Archives de catégorie : dîners de wine-dinners

223ème dîner au restaurant Laurent mercredi, 4 avril 2018

Le 223ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Le Laurent. Il a été décidé en un temps record, un fidèle de mes dîners m’indiquant qu’un américain de Boston voulait fêter avec ses associés et ses conseils la concrétisation d’un contrat dont je n’ai pas demandé qu’on m’en dise plus. Les vins ont été livrés il y a une semaine.

Lorsque j’arrive à 17 heures pour ouvrir les vins, Ghislain, le sommelier-chef du restaurant, a déjà disposé les bouteilles du dîner sur une table dans l’ordre de service pour que je puisse prendre la traditionnelle photo. J’apprécie beaucoup cette initiative. Sur une table voisine tout ce dont je pourrais avoir besoin est en place. J’ouvre les bouteilles dans l’ordre de service et je n’ai pas le souvenir d’avoir ouvert tant de bouteilles sans que l’une d’entre elles ne me pose des problèmes d’odeurs inamicales. Aujourd’hui tous les parfums sont parfaits. Tiendront-ils, nous verrons. Le pomerol Caillou 1953 a un divin parfum de pomerol, nettement plus riche que celui du Pétrus 1966. Je me pâme en sentant le message odorant de l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1981 qui est tellement caractéristique du domaine. L’Yquem 1961 paraît beaucoup plus sec que le Climens 1943 plus botrytisé. Arrive maintenant l’ouverture du dernier vin, non inscrit au programme, que j’ai ajouté comme un cadeau. C’est un Rota 1858, seules mentions sur l’étiquette écrite à la main. Il y a très peu d’informations sur le web sur ce vin d’Andalousie et comme le verre est opaque je ne sais pas de quel type de vin il s’agit, rouge, blanc ou liquoreux. Le bouchon est très fortement collé à la paroi et s’émiette facilement. Il me faut cureter au début pour pouvoir lever le tout petit bouchon au liège parfait. Je fais sentir à Ghislain qui me devance pour dire que ce nez est le même que celui de mes vins de Chypre 1845. Ces fragrances sont celles d’un parfum, envoûtant, ensorcelant, fait de poivre, d’épices de réglisse, de zestes, d’une richesse infinie. Et je ne peux m’empêcher d’éprouver une immense joie. Dans la caverne d’Ali Baba que j’ai acquise, les Rota 1858 étaient des inconnues comme les bouteilles sans étiquettes. Savoir que ce Rota 1858 est du niveau du vin le plus cher à mon cœur, le Chypre 1845, ne peut que me combler.

Nous sommes treize dont trois femmes. Comme l’organisateur de ce dîner est américain, le dîner se tient en anglais, aussi, comme presque tous les convives me sont inconnus et parlent anglais, je ne sais quelle est la proportion d’américains et de français. Je la suppose moitié-moitié.

Dans le salon d’entrée en forme de rotonde nous buvons le Champagne Salon Magnum 1997 sur de belles gougères au fromage. Ce champagne, c’est à la fois le gendre idéal, car il est insolent de charme, façon George Clooney à vingt ans, et à la fois macronien dans le sens de « et en même temps », car il combine facilité de lecture et complexité et il combine un caractère vineux avec un grand romantisme. Il a tout pour lui et se situe à plus de vingt ans en un moment de plénitude.

Nous passons à table. Le menu préparé par Alain Pégouret est : Araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil / Morilles et petits pois lutés, sucs à peine crémés, ail des ours / Pièce de bœuf servie en aiguillettes, pommes soufflées / Agneau de lait mariné aux herbes cuit en robe des champs, crispy de cébettes et d’artichauts, fondue de cœur de romaine / Ris de veau rissolé, blettes d’olives noires / Stilton / Merveilleux à la mangue / Les palmiers « Laurent ».

Le Champagne Ruinart Père &Fils 1955 est le seul vin que j’avais goûté avant le repas car verser un verre nuit à l’intégrité de la méthode d’oxygénation lente, qui est d’autant plus efficace qu’on ne touche plus à la bouteille qui vient d’être ouverte. Le champagne m’avait conquis mais j’avais mesuré combien ce champagne peut être difficile à comprendre si l’on n’a pas l’habitude des champagnes anciens. A ma grande surprise, tous les convives ont apprécié ce champagne sans bulle mais au pétillant bien présent, aux goûts d’automne mais ensoleillé. Très riche et long en bouche il est adouci par l’araignée de mer et se montre d’un charme confondant. C’est un très beau champagne généreux, précis et ciselé.

Les morilles accompagnent deux vins. Le Château Laville Haut-Brion Graves 1982 est d’un jaune clair irréellement jeune, et c’est une caractéristique de ce vin à tous les âges. Il est complexe, jouant sur son acidité idéale et un beau caractère de Graves et ce qui frappe c’est sa largeur épanouie. C’est un guerrier triomphant. A côté de lui le Kebir-Rosé Etablissements Frédéric Lung Alger #1947 à la couleur d’un thé rose est un inconnu de tous les convives sauf deux qui ont déjà participé à un de mes dîners au George V où je l’avais servi. Il est surprenant car l’on n’a pas de repère. Ghislain à l’ouverture avait senti de la datte dans son parfum. Je ressens aussi des esquisses de café et il me semble plus dans une ligne de vin blanc que de vin rosé. Ce pourrait être un Rhône blanc riche et noble. Tout le monde est conquis par ce vin. L’accord des morilles est aussi intéressant avec chacun des vins. Le Laville s’élargit et le Kebir le rend plus profond.

Sur la pièce de bœuf à la lourde sauce il y a trois bordeaux de la rive droite. Le Château Ausone 1964 est exceptionnel de raffinement. J’attendais un Ausone solide et je bois un Ausone noble et galant, un Aramis, un Alfred de Vigny. C’est un très grand Ausone raffiné. Le Château Le Caillou Pomerol 1953 est la définition absolue du pomerol parfait, plus encore que son voisin plus capé. Il est riche, exsude la truffe, et montre une énergie insoupçonnée. Le Pétrus 1966 est tout en subtilité. Bien moins triomphant que le Caillou, il est comme le calligraphe japonais qui ne sera compris que par des initiés. Son message est subtil, dosé, raffiné et apparemment toute la table le comprend. Le Caillou réagit bien sur la lourde sauce.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1981 a les caractéristiques que j’aime, la rose et le sel. Je l’adore car il est tout en suggestion. Ce n’est pas un vin puissant, c’est un vin qui suggère des notes de grande intelligence. A côté de lui, sur l’agneau de lait, le Château Corton Grancey Louis Latour 1964 est d’une sérénité inouïe. C’est le vin de Bourgogne parfait. J’ai bu plusieurs fois ce 1964 et jamais je ne l’ai rencontré aussi épanoui et équilibré. Les votes vont consacrer sa brillante prestation. J’ai mangé la viande sur le Corton et la salade d’une belle amertume sur l’Echézeaux car cette romaine a exacerbé les amertumes du 1981 dans une alliance de toute beauté.

L’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962 est d’un équilibre absolu. Il est fin, raffiné, très bourguignon sans renoncer à ses origines rhodaniennes. Je suis amoureux de ce vin si facile à lire, comme le Salon 1997, mais révélant de belles complexités. L’accord avec le ris de veau est divin.

Les deux sauternes seront servis sur deux plats, le stilton d’abord et le dessert à la mangue ensuite. Le Château d’Yquem 1961 est noble et a mangé une partie de son sucre. Il joue donc sur sa finesse et le salin du stilton le met en valeur beaucoup plus que le Château Climens Haut-Barsac 1943 à la robe d’acajou doré et au botrytis épanoui. Alors qu’intrinsèquement le Climens est plus large et plus joyeux que l’Yquem c’est ce dernier qui recueillera des votes alors que le Climens sera injustement oublié.

Vient maintenant dans sa magnifique bouteille opaque au cul très profond le Rota vin d’Espagne 1858. La robe est complexe avec des tons très foncés mais aussi des tons jaune clair comme en un mélange irréel. Le nez est toujours aussi envahissant et en bouche c’est du plomb fondu de bonheur. Il y a un poivre intense, de la réglisse, des zestes d’orange suggérés. De nombreuses épices s’y ajoutent mais c’est surtout sa persistance aromatique qui est infinie. C’est un cousin du Chypre 1845, vin absolument divin.

Il est temps de voter et c’est bien difficile car je pense devant tant de perfection que si je refaisais mon vote dans une heure je pourrais voter différemment. Nous votons pour nos cinq préférés. Sur 13 vins, 12 ont eu au moins un vote. Six vins ont eu l’honneur d’être nommés premier. L’Hermitage la Chapelle a eu 4 votes de premier, le Corton Grancey 3 votes de premier, l’Echézeaux et le Rota 1858 ont eu 2 votes de premier, le Laville et le Pétrus ont eu un vote de premier.

Le classement du consensus serait : 1 – Château Corton Grancey Louis Latour 1964, 2 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1981, 3 – Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962, 4 – Château d’Yquem 1961, 5 – Pétrus 1966, 6 – Château Laville Haut-Brion Graves 1982.

Mon classement est : 1 – Rota vin d’Espagne 1858 , 2 – Château Corton Grancey Louis Latour 1964, 3 – Château Laville Haut-Brion Graves 1982 , 4 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1981 , 5 – Château Ausone 1964.

Lorsque j’ai demandé aux convives quel était l’accord qui les a le plus enthousiasmés, quelle ne fut pas ma joie de constater que tous les plats ont été cités comme étant le meilleur accord mets et vins pour au moins l’un d’entre eux. Bravo au chef Alain Pégouret d’avoir créé des plats si lisibles qu’ils ont collé aux vins. Le service a été parfait, Aurélien qui a fait le service des vins a été très attentif et a réussi parfaitement. Etions-nous dans un jour fleur ou un jour fruit ou un autre jour pour que tous les vins se soient présentés dans la forme la plus aboutie qu’ils pourraient avoir, je ne sais pas, mais ce dîner fut une réussite totale.

Champagne Salon Magnum 1997

Champagne Ruinart Père &Fils 1955

Château Laville Haut-Brion Graves 1982

Kébir-Rosé Etablissements Frédéric Lung Alger #1947

Château Ausone 1964

Château Le Caillou Pomerol 1953

Pétrus 1966

Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1981

Château Corton Grancey Louis Latour 1964

Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962

Château Climens Haut-Barsac 1943

Château d’Yquem 1961

Rota vin d’Espagne 1858

(cette étiquette est plus lisible que celle de la bouteille – identique – qui a été ouverte)

textes trouvés où les vins de Rota sont signalés

photo en cave

photo au restaurant

il y a quelques plats que je n’ai pas photographiés

les votes et les classements

la table en fin de repas

Déjeuner au restaurant l’Ecu de France dimanche, 1 avril 2018

Deux amies américaines, fidèles de mes dîners, avaient assisté au 222ème dîner au restaurant Pierre Gagnaire. Ma femme et moi les invitons à prendre un apéritif chez nous puis à déjeuner dans un restaurant que nous aimons. A domicile, j’ouvre un Champagne Krug Grande Cuvée à l’étiquette « gold » fait avec des vins qui ont plus de 30 ans. Le bouchon est beau, le pschitt est faible à l’ouverture mais le pétillant est fort et même très fort car la présence de la bulle est insistante. Je me suis dit qu’il eût fallu ouvrir la bouteille plus de deux heures avant. La couleur est joliment ambrée et le champagne est noble, présent, imprégnant. Avec le jambon Pata Negra délicieux il est agréable, mais pour une fois, car c’est rarement le cas, je le trouve plus vibrant sur la poutargue. Nous montrons à nos amies l’accord champagne et camembert qu’elles ne connaissaient pas et il me paraît que ce camembert Moulin de Carel conviendrait mieux à un jeune Salon qu’à un Krug à maturité comme celui-ci.

Nous nous rendons ensuite au restaurant l’Ecu de France car nous voulons montrer à nos amies ce restaurant traditionnel et historique dont la décoration n’a pas changé d’un détail depuis que je le connais, c’est-à-dire il y a plus de soixante ans. Nous l’aimons pour le décor, pour la carte des vins intelligente constituée par la famille Brousse de père en fils mais aussi pour la cuisine inspirée d’un chef haïtien au sourire inextinguible, Peter Delaboss.

Le menu créé par Peter Delaboss est : foie gras au caramel de betterave / velouté de corail truffé et Saint-Jacques rôties / filet de biche en croûte de céréales, jus cacaoyer / soufflé à l’orange et Grand-Marnier.

Le Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé le 29 juillet 2013 a une belle couleur ambrée. Quelle surprise car il se montre très largement plus brillant que le Krug bu à la maison. Il a du charme, une extrême présence, de la puissance et de la complexité. Il se marie judicieusement avec le foie gras.

Le Bienvenue Bâtard Montrachet Louis Carillon et Fils 1999 est très généreux, ample, avec une longueur spectaculaire. Ce vin riche et gourmand est une très agréable découverte. Il bénéficie de la force de son millésime. L’accord avec les coquilles est parfait, appuyé par la force du corail des Saint-Jacques.

J’ai apporté La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992. Nous avions bu avec nos deux amies au dîner d’il y a deux jours La Tâche 1961 qui n’était pas parfaite. Ce vin est une belle revanche. Le vin est beaucoup plus puissant que ce que laisse entendre son millésime et il exacerbe joliment les qualités du domaine de la Romanée Conti. Hervé Brousse, qui dirige le restaurant dans la continuité de ses parents et à qui je fais goûter le vin, trouve dans ce 1992 des aspects d’une Romanée Saint-Vivant du domaine. J’avoue que je suis plutôt sur le terrain d’une belle La Tâche, dont les complexités sont ciselées. Le filet de biche est exactement ce qu’il faut pour mettre en valeur La Tâche.

Le soufflé au Grand-Marnier dont on sent à peine l’alcool n’appelle aucun vin en particulier, mais on peut finir les verres qui sont sur table sans commettre un contresens.

Le chef avait conçu son menu sans connaître les vins que nous choisirions. Nous avons réussi, par la grâce de l’ange gardien qui surveille nos agapes, à faire un repas de haute gastronomie avec des accords très pertinents. L’ambiance était souriante, nos amies américaines repartiront demain en leur pays, pour revenir en fin d’année pour de nouvelles aventures.

222ème dîner au restaurant Pierre Gagnaire jeudi, 29 mars 2018

Le 222ème dîner se tient au restaurant Pierre Gagnaire. J’avais fait le 91ème dîner en son restaurant parisien et j’ai eu envie de recommencer. La mise au point du menu s’est faite en deux temps, d’abord avec Pierre Gagnaire, puis, sous son autorité avec les chefs Thierry Méchinaud et Michel Nave. Les vins avaient été apportés il y a plus d’une semaine. A 16h30 commence la séance d’ouverture des vins. Je suis rejoint par Logan sommelier qui fera le service des vins et je lui fais sentir, ainsi qu’à quelques membres de l’équipe du restaurant, les parfums des vins. Ce qui est assez invraisemblable c’est que ce sont les vins les plus vieux qui ont les parfums les plus généreux. Dans l’ordre d’âge, le Chypre 1870 a un parfum lourd qui évoque des madères et un poivre insistant. Le Musigny 1906 a un parfum marqué d’un beau fruit, le Lafite 1908 qui a été reconditionné au château en 1990 a un fruit insolent et fort curieusement un bouchon qui se casse en deux, l’Yquem 1921 a des fragrances exceptionnelles, à se damner. La seule mauvaise surprise est celle de La Tâche 1961 dont le bouchon, seulement à moitié levé, exprime une odeur de serpillère insistante. Le bouchon vient entier, noir et gras et le vin sent la lavasse. J’ai bien peur pour lui et c’est le seul. Le bouchon du Musigny 1906 a été sorti en charpie, émietté comme rarement.

Les convives sont presque tous à l’heure et nous sommes onze dont deux fidèles américaines qui viennent spécialement en France pour mes dîners, trois nouveaux, cinq habitués et moi.

Le Champagne Dom Ruinart magnum  1998 est une très belle surprise car il est épanoui. J’ai toujours du mal à considérer qu’un champagne de 1998 n’est pas un jeune bambin, alors qu’il a vingt ans. Son épanouissement, sa joie de vivre me plaisent. Les amuse-bouches sont d’une diversité extrême et d’un raffinement absolu. Tout le talent de Pierre Gagnaire est déjà exposé dans ces complexités goûteuses. Et le champagne s’en régale.

Le menu composé par Pierre Gagnaire et ajusté récemment avec ses deux chefs est : Croquant chocolaté de foie gras de canard, salade de champignons de Paris, velouté Blanc, brioche toastée de palette ibérique, compote de gold rush aux oranges sanguines / Poireau grillé farci de coques et couteaux, pousses d’herbes sauvages des côtes du Croisic, raviole de seiche, navet daïkon / Sole meunière – les filets sont taillés en goujonnettes, fèves, petits pois, pointes d’asperges et nèfles. Soupe verte émulsionnée avec le beurre de cuisson du poisson / Grosse langoustine croustillante 1982 – condiment Dundee-Peecky, galette de blé noir. Une bisque / Cassolette de morilles au curry madras, côtes de romaine, oignons cébettes, pain soufflé farci de ris de veau, lard de Bigorre / Quasi de veau fermier à la Milanaise – purée de carotte au jus | tête de veau / Coffre de canard de Challans enveloppé de poudre de cacao aux aromatiques sous une cloche de chocolat amer – fines aiguillettes laquées d’une bigarade à l’ail fermenté Aomori. Pomme de terre FiFine / Fromage Stichelton / Parfait vanille de Tahiti | mangue jaune / Petits fours et financiers.

Avec le menu Pierre Gagnaire a fait remettre à chacun une lettre manuscrite dans laquelle il s’excuse de ne pas être auprès de nous. Cette attention est très appréciée.

On me fait goûter en premier tous les vins et lorsque je bois la première gorgée du Champagne Salon Le Mesnil  1964, c’est comme si j’ouvrais les portes de Paradis. La couleur est d’un ambré clair, le nez est tétanisant de perfection percutante et le champagne est tout simplement divin. S’allument en moi toutes les références que j’ai des champagnes Salon et l’on est au firmament de ce que peut offrir ce divin champagne. L’entrée au foie gras est délicate mais mon esprit est au Salon, même si la palette ibérique fait briller le champagne. C’est une des plus belles émotions que j’aie eues avec Salon.

Le Clos de la Coulée de Serrant Mme A. Joly Savennières 1962 est l’un des cinq grands vins choisis par Curnonsky comme représentant l’excellence du vin blanc français. L’année 1962 est une des plus grandes années de ce cru de Loire. La pureté de ce vin est extrême. Tout en lui est fluide et équilibré. Je m’en régale et le plat de poireau forme avec ce vin un accord qui est probablement pour moi le plus grand de repas car la continuité est saisissante.

Par contraste, le Meursault Leroy Négociant 1966 est puissant et beaucoup plus ouvert. C’est un Meursault Village de haute qualité assemblé par un négociant de renom, mais même s’il est généreux il ne peut pas cacher qu’il est Village. On est loin du coffre d’un grand cru. La sole est excellente et très épurée, avec des goûts extrêmement lisibles et gourmands.

Le Château Lafite-Rothschild Pauillac 1908 avait à l’ouverture un nez marqué par un fruit de toute beauté. Le nez est encore impressionnant mais en bouche il y a une acidité sensible que le nez ne laisse pas imaginer. En sachant lire entre les lignes, on trouve un Lafite de grande race et de belle richesse mais l’acidité limite un peu le plaisir. Fort heureusement la divine langoustine et sa bisque apportent de la douceur à ce vin de haute lignée. Il est possible que ce soit le rebouchage en 1990 qui ait apporté cette acidité.

Le nez du Pétrus Pomerol 1976 est dix fois expressif qu’à l’ouverture. Le vin a profité de l’oxygénation lente et c’est une merveille absolue. Si l’on voulait trouver ce que serait la définition du Pétrus archétypal, il ne faudrait pas chercher plus loin, c’est celui-ci. Je l’adore. Il a de la truffe, de la richesse, une densité infinie. Sa longueur est celle d’un seigneur. Il faut écarter tous les légumes verts du plat de morilles et ris de veau pour trouver l’accord avec cet immense Pétrus. Il n’a pas le côté romantique du Pétrus 1975 que je chéris, mais c’est un grand Pétrus de sérénité.

Le quasi de veau est probablement le plat le plus charmeur et goûteux de ce magnifique repas. Le Grand Musigny Faiveley 1906 est un grand vin, doté d’un beau fruit et d’un très joli équilibre. Alors que pour mon goût il est très au-dessus de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961, c’est paradoxalement La Tâche qui recevra largement plus de votes que le Faiveley. Est-ce la fascination de tout ce qui vient de la Romanée Conti ? Car au moment du service il n’y a plus aucune trace de serpillère ou de lavasse, mais le nez est clairement bouchonné. Or, comme cela arrive assez souvent, le nez de bouchon ne se ressent pas en bouche. Le vin a de la rondeur et une belle expressivité. Mais même s’il n’y a pas l’amertume rêche que donne un goût de bouchon, je ne peux pas aimer le 1961 plus que le 1906. Le plat est divin et aide bien le Musigny.

Les deux chefs doivent être chaudement félicités car ils ont interprété le canard avec un doigté qui en fait un plat extraordinaire pour les deux vins qui suivent. Le Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1978 confirme bien qu’il est de la plus grande année pour Rayas, l’année mythique comme 1945 l’est pour Mouton ou 1961 pour l’Hermitage La Chapelle. Le vin est franc, direct, solaire, gourmand, et facile à vivre. Sa longueur est belle et alors que je craignais que le Vega Sicilia Unico 1969 ne lui fasse de l’ombre, je trouve ce 1978 plus fringant que le 1969 par rapport à ce qu’on peut en attendre. Le vin espagnol est grand mais je ne retrouve pas aussi prononcée la fraîcheur que j’aime.

Le Château de Fargues Sauternes Lur Saluces 1943 est grand. Quel beau sauternes ! S’il était seul, on l’adorerait. Hélas pour lui et tant mieux pour nous, le  Château d’Yquem Sauternes Lur Saluces 1921 est totalement conforme à sa légende. Comme je le dis souvent, avec les vins rouges et les vins blancs, on peut imaginer que sur un détail, il pourrait y avoir quelque chose de mieux. Alors qu’avec un sauternes, quand il est parfait, il n’y a aucun bouton de guêtre que l’on pourrait critiquer. Il est parfait, point. Cet Yquem 1921 est la perfection absolue du sauternes à la complexité infinie. Le Stichelton est un compagnon idéal des sauternes, encore plus doux que le stilton.

Le Vin de Chypre 1870 combine une douceur de muscat comme celle d’un madère avec un poivre incroyablement prononcé. J’ai hésité à le mettre premier mais l’Yquem 1921 est tellement grand qu’il a eu mes faveurs comme celles du consensus. Le financier est l’ami naturel du Chypre.

Le vote des onze participants pour leurs cinq préférés parmi treize vins n’est pas une chose facile tant les vins sont différents. Selon quels critères peut-on départager Salon 64 Yquem 1921 ? Mais tout le monde a réussi à voter. Une chose me plait énormément : onze vins sur les treize ont eu des votes ce qui montre que onze vins méritaient de figurer parmi les cinq premiers d’au moins un convive. Cinq vins ont eu l’honneur d’être classés premiers. Trois vins ont été classés trois fois premiers : Salon 1964, Pétrus 1976 et Yquem 1921. Deux autres vins ont eu un vote de premier : Fargues 1943 et Chypre 1870.

Le classement du consensus est : 1 – Château d’Yquem Sauternes Lur Saluces 1921, 2 – Pétrus Pomerol 1976, 3 – Champagne Salon Le Mesnil  1964, 4 – Château Lafite-Rothschild Pauillac 1908, 5 – Vin de Chypre 1870, 6 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961.

Mon classement est : 1 – Château d’Yquem Sauternes Lur Saluces 1921, 2 – Vin de Chypre 1870, 3 – Champagne Salon Le Mesnil  1964, 4 – Pétrus Pomerol 1976, 5 – Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1978.

La cuisine que nous avons goûtée, maîtrisée, simplifiée parfois, a été l’une des plus pertinentes que nous ayons connues. Bravo à Pierre Gagnaire mais aussi à toute son équipe. Le service des vins par Logan a été attentif et parfait, le service de table montre une implication intelligente et motivée de toutes les équipes.  L’ambiance de la table, joyeuse mais attentive à comprendre les vins et les accords a fait de ce repas aux vins particulièrement prestigieux un des plus beaux des 222 dîners que j’ai eu l’honneur d’organiser avec de grands chefs et de grands vins.

Champagne Dom Ruinart magnum 1998

Champagne Salon Le Mesnil 1964

Clos de la Coulée de Serrant Mme A. Joly Savennières 1962

Meursault Leroy Négociant 1966

Château Lafite-Rothschild Pauillac 1908

Pétrus Pomerol 1976

Grand Musigny Faiveley 1906

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961

Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1978

Vega Sicilia Unico 1969

Château de Fargues Sauternes Lur Saluces 1943

Château d’Yquem Sauternes Lur Saluces 1921

on peut voir le 2 et le 1 en regardant bien

Vin de Chypre 1870

j’ai mis en référence une étiquette plus lisible que celle de la bouteille qui a été ouverte

La bouteille de Vega Sicilia Unico 1969 et celle de Chypre 1870 ne sont pas sur la photo ci-dessus mais elles sont sur la photo ci-dessous prise au restaurant

la lettre de Pierre Gagnaire et le menu

les votes des participants

fin de repas

Préparatifs du 222ème dîner qui va se tenir au restaurant Pierre Gagnaire mercredi, 28 mars 2018

Le 222ème dîner va se tenir au restaurant Pierre Gagnaire. Il y a quatre mois j’avais rencontré Pierre Gagnaire pour lui soumettre les vins et étudier avec lui le menu qui bénéficierait de son talent et s’adapterait à mes vins. Nous avions fait un travail très constructif et j’étais très heureux de la compréhension mutuelle qui a présidé à cette composition.

Il y a quelques semaines Pierre Gagnaire s’est excusé de ne pouvoir être présent au dîner car il lance un nouveau restaurant à Dubaï à la date qui avait été choisie. Mais me dit-il, ses collaborateurs ont reçu les consignes. La lecture du menu dont j’ai alors pris connaissance, assez différent de notre travail, me pousse à créer le contact avec les chefs présents et éventuellement à goûter quelques plats proposés pour recadrer le menu.

Avec Thierry Méchinaud et Michel Nave, les deux responsables de la cuisine à Paris, nous étudions sur papier chaque plat et ses composantes, qui sont dans la ligne de l’inventivité de Pierre Gagnaire. Mon rôle est d’éviter des ruptures de goûts et des goûts agressifs que les vins anciens ne supporteraient pas. Il est convenu que nous essaierons à déjeuner deux des plats du repas, la langoustine et le canard.

J’ai apporté pour ce repas un Vega Sicilia Unico 1991 que Logan, le sommelier qui officiera lors du dîner, a ouvert il y a deux heures. L’ami qui va partager avec moi le déjeuner a apporté un Nuits-Saint-Georges Paul Destrée et Fils 1929 en demi-bouteille dont il avait vu le niveau dangereusement baisser. C’est donc la bouteille à l’encre. Je l’ouvre à son arrivée et je suis surpris que le parfum soit d’emblée aussi prometteur. Ce vin va, tout au long de sa dégustation, se montrer généreux, ouvert, franc, simple mais émouvant. Un vrai plaisir qui tient beaucoup à la qualité extrême du millésime 1929 qui brave le temps.

Les amuse-bouches sont un Etna, que dis-je, un Pinatubo de créativité. Tout est étonnant et tout est divinement plaisant. Le talent de Pierre Gagnaire est contenu dans ce feu d’artifice.

Nous goûtons maintenant la grosse langoustine croustillante 1982 avec un condiment Dundee-Peecky, une galette de blé noir et à part une bisque. Le millésime n’est pas celui de la langoustine mais de la date de création de ce plat. C’est surtout sur la bisque que le Vega Sicilia Unico 1991 va exploser de fruit. Ce vin commence par le nez. Le parfum est d’une irréelle perfection, charmeur et intense. Ensuite le vin puissant et d’un équilibre spectaculaire offre une infinie fraîcheur. Je suis en extase devant la plénitude accomplie de ce vin très jeune. Il est dans une phase où il est toujours jeune, mais avec une plénitude totale. Il est grand et c’est la fra^cheur qui m’éblouit.

Nous allons maintenant goûter le coffre de canard de Challans enveloppé de poudre de cacao aux aromatiques sous une cloche de chocolat amer – fines aiguillettes laquées d’une bigarade à l’ail fermenté Aomori. Pomme de terre FiFine. Normalement ce canard est servi fumé quelques instants dans un coffre de chocolat amer avec du foin, mais j’ai demandé qu’on ne le fume pas en pensant aux vins du dîner qui se tiendra ici dans deux jours. Le canard est d’une puissance extrême et il faut bien cela pour le Porto Vintage Taylor’s 1992 apporté par mon ami. Ce Porto a eu les honneurs d’un 100 sur 100 de la part de Robert Parker. C’est une bombe de fruits rouges incroyablement juteux. Il est manifestement beaucoup trop jeune et il faudra au moins cinquante ans pour dompter ce cheval fou. Mais il est gourmand et se comporte bien avec la sauce lourde et épicée du canard. C’est surtout sur la peau grillée du canard que le porto admet qu’un plat puisse faire jeu égal avec lui.

Les chefs nous font apporter un quasi de veau fermier à la Milanaise – purée de carotte au jus | tête de veau, que nous n’avions pas commandé mais qui pourrait s’accorder avec des vins du futur repas. Ce plat est exquis et le vin espagnol est très à l’aise avec lui, tout en douceur.

Nous essayons ensuite un dessert à la vanille et à la mangue qui conviendra aux prestigieux sauternes du prochain repas. Il reste encore dans ma musette du magique Marc de rosé d’Ott 1929 qui va commencer à s’épuiser depuis que je le sers en toute circonstance. Il a toujours ce contraste entre le côté strict du parfum d’un marc, très rêche et une incroyable douceur. Je l’essaierais volontiers sur l’Ispahan, le dessert emblématique de Pierre Hermé, car le marc me semble exactement dans sa gamme de goûts.

Nous avions fait l’analyse du menu avant le repas avec les deux chefs. Nous recommençons après le repas pour tenir compte de ce que nous avons goûté. Je fais enlever quelques saveurs qui pourraient nuire au vin, comme par exemple des dés d’ananas qui sont là pour contrebalancer la richesse de la sauce mais doivent être enlevés si le plat accompagnent des vins très anciens. Nous révisons aussi l’ordre des plats qui mérite d’être changé. Cette répétition était absolument nécessaire. Elle s’est faite dans une ambiance de grande compréhension. De Dubaï Pierre Gagnaire a validé nos choix. Le bateau est lancé sur son erre. A nous d’en prendre le sillage pour un voyage de rêve.

Préparation du dîner n° 224 qui se tiendra à la manufacture des caviars Kaviari vendredi, 23 mars 2018

Dans environ trois semaines le dîner n° 224 se tiendra à la manufacture des caviars Kaviari. J’avais été conquis par le lieu, d’une décoration élégante et moderne et par les caviars eux-mêmes. Ayant dans ma cave suffisamment de champagnes et d’alcools, il serait possible de créer des dîners sur la base de ces caviars. Avec l’accord de Karin Nebot directrice des caviars Kaviari, j’ai lancé l’idée d’un dîner avec l’ambition de créer des accords osés et de prendre des risques. Je me rends aujourd’hui à déjeuner à la manufacture pour tester les produits qui composeront le menu et pour voir comment les caviars réagissent à au moins l’un des alcools que je n’ai jamais goûtés et que je présenterai.

A mon arrivée je me dirige vers la cuisine où se tiendra notre repas d’essai à trois, Karin, Raphaël Bouchez, créateur de Kaviari et moi. Pascale a fait tous les achats sur les recommandations de l’esquisse de menu et Philippe en cuisine va préparer les plats que nous commenterons en fonction de ce que doit être le dîner à venir.

Je suis venu avec un Champagne Salon 1997 car c’est un champagne qui joue à coup sûr gagnant pour les plats qui sont prévus et avec un Alcool de Cumin 1943. Cet alcool a une histoire. Avec Jean Hugel nous partagions une amitié très forte. C’était le plus convaincu des supporters de l’académie des vins anciens dont il était un fidèle assidu. Lors d’une de nos rencontres il m’avait offert une bouteille emprisonnée dans un sac plastique transparent noué par une forte ficelle et recouvert d’une forte poussière collée par électricité statique. Il m’avait raconté l’histoire de cet alcool mais je l’ai oubliée. Je cherchais une occasion d’ouvrir cette bouteille au nom de l’amitié que je porte au regretté Jean Hugel, grâce à qui j’ai pu, lors d’un dîner en son souvenir boire le mythique Constantia 1791 d’Afrique du Sud.

Ma tâche première en arrivant est d’ouvrir les deux flacons que j’ai apportés. Le bouchon du Salon fortement serré dans le goulot est sans histoire. Je lève très précautionneusement le frêle bouchon de la très haute bouteille recouverte de cire et je peux lire « Hugel Riquewihr Haut-Rhin depuis 1639 » puis une date : 1980. Est-ce un bouchon de récupération lors d’un rebouchage ou est-ce la date de mise en bouteille je ne sais pas mais le bouchon est beaucoup plus recroquevillé que ne le serait un bouchon de vin de 1980.

Le premier nez est d’une force alcoolique qui évoque les alcools qui flirtent avec les 50°. Nous allons voir. Le nez évoque aussi des fraîcheurs anisées. L’alcool versé dans le verre est translucide comme de l’eau. Même le plus pur des gins ne donnerait pas cette sensation de fluidité d’une eau de montagne.

Etant en avance, je goûte tout seul le champagne et l’alcool avec trois caviars, l’osciètre prestige, assez gris, le Transmontanus beaucoup plus noir et le Kristal, presque rouquin. Sur le champagne Salon, c’est le Transmontanus qui paraît le plus adapté car il est vif cinglant comme le champagne. Sur l’alcool de cumin, c’est le Kristal qui semble le plus adapté, car il peut calmer les ardeurs de l’alcool. C’est amusant que mon champion, l’osciètre, ne soit gagnant dans aucun des cas. Il va se rattraper sur les prochains plats. L’alcool de cumin est d’une rare fraîcheur. Il n’est pas imposant mais il a une longueur invraisemblable. Sa fraîcheur anisée est remarquable et ce qui me plaît tout particulièrement c’est que l’alcool ne tue pas la bouche. Dès qu’on reprend une goutte de champagne tout revient dans l’ordre et même plus, l’alcool met en valeur le champagne en lui donnant de l’ampleur. Je constate que cet alcool, non seulement met en valeur les caviars, mais en plus il trouve sa place sans bousculer son environnement. Je suis aux anges.

Nous déclinons ensuite chacun des plats prévus en ajustant les quantités, les éventuels accompagnements, afin d’avoir le meilleur repas possible, l’alcool et le Salon jouant un rôle de calibrage et d’étalon. Je ne dévoilerai pas la suite pour que le 224ème dîner ait encore un parfum d’inédit mais je peux révéler que cette séance de mise au point a été utile pour ajuster les plats. Les achats faits par Pascale sont extrêmement pertinents et Philippe a su intelligemment assimiler tout ce qui doit concourir au succès de chaque plat.

Tout se présente bien pour ce futur dîner qui pourra nous donner l’envie qu’il y ait des suites. L’ambiance de l’équipe est d’une grande motivation. La plus forte sensation pour moi a été ce sublime alcool de cumin de 1943 qui est d’une élégance et d’une fraîcheur anisée qui colle parfaitement aux associations que nous projetons. Miam, miam !

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la bouteille d’alcool dans son « sac » plastique que j’avais gardé intact

les trois caviars :

dans le même ordre

le Kristal avec le bouchon de Salon 1997

les plats essayés

dinner with friends in restaurant Pages mercredi, 31 janvier 2018

Alain, Didier, Julien and Patrice are faithful of the academy of ancient wines and among the most generous members. The excuse to meet up is that Patrice bought a nice bottle of Yquem 1947 that we agree to finance in common. Didier takes the initiative to create a dinner around large bottles brought by everyone and his friend Sintija joins us. She has no experience of ancient wines but she will learn very quickly during this meal.

I am responsible for finding a restaurant and quite naturally the choice is that of the restaurant Pages. Didier makes sure that all the bottles reach either the restaurant or my office so that I can open them at 5 pm at the restaurant. We are so crazy that there are more than three wines per person. So I will eliminate some of them based on the results of the openings. The corks are quite difficult and break into several pieces so that the opening operation lasted an hour and a half. There are very motivating fragrances.

The Champagne Comtes de Champagne Taittinger Magnum 1964 of Julien has a low level. The cape that covers the cork is eaten by mold around the top of the neck. It takes me several minutes to clean around the cork so that no dirt falls into the wine. When I can grasp the cork it comes instantly because the bottom cap disc is so narrowed that it has a size of less than half of what it should. The color is unappealing, earthy and gray. On the palate champagne without bubble is flat. Drinking gives no emotion so Julien asks for a bucket so that we can empty our glasses. I’m the only one to keep my glass because I want to see how this champagne with pale accents can evolve. During the meal I could see that the platitude of the champagne disappears, that the wine is growing, but without being able to offer a sufficient emotion. But it became drinkable.

From memory and without support of a menu that would have been printed, the menu that I developed with the chef Teshi during the opening session of the wines is: amuse-bouche in five flavors including a broth, a raw fish , a piece of onion, a piece of cauliflower and another preparation that I have not memorized / Ozaki beef in carpaccio / raw scallops with a risotto / monkfish with shells and cabbage leaves / cod with a meat sauce and small potatoes / three pieces of beef, Simmental, Charolais and Wagyu, the three having had a long-ripening / just pan-fried mangoes / dessert of the day with red fruit sorbet, pomegranate seeds and caramels.

The champagne of 1964 having had a short life on our table, I open the Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959 which is one of my contributions. Under the pretty cape the cap exudes a black glue. My fingers are getting dirty quickly. When I turn the cap it breaks and the bottom gets stuck in the neck. I try to sting with my long wick but I cannot push in as the cork is dense. With a normal corkscrew I finally lift the lower part. The wine could not be in contact with the black glue. The wine served has beautiful bubbles and a magically clear color. We drink and this champagne is superb, balanced, serene, glorious like all the old Imperial Brut of Moët. He accompanies amuse-bouche who are a little too intellectual for the champagne who would like more sweet flavors. The champagne is excellent but it may be a little too classic and not enough scoundrel.

We start the series of whites. When Julien announced a Chablis Faiveley 1928, I wanted to confront him to a Chablis Faiveley 1926 that I had in cellar. The level of 1926 is low so I had taken a 1955 White Hermitage in case it would be necessary, which we will not need. Raw shells are ideal for showcasing these two whites. What strikes me right away is that these two wines have identical DNA. They have the same freshness, the same chiseled precision of the message and they differ only in volume, the 1928 being wider and the body more assertive. I had fun saying that I still prefer my wines and that the more graceful and romantic 1926 I like more but in fact both are of immense purity, the 1928 being, thanks to its year, more conquering. The performance of both wines is impressive.

Didier insisted that I open the Côtes du Rhône Brézème Domaine Pouchoulin white 1952 low and whose cork wax had been decapitated a long time ago. At the point of pointing the corkscrew the cork slipped, impossible to prevent from falling. It had to be decanted and the color was not very inviting. Served now it is drinkable but its emotion is very weak after the two chablis. Didier, defending his baby told us the esteem he has for this domaine which the 1906 he drank is a marvel. As he repeated at least ten times it was necessary to remind him that what we drink is not the 1906 but the 1952, wine rather weak.

For monkfish, it is the Bâtard-Montrachet domaine Claude Ramonet 1964 of Sintija which is served. His color is beautifully young. The wine is pure, merry with good acidity. It is delicious with the monkfish and it is especially the hulls that make it vibrate the most. It is a beautiful wine but I think it does not have the full panache of a Ramonet. He is tall but not dazzling.

We now go to the reds and I let serve three wines, two of 1928 and one of 1929. This is to be noted because these two years are legendary. The Château Carbonnieux red 1928 of Alain is an absolute marvel. Its color is blood red. The wine is rich and heavy, with an infinite velvet and a heavy grain of truffle and charcoal. This Carbonnieux is at the top of Bordeaux wine. It is absolutely huge. I am deeply moved.

When I have my lips on the Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929 of Didier, I get a punch to the heart. Because this wine is a seduction of an unbelievable sensuality. The Carbonnieux is King François 1st commanding the troops in combat. This Côtes de Beaune is Suzanne in the bath, it is the Odalisque of Ingres, it is the absolute seduction. I am so charmed that I lose all objectivity. We are faced with the absolute seduction of Burgundy but especially of the year 1929.

The third wine that accompanies the cod that subjugates everyone by its relevance on wines is the Corton-Grancey Grand Cru Louis Latour 1928 of Patrice. After the other two, he has a lot more trouble positioning himself. If he were alone in a meal, we would be ecstatic, but after the two sacred monsters, he lacks a little vivacity and emotion. He is still rich enough. We are thrilled to taste these three wines so perfect.

For the three pieces of beef we add two more reds. Clos Vougeot Bouchard Père & Fils 1955 of Sintija creates a fascinating break. Because all of a sudden we discover a wine ‘young’ (everything is relative) and incredibly Burgundy. He has this exciting rasp of wild Burgundy wine. He is lively, active and does not leave anyone indifferent. I love it.

The Châteauneuf du Pape Henri Bonneau Réserve des Célestins 1976 of Julien is struggling to pass after the other four. Julien is sad but I think he has no reason because this Châteauneuf is good. It is very good but its message seems simple after the wines of Burgundy. For him too we can say that if he was drunk alone in a meal, as for the Corton Grancey 1928, we would feast, because it has a coherence and a nice chew that are pleasant. Meats are delicious and Simmental is the most suitable for wines because it combines firmness and intensity of taste. Wagyu would be better suited to young and rich wines.

The three sauternes are served at the same time on mangoes. I start with the Château d’Yquem 1947 which we are all co-contributors since we shared the cost. This Yquem is royal, deep, complex with myriad complexities, but above all it has a boldness, a fatness, that differentiates it from the other 1947.

The Château Suduiraut 1947 of Patrice has a color as dark as the Yquem. It is powerful and very close to the quality of the Yquem. The difference is the diabolical fat of the Yquem, while the Suduiraut is an exemplary purity and a beautiful complexity too.

After these two legends, the Château La Tour Blanche 1920 that I brought is a gringalet. Its color is much clearer than that of both 1947 and it is translucent while the other two are opaque. In the mouth he is graceful, he ate some of his sugar and he is a romantic that I love. He too would be a star if he was alone on the table.

We are a little groggy not by the alcoholic load of wines but by the conjunction of so many perfect and legendary bottles. Several times we had in front of us together perfection and eternal wines, which we would find in the same state and with the same emotion if we could taste them again in fifty years from now.

Didier would be very happy if this dinner he had initiated could be counted among my wine-dinners. It would be more logical to count it as a session of the academy for ancient wines but as I opened all the wines and as I composed the menu with the chef we can make an exception for this dinner which will be the 221st. Because of this, we have to vote.

We are six to vote for our five favorite wines among the 14 of the meal. Three wines had the honors of the first place. The Yquem was nominated four times first, the Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929 once and the Brut Imperial Champagne Moët & Chandon 1959 once also. Ten wines out of fourteen were in the votes which is particularly brilliant.

The vote of consensus would be: 1 – Château d’Yquem 1947, 2 – Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929, 3 – Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955, 4 – Château Carbonnieux rouge 1928, 5 – Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959.

My vote is: 1 – Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929, 2 – Château d’Yquem 1947, 3 – Château Carbonnieux rouge 1928, 4 – Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955, 5 – Château La Tour Blanche 1920.

It could stop there, but Julien takes in his bag a bottle of a Marc de rosé Domaine d’Ott 1929, in a bottle of rare beauty which is the historic bottle of wines of the estate. On the nose, the alcohol seems strong and dry. On the palate it is of a softness and a sweetness which makes that one would drink without stopping. This marc is diabolical, I love it.

Chef Teshi made dishes that stuck perfectly to the wines. Thibaut has done an intelligent service of wines and despite the smallness of the table I was able to line up the 14 glasses of wines plus alcohol in front of my place. Apart from the champagne of the beginning, all the wines presented themselves to the best of themselves. None of us imagined such a success. It was a memorable dinner that proves that the 90-year old wines still have a lot of energy.

(pictures can be seen in the next article in French)

Dîner d’amis au restaurant Pages mercredi, 31 janvier 2018

Alain, Didier, Julien et Patrice sont des fidèles de l’académie des vins anciens et parmi les plus généreux. Le prétexte pour se retrouver est que Patrice a acheté une belle bouteille d’Yquem 1947 que nous acceptons de financer en commun. Didier prend l’initiative de nous regrouper autour de grandes bouteilles apportées par chacun et son amie Sintija se joint à nous. Elle n’a aucune expérience des vins anciens mais elle va apprendre très vite au cours de ce repas.

Je suis chargé de trouver un restaurant et assez naturellement le choix est celui du restaurant Pages. Didier fait en sorte que toutes les bouteilles parviennent soit au restaurant soit à mon bureau pour que je puisse les ouvrir dès 17 heures au restaurant. Nous sommes tellement fous qu’il y a plus de trois vins par personne. Je vais donc éliminer certaines d’entre elles en fonction des résultats des ouvertures. Les bouchons viennent assez difficilement et se brisent en plusieurs morceaux ce qui fait que l’opération d’ouverture a duré une heure et demie. Il y a des parfums très motivants.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger Magnum 1964 de Julien a un niveau bas. La cape qui recouvre le bouchon est mangée par des moisissures tout autour du haut du goulot. Il me faut plusieurs minutes pour nettoyer le pourtour du bouchon pour qu’aucune saleté ne tombe dans le vin. Lorsque je peux saisir le bouchon il vient instantanément car le disque de bas de bouchon est tellement rétréci qu’il a une taille de moins de la moitié de ce qu’il devrait. La couleur est peu engageante, terreuse et grise. En bouche le champagne sans bulle est plat. Le boire ne procure aucune émotion aussi Julien demande un seau pour que l’on puisse vider nos verres. Je suis le seul à garder mon verre car j’ai envie de voir comment ce champagne aux accents si pâles pourra évoluer. Au cours du repas j’ai pu constater que la platitude du champagne disparaît, que le vin s’étoffe, mais sans pouvoir offrir malgré tout une émotion suffisante. Mais il est devenu buvable.

Le menu que j’ai mis au point avec le chef Teshi pendant la séance d’ouverture des vins est : amuse-bouche : bouillon de coquilles Saint-Jacques au gingembre, bonite fumée, chou-fleur rôti, Ceviche de lieu jaune, sablé parmesan et topinambour / carpaccio de bœuf wagyu Ozaki / risotto aux agrumes, radis Daïkon, carpaccio de Saint-Jacques / lotte rôtie, sauce ventrèche de porc noir de Bigorre et chou pointu / cabillaud sauce matelote et pomme de terre de Noirmoutier / dégustation de bœuf maturé ( Simmental 9 semaines, charolais 11 semaines, wagyu Ozaki 5 semaines) / mangue poêlée / pana cotta vanille, zeste de citron vert, sorbet grenade / mignardises.

Le champagne de 1964 ayant eu une courte vie sur notre table, j’ouvre le Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959 qui est l’un de mes apports. Sous la jolie cape le bouchon exsude une glu noire. Mes doigts se salissent rapidement. Lorsque je tourne le bouchon il se brise et le bas reste coincé dans le goulot. J’essaie de piquer avec ma longue mèche mais je n’arrive pas en enfoncer tant le liège est dense. Avec un tirebouchon faisant levier je lève enfin la partie basse. Le vin n’a pas pu être au contact de la glu noire. Le vin servi a de belles bulles est une couleur magiquement claire. Nous trinquons et ce champagne est superbe, équilibré, serein, glorieux comme tous les Moët Brut Impérial anciens. Il accompagne les amuse-bouche qui sont un peu trop intellectuels pour le champagne qui aimerait des saveurs plus douces. Le champagne est excellent mais il est peut-être un peu trop classique et pas assez canaille.

Nous commençons la série des blancs. Lorsque Julien avait annoncé un Chablis Faiveley 1928, j’ai eu envie de le confronter à un Chablis Faiveley 1926 que j’avais en cave. Le niveau du 1926 est bas aussi j’avais pris un Hermitage blanc 1955 de secours, dont nous n’aurons pas besoin. Les coquilles crues sont idéales pour mettre en valeur ces deux blancs. Ce qui me frappe tout de suite c’est que ces deux vins ont un ADN identique. Ils ont la même fraîcheur, la même précision ciselée du message et ils ne différent qu’en ampleur, le 1928 étant plus large et au coffre plus affirmé. Je me suis amusé à dire que je préfère toujours mes vins et que le 1926 plus gracile et plus romantique me plait plus mais en fait les deux sont d’une immense pureté, le 1928 étant, grâce à son année, plus conquérant. La prestation des deux vins est impressionnante.

Didier a tenu à ce que j’ouvre le Brézème Côtes du Rhône domaine Pouchoulin blanc 1952 au niveau bas et dont la cire du bouchon avait été décapitée il y a longtemps. Au moment de pointer le tirebouchon le bouchon a glissé, impossible à remonter. Il a fallu carafer et la couleur n’était pas très engageante. Servi maintenant il est buvable mais son émotion est bien faible après les deux chablis. Didier, défendant son bébé nous a raconté l’estime qu’il a pour ce domaine dont le 1906 qu’il a bu est une merveille. Comme il l’a répété au moins dix fois il a fallu lui rappeler que ce que nous buvons n’est pas le 1906 mais le 1952, vin effacé.

Pour la lotte, c’est le Bâtard-Montrachet domaine Claude Ramonet 1964 de Sintija qui est servi. Sa couleur est magnifique de jeunesse. Le vin est pur, joyeux à la belle acidité. Il est délicieux avec la lotte et c’est surtout les coques qui le font vibrer le plus. C’est un beau vin mais je trouve qu’il n’a pas totalement le panache d’un Ramonet. Il est grand mais pas éblouissant.

Nous passons maintenant aux rouges et je fais servir trois vins, deux de 1928 et un de 1929. C’est à signaler car ces deux années sont légendaires. Le Château Carbonnieux rouge 1928 d’Alain est une merveille absolue. Sa couleur est de rouge sang. Le vin est riche et pesant, avec un velours infini et un grain lourd de truffe et de charbon. Ce Carbonnieux est au sommet du vin de Bordeaux. Il est absolument immense. Je n’en reviens pas.

Lorsque je porte mes lèvres au Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929 de Didier, je reçois un coup de poing au cœur. Car ce vin est d’une séduction d’une sensualité invraisemblable. Le Carbonnieux, c’était François 1er commandant les troupes au combat. Ce Côtes de Beaune, c’est Suzanne au bain, c’est l’Odalisque d’Ingres, c’est la séduction absolue. Je suis tellement sous le charme que j’en perds toute objectivité. On est face à la séduction absolue de la Bourgogne mais surtout de l’année 1929.

Le troisième vin qui accompagne le cabillaud qui subjugue tout le monde par sa pertinence sur les vins est le Corton-Grancey Grand cru Maison Louis Latour 1928 de Patrice. Après les deux autres, il a beaucoup plus de mal à se positionner. S’il était seul dans un repas, on s’extasierait, mais après les deux monstres sacrés, il manque un peu de vivacité et d’émotion. Il est quand même suffisamment riche. Nous sommes aux anges de goûter ces trois vins si parfaits.

Pour les trois morceaux de bœuf nous ajoutons deux autres rouges. Le Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955 de Sintija crée une rupture fascinante. Car tout d’un coup nous découvrons un vin ‘jeune’ (tout est relatif) et incroyablement bourguignon. Il a cette râpe excitante du vin bourguignon sauvage. Il est vif, actif et ne laisse personne indifférent. Je l’adore.

Le Châteauneuf du Pape Henri Bonneau Réserve des Célestins 1976 de Julien a du mal à passer après les quatre autres. Julien en est triste mais je crois qu’il n’a aucune raison car ce Châteauneuf est bon. Il est même très bon mais son message parait assez simple après les vins de Bourgogne. Pour lui aussi on peut dire que s’il était bu tout seul dans un repas, comme pour le Corton Grancey 1928, on s’en régalerait, car il a une cohérence et une belle mâche qui sont plaisantes. Les viandes sont délicieuses et c’est le Simmental qui est le plus adapté aux vins car il allie fermeté et intensité du goût. Le Wagyu conviendrait mieux à des vins jeunes et riches.

Les trois sauternes sont servis en même temps sur les mangues. Je commence par le Château d’Yquem 1947 dont nous sommes tous co-apporteurs puisque nous en avons partagé le coût. Cet Yquem est royal, profond, complexe avec des myriades de complexités, mais surtout il a un gras qui le différencie de l’autre 1947.

Le Château Suduiraut 1947 de Patrice a une couleur aussi foncée que l’Yquem il est puissant et très proche qualitativement de l’Yquem. La différence se fait par le gras diabolique de l’Yquem, tandis que le Suduiraut est d’une pureté expressive exemplaire et d’une belle complexité lui aussi.

Après ces deux monstres, le Château La Tour Blanche 1920 que j’ai apporté est un gringalet. Sa couleur est beaucoup plus claire que celle des deux 1947 et il est translucide alors que les deux autres sont opaques. En bouche il est gracieux, il a mangé une partie de son sucre et il est d’un romantisme que j’adore. Lui aussi serait une vedette s’il était seul sur la table.

Nous sommes un peu groggys non pas par la charge alcoolique des vins mais par la conjonction d’autant de bouteilles parfaites et légendaires. Nous avons plusieurs fois côtoyé la perfection et des vins éternels, que nous retrouverions dans le même état et avec la même émotion si nous pouvions les goûter à nouveau dans cinquante ans.

Didier serait très heureux si ce dîner dont il est à l’origine pouvait être compté parmi mes dîners de wine-dinners. Il serait plus logique de le compter comme une séance de l’académie mais comme j’ai ouvert tous les vins et comme j’ai composé le menu avec le chef on peut faire une exception pour ce dîner qui sera le 221ème. De ce fait, il faut voter.

Nous sommes six à voter pour nos cinq vins préférés parmi les 14 du repas. Trois vins ont eu les honneurs de la place de premier. L’Yquem a été nommé quatre fois premier, le Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929 une fois ainsi que le Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959. Dix vins sur quatorze ont figuré dans les votes ce qui est particulièrement brillant.

Le vote du consensus serait : 1 – Château d’Yquem 1947, 2 – Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929, 3 – Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955, 4 – Château Carbonnieux rouge 1928, 5 – Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959.

Mon vote est : 1 – Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929, 2 – Château d’Yquem 1947, 3 – Château Carbonnieux rouge 1928, 4 – Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955, 5 – Château La Tour Blanche 1920.

Ça pourrait s’arrêter là, mais Julien sort de sa musette une bouteille d’un Marc de rosé Domaine d’Ott 1929, dans une bouteille d’une rare beauté qui est la bouteille historique des vins du domaine. Au nez, l’alcool paraît fort et sec. En bouche il est d’une douceur et d’une suavité qui font qu’on en boirait sans s’arrêter. Ce marc est diabolique, je l’adore.

Le chef Teshi a fait des plats qui ont collé parfaitement aux vins. Thibaut a fait un service intelligent des vins et malgré la petitesse de la table j’ai pu aligner sur trois rangées les 14 vins plus l’alcool devant ma place. A part le champagne du début, tous les vins se sont présentés au meilleur d’eux-mêmes. Aucun d’entre nous n’imaginait une telle réussite. Ce fut un dîner mémorable qui prouve que les vins antiques de 90 ans ont encore une sacrée énergie.

Champagne Comtes de Champagne Taittinger Magnum 1964

On remarque à quel point le bas du bouchon est rétréci

Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959

Chablis Faiveley 1928

Chablis Faiveley 1926

les bouchons des deux Faiveley. le 1926 à gauche et le 1928 à droite

Brézème Côtes du Rhône domaine Pouchoulin blanc 1952

Bâtard-Montrachet domaine Claude Ramonet 1964

Château Carbonnieux rouge 1928

bouchon du Carbonnieux 28 (à droite) et du Hautes Côtes de Beaune 1929 (à gauche)

Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929

Corton-Grancey Grand cru Maison Louis Latour 1928

bouchons du Corton Grancey 1928 (à droite) et du Clos Vougeot 1955 (à gauche)

Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955

magnifique bouchon de 1955

Châteauneuf du Pape Henri Bonneau Réserve des Célestins 1976

Château d’Yquem 1947

Château Suduiraut 1947

Château La Tour Blanche 1920

tous les bouchons sauf celui du 1952 tombé dans la bouteille

le Marc de rosé domaine d’Ott 1929 dans sa jolie bouteille

Dinner of December 31 lundi, 1 janvier 2018

New Year’s Eve is the next meal. We will be eight, including seven drinkers since my wife will only drink the Yquem. There are four faithful friends of our Eve parties and meals of August 15th. A couple of restaurateurs will be present for the first time.

Everyone is busy cooking, my wife and a friend running the operations. The setting up of wine glasses with a final rinse is like a ballet set by Maurice Béjart. From 4 pm I begin the opening of the wines. I already open the two champagnes for the beginning of the meal, then the dry whites and sweet whites that are in the same conservation zone. The nose of the 1996 Bâtard Leflaive and of the 1989 Yquem are pure and perfect.

It is then the turn of the reds. The cork of Pétrus 1983 crumbles into a thousand pieces because of a light and porous cork. And what is curious is that this fragile cork played its role perfectly because the level of the wine is in the neck, without any loss by evaporation during 34 years. Conversely, the cork stopper of the 1959 Palmer had leaked wine since the level is mid-shoulder. The nose of Pétrus is perfect. The nose of the Palmer needs to benefit from a long aeration.

I have planned for this dinner two wines from the domaine of Romanée Conti, La Tâche 1957 and La Tâche 1969. The reason is as follows: La Tâche 1957 has a low level and must be drunk. The 1969 with a very satisfactory level is in support and extra.

I pester because the quality of the corks of the two wines of Burgundy is notoriously low. When I want to poke my corkscrew into the 1957 cork, the cork slides down. I try to sting and when I turn the corkscrew, the cap turns, without I can push the corkscrew. It took several minutes before I could push in the corkscrew and lift the cork, black on more than half of its length and putting fat on the neck. The smell of wine is appalling, the dust dominating. This smell has so penetrated the wine that it seems to me impossible for the wine to come back to life.

When I sting in the cork of 1969, it is same initial scenario, the cap turns in the bottleneck, tends to lower if I push and also ask me time to prick it without it falling in the neck. The cork is less damaged than that of 1957 and the smell of wine reassures me because everything indicates that the wine will be reconstituted. But I pester because everything indicates a low quality corks and also poor storage conditions by previous holders of these bottles, which had to keep them in cellars too hot.

The cork of Châteauneuf du Pape Clos Petite Gardiole 1946 is much healthier. It is the color of the wine that appeals to me, because the wine is a little cloudy and much too pink. There is uncertainty for reds.

I’m fine, my wife is beautiful, the first friends are ringing at the door. The Christmas Eve of December 31, 2017 will begin.

The friends arrive in our southern house to share at eve on December 31, 2017. As the organization and conduct of this dinner follow the rules and precepts of my dinners, although it is a friendly dinner where all are invited, I will classify it within my wine-dinners.

The aperitif begins with Veuve Clicquot Ponsardin Vintage Magnum 1985 Champagne, which will accompany white truffle sautéed in thin slices, a chiffonnade of Cecina de León, this delicious beef smoked meat, and bread brought by a friend restaurateur. « Bread Pump » is traditionally served on December 24th. It is made of flour poured on the bottom of the grinding wheel when the pressing of the olive oil is finished, which will « pump » the flower of bottom oil and allow this special bread with orange blossom .

The champagne is glorious, a yellow discreetly green and golden. It is powerful, serene and balanced, and it is very high above the other examples of this champagne that I already have. It is broad, impregnating and conquering. With each component of the appetizer it creates an accord of a rare natural. I am conquered by this flamboyant champagne.

We sit down after everyone has solved an enigma to find his place and here is the menu that I developed with my wife who made it: caviar Osciètre alone / Caviar Osciètre on raw scallop shell / Seared Scallops / Scallop Coral / Seared Royal Bream Fillets / Sirloin Steak Medallions / Mashed Potatoes with Truffle / Camembert Jort Wooden Box / Pomelos Supremes / Mangoes / Madeleines of chestnut honey.

On caviar abundantly served, caviar osciètre prestige of Kaviari, Champagne Salon Le Mesnil sur Oger 1990 is the absolute perfection of champagne. We drank Salon 2002 in magnum two days ago. The 1990 Salon is at the top of Olympus. Everything is balanced, perfectly dosed and the champagne sings a solemn opera of greatness and divine perfection. We are in front of an exceptional champagne at a time of his life of perfect balance.

The combination caviar and raw shell with sweet notes finds an exciting resonance with Salon 1990. Each taste is pure and the combination is natural.

On seared scallops, Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1996 brought by a friend also forms an agreement based on the purity of tastes. The travel of the wine in the mouth has the shape of a Chinese lantern. That is to say, the attack is fairly thin, fluid and the mid-palate is large, all in size. The heavy and rich wine is thundering in the middle of the mouth. The wine is not totally perfect but it has an immense charm, heavy and full.

The corals of the shells will accompany the two Bordeaux that will engage in a small game as sometimes one, sometimes the other will come out winner. In the beginning, the 1983 Pétrus seems more strict and uptight than the 1959 Château Palmer, velvety and feminine. And with coral, it is the 1959 that wins significantly.

A small miracle will occur on the fillets of king bream. Pétrus throws its starched neck to the nettles and becomes sharp, scathing, brilliant. And the agreement is divine, highlighting a pomerol of high purity very truffled, the Petrus being more complicit to fish. The two very disparate Bordeaux showed themselves on their best day, one on the coral and the other on the sea bream.

I go down in cellar to bring up the three wines already open since about six hours that will accompany the meat. Taking in hand La Tâche 1957, the horrible smell at the opening is always present and my verdict is that the wine will be undrinkable. I bring back the wines and I announce the death of 1957.

I pour in my glass La Tâche Domain of the Romanée Conti 1957. I’m sniffing. There is no unpleasant odor. This means that the bad smell stuck to the bottleneck of the wine and did not mark the wine. I inform friends and I taste the wine to the color tired and there, it is as if an anvil fell on my head. It is the shock of Christopher Columbus discovering America: this wine summarizes all by itself all that makes the DNA of the wines of Romanée Conti. This wine is a mountain of roses placed on a salt marsh. There is the rose, there is salt and for me, it is all the Romanée Conti that bombard me with its excellence. How can this wine that I was going to exclude summarize the estate as well, with as much charm and persuasion?

I pour the wine to everyone as well as the other two wines. The meat is perfectly cooked and the truffled puree is sufficiently typical but calm to play the accompanying role to the wines.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1969 is much more orthodox than the 1957. It has a nice fruit that the 1957 does not have. She has the charm of La Tâche, a delicate velvet and the rose is more discreet. This wine is all in elegance. It’s a great wine. But the 1957 rascal and crazy is ten times more exciting as it is off-track, apart from all the oenological cannons.

The Châteauneuf-du-Pape Clos de la Petite Gardiole 1946 is a UVO, an unidentified vinous object. Its color is raspberry pink and the wine is slightly cloudy. And his taste is nothing of Châteauneuf-du-Pape. He is sweet, delicate, out of the ordinary. What is incredible is that this pleasant wine will stay as it is throughout the meal, without moving an inch. It is pleasant, curious, out of the ordinary and if you accept a change of scenery and astonishment, it is pleasant to drink.

We have already eaten so much that the confrontation between the Jort wood box and red box camembert will not take place. We open a Jort box wood that finds with both La Tâche relevant agreements. All landmarks are undermined: dorade with Petrus and Camembert with La Tâche, all the purists will scream, but it works!

After these three reds of which only the 1969 is orthodox and in conformity with what we hoped for, Château d’Yquem 1989 puts us on a path of pure pleasure, so much the gold of this Yquem is perfect, round and serene. The accord with the supremes of pomelos prepares the more greedy agreement with raw mango dice. It appears that sautéed mangoes would have been more in continuity with the sensual richness of the Yquem.

The little madeleines with honey are to die for. Champagne Dom Ruinart rosé 1990 with the nice bottle is unfortunately corked. If we accept to drink champagne, forgetting the bitterness created by the cork, there is a very significant freshness that champagne offers. But it is useless to insist.

About an hour ago we had exchanged hugs and greetings and it’s time to vote.

We are seven to vote for five wines to choose from the ten dinner wines. I never imagined that my preference for The 1957 La Tâche would be shared by my friends at the time of the vote. Because this wine is by far the winner. My friends have talent! Four wines had the honors of being ranked first, La Tâche 1957 four times, The Salon 1990 once, as the Petrus 1983 and the Palmer 1959.

The consensus vote would be: 1 – La Tâche Domain of the Romanée Conti 1957, 2 – La Tâche Domain of the Romanée Conti 1969, 3 – Château Palmer 1959, 4 – Pétrus 1983, 5 – Champagne Salon Le Mesnil sur Oger 1990, 6 – Yquem 1989.

My vote is: 1 – La Tâche Domain of the Romanée Conti 1957, 2 – Champagne Salon The Mesnil on Oger 1990, 3 – La Tâche Domain of the Romanée Conti 1969, 4 – Pétrus 1983, 5 – Champagne Veuve Clicquot Vintage Ponsardin magnum 1985.

The fact that a wine that any sommelier or amateur would have refused to serve is the winner with a large lead over the others is a sparkling gift that makes my heart warm. Nothing is more gratifying for me than seeing a war-wounded man win the battle.

Agreements were extremely brilliant at this dinner. The Cécina de León with the bread pump on the Veuve Clicquot 1985, the caviar on raw shell with Salon 1990, the gilthead seabream with Pétrus 1983 were summits even more gratifying than they are unexpected.

This friendship dinner gave the best start to the new year.

(pictures are on the article in French)

réveillon du 31 décembre lundi, 1 janvier 2018

Là, on ne peut plus reculer, nous sommes sur la dernière ligne droite. Le réveillon du 31 décembre est le prochain repas. Nous serons huit, dont sept buveurs puisque ma femme ne boira que l’Yquem. Il y a quatre amis fidèles de nos réveillons et des repas du 15 août. Un couple de restaurateurs sera présent pour la première fois.

Tout le monde s’affaire en cuisine, ma femme et un ami dirigeant les opérations. La mise en place des verres à vin avec un dernier rinçage est comme un ballet réglé par Maurice Béjart. Dès 16 heures je commence l’ouverture des vins. J’ouvre déjà les deux champagnes de début de repas, puis les blancs secs et les blancs liquoreux qui se situent dans la même zone de conservation.

C’est ensuite le tour des rouges. Le bouchon du Pétrus 1983 s’émiette en mille morceaux du fait d’un liège léger et poreux. Et ce qui est curieux c’est que ce liège fragile a joué son rôle parfaitement car le niveau du vin est dans le goulot, sans aucune perte par évaporation pendant 34 ans. A l’inverse le bouchon au liège parfait du Palmer 1959 avait laissé fuir du vin puisque le niveau est à mi- épaule. Le nez du Pétrus est parfait. Le nez du Palmer a besoin de profiter d’une longue aération.

J’ai prévu pour ce dîner deux vins du domaine de la Romanée Conti, La Tâche 1957 et La Tâche 1969. La raison est la suivante : La Tâche 1957 a un niveau bas et doit être bue. La Tâche 1969 au niveau très satisfaisant est en support et en appoint.

Je peste car la qualité des bouchons des deux vins de Bourgogne est notoirement faible. Lorsque je veux piquer mon tirebouchon dans le bouchon du 1957, le bouchon glisse vers le bas. J’essaie de piquer et quand je tourne le tirebouchon, le bouchon tourne, sans que je puisse enfoncer le tirebouchon. Il a fallu plusieurs minutes avant que je ne puisse enfoncer le tirebouchon et lever le bouchon, noir sur plus de la moitié de sa longueur et ayant déposé du gras sur le goulot. L’odeur du vin est épouvantable, la poussière dominant. Cette odeur a tellement pénétré le vin qu’il me paraît impossible que le vin revienne à la vie.

Lorsque je pique dans le bouchon du 1969, c’est même scénario initial, le bouchon tourne dans le goulot, tend à baisser si j’appuie et me demande aussi du temps pour le piquer sans qu’il ne baisse dans le goulot. Le bouchon est moins abîmé que celui du 1957 et l’odeur du vin me rassure car tout indique que le vin va se reconstituer. Mais je peste car cela montre une qualité faible des bouchons et par ailleurs de mauvaises conditions de stockage par les détenteurs précédents de ces bouteilles, qui ont dû les garder dans des caves trop chaudes.

Le bouchon du Châteauneuf du Pape Clos de la Petite Gardiole 1946 est beaucoup plus sain. C’est la couleur du vin qui m’interpelle, car le vin est un peu trouble et beaucoup trop rose. Il y a de l’incertitude pour les rouges.

Je me fais beau, ma femme est belle, les premiers amis sonnent à la porte. Le réveillon du 31 décembre 2017 va commencer.

Les amis arrivent dans notre maison du sud pour partager à huit le réveillon du 31 décembre 2017. Comme l’organisation et le déroulement de ce dîner suivent les règles et préceptes de mes dîners, bien qu’il s’agisse d’un dîner amical où tous sont invités, je le classerai dans les dîners de wine-dinners et ce sera le 220ème dîner de wine-dinners.

L’apéritif commence avec le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Vintage magnum 1985 qui accompagnera du boudin blanc truffé poêlé en fines tranches, une chiffonnade de Cecina de León, cette délicieuse viande fumée de bœuf, et le pain apporté par une amie restauratrice. Le « pain pompe » est servi traditionnellement le 24 décembre. Il est fait de farine versée sur le fond de la meule lorsque le pressage de l’huile d’olive est terminé, qui va « pomper » la fleur d’huile de fond de cuve et permettre ce pain spécial à la fleur d’oranger.

Le champagne est glorieux, d’un jaune discrètement vert et doré. Il est puissant, serein et équilibré, et il est très au-dessus des autres exemplaires de ce champagne que j’ai déjà bus. Il est large, imprégnant et conquérant. Avec chaque composant de l’apéritif il crée un accord d’un naturel rare. Je suis conquis par ce champagne flamboyant.

Nous passons à table après que chacun a résolu une énigme lui permettant de trouver sa place et voici le menu que j’ai mis au point avec mon épouse qui l’a réalisé : caviar Osciètre seul / Caviar Osciètre sur coquille Saint-Jacques crue / Coquilles Saint-Jacques poêlées / Corail des coquilles Saint-Jacques / Filets de dorades royales poêlés / Médaillons de faux-filet de bœuf / écrasé de pommes de terre à la truffe / Camembert Jort boîte bois / Suprêmes de pomelos / Mangues / Madeleines au miel de châtaignier.

Sur le caviar abondamment servi, le caviar osciètre prestige de Kaviari, le Champagne Salon Le Mesnil sur Oger 1990 est la perfection absolue du champagne. Nous avions bu Salon 2002 en magnum il y a deux jours. Le Salon 1990 se situe au sommet de l’Olympe. Tout est équilibré, parfaitement dosé et le champagne chante un Opéra solennel de grandeur et de divine perfection. Nous sommes en face d’un champagne exceptionnel à un moment de sa vie de parfait équilibre.

L’association caviar et coquille crue aux notes sucrées trouve une résonnance excitante avec Salon 1990. Chaque goût est pur et l’accord se montre naturel.

Sur les coquilles Saint-Jacques juste poêlées, le Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1996 apporté par un ami forme aussi un accord fondé sur la pureté des goûts. Le parcours en bouche du vin a la forme d’un lampion chinois. C’est-à-dire que l’attaque est assez fluette, fluide et le milieu de bouche est tout en ampleur. Le vin lourd et riche est tonitruant en milieu de bouche. Le vin n’est pas totalement parfait mais il a un charme immense, lourd et plein.

Les coraux des coquilles vont accompagner les deux bordeaux qui vont se livrer à un petit match où tantôt l’un, tantôt l’autre va sortir gagnant. Au début, le Pétrus 1983 paraît plus strict et guindé que le Château Palmer 1959 velouté et féminin. Et avec le corail, c’est le 1959 qui gagne nettement.

Un petit miracle va se produire sur les filets de dorades royales. Le Pétrus jette aux orties son col empesé et devient vif, cinglant, brillant. Et l’accord est divin, mettant en valeur un pomerol de grande pureté très truffé, le Pétrus se révélant plus complice du poisson. Les deux bordeaux très disparates se sont montrés sur leur plus beau jour, l’un sur le corail et l’autre sur la dorade.

Je descends en cave pour remonter les trois vins déjà ouverts depuis six heures environ qui vont accompagner la viande. En prenant en main La Tâche 1957, l’odeur horrible à l’ouverture est toujours présente et mon verdict est que le vin sera imbuvable. Je remonte les vins et j’annonce la mort du 1957.

Je verse dans mon verre La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957. Je hume. Il n’y a aucune odeur désagréable. Ceci veut dire que la mauvaise odeur collait au goulot du vin et ne marquait pas le vin. J’en informe les amis et je goûte le vin à la couleur fatiguée et là, c’est comme si une enclume me tombait sur le crâne. C’est le choc de Christophe Colomb découvrant l’Amérique : ce vin résume à lui tout seul tout ce qui fait l’ADN des vins du domaine de la Romanée Conti. Ce vin est une montagne de roses posée sur un marais salant. Il y a la rose, il y a le sel et pour moi, c’est toute la Romanée Conti qui me bombarde de son excellence. Comment ce vin que j’allais exclure peut-il résumer aussi bien le domaine, avec autant de charme et de persuasion ?

Je verse le vin à tout le monde ainsi que les deux autres vins. La viande est parfaitement cuite et la purée truffée est suffisamment typée mais calme pour jouer le rôle d’accompagnement des vins.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1969 est beaucoup plus orthodoxe que la 1957. Elle a un joli fruit que la 1957 n’a pas. Elle a le charme de La Tâche, un velours délicat et la rose est plus discrète. Ce vin est tout en élégance. C’est un grand vin. Mais le 1957 canaille et fou est dix fois plus excitant tant il est hors-piste, en dehors de tous les canons œnologiques.

Le Châteauneuf-du-Pape Clos de la Petite Gardiole 1946 est un OVNI, un objet vineux non identifié. Sa couleur est rose framboise et le vin est légèrement trouble. Et son goût n’a rien de Châteauneuf-du-Pape. Il est doucereux, délicat, hors norme. Ce qui est incroyable, c’est que ce vin somme toute plaisant va rester tel quel tout au long du repas, sans bouger d’un pouce. Il est plaisant, curieux, hors norme et si l’on accepte de dépaysement et l’étonnement, il est agréable à boire.

Nous avons déjà tellement mangé que la confrontation entre les camemberts Jort boîte bois et boîte rouge n’aura pas lieu. Nous ouvrons un Jort boîte bois qui trouve avec les deux La Tâche des accords pertinents. Tous les repères sont sapés : dorade avec Pétrus puis camembert avec la Tâche, tous les puristes vont hurler, mais ça marche !

Après ces trois rouges dont seul le 1969 est orthodoxe et conforme à ce que nous espérions, le Château d’Yquem 1989 nous met sur un chemin de pur plaisir, tant l’or de cet Yquem est parfait, rond et serein. L’accord avec les suprêmes de pomelos prépare l’accord plus gourmand avec les dés de mangues crues. Il apparaît que des mangues poêlées auraient été plus en continuité avec la richesse sensuelle de l’Yquem.

Les petites madeleines au miel sont à se damner. Le Champagne Dom Ruinart rosé 1990 à la jolie bouteille est hélas bouchonné. Si on accepte de boire le champagne, en oubliant l’amertume créée par le bouchon, il y a une fraîcheur très significative qu’offre le champagne. Mais il est inutile d’insister.

Depuis une heure environ nous avons échangé embrassades et vœux et il est temps de voter.

Nous sommes sept à voter pour cinq vins à choisir parmi les dix vins du dîner. Jamais je n’aurais imaginé que la préférence que j’ai marquée pour La Tâche 1957 serait partagée par mes amis au moment du vote. Car ce vin est de loin le gagnant. Mes amis ont du talent ! Quatre vins ont eu les honneurs d’être classés premier, La Tâche 1957 quatre fois, Le Salon 1990 une fois, comme le Pétrus 1983 et le Palmer 1959.

Le vote du consensus serait : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1969, 3 – Château Palmer 1959, 4 – Pétrus 1983, 5 – Champagne Salon Le Mesnil sur Oger 1990, 6 – Château d’Yquem 1989.

Mon vote est : 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957, 2 – Champagne Salon Le Mesnil sur Oger 1990, 3 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1969, 4 – Pétrus 1983, 5 – Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Vintage magnum 1985.

Le fait qu’un vin que tout sommelier ou tout amateur aurait refusé de servir se trouve le gagnant avec une large avance sur les autres est un cadeau pétillant qui me fait chaud au cœur. Rien n’est plus gratifiant pour moi que de voir un blessé de guerre qui gagne la bataille.

Des accords ont été extrêmement brillants lors de ce dîner. Le Cécina de León avec le pain pompe sur le Veuve Clicquot 1985, le caviar sur coquille crue avec Salon 1990, la dorade royale avec Pétrus 1983 ont été des sommets d’autant plus gratifiants qu’ils sont inattendus.

Ce dîner d’amitié a donné le meilleur coup d’envoi que l’on puisse concevoir à la nouvelle année.

le bouchon du 1969 est en dessous du bouchon du 1957

le bouchon du Chateauneuf est en bas de l’assiette (en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre en partant du Palmer 1959, Tâche 57, Tâche 69, Chateauneuf 46, Pétrus 83 déchiqueté)

les trois rouges pour la viande

Pour que l’on puisse imaginer la taille des boîtes de caviar, j’ai mis un petit chat sur un coussin.

Le caviar forme le « 8 » de 2018

l’apéritif, Cecina de Leon

boudin blanc à la truffe

pata negra

le pain pompe

le repas : caviar puis caviar sur coquille crue

coquilles, coraux, dorade, faux-filet (il manque le pomelos et la mangue), madeleines

les vins du repas (de droite à gauche)

la table en fin de repas

Les votes

Déjeuner au restaurant Pages avec le vainqueur de l’énigme Vénus de Milo vendredi, 15 décembre 2017

Le sujet qui va suivre, s’il faut lui donner un titre, sera nommé : « de l’intérêt de gagner mes énigmes ». Le lecteur remarquera évidemment qu’il s’agit de le titiller et de l’inciter à gagner les prochaines énigmes. Rappelons les faits. Je lance une énigme sur la Vénus de Milo et un lecteur hasarde une hypothèse pour aussitôt la balayer comme improbable. C’était la bonne, ce qui a amplifié mon plaisir d’avoir posé une énigme que l’on ne trouve qu’en en écartant l’hypothèse.

Par le plus grand des hasards l’heureux gagnant est un assidu de l’académie des vins anciens et de plus, un des plus généreux. Aussi, alors qu’il a gagné, le voilà qui me propose d’apporter trois vins en complément du vin qui est le prix de sa découverte. Je me permets bien humblement de lui rappeler que le gagnant c’est lui et non pas moi, mais j’ajoute : tu fais ce que tu veux.

Le rendez-vous est pris au restaurant Pages où nous avons déjà déjeuné ensemble, et il est convenu que chacun de nous viendra à l’heure qui lui convient pour ouvrir ses bouteilles. Lorsque j’arrive à 11 heures, Romain a déjà ouvert ses deux vins. Le prix qu’il a gagné est de partager avec moi un Haut-Brion 1970. Mais Romain est si généreux que j’ai envie qu’il découvre un vin exceptionnel. Aussi par une théorie des compensations « à ma façon » (en français dans le texte), je prends une bouteille de Haut-Brion de niveau moyen, du genre mi-épaule, bien que les Haut-Brion n’aient pas d’épaule du fait de la forme particulière de leur bouteille, et je prends un vin que je chéris au plus haut point. Et j’ai dans ma musette deux autres surprises.

J’ouvre mes vins. Le Château Haut-Brion 1970 a un bouchon qui vient entier mais qui est gras. Il faut donc avec mes doigts essuyer l’intérieur du goulot qui est aussi gras. Le nez n’est pas parfait mais il annonce de belles promesses. C’est la truffe qui domine dans son parfum intense.

Le Corton Clos du Roi A. Montoy 1929 au niveau très haut a un bouchon qui vient aussi entier. Son parfum est une promesse divine. Je sens que nous allons être en face d’une merveille.

A 11h15 tout est ouvert et le restaurant ne l’est pas encore. Je demande au chef Teshi des Edamames, car c’est une tradition lorsque j’ai ouvert les vins d’un repas chez Pages d’en grignoter, qu’il va chercher au bistrot d’à-côté. Lorsque nous pouvons montrer que nous sommes là, je demande à Thibault de nous servir le Champagne Krug Private Cuvée Brut Réserve probablement des années 60 que Romain a apporté en m’ayant dit : « il n’y a qu’avec vous que je peux boire un tel champagne qui a perdu près de la moitié de son volume. D’autres ne le comprendraient pas ». Lorsque l’on verse les premières gouttes de ce champagne, l’impression est peu flatteuse, car le vin est gris, foncé, peu engageant. En le goûtant, en faisant abstraction de tout ce qui pourrait gêner, on sent qu’il y a un champagne qui ne demande qu’à s’exprimer, dès qu’il va éliminer cette gangue de vieillesse. Alors soyons patients. L’accord Edamame et Krug ne se fait pas car ce haricot réclame une ‘bonne’ bière plutôt qu’un champagne. Mais nous grignotons quand même. Romain, et je le rejoins, pense qu’il faut garder le Krug pour la fin du repas et il propose que nous prenions un champagne à la carte du restaurant, malgré tout ce qui nous attend. Il commande un Champagne Version Originale (V.O.) Jacques Selosse dégorgé le 22 septembre 2016, jour d’équinoxe. Le champagne est agréable, mais du fait d’un dégorgement trop récent, il manque un peu de vivacité, surtout si je pense au spectaculaire Substance dégorgé en juillet 2013 qui avait été sublime.

L’amuse-bouche est constitué de trois petites portions accompagnées d’une infusion de salsifis. L’infusion n’aura qu’un succès d’estime, car elle ne crée pas de vraie vibration. La première bouchée a tout d’un oignon mais en fait c’est un morceau de betterave, doux et sucré. La deuxième bouchée est un poisson délicieux qui s’accorde avec le V.O. de façon magistrale. La troisième est noire, sans doute un morceau de viande, de mâche curieuse mais bonne qui appellerait un vin. Cet amuse-bouche me plait par l’originalité des goûts.

Le premier plat est le plat classique de deux caviars que l’on roule dans des crêpes avec des petites tiges de ciboulette. Le premier est plutôt gris, au joli grain, provenant d’une région qui doit être, si ma mémoire est bonne entre Chine et Sibérie. Le second, plus noir, de loin mon préféré, est de Sologne. Il est vif et précis. Il n’a pas le gras que j’ai trouvé et aimé dans l’osciètre de Kaviari. Ce plat emblématique est délicieux et le champagne V.O. est compétent mais montre qu’il n’a pas la vibration que l’on pourrait souhaiter.

Nous avons ensuite, présenté sur une omoplate de bœuf, un carpaccio de bœuf Ozaki qui appelle, avec une évidence absolue le second vin de Romain, le Bâtard-Montrachet Louis Latour 1986. Le vin est superbe, joyeux et franc, sans chichi et ce qui me plait le plus c’est qu’il ne cherche pas à surjouer. Il est franc et c’est le principal. J’ai trouvé que le carpaccio travaillé au fumoir perd un peu de la spontanéité d’un carpaccio. Je l’aurais préféré – et le vin aussi – dans la pureté du carpaccio.

Le plat suivant est un risotto avec des coquilles Saint-Jacques crues. Et c’est incroyable de constater ce que le risotto apporte à la coquille qui, seule, n’a pas le même talent. Et il apparaît de façon évidente que ce plat appelle le Krug. Et le miracle, c’est que le Krug devient brillantissime avec ce plat. C’est une résurrection que l’on pourrait raconter cent fois sans convaincre, tant qu’on ne l’a pas vécue. Nous vivons un miracle. Le Krug blessé est éblouissant avec une râpe franche et une vivacité sans pareille.

Il y a ensuite un cromesquis de foie gras qui est plus un exercice de style qu’un plat gourmand. Nous ne voyons aucun vin qui pourrait l’accompagner. Sa sauce appelle le Selosse.

Le plat suivant est une tranche de cabillaud cuite comme je l’ai demandée, dans sa pureté avec une petite sauce viande. Fort curieusement ce plat est servi dans une assiette bleue et noire qui inhibe la vibration du poisson, du moins pour moi. Nous prenons le Bâtard Montrachet mais ça ne colle pas. Une évidence m’apparaît : « bon sang, mais c’est bien sûr » c’est le Haut-Brion qu’il nous faut.

Le Château Haut-Brion 1970 va faire comme le Krug une remontée ascensionnelle extraordinaire. Bu sur les premières gorgées, on sent la truffe, un grain très riche et une présence très belle, mais un voile de poussière qui donne un petit goût de vieux. C’est sur le cabillaud.

Mais lorsqu’arrive le veau aérien, tout défaut disparaît et le vin, le premier Haut-Brion pour Romain, devient parfait avec une truffe précise, un grain de plomb tant le vin est riche et un finale qui ne s’éteint jamais. Ce n’est que du bonheur et l’aération prouve, une fois de plus qu’elle est capable de miracles. Et ce veau qu’on croirait voir voler tant il est aérien en bouche est l’accompagnateur absolu de ce grand vin.

Le grand classique du restaurant c’est le trio des viandes de bœuf, de Normandie, de Galice et d’Ozaki. Le Corton Clos du Roi A. Montoy 1929 quand il est servi a une couleur d’un rouge d’une jeunesse extrême. Le nez est parfait et la bouche est d’une insolente perfection. Il y a dans ce vin du velours, une salinité bien dosée et il y a même un beau fruit rouge. Mais ce qui frappe le plus, c’est que ce vin est éternel. Tout au long de sa dégustation, ce vin n’a pas bougé d’un gramme, parfait de la première à la dernière goutte. Et surtout, on se dit que si l’on ouvrait ce vin dans vingt ans, on aurait le même vin car il a atteint une plénitude absolue.

Alors, ce vin est d’une magnitude incommensurable par rapport au Haut-Brion. On est en face du vin absolu, celui qui est le rêve de tout amateur. C’est avec le bœuf de Normandie que l’accord a été le plus pertinent, car le gras de l’Ozaki n’est pas adapté à ce vin. Quand Naoko, l’épouse de Teshi a demandé si nous voulions du fromage pour accompagner le reste du 1929 il était évident de dire non, pour que nous finissions ce vin à la grâce pure et absolue pour lui-même, comme on le ferait d’une liqueur. Rencontrer de tels vins est ma passion. Romain en a profité et j’en suis heureux.

J’avais dans ma musette le reste du Muscat de la Tour mis en bouteille en 1897 que j’avais fait goûter lors du dîner de vignerons. Et je suis obligé de dire que si le Corton 1929 est au sommet de la hiérarchie du vin, il faut inventer une huitième ou une neuvième dimension pour savoir où situer ce muscat. C’est invraisemblable. Il a de la rose, des fruits blancs et des fleurs blanches et une délicatesse comme des pétales de rose alors que c’est un vin doux naturel. On arrive au-delà de toute limite gustative à un niveau de paradis puissance dix.

A côté, le reste du Maury 1937 que j’avais présenté au salon Vinapogée est délicieusement gentil mais fait revenir sur terre. Et par un de ces hasards qui n’arrivent qu’aux gens chanceux, le dessert au chocolat, absolument délicieux, semble avoir été fait pour le Maury 1937.

Romain a un train à prendre car il dîne ce soir chez Bocuse. J’ai moi-même ce soir un dîner avec mon fils qui arrive de Miami. Cela ne doit pas nous empêcher de penser que nous avons vécu un moment de grâce absolue avec un Corton 1929 qui est l’expression absolue du vin rouge à maturité éternelle, et parce que nous avons vu des résurrections incroyables avec un Krug blessé et un Haut-Brion un peu claudiquant qui ont su donner le meilleur d’eux-mêmes, comme si de rien n’était. Et les dernières larmes du Muscat 1897 sont la preuve que quand on croit avoir bu l’ultime de l’ultime, il existe encore un Olympe au-dessus de l’Olympe. Quel beau repas !

N’oubliez pas les prochaines énigmes !

la couleur du 1929

apéritif

amuse-bouche

repas