 1977 : (11)  – 1978 : (48)  – 1979 : (65)  – 1980 : (34)  – 1981 : (44)  – 1982 : (92)  – 1983 : (93)  – 1984 : (13)  – 1985 : (120)  – 1986 : (88)  – 1987 : (45)  – 1988 : (146)  – 1989 : (131)  – 1990 : (210)  – 1991 : (48)  – 1992 : (73)  – 1993 : (66)  – 1994 : (43)  – 1995 : (121)  – 1996 : (163)  – 1997 : (143)  – 1998 : (166)  – 1999 : (148)  – 2000 : (129)  – 2001 : (135)  – 2002 : (131)  – 2003 : (124)  – 2004 : (87)  – 2005 : (61)  – 2006 : (20)  – ss A : (165)  – Total : (5171) 

Voici le tri par fréquence d’apparition des années :

1990 : (210)  – 1998 : (166)  – ss A : (165)  – 1996 : (163)  – 1999 : (148)  – 1988 : (146)  – 1997 : (143)  – 2001 : (135)  – 1989 : (131)  – 2002 : (131)  – 2000 : (129)  – 2003 : (124)  – 1995 : (121)  – 1985 : (120)  – 1959 : (111)  – 1947 : (107)  – 1929 : (98)  – 1983 : (93)  – 1955 : (92)  – 1982 : (92)  – 1986 : (88)  – 2004 : (87)  – 1961 : (83)  – 1964 : (79)  – 1976 : (79)  – 1966 : (76)  – 1992 : (73)  – 1928 : (71)  – 1949 : (70)  – 1945 : (68)  – 1934 : (66)  – 1993 : (66)  – 1979 : (65)  – 2005 : (61)  – 1953 : (52)  – 1970 : (52)  – 1967 : (50)  – 1950 : (48)  – 1975 : (48)  – 1978 : (48)  – 1991 : (48)  – 1987 : (45)  – 1937 : (44)  – 1971 : (44)  – 1981 : (44)  – 1994 : (43)  – 1943 : (40)  – 1952 : (39)  – 1962 : (39)  – 1926 : (36)  – 1980 : (34)  – 1921 : (29)  – 1960 : (28)  – 1969 : (27)  – 1919 : (25)  – 1973 : (25)  – 1974 : (25)  – 1933 : (23)  – 1948 : (23)  – 1942 : (22)  – 1924 : (21)  – 1900 : (20)  – 1957 : (20)  – 2006 : (20)  – 1972 : (19)  – 1915 : (18)  – 1935 : (16)  – 1925 : (15)  – 1930 : (15)  – 1956 : (14)  – 1965 : (14)  – 1918 : (13)  – 1940 : (13)  – 1984 : (13)  – 1958 : (12)  – 1845 : (11)  – 1880 : (11)  – 1920 : (11)  – 1954 : (11)  – 1977 : (11)  – 1890 : (9)  – 1893 : (9)  – 1899 : (9)  – 1922 : (9)  – 1923 : (9)  – 1938 : (9)  – 1931 : (8)  – 1939 : (8)  – 1941 : (8)  – 1870 : (7)  – 1911 : (7)  – 1936 : (7)  – 1865 : (6)  – 1904 : (6)  – 1906 : (6)  – 1963 : (6)  – 1858 : (5)  – 1907 : (5)  – 1914 : (5)  – 1916 : (5)  – 1932 : (5)  – 1946 : (5)  – 1951 : (5)  – 1875 : (4)  – 1908 : (4)  – 1913 : (4)  – 1828 : (3)  – 1860 : (3)  – 1874 : (3)  – 1888 : (3)  – 1889 : (3)  – 1891 : (3)  – 1898 : (3)  – 1927 : (3)  – 1968 : (3)  – 1769 : (2)  – 1780 : (2)  – 1830 : (2)  – 1846 : (2)  – 1861 : (2)  – 1864 : (2)  – 1895 : (2)  – 1896 : (2)  – 1909 : (2)  – 1910 : (2)  – 1912 : (2)  – 1800 : (1)  – 1805 : (1)  – 1811 : (1)  – 1822 : (1)  – 1835 : (1)  – 1840 : (1)  – 1856 : (1)  – 1867 : (1)  – 1868 : (1)  – 1869 : (1)  – 1876 : (1)  – 1877 : (1)  – 1878 : (1)  – 1887 : (1)  – 1905 : (1)  – 1917 : (1)  – Total : (5171)

Ce qui est assez amusant, c’est que ce sont les années récentes qui sont les plus représentées. Pour quelqu’un qui ne boit que des vins anciens, je côtoie beaucoup de vins récents !!!

