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224ème dîner à la manufacture Kaviari mercredi, 11 avril 2018

La maison de caviar Kaviari dispose dans le 4ème arrondissement de Paris d’une « manufacture » qui est très joliment décorée. De temps à autre Kaviari invite des chefs pour qu’ils viennent concevoir des déjeuners sur leurs caviars. C’est ainsi que répondant à l’invitation de Valérie Costa de venir déjeuner lorsque ce fut son tour d’être aux fourneaux, j’ai connu les caviars Kaviari et la directrice générale Karin Nebot.

L’idée m’est venue d’associer mes champagnes et mes alcools pour un de mes dîners. Le 224ème dîner se tient à la Manufacture Kaviari. Nous serons douze, un des amis fidèles de mes dîners ayant invité dix personnes pour constituer la table. Philippe Turquet est un cuisinier qui de temps à autre participe à l’élaboration des menus pour le caviar. Je suis venu il y a quelques semaines faire des essais, et je lui ai demandé que la priorité soit aux produits purs plutôt qu’à la « façon » de les présenter. C’est toujours un peu frustrant pour un chef de s’effacer devant le produit, mais Philippe s’y est prêté avec une réussite qu’il convient de signaler. Pascale la collaboratrice efficace de Karin a fait les achats et les produits se sont montrés de haute qualité.

J’arrive à 17 heures pour ouvrir les vins et plus tard les champagnes. Plusieurs idées sont intervenues pour que je compose ce dîner. La première est que le caviar doit jouer un rôle majeur dans plus de la moitié du repas et qu’il s’efface ensuite lorsque l’on arrive aux fromages et desserts. En effet vouloir marier le caviar à tout prix dans des accords improbables ne conviendra pas à mes vins.

La deuxième idée est de prendre des risques pour essayer des accords et peut-être susciter des merveilles. Ainsi dans le programme il y a trois vins ou alcools que je n’ai jamais goûtés. La troisième idée est de vérifier comment peuvent se comporter des alcools qui sont servis en même temps que des champagnes ou des vins. C’est donc une expérience de pionnier, d’aventurier que je souhaite faire partager aux convives du repas.

Il y a dans le programme une Vodka de 1867, peut-être de Macédoine et qui provenait de la cave parisienne du duc de Windsor. J’avais demandé à une amie parlant russe de m’expliquer l’étiquette à l’écriture cyrillique. Elle a eu du mal à lire car ce n’est pas du russe mais elle m’a confirmé deux choses : la date de 1867 est bien un millésime et pas la date de création de la distillerie (comme la Chateldon que l’on boit n’est pas du millésime 1620) et c’est bien une vodka probablement aux fruits ( ?). Lorsque je veux l’ouvrir, une concrétion très dure existe au sommet de bouchon. J’essaie de la fracturer sans pousser le bouchon vers le bas mais irrésistiblement il tombe dans le liquide. Je carafe le liquide très ambré et avec une ficelle j’arrive à faire sortir le bouchon tout contracté, ce qui impressionne Napal qui travaille en cuisine et me regarde faire. Je nettoie les éventuelles poussières de la bouteille et je peux remettre l’alcool dans sa bouteille. Je ne voulais pas prendre le risque que le bouchon se désagrège dans le liquide en le polluant. J’ouvre les vins entre 17h et 18h, certains champagnes jeunes vers 18 heures et les plus vieux à 19 heures. Parmi les vins il y a un vin totalement inconnu de 1916 pour lequel j’étais sans illusion. Son nez me ravit. Tout va donc très bien.

Lorsque les convives sont arrivés nous prenons l’apéritif debout avec un Champagne Dom Ruinart 1988 et nous prenons à volonté du caviar avec de petites cuillers en bois. Le caviar est du  Transmontanus qui est le plus noir des caviars de cette maison. Le champagne légèrement ambré est d’une magnifique plénitude. Il est goûteux et le sel bien mesuré du caviar le rend encore plus gourmand. L’année 1988 réussit aux champagnes et ce Dom Ruinart atteint un niveau de grande excellence.

Le menu que j’ai composé – pour une fois c’est moi seul qui le composais – et réalisé avec talent par Philippe Turquet est : caviar osciètre avec huître nature, caviar osciètre avec huître tiède / caviar osciètre et coquilles Saint-Jacques en carpaccio / caviar osciètre et saint-pierre cuit à basse température, navets nouveaux confits, beurre blanc, jus de navet / Comté 18 mois / Stichelton de la maison Bellevaire / dessert à la mangue juste saisie / pain d’épices à la mangue / financier tiède à la noix et aux noisettes.

Le premier plat avec les deux huîtres accueille deux champagnes. Le Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en 2013 est un beau champagne noble qui profite idéalement d’avoir été dégorgé il y a cinq ans. Il est noble et vif, mais la compétition est rude avec le Champagne Krug Clos du Mesnil 1985 qui est dans un état de perfection absolue. Quelle noblesse. Si l’on devait faire une comparaison horlogère ce champagne serait comme une montre à tourbillon, la complication très recherchée des amateurs. Noble, grand, seigneurial, ce champagne est dans un état de grâce.

Avec les délicieuses coquilles Saint-Jacques crues, nous allons essayer un alcool et un champagne. Ce que je suggère à mes convives c’est de faire un chemin « plat – champagne – plat – alcool – plat » de telle façon qu’on ne fait pas se télescoper les deux breuvages. On repasse toujours par la case plat. Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964 est extrêmement ambré. Il est doux car il est dosé mais il est bien pétillant. Il a des accents de sauternes. Il est très sensuel. L’accord avec la coquille et le caviar est magique. J’avais essayé lors de mon repas préparatoire en ce lieu l’Eau-de-vie Kummel 1943 et j’avais été conquis. On prend un peu de caviar et un peu de coquille et l’alcool  extrêmement frais, aux fraîcheurs anisées et au goût de cumin forme un accord splendide. Mais le plus vivant est ce qui suit. Quand on prend de la coquille juste après, on a en bouche la mémoire du cumin et c’est grandiose. Le sucre de la coquille ne peut empêcher le retour de flamme du Kummel. Je vérifie avec joie que l’alcool n’écrase ni le plat ni le champagne. Cet ordonnancement est convainquant. Voilà une expérience probante.