92ème dîner de wine-dinners au restaurant Taillevent jeudi, 22 novembre 2007

Le 92ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Joseph, un ami canadien qui avait participé au dîner au château d’Yquem voulait fêter ses cinquante ans en ce lieu dont il est familier, lors d’un de mes dîners. Il m’avait demandé de livrer mes vins plus de cinq mois à l’avance pour que l’on puisse déterminer si un long repos dans la cave du restaurant Taillevent apporte un équilibre supplémentaire.

J’arrive à 17 heures pour ouvrir les bouteilles et je croise  à l’entrée un groupe d’américains fidèles du restaurant qui quitte seulement le lieu. Cela a retardé les mises en place du soir, et je dois préparer les vins au milieu d’un ballet efficace. La plus grande surprise vient du Laville Haut-Brion 1948. Le bouchon a baissé dans le goulot de six à sept millimètres et le volume libéré est occupé d’une poussière terreuse noire comme du charbon. L’odeur est de terre de cave. J’époussète cette abondante poudre noire. Mais ce qui mérite la remarque, c’est qu’un centimètre plus bas le bouchon est élastique, plein, jaune liège, ignorant ce qui s’est passé un étage plus haut. Le nez du vin est incertain. L’oxygène va sans doute le réveiller. D’autres odeurs sont poussiéreuses, mais je sais que le retour à la vie est assuré. En découpant la capsule du Clos du Pape 1924, je constate qu’un peu de liquide a suinté vers le haut. Je sens. C’est un caramel pur et insistant qui envahit mes narines et je le signale à Alain Solivèrès lorsque je le salue. La plus belle odeur est celle de La Tâche 1955 et la plus motivante pour moi est celle du Nuits Cailles 1915 toujours présent aux rendez-vous que je lui donne.

J’ai donc le temps, malgré la grève, d’aller faire un tour place Vendôme où toutes les boutiques accueillent leurs clients à l’occasion du premier jour des illuminations de Noël. Je salue l’horloger chez lequel j’ai commis une belle folie. Nous bavardons un peu de l’idée d’un dîner que je ferais en ce lieu d’un luxe évident et je retourne accueillir mes convives. Joseph et son épouse Elizabeth ont constitué une table de douze dont je ne connais que trois personnes. L’Italie, le Canada, les USA sont représentés, mais aussi Paris et Besançon. Jean-Claude Vrinat toujours souriant nous a fait l’honneur de nous attribuer le magnifique salon du premier étage que je considère comme le plus beau salon où l’on peut dîner à Paris, avec ses lambris délicats du 18ème siècle. Une petite table pour deux a été ajoutée car Victoria et Henry, les deux jeunes enfants de Joe, habillés comme des princes, vont avoir un petit dîner, proches de nous, avant qu’une nurse ne les reconduise chez eux. C’est touchant et charmant. Henry aime le champagne. Ouf, je suis sauvé !

Le Champagne Dry Monopole, Heidsieck en Magnum 1955 fait partie de ces bouteilles que j’ouvre avec émotion. Il y a tant de bouteilles dans ma cave que je pourrais être indifférent à sortir des exemplaires uniques comme le Clos du pape 1924 que nous boirons plus tard. Mais il y a aussi des bouteilles qui me tiennent à cœur plus que d’autres, comme le Moët 1945 que nous avons bu au château d’Yquem avec Joe, et comme ce champagne que je chéris et que j’aurai sans doute du mal à remplacer. Ce soir, les vins que j’ouvre avec plus d’émotion que d’autres sont ce champagne et le Nuits Cailles 1915, car son stock se tarira forcément un jour. C’est le deuxième que j’ouvre à une semaine d’intervalle, comme l’Anjou 1928.

Le Dry Monopole 1955 a une belle couleur où le jaune a encore des reflets citronnés. La bulle est présente mais sans grande force. Le goût m’évoque instantanément le miel quand une convive voit des fruits jaunes qui apparaîtront plus tard à mon palais. Ce champagne est éblouissant. Il a un bel équilibre, une longueur ravissante, et des saveurs qui entraînent sur des chemins inexplorés pour beaucoup. Notre groupe est conquis par ce grand champagne émouvant, qui remet en cause toutes les idées reçues sur l’âge optimal d’un champagne.

Nous passons à table et voici le menu, créé sous l’autorité de Jean-Claude Vrinat par Alain Solivérès : Rémoulade de tourteau à l’aneth, crème fleurette citronnée / Epeautre du pays de Sault en risotto aux champignons / Viennoise de sole, boutons de guêtre et vieux comté / Palombe rôtie aux légumes d’automne caramélisés / Tourte de lapin de garenne au genièvre / Cristalline aux coings, glace au riz au lait / Croustillant au chocolat et aux fèves de Tonka. C’est un menu élégant, équilibré, où l’on sent que la cause des vins anciens a été prise en compte. Mais voyons plutôt.

Le Dry Monopole 1955 va s’amuser d’une crème de potimarron qui lui fait décliner d’autres facettes. J’explique à mes convives combien les grands champagnes sont flexibles et compagnons d’audaces gastronomiques.

Le Vouvray sec, clos de Nouys, domaine Maurice Audebert 1966 est pour moi une plaisante surprise. Le vin est jeunet mais sage, équilibré, d’une belle acidité, et sa région serait introuvable si je le dégustais à l’aveugle. Ce n’est qu’en fin de verre que je trouverai quelques indices qui le rattachent à son terroir. L’accord est époustouflant. Le radis qui coiffe le tourteau fait ressortir un goût fortement poivré du Vouvray et chacun peut mesurer à quel point le vin améliore le plat et le plat améliore le vin, ce qui est la définition d’un grand accord. Ce Vouvray constitue pour moi une divine surprise.

Je suis toujours servi par le sommelier des premières gouttes d’une bouteille, pour vérifier le vin. Comme j’ouvre les vins et laisse la bouteille verticale, la part du vin qui a été le plus longtemps proche du bouchon m’est servie en premier. C’est la plus ingrate. Aussi quand j’annonce à tous que le Château Laville Haut-Brion 1948 est fatigué, tout le monde me demande ce qui justifie cet avertissement. Et je verrai que les votes vont me donner tort. Mais ce n’est quand même pas le beau Laville que j’adore. Couleur dorée, saveur de Graves, c’est un vin à la palette aromatique plus large que le Pinot Gris Réserve spéciale, Schumberger 1953 qui est servi en même temps. Vin beaucoup plus joyeux et arrondi que le Laville, j’ai tendance à le préférer, contrairement à l’avis de la table. J’aime sans doute que ce vin simple s’exprime avec bonheur ce soir, car cela fait partie des achats de hasard qui foisonnent dans ma cave, cette bouteille étant unique et sans possibilité d’un nouvel essai, sauf improbable bonne pioche. L’épeautre est délicieux et confirme comme pour le premier plat qu’un goût simple, homogène et lisible est indispensable pour l’harmonie des vins anciens.

Le Vin d’Arbois Vigne de Pasteur 1968 est émouvant à plus d’un titre. La parcelle de vigne qui appartient à la famille de Pasteur est vinifiée par Henri Maire, gratuitement, et le vin n’est pas vendu mais réservé à la famille et à des scientifiques travaillant dans la recherche. Ces bouteilles ne sont accessibles que lors de successions et le premier vin que j’ai bu fut partagé avec l’une des descendantes d’Henri Maire. La vinification spéciale rend ce vin incomparable à tout autre. Je le bois avec émotion. La chair de la sole et le clin d’œil du comté sont très adaptés à ce vin légèrement fumé, gêné par un infime petit goût de bouchon qui disparait très rapidement. Mais la sauce est l’ennemie de ce vin, trop forte, trop typée homard, qui l’effarouche. Boire ce vin, c’est s’approprier un atome d’histoire. Les bisontins présents en éprouvent la sensibilité.

Sur la palombe, Marco, le sommelier chef qui fit une prestation remarquable nous présente ensemble deux vins. Le Château Latour 1957 a une couleur d’une jeunesse incroyable. Comment est-ce possible d’avoir ce rubis intense pour une bouteille de la cave Nicolas que j’ai dans la mienne depuis trente ans peut-être, et qui a un niveau dans le goulot ? A côté, La Tâche, domaine de la Romanée Conti 1955 a une couleur pâle, frêle, un peu marquée par l’âge. Je sens le sel dans La Tâche ce qui laisse sceptique une convive qui en conviendra plus tard lorsque le Nuits Cailles fera ressortir le caractère salin de La Tâche. Ce vin du domaine de la Romanée Conti a un charme imprégnant. Mais je lui trouve une petite fatigue, encore plus accusée par la brillance du Latour que l’on n’attendrait jamais à ce niveau pour un 1957. Quelle race, quelle construction. Un vin brillantissime. Et la juxtaposition d’un bordeaux et d’un bourgogne sur le même plat me plait énormément car les vins sont tellement dissemblables qu’il ne sert à rien de les comparer ou d’en préférer un. Je jouis de l’exposé de ces différences, comme je l’avais éprouvé la veille au restaurant d’Alain Senderens. Malgré mon amour pour les vins du DRC, c’est la performance du Latour 1957 qui me séduit.

Le Nuits Saint-Georges « Les Cailles » Morin Pères & Fils 1915 est vraiment mon chouchou absolu. Sa couleur intense donne un coup de vieux à son cadet bourguignon de quarante ans. Le nez est envoûtant et en bouche, c’est la perfection de la Bourgogne qui nous ensorcèle. Il y a autour de la table de grands amoureux de la Bourgogne. Ils sont conquis par ce vin chaleureux, structuré, sain, joyeux, qui est d’une précision exemplaire. Tant d’idées sur les vins anciens tombent avec ce vin, que la table est secouée dans ses préjugés. Et je me demande comment il est possible que ce Nuits soit toujours aussi parfait chaque fois que je l’ouvre. Une réussite incroyable. En croquant la première bouchée de la tourte de lapin extrêmement virile, je me suis demandé si le Nuits subirait le choc de ces saveurs lourdes mais passionnantes. Un tel plat attendrait des vins lourds du Rhône. Mais le Nuits s’en sort remarquablement. La sauce lourde est ici totalement justifiée car le plat la demande. L’accord se fait bien, d’un mutuel consentement.

Nous quittons maintenant le monde des rouges pour celui des vins doux et trois vins ambrés vont s’aligner devant nous. La couleur de mangue ou de pèche jaune de l’Anjou Caves Prunier 1928 fait plaisir à voir . L’ambre du Clos du Pape Fargues  Sauternes 1924 est sombre mais joyeux. Le Château Lafaurie-Peyraguey  Sauternes 1964 fait clair et jeune par rapport à ses aînés. Le nez de l’Anjou est très curieux, multiforme, avec des feuilles vertes qui se mêlent au citron. Une forte impression de litchi envahit la narine. Le Clos du Pape a le nez brillant d’un sauternes épanoui où se déclinent le pamplemousse et la mangue. Le Lafaurie a un nez discret de vin puissant. En bouche, c’est pour moi le Clos du Pape qui survole de loin. L’Anjou 1928 est moins brillant que l’Anjou Rablay 1928, lui aussi des caves Prunier que j’ai ouvert il y a une semaine chez Pierre Gagnaire. Je pense même qu’il y a une légère déstructuration dans ce vin. Le Clos du Pape a perdu l’initiale évocation de caramel pour être plus mangue et l’association avec les coings est absolument divine. La carapace croustillante aurait dû se marier à ce 1924, mais c’est le coing qui est captivant. La présence du Lafaurie-Peyraguey 1964 à côté du 1924 vérifie le théorème que je lance toujours comme une boutade, mais qui est une vérité immuable : « toute personne qui n’a jamais bu de sauternes d’avant 1935 n’a jamais rien bu ». Car le Lafaurie généreux, goûteux, puissant serait joli tout seul. Mais il est infantile à côté du 1924 et trop simple par rapport au flamboiement langoureux de ce vin de 83 ans.

Nous allons vivre maintenant l’un de ces accords qui font date. Le dessert au chocolat est une merveille. Et l’on sait qu’avec le chocolat, l’accord se fera avec du Maury ou avec un alcool brun. Le Vin de Massandra, Collection Massandra (19°) 1953 que j’ai acheté avec un lot de ces vins multiformes de Crimée possède des étiquettes nombreuses et fort bavardes. Mais comme tout est écrit en cyrillique, c’est comme si nous buvions à l’aveugle, car les vins de Massandra ont exploré une impressionnante quantité de cépages. Alors, que trouve-t-on ? Une couleur foncée mais sans la densité d’un porto. Un nez étrange, énigmatique ou furtivement je ressens les effluves de vins médicinaux. En bouche, on est avec une grappa sans la charge alcoolique. C’est très alcool. Et je perçois immédiatement une caractéristique chère à mon cœur : la réglisse. Et ce vin indéfinissable, qui tient de la grappa mais aussi de vins mutés assez doux dont l’alcool ressort s’accorde au chocolat d’une divine façon. C’est voluptueux. Mon palais est celui des festivals, celui dont des stars aux courbes violentes gravissent les marches pour susciter mille rêves de folies. Il y a un mariage d’une sensualité exacerbée qui restera gravé dans ma mémoire car on transcende les deux accords classiques du vin ou de l’alcool sur du chocolat.

Vient le moment des votes. Au risque de me répéter, je prends ces votes avec un plaisir profond et une fierté certaine. Car j’ai apporté douze vins de sept régions différentes et j’ai demandé aux douze votants de désigner quatre vins qui sont leurs préférés sur les douze de cette soirée. S’il y avait quatre vins qui sortent du rang, quatre succès assurés, les votes seraient concentrés. Or onze vins sur douze ont figuré dans les votes. C’est un immense encouragement pour moi à explorer des vins disparates, parfois inconnus et peut-être disparus de toutes les caves. Le seul vin qui n’a pas eu de vote est le Pinot Gris 1953 de Schlumberger que j’ai pourtant trouvé fort bon, et des vins que j’ai estimés en sous performance par rapport à ce qu’ils pourraient être ont eu des votes, comme le Laville Haut-Brion 1948, l’Anjou 1928, La Tâche 1955 ou le vin d’Arbois 1968.

Quatre vins ont eu l’honneur d’une place de numéro un, le Nuits Cailles 1915 quatre fois et le champagne Dry Monopole 1955 quatre fois aussi. Le Clos du Pape 1924 a eu trois votes de premier et le Latour 1957 un vote de premier. Le vote du consensus serait : 1 – Nuits Saint-Georges « Les Cailles » Morin Pères & Fils 1915, 2 – Champagne Dry Monopole, Heidsieck en Magnum 1955, 3 – Clos du Pape Fargues  Sauternes 1924, 4 – Château Latour 1957.

Mon vote a été : 1 – Nuits Saint-Georges « Les Cailles » Morin Pères & Fils 1915, 2 – Clos du Pape Fargues  Sauternes 1924, 3 –  Château Latour 1957, 4 – Champagne Dry Monopole, Heidsieck en Magnum 1955. Ce n’est pas fréquent que le vote du consensus et le mien portent sur les mêmes vins, dans un ordre différent.

Joe me demandant si le séjour prolongé en cave de mes vins apportait quelque chose, je dus lui dire que tant de facteurs jouent sur la performance d’un vin que le passage en cave n’influence que les décimales.

Taillevent a fait comme à son habitude une prestation de grande qualité. Le service efficace, la gentillesse de Jean-Claude Vrinat, le menu bien ordonnancé qui a produit quelques accords rares, le salon de toute beauté, tout cela portait au bonheur. Mais ce fut l’ambiance de la table qui a fait de ce dîner un moment d’une intensité exceptionnelle. Un ami de Joseph qui participa au repas au château d’Yquem fit un petit speech pétillant d’esprit sur Joe et Elizabeth, avec sensibilité, exprima tout ce que Thanksgiving Day apportait à la joie amicale et familiale. Tout le monde a communié à l’amitié, à la bonne chère et aux vins anciens. Ce fut l’un des plus enthousiasmants de mes dîners.

dîner de wine-dinners du 22 novembre 2007 – les vins jeudi, 22 novembre 2007

Champagne Dry Monopole Heidsieck en magnum 1955

Vin d’Arbois Vigne de Pasteur 1968

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Château Laville Haut-Brion 1948

Château Latour 1957

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1955

Nuits Saint Georges « Les Cailles » Morin Père & Fils 1915

On lit sur la capsule Morin Père & Fils à Nuits Saint-Georges

Anjou Caves Prunier 1928

Château Lafaurie-Peyraguey Sauternes 1964

Clos des Papes Fargues Sauternes 1924

 J’ai ajouté à ce dîner un Vouvray sec Clos de Nouys Maurice Audebert 1966,

un Pinot Gris réserve spéciale Schlumberger 1953

et un Massandra Madeira, Collection Massandra 1953 (19°).

dîner au restaurant Taillevent jeudi, 22 novembre 2007

La très belle table du salon du premier étage. On voit au fond la petite table où les enfants de Joseph vont dîner.

 

Amuse-bouche en émulsion de potimarron et tourteau

 

épeautre et sole

palombe; j’ai oublié de photographier la tourte au lapin, quel dommage !

 

deux desserts magnifiques qui ont créé des accords divins (voir compte-rendu).

 C’est toujours triste quand il en reste autant dans les verres, mais on peut voir les belles couleurs de ces vins extrêmement rares.