Il y a quelque chose d’irréel d’avoir devant soi trois breuvages de 1915, 1916 et 1867. Deux ont plus de cent ans et un plus de cent-cinquante ans. Ils sont associés au saint-pierre.

Le Blanc Vieux d’Arlay Jean Bourdy 1915 est un vin que je chéris dans cette année sublime. Il respire la noix et en bouche il combine densité et légèreté. Il serait impossible de lui donner un âge tant sa fluidité dépasse le temps. J’adore cette si belle et si fluide expression du vin du Jura.

Le Vin de Carcin 1916 est une complète inconnue. J’avais rencontré un collectionneur de bouteilles vides antiques qui possède dans sa maison du centre de la France un véritable musée de l’histoire des verres et bouteilles. Dans un château breton il avait acquis des dizaines de bouteilles vides antiques et avait aussi pris des bouteilles pleines dont il m’a vendu plusieurs raretés dont celle-ci. J’ai cherché sur internet et je n’ai rien trouvé qui explique vraiment ce vin. Voici ce que j’ai soutiré de la Toile : ce qu’on lit est plutôt Carcin mais ce pourrait être Larcin. Le Carcin peut être un synonyme de Quercynien. Le Larcin est un vin de Bergerac. On serait donc dans les vins de Cahors. Mais le verre de la bouteille est gravé Birmenstorfer Wein qui est un vin suisse de Birmenstorf au nord-ouest de Zürich. Ce serait alors un vin suisse.

A travers la très jolie bouteille je pouvais voir un liquide très clair. J’avais ajouté cette inconnue à notre repas, acceptant par avance que le vin soit insipide. A l’ouverture, le parfum très pur mes semblait assez proche de celui du vin du Jura de 1915. La proximité de date avait aussi joué dans mon choix mais c’est surtout l’exploration de l’inconnu qui m’animait. En bouche je suis subjugué, au point que ce vin sera celui que je mettrai en numéro un dans mon vote. Ce vin, dont je suis bien incapable de deviner la région est un vin sec, résolument sec. La piste suisse est plausible. Mais ce qui est fou, c’est qu’il a dans le finale une fraîcheur mentholée que je n’ai jamais rencontrée ainsi pour un vin blanc. Il est frais, il n’a pas d’âge, il est énigmatique et il est bon et sa fraîcheur finale sur le caviar osciètre est un moment magique. Je n’aurais rien parié sur ce vin et ce sentiment d’un goût inconnu m’enchante.

La Probable Vodka au fruit de Macédoine 1867, provenant de la cave parisienne du duc de Windsor, est incroyablement ambrée. Son goût m’évoque clairement un goût de vodka. Mais il semble qu’il s’agit d’un Slivovitz serbe qui est un schnaps à la prune. Tout le monde peut se tromper, surtout avec des alcools de cet âge. L’alcool est là, mais pas très fort. Il y a un petit peu de rêche dans le goût mais globalement cet alcool est délicieux. Il est énigmatique, complexe et virevoltant et, chose appréciable, on peut passer de l’un à l’autre des trois vins et alcools sans ressentir la moindre rupture gustative. Cette juxtaposition improbable fait partie des curiosités que j’aime susciter.

Nous fermons maintenant la porte aux plats autour du caviar pour revenir dans une partie plus conventionnelle du dîner. Le comté est excellent mais un peu sec. Il est très goûteux. Le Château Chalon Jean Bourdy 1929 est d’une noix divine mais je le trouve un peu moins puissant, un peu plus fluide que les 1929 que j’ai déjà bus de cet excellent vin.

Le Château d’Yquem 1946 est d’une magnifique couleur ambrée avec des tons presque roses.  Son nez est riche de mille complexités et doux comme des plaisirs rares. Avec le Stichelton bien crémeux l’accord est superbe. Et ce qui est confondant, c’est qu’un autre accord se trouve avec les parfaites tranches de mangue poêlées avec une trace de miel. Cet Yquem est magnifique d’accomplissement. Et son adaptabilité est remarquable. La trace en bouche de ce vin est indélébile, joyeuse et gourmande.

Le pain d’épices était envisagé avec l’Yquem mais j’ai jugé préférable que l’Yquem ne côtoie que la mangue aussi est-ce un Champagne Dom Pérignon 1978 qui clôture le repas. Il est divin, magiquement accompli. Sa sérénité et son équilibre en font un grand Dom Pérignon que j’aurais pu faire figurer dans mon vote.

Il est temps de voter et c’est bien difficile tant les vins et alcools sont différents. Ce qui me fait un immense plaisir, c’est que les onze vins ont eu au moins un vote, ce qui veut dire que chacun a été jugé digne de figurer dans les cinq premiers par au moins un convive. L’autre satisfaction c’est que six vins sur onze ont été jugés dignes d’être premier par au moins l’un des convives. L’Yquem a eu cinq votes de premier, le Blanc Vieux d’Arlay 1915 et le Dom Pérignon 1978 ont eu chacun deux votes de premier et trois vins ont eu un vote de premier, le Krug Clos du Mesnil 1985, le Vin de Carcin 1916 et la Vodka 1867. Dans mon vote si j’avais retenu la qualité pure j’aurais mis en premier le Clos du Mesnil, mais le Vin de Carcin 1916, énigme complète m’a tellement surpris que c’est lui que j’ai retenu.

Le vote du consensus est : 1 – Château d’Yquem 1946, 2 – Champagne Krug Clos du Mesnil 1985, 3 – Blanc Vieux d’Arlay 1915, 4 – Probable vodka au fruit de Macédoine 1867, 5 – Vin de Carcin 1916, 6 – Champagne Dom Pérignon 1978.

Mon vote est : 1 – Vin de Carcin 1916, 2 – Château d’Yquem 1946, 3 – Champagne Krug Clos du Mesnil 1985, 4 – Eau-de-vie Kummel 1943, 5 – Probable vodka au fruit de Macédoine 1867.

Que dire de ce dîner ? La Manufacture a accepté d’accueillir un de mes dîners et a contribué à la réussite de l’expérience. Les achats de produits de haute qualité et un chef qui accepte de jouer le jeu de la simplicité pour mettre en valeur les produits purs, ce sont deux atouts majeurs. Nous n’avions pas prévu de sommelier et j’ai dû assumer ce rôle. Il faut impérativement un sommelier pour assurer le service du vin.

J’ai voulu prendre des risques avec des vins ou alcools que je ne connaissais pas, car ça me semblait faire partie de l’expérience. Nous avons eu la chance que tous les vins soient bons. Ça me donne une furieuse envie de recommencer. Je vais essayer de convaincre ceux qui auraient des démangeaisons de mêler caviar, alcools rares et grands champagnes.

Avec des convives particulièrement sympathiques et ouverts, nous avons vécu un dîner d’anthologie.  1867, 1915, 1916, 1929, 1943, 1946…. le temps n’a pas de prise sur les grands vins.

 

Le dépliant fait par la maison Kaviari

Champagne Dom Ruinart 1988

Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en 2013

Champagne Krug Clos du Mesnil 1985

Eau-de-vie Kummel 1943 (cadeau de Jean Hugel qui avait écrit le nom sur le dos d’une étiquette d’un vin de sa maison Hugel)

Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964 (l’étiquette parfaitement conservée paraît neuve)

Blanc Vieux d’Arlay 1915 (c’est pour moi une des plus belles qui soient, par sa simplicité)

Vin de Carcin 1916 – le Carcin peut être un synonyme de Quercynien. Le Larcin est un vin de Bergerac. On serait donc dans les vins de Cahors. Mais le verre de la bouteille est gravé Birmenstorfer Wein qui est un vin suisse de Birmenstorf au nord-ouest de Zürich. Ce serait alors un vin suisse.

Probable vodka au fruit de Macédoine 1867 (provenant de la cave parisienne du duc de Windsor)

j’ai récupéré le tout petit bouchon avec une ficelle

Château Chalon Jean Bourdy 1929

Château d’Yquem 1946

Champagne Dom Pérignon 1978

les vins du repas dans ma cave

les vins du repas à  la manufacture

j’ai raté les photos des plats tant j’étais concentré sur la sommellerie et les discussions animées. J’ai oublié des plats !

les votes très disparates

les verres en fin de repas

223rd dinner is held at restaurant Le Laurent mercredi, 4 avril 2018

The 223rd wine-dinners dinner is held at the restaurant Le Laurent. It was decided in record time, a faithful of my dinners telling me that a Boston American wanted to celebrate with his associates and his councils the realization of a contract which I did not ask me say more. The wines were delivered a week ago.
When I arrive at 5 pm to open the wines, Ghislain, the sommelier-chef of the restaurant, has already arranged the bottles of dinner on a table in the order of service so that I can take the traditional photo. I really appreciate this initiative. On a nearby table everything I could need is in place. I open the bottles in the order of service and I do not have the memory of having opened so many bottles without one of them causing me problems of unfriendly odors. Today all perfumes are perfect. Will they hold, we’ll see. The Pomerol Caillou 1953 has a divine perfume of Pomerol, much richer than that of the Pétrus 1966. I swoon feeling the odor message of the Domaine Echézeaux Romanée Conti 1981 which is so characteristic of the Domaine. The 1961 Yquem seems much drier than the more botrytised Climens 1943. Now comes the opening of the last wine, not registered in the program, which I added as a gift. It is a Rota 1858, only mentions on the label written by hand. There is very little information on the web about this Andalusian wine and as the glass is opaque I do not know what type of wine it is, red, white or sweet. The cork is very strongly glued to the glass and crumbles easily. I have to curette at the beginning to be able to lift the perfect cork. I make Ghislain smell and ahead of me he says that this nose is the same as that of my 1845 Cyprus wines. These fragrances are those of a perfume, haunting, bewitching, made of pepper, licorice, spices, zest of infinite richness. And I cannot help feeling immense joy. In the cave of Ali Baba that I acquired, the Rota 1858 were unknown as were unknown bottles without labels. Knowing that this Rota 1858 is at the level of wine dearest to my heart, Cyprus 1845, can only make me happy.
We are thirteen, including three women. As the organizer of this dinner is American, the dinner is held in English, too, as almost all the guests are unknown to me and speak English, I do not know what is the proportion of Americans and French. I suppose it’s half and half.
In the entrance lounge which has the shape of a rotunda we drink the Champagne Salon Magnum 1997 on beautiful cheese gougères. This champagne is at once the ideal son-in-law, because he is insolent of charm, like George Clooney at the age of twenty, and at the same time Macronian in the sense of « and at the same time », because it combines ease of reading and complexity and it combines a vinous character with a great romanticism. He has everything for him and is at more than twenty years old in a moment of fullness.
We sit down to table. The menu prepared by Alain Pégouret is: Sea spider in its jelly juices, cream of fennel / Morels and peas wracked, juices barely creamed, garlic of the bears (ail des ours) / Piece of beef served in aiguillettes, puffed apples / Lamb of milk (agneau de lait) marinated herbs cooked in field dress, crispy of safflings and artichokes, fondue of heart of romaine / sweetbreads, black olives / Stilton / Marvelous with mango / Palm trees « Laurent ».

Champagne Ruinart Père & Fils 1955 is the only wine I tasted before the meal because pouring a glass is against the integrity of the method of slow oxygenation, which is all the more effective when we no longer touch the bottle that has just been opened. The champagne had conquered me but I had measured how much this champagne can be difficult to understand for those who are not used to old champagnes. To my surprise, all the guests enjoyed this bubble-free champagne but sparkling well present, with autumn tastes but sunny. Very rich and long in the mouth it is softened by the spider crab and shows a confusing charm. It is a very beautiful champagne generous, precise and chiselled.

Morels accompany two wines. Château Laville Haut-Brion Graves 1982 is an irresistibly young light yellow, and it is a characteristic of this wine at all ages. It is complex, playing on its ideal acidity and a beautiful character of Graves and what strikes is its full width. He is a triumphant warrior. Beside him the Kebir-Rosé Etablissements Frédéric Lung Alger # 1947 in the color of a pink tea is unknown to all but two guests who have already participated in one of my dinners at George V where I had served it. It is surprising because we have no reference. Ghislain at the opening had felt the datte in his perfume. I also feel sketches of coffee and it seems to me more in a line of white wine than rosé wine. It could be a rich and noble white Rhône. Everyone is captivated by this wine. The harmony of morels is also interesting with each wine. The Laville widens and the Kebir becomes deeper.

On the piece of beef with heavy sauce there are three bordeaux of the right bank. The Chateau Ausone 1964 is exceptional of refinement. I waited for a solid Ausone and I drink a noble and gallant Ausone, an Aramis, an Alfred de Vigny. It is a very big refined Ausone. Château Le Caillou Pomerol 1953 is the absolute definition of perfect Pomerol, even more than its more capped neighbor. He is rich, exudes the truffle, and shows an unsuspected energy. The 1966 Petrus is all about subtlety. Much less triumphant than the Caillou, he is like the Japanese calligrapher who will only be understood by initiates. His message is subtle, balanced, refined and apparently the whole table understands it. Caillou reacts well on the heavy sauce.

The Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1981 has the characteristics I like, the rose and salt. I love it because it is all in suggestion. It is not a powerful wine, it is a wine that suggests notes of great intelligence. Beside him, on the suckling lamb, Château Corton Grancey Louis Latour 1964 is of an incredible serenity. It’s the perfect Burgundy wine. I drank several times this 1964 and I never met him as fulfilled and balanced. The votes will devote his brilliant performance. I ate the meat on the Corton and the salad of a beautiful bitterness on the Echézeaux because this Roman salad has exacerbated the bitterness of the 1981 in an alliance of total beauty.

The Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962 is an absolute balance. It is fine, refined, very Burgundian without giving up its Rhone origins. I’m in love with this wine so easy to read, like the 1997 Salon, but revealing beautiful complexities. The agreement with sweetbreads is divine.

The two sauternes will be served on two courses, stilton first and then mango dessert. The Château d’Yquem 1961 is noble and ate some of its sugar. He thus plays on his finesse and the saline stilton showcases it much more than the Château Climens Haut-Barsac 1943 with the golden mahogany robe and the blooming botrytis. While intrinsically the Climens is wider and more joyful than the Yquem it is the latter who will collect votes while the Climens will be unfairly forgotten.
Now comes in her beautiful opaque bottle with very deep bottom Rota Spanish wine 1858. The color is complex with very dark tones but also light yellow tones as a mixture unreal. The nose is incredibly invasive and in the mouth it is melted lead of happiness. There is an intense pepper, licorice, orange zest suggested. Many spices are added but it is especially its aromatic persistence which is infinite. It is a cousin of taste with Cyprus 1845, absolutely divine wine.
It is time to vote and it is difficult because I think that with so much perfection if I redo my vote in one hour I could vote differently. We vote for our five favorites. Out of 13 wines, 12 had at least one vote. Six wines had the honor of being named first. The Hermitage La Chapelle had 4 votes of first, the Corton Grancey 3 votes of first, the Echézeaux and the Rota 1858 had 2 votes of first, the Laville and the Pétrus had one vote of first.
The ranking of the consensus would be: 1 – Château Corton Grancey Louis Latour 1964, 2 – Echézeaux Domaine of Romanée Conti 1981, 3 – Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Senior 1962, 4 – Château d’Yquem 1961, 5 – Pétrus 1966, 6 – Château Laville Haut-Brion Graves 1982.
My classification is: 1 – Rota wine from Spain 1858, 2 – Château Corton Grancey Louis Latour 1964, 3 – Château Laville Haut-Brion Graves 1982, 4 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1981, 5 – Château Ausone 1964.
When I asked the guests what was the agreement that excited them most, what was my joy to see that all the dishes were cited as being the best food and wine pairing for at least one of them. My best would be sweetbread with 1962 La Chapelle. Congratulations to chef Alain Pégouret for creating so legible dishes that they have stuck to wines. The service was perfect, Aurélien who did the service of the wines was very attentive and succeeded perfectly. Were we in a flower day or a fruit day or another day for all the wines to be presented in the most accomplished form they could have, I do not know, but this dinner was a complete success.

(pictures are on the article in French, see below)

223ème dîner au restaurant Laurent mercredi, 4 avril 2018

Le 223ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Le Laurent. Il a été décidé en un temps record, un fidèle de mes dîners m’indiquant qu’un américain de Boston voulait fêter avec ses associés et ses conseils la concrétisation d’un contrat dont je n’ai pas demandé qu’on m’en dise plus. Les vins ont été livrés il y a une semaine.

Lorsque j’arrive à 17 heures pour ouvrir les vins, Ghislain, le sommelier-chef du restaurant, a déjà disposé les bouteilles du dîner sur une table dans l’ordre de service pour que je puisse prendre la traditionnelle photo. J’apprécie beaucoup cette initiative. Sur une table voisine tout ce dont je pourrais avoir besoin est en place. J’ouvre les bouteilles dans l’ordre de service et je n’ai pas le souvenir d’avoir ouvert tant de bouteilles sans que l’une d’entre elles ne me pose des problèmes d’odeurs inamicales. Aujourd’hui tous les parfums sont parfaits. Tiendront-ils, nous verrons. Le pomerol Caillou 1953 a un divin parfum de pomerol, nettement plus riche que celui du Pétrus 1966. Je me pâme en sentant le message odorant de l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1981 qui est tellement caractéristique du domaine. L’Yquem 1961 paraît beaucoup plus sec que le Climens 1943 plus botrytisé. Arrive maintenant l’ouverture du dernier vin, non inscrit au programme, que j’ai ajouté comme un cadeau. C’est un Rota 1858, seules mentions sur l’étiquette écrite à la main. Il y a très peu d’informations sur le web sur ce vin d’Andalousie et comme le verre est opaque je ne sais pas de quel type de vin il s’agit, rouge, blanc ou liquoreux. Le bouchon est très fortement collé à la paroi et s’émiette facilement. Il me faut cureter au début pour pouvoir lever le tout petit bouchon au liège parfait. Je fais sentir à Ghislain qui me devance pour dire que ce nez est le même que celui de mes vins de Chypre 1845. Ces fragrances sont celles d’un parfum, envoûtant, ensorcelant, fait de poivre, d’épices de réglisse, de zestes, d’une richesse infinie. Et je ne peux m’empêcher d’éprouver une immense joie. Dans la caverne d’Ali Baba que j’ai acquise, les Rota 1858 étaient des inconnues comme les bouteilles sans étiquettes. Savoir que ce Rota 1858 est du niveau du vin le plus cher à mon cœur, le Chypre 1845, ne peut que me combler.

Nous sommes treize dont trois femmes. Comme l’organisateur de ce dîner est américain, le dîner se tient en anglais, aussi, comme presque tous les convives me sont inconnus et parlent anglais, je ne sais quelle est la proportion d’américains et de français. Je la suppose moitié-moitié.

Dans le salon d’entrée en forme de rotonde nous buvons le Champagne Salon Magnum 1997 sur de belles gougères au fromage. Ce champagne, c’est à la fois le gendre idéal, car il est insolent de charme, façon George Clooney à vingt ans, et à la fois macronien dans le sens de « et en même temps », car il combine facilité de lecture et complexité et il combine un caractère vineux avec un grand romantisme. Il a tout pour lui et se situe à plus de vingt ans en un moment de plénitude.

Nous passons à table. Le menu préparé par Alain Pégouret est : Araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil / Morilles et petits pois lutés, sucs à peine crémés, ail des ours / Pièce de bœuf servie en aiguillettes, pommes soufflées / Agneau de lait mariné aux herbes cuit en robe des champs, crispy de cébettes et d’artichauts, fondue de cœur de romaine / Ris de veau rissolé, blettes d’olives noires / Stilton / Merveilleux à la mangue / Les palmiers « Laurent ».

Le Champagne Ruinart Père &Fils 1955 est le seul vin que j’avais goûté avant le repas car verser un verre nuit à l’intégrité de la méthode d’oxygénation lente, qui est d’autant plus efficace qu’on ne touche plus à la bouteille qui vient d’être ouverte. Le champagne m’avait conquis mais j’avais mesuré combien ce champagne peut être difficile à comprendre si l’on n’a pas l’habitude des champagnes anciens. A ma grande surprise, tous les convives ont apprécié ce champagne sans bulle mais au pétillant bien présent, aux goûts d’automne mais ensoleillé. Très riche et long en bouche il est adouci par l’araignée de mer et se montre d’un charme confondant. C’est un très beau champagne généreux, précis et ciselé.

Les morilles accompagnent deux vins. Le Château Laville Haut-Brion Graves 1982 est d’un jaune clair irréellement jeune, et c’est une caractéristique de ce vin à tous les âges. Il est complexe, jouant sur son acidité idéale et un beau caractère de Graves et ce qui frappe c’est sa largeur épanouie. C’est un guerrier triomphant. A côté de lui le Kebir-Rosé Etablissements Frédéric Lung Alger #1947 à la couleur d’un thé rose est un inconnu de tous les convives sauf deux qui ont déjà participé à un de mes dîners au George V où je l’avais servi. Il est surprenant car l’on n’a pas de repère. Ghislain à l’ouverture avait senti de la datte dans son parfum. Je ressens aussi des esquisses de café et il me semble plus dans une ligne de vin blanc que de vin rosé. Ce pourrait être un Rhône blanc riche et noble. Tout le monde est conquis par ce vin. L’accord des morilles est aussi intéressant avec chacun des vins. Le Laville s’élargit et le Kebir le rend plus profond.

Sur la pièce de bœuf à la lourde sauce il y a trois bordeaux de la rive droite. Le Château Ausone 1964 est exceptionnel de raffinement. J’attendais un Ausone solide et je bois un Ausone noble et galant, un Aramis, un Alfred de Vigny. C’est un très grand Ausone raffiné. Le Château Le Caillou Pomerol 1953 est la définition absolue du pomerol parfait, plus encore que son voisin plus capé. Il est riche, exsude la truffe, et montre une énergie insoupçonnée. Le Pétrus 1966 est tout en subtilité. Bien moins triomphant que le Caillou, il est comme le calligraphe japonais qui ne sera compris que par des initiés. Son message est subtil, dosé, raffiné et apparemment toute la table le comprend. Le Caillou réagit bien sur la lourde sauce.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1981 a les caractéristiques que j’aime, la rose et le sel. Je l’adore car il est tout en suggestion. Ce n’est pas un vin puissant, c’est un vin qui suggère des notes de grande intelligence. A côté de lui, sur l’agneau de lait, le Château Corton Grancey Louis Latour 1964 est d’une sérénité inouïe. C’est le vin de Bourgogne parfait. J’ai bu plusieurs fois ce 1964 et jamais je ne l’ai rencontré aussi épanoui et équilibré. Les votes vont consacrer sa brillante prestation. J’ai mangé la viande sur le Corton et la salade d’une belle amertume sur l’Echézeaux car cette romaine a exacerbé les amertumes du 1981 dans une alliance de toute beauté.

L’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962 est d’un équilibre absolu. Il est fin, raffiné, très bourguignon sans renoncer à ses origines rhodaniennes. Je suis amoureux de ce vin si facile à lire, comme le Salon 1997, mais révélant de belles complexités. L’accord avec le ris de veau est divin.

Les deux sauternes seront servis sur deux plats, le stilton d’abord et le dessert à la mangue ensuite. Le Château d’Yquem 1961 est noble et a mangé une partie de son sucre. Il joue donc sur sa finesse et le salin du stilton le met en valeur beaucoup plus que le Château Climens Haut-Barsac 1943 à la robe d’acajou doré et au botrytis épanoui. Alors qu’intrinsèquement le Climens est plus large et plus joyeux que l’Yquem c’est ce dernier qui recueillera des votes alors que le Climens sera injustement oublié.

Vient maintenant dans sa magnifique bouteille opaque au cul très profond le Rota vin d’Espagne 1858. La robe est complexe avec des tons très foncés mais aussi des tons jaune clair comme en un mélange irréel. Le nez est toujours aussi envahissant et en bouche c’est du plomb fondu de bonheur. Il y a un poivre intense, de la réglisse, des zestes d’orange suggérés. De nombreuses épices s’y ajoutent mais c’est surtout sa persistance aromatique qui est infinie. C’est un cousin du Chypre 1845, vin absolument divin.

Il est temps de voter et c’est bien difficile car je pense devant tant de perfection que si je refaisais mon vote dans une heure je pourrais voter différemment. Nous votons pour nos cinq préférés. Sur 13 vins, 12 ont eu au moins un vote. Six vins ont eu l’honneur d’être nommés premier. L’Hermitage la Chapelle a eu 4 votes de premier, le Corton Grancey 3 votes de premier, l’Echézeaux et le Rota 1858 ont eu 2 votes de premier, le Laville et le Pétrus ont eu un vote de premier.

Le classement du consensus serait : 1 – Château Corton Grancey Louis Latour 1964, 2 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1981, 3 – Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962, 4 – Château d’Yquem 1961, 5 – Pétrus 1966, 6 – Château Laville Haut-Brion Graves 1982.

Mon classement est : 1 – Rota vin d’Espagne 1858 , 2 – Château Corton Grancey Louis Latour 1964, 3 – Château Laville Haut-Brion Graves 1982 , 4 – Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1981 , 5 – Château Ausone 1964.

Lorsque j’ai demandé aux convives quel était l’accord qui les a le plus enthousiasmés, quelle ne fut pas ma joie de constater que tous les plats ont été cités comme étant le meilleur accord mets et vins pour au moins l’un d’entre eux. Bravo au chef Alain Pégouret d’avoir créé des plats si lisibles qu’ils ont collé aux vins. Le service a été parfait, Aurélien qui a fait le service des vins a été très attentif et a réussi parfaitement. Etions-nous dans un jour fleur ou un jour fruit ou un autre jour pour que tous les vins se soient présentés dans la forme la plus aboutie qu’ils pourraient avoir, je ne sais pas, mais ce dîner fut une réussite totale.

Champagne Salon Magnum 1997

Champagne Ruinart Père &Fils 1955

Château Laville Haut-Brion Graves 1982

Kébir-Rosé Etablissements Frédéric Lung Alger #1947

Château Ausone 1964

Château Le Caillou Pomerol 1953

Pétrus 1966

Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1981

Château Corton Grancey Louis Latour 1964

Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1962

Château Climens Haut-Barsac 1943

Château d’Yquem 1961

Rota vin d’Espagne 1858

(cette étiquette est plus lisible que celle de la bouteille – identique – qui a été ouverte)

textes trouvés où les vins de Rota sont signalés

photo en cave

photo au restaurant

il y a quelques plats que je n’ai pas photographiés

les votes et les classements

la table en fin de repas

Déjeuner au restaurant l’Ecu de France dimanche, 1 avril 2018

Deux amies américaines, fidèles de mes dîners, avaient assisté au 222ème dîner au restaurant Pierre Gagnaire. Ma femme et moi les invitons à prendre un apéritif chez nous puis à déjeuner dans un restaurant que nous aimons. A domicile, j’ouvre un Champagne Krug Grande Cuvée à l’étiquette « gold » fait avec des vins qui ont plus de 30 ans. Le bouchon est beau, le pschitt est faible à l’ouverture mais le pétillant est fort et même très fort car la présence de la bulle est insistante. Je me suis dit qu’il eût fallu ouvrir la bouteille plus de deux heures avant. La couleur est joliment ambrée et le champagne est noble, présent, imprégnant. Avec le jambon Pata Negra délicieux il est agréable, mais pour une fois, car c’est rarement le cas, je le trouve plus vibrant sur la poutargue. Nous montrons à nos amies l’accord champagne et camembert qu’elles ne connaissaient pas et il me paraît que ce camembert Moulin de Carel conviendrait mieux à un jeune Salon qu’à un Krug à maturité comme celui-ci.

Nous nous rendons ensuite au restaurant l’Ecu de France car nous voulons montrer à nos amies ce restaurant traditionnel et historique dont la décoration n’a pas changé d’un détail depuis que je le connais, c’est-à-dire il y a plus de soixante ans. Nous l’aimons pour le décor, pour la carte des vins intelligente constituée par la famille Brousse de père en fils mais aussi pour la cuisine inspirée d’un chef haïtien au sourire inextinguible, Peter Delaboss.

Le menu créé par Peter Delaboss est : foie gras au caramel de betterave / velouté de corail truffé et Saint-Jacques rôties / filet de biche en croûte de céréales, jus cacaoyer / soufflé à l’orange et Grand-Marnier.

Le Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé le 29 juillet 2013 a une belle couleur ambrée. Quelle surprise car il se montre très largement plus brillant que le Krug bu à la maison. Il a du charme, une extrême présence, de la puissance et de la complexité. Il se marie judicieusement avec le foie gras.

Le Bienvenue Bâtard Montrachet Louis Carillon et Fils 1999 est très généreux, ample, avec une longueur spectaculaire. Ce vin riche et gourmand est une très agréable découverte. Il bénéficie de la force de son millésime. L’accord avec les coquilles est parfait, appuyé par la force du corail des Saint-Jacques.

J’ai apporté La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992. Nous avions bu avec nos deux amies au dîner d’il y a deux jours La Tâche 1961 qui n’était pas parfaite. Ce vin est une belle revanche. Le vin est beaucoup plus puissant que ce que laisse entendre son millésime et il exacerbe joliment les qualités du domaine de la Romanée Conti. Hervé Brousse, qui dirige le restaurant dans la continuité de ses parents et à qui je fais goûter le vin, trouve dans ce 1992 des aspects d’une Romanée Saint-Vivant du domaine. J’avoue que je suis plutôt sur le terrain d’une belle La Tâche, dont les complexités sont ciselées. Le filet de biche est exactement ce qu’il faut pour mettre en valeur La Tâche.

Le soufflé au Grand-Marnier dont on sent à peine l’alcool n’appelle aucun vin en particulier, mais on peut finir les verres qui sont sur table sans commettre un contresens.

Le chef avait conçu son menu sans connaître les vins que nous choisirions. Nous avons réussi, par la grâce de l’ange gardien qui surveille nos agapes, à faire un repas de haute gastronomie avec des accords très pertinents. L’ambiance était souriante, nos amies américaines repartiront demain en leur pays, pour revenir en fin d’année pour de nouvelles aventures.

222ème dîner au restaurant Pierre Gagnaire jeudi, 29 mars 2018

Le 222ème dîner se tient au restaurant Pierre Gagnaire. J’avais fait le 91ème dîner en son restaurant parisien et j’ai eu envie de recommencer. La mise au point du menu s’est faite en deux temps, d’abord avec Pierre Gagnaire, puis, sous son autorité avec les chefs Thierry Méchinaud et Michel Nave. Les vins avaient été apportés il y a plus d’une semaine. A 16h30 commence la séance d’ouverture des vins. Je suis rejoint par Logan sommelier qui fera le service des vins et je lui fais sentir, ainsi qu’à quelques membres de l’équipe du restaurant, les parfums des vins. Ce qui est assez invraisemblable c’est que ce sont les vins les plus vieux qui ont les parfums les plus généreux. Dans l’ordre d’âge, le Chypre 1870 a un parfum lourd qui évoque des madères et un poivre insistant. Le Musigny 1906 a un parfum marqué d’un beau fruit, le Lafite 1908 qui a été reconditionné au château en 1990 a un fruit insolent et fort curieusement un bouchon qui se casse en deux, l’Yquem 1921 a des fragrances exceptionnelles, à se damner. La seule mauvaise surprise est celle de La Tâche 1961 dont le bouchon, seulement à moitié levé, exprime une odeur de serpillère insistante. Le bouchon vient entier, noir et gras et le vin sent la lavasse. J’ai bien peur pour lui et c’est le seul. Le bouchon du Musigny 1906 a été sorti en charpie, émietté comme rarement.

Les convives sont presque tous à l’heure et nous sommes onze dont deux fidèles américaines qui viennent spécialement en France pour mes dîners, trois nouveaux, cinq habitués et moi.

Le Champagne Dom Ruinart magnum  1998 est une très belle surprise car il est épanoui. J’ai toujours du mal à considérer qu’un champagne de 1998 n’est pas un jeune bambin, alors qu’il a vingt ans. Son épanouissement, sa joie de vivre me plaisent. Les amuse-bouches sont d’une diversité extrême et d’un raffinement absolu. Tout le talent de Pierre Gagnaire est déjà exposé dans ces complexités goûteuses. Et le champagne s’en régale.

Le menu composé par Pierre Gagnaire et ajusté récemment avec ses deux chefs est : Croquant chocolaté de foie gras de canard, salade de champignons de Paris, velouté Blanc, brioche toastée de palette ibérique, compote de gold rush aux oranges sanguines / Poireau grillé farci de coques et couteaux, pousses d’herbes sauvages des côtes du Croisic, raviole de seiche, navet daïkon / Sole meunière – les filets sont taillés en goujonnettes, fèves, petits pois, pointes d’asperges et nèfles. Soupe verte émulsionnée avec le beurre de cuisson du poisson / Grosse langoustine croustillante 1982 – condiment Dundee-Peecky, galette de blé noir. Une bisque / Cassolette de morilles au curry madras, côtes de romaine, oignons cébettes, pain soufflé farci de ris de veau, lard de Bigorre / Quasi de veau fermier à la Milanaise – purée de carotte au jus | tête de veau / Coffre de canard de Challans enveloppé de poudre de cacao aux aromatiques sous une cloche de chocolat amer – fines aiguillettes laquées d’une bigarade à l’ail fermenté Aomori. Pomme de terre FiFine / Fromage Stichelton / Parfait vanille de Tahiti | mangue jaune / Petits fours et financiers.

Avec le menu Pierre Gagnaire a fait remettre à chacun une lettre manuscrite dans laquelle il s’excuse de ne pas être auprès de nous. Cette attention est très appréciée.

On me fait goûter en premier tous les vins et lorsque je bois la première gorgée du Champagne Salon Le Mesnil  1964, c’est comme si j’ouvrais les portes de Paradis. La couleur est d’un ambré clair, le nez est tétanisant de perfection percutante et le champagne est tout simplement divin. S’allument en moi toutes les références que j’ai des champagnes Salon et l’on est au firmament de ce que peut offrir ce divin champagne. L’entrée au foie gras est délicate mais mon esprit est au Salon, même si la palette ibérique fait briller le champagne. C’est une des plus belles émotions que j’aie eues avec Salon.

Le Clos de la Coulée de Serrant Mme A. Joly Savennières 1962 est l’un des cinq grands vins choisis par Curnonsky comme représentant l’excellence du vin blanc français. L’année 1962 est une des plus grandes années de ce cru de Loire. La pureté de ce vin est extrême. Tout en lui est fluide et équilibré. Je m’en régale et le plat de poireau forme avec ce vin un accord qui est probablement pour moi le plus grand de repas car la continuité est saisissante.

Par contraste, le Meursault Leroy Négociant 1966 est puissant et beaucoup plus ouvert. C’est un Meursault Village de haute qualité assemblé par un négociant de renom, mais même s’il est généreux il ne peut pas cacher qu’il est Village. On est loin du coffre d’un grand cru. La sole est excellente et très épurée, avec des goûts extrêmement lisibles et gourmands.

Le Château Lafite-Rothschild Pauillac 1908 avait à l’ouverture un nez marqué par un fruit de toute beauté. Le nez est encore impressionnant mais en bouche il y a une acidité sensible que le nez ne laisse pas imaginer. En sachant lire entre les lignes, on trouve un Lafite de grande race et de belle richesse mais l’acidité limite un peu le plaisir. Fort heureusement la divine langoustine et sa bisque apportent de la douceur à ce vin de haute lignée. Il est possible que ce soit le rebouchage en 1990 qui ait apporté cette acidité.

Le nez du Pétrus Pomerol 1976 est dix fois expressif qu’à l’ouverture. Le vin a profité de l’oxygénation lente et c’est une merveille absolue. Si l’on voulait trouver ce que serait la définition du Pétrus archétypal, il ne faudrait pas chercher plus loin, c’est celui-ci. Je l’adore. Il a de la truffe, de la richesse, une densité infinie. Sa longueur est celle d’un seigneur. Il faut écarter tous les légumes verts du plat de morilles et ris de veau pour trouver l’accord avec cet immense Pétrus. Il n’a pas le côté romantique du Pétrus 1975 que je chéris, mais c’est un grand Pétrus de sérénité.

Le quasi de veau est probablement le plat le plus charmeur et goûteux de ce magnifique repas. Le Grand Musigny Faiveley 1906 est un grand vin, doté d’un beau fruit et d’un très joli équilibre. Alors que pour mon goût il est très au-dessus de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961, c’est paradoxalement La Tâche qui recevra largement plus de votes que le Faiveley. Est-ce la fascination de tout ce qui vient de la Romanée Conti ? Car au moment du service il n’y a plus aucune trace de serpillère ou de lavasse, mais le nez est clairement bouchonné. Or, comme cela arrive assez souvent, le nez de bouchon ne se ressent pas en bouche. Le vin a de la rondeur et une belle expressivité. Mais même s’il n’y a pas l’amertume rêche que donne un goût de bouchon, je ne peux pas aimer le 1961 plus que le 1906. Le plat est divin et aide bien le Musigny.

Les deux chefs doivent être chaudement félicités car ils ont interprété le canard avec un doigté qui en fait un plat extraordinaire pour les deux vins qui suivent. Le Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1978 confirme bien qu’il est de la plus grande année pour Rayas, l’année mythique comme 1945 l’est pour Mouton ou 1961 pour l’Hermitage La Chapelle. Le vin est franc, direct, solaire, gourmand, et facile à vivre. Sa longueur est belle et alors que je craignais que le Vega Sicilia Unico 1969 ne lui fasse de l’ombre, je trouve ce 1978 plus fringant que le 1969 par rapport à ce qu’on peut en attendre. Le vin espagnol est grand mais je ne retrouve pas aussi prononcée la fraîcheur que j’aime.

Le Château de Fargues Sauternes Lur Saluces 1943 est grand. Quel beau sauternes ! S’il était seul, on l’adorerait. Hélas pour lui et tant mieux pour nous, le  Château d’Yquem Sauternes Lur Saluces 1921 est totalement conforme à sa légende. Comme je le dis souvent, avec les vins rouges et les vins blancs, on peut imaginer que sur un détail, il pourrait y avoir quelque chose de mieux. Alors qu’avec un sauternes, quand il est parfait, il n’y a aucun bouton de guêtre que l’on pourrait critiquer. Il est parfait, point. Cet Yquem 1921 est la perfection absolue du sauternes à la complexité infinie. Le Stichelton est un compagnon idéal des sauternes, encore plus doux que le stilton.

Le Vin de Chypre 1870 combine une douceur de muscat comme celle d’un madère avec un poivre incroyablement prononcé. J’ai hésité à le mettre premier mais l’Yquem 1921 est tellement grand qu’il a eu mes faveurs comme celles du consensus. Le financier est l’ami naturel du Chypre.

Le vote des onze participants pour leurs cinq préférés parmi treize vins n’est pas une chose facile tant les vins sont différents. Selon quels critères peut-on départager Salon 64 Yquem 1921 ? Mais tout le monde a réussi à voter. Une chose me plait énormément : onze vins sur les treize ont eu des votes ce qui montre que onze vins méritaient de figurer parmi les cinq premiers d’au moins un convive. Cinq vins ont eu l’honneur d’être classés premiers. Trois vins ont été classés trois fois premiers : Salon 1964, Pétrus 1976 et Yquem 1921. Deux autres vins ont eu un vote de premier : Fargues 1943 et Chypre 1870.

Le classement du consensus est : 1 – Château d’Yquem Sauternes Lur Saluces 1921, 2 – Pétrus Pomerol 1976, 3 – Champagne Salon Le Mesnil  1964, 4 – Château Lafite-Rothschild Pauillac 1908, 5 – Vin de Chypre 1870, 6 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961.

Mon classement est : 1 – Château d’Yquem Sauternes Lur Saluces 1921, 2 – Vin de Chypre 1870, 3 – Champagne Salon Le Mesnil  1964, 4 – Pétrus Pomerol 1976, 5 – Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1978.

La cuisine que nous avons goûtée, maîtrisée, simplifiée parfois, a été l’une des plus pertinentes que nous ayons connues. Bravo à Pierre Gagnaire mais aussi à toute son équipe. Le service des vins par Logan a été attentif et parfait, le service de table montre une implication intelligente et motivée de toutes les équipes.  L’ambiance de la table, joyeuse mais attentive à comprendre les vins et les accords a fait de ce repas aux vins particulièrement prestigieux un des plus beaux des 222 dîners que j’ai eu l’honneur d’organiser avec de grands chefs et de grands vins.

Champagne Dom Ruinart magnum 1998

Champagne Salon Le Mesnil 1964

Clos de la Coulée de Serrant Mme A. Joly Savennières 1962

Meursault Leroy Négociant 1966

Château Lafite-Rothschild Pauillac 1908

Pétrus Pomerol 1976

Grand Musigny Faiveley 1906

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961

Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1978

Vega Sicilia Unico 1969

Château de Fargues Sauternes Lur Saluces 1943

Château d’Yquem Sauternes Lur Saluces 1921

on peut voir le 2 et le 1 en regardant bien

Vin de Chypre 1870

j’ai mis en référence une étiquette plus lisible que celle de la bouteille qui a été ouverte

La bouteille de Vega Sicilia Unico 1969 et celle de Chypre 1870 ne sont pas sur la photo ci-dessus mais elles sont sur la photo ci-dessous prise au restaurant

la lettre de Pierre Gagnaire et le menu

les votes des participants

fin de repas

Préparatifs du 222ème dîner qui va se tenir au restaurant Pierre Gagnaire mercredi, 28 mars 2018

Le 222ème dîner va se tenir au restaurant Pierre Gagnaire. Il y a quatre mois j’avais rencontré Pierre Gagnaire pour lui soumettre les vins et étudier avec lui le menu qui bénéficierait de son talent et s’adapterait à mes vins. Nous avions fait un travail très constructif et j’étais très heureux de la compréhension mutuelle qui a présidé à cette composition.

Il y a quelques semaines Pierre Gagnaire s’est excusé de ne pouvoir être présent au dîner car il lance un nouveau restaurant à Dubaï à la date qui avait été choisie. Mais me dit-il, ses collaborateurs ont reçu les consignes. La lecture du menu dont j’ai alors pris connaissance, assez différent de notre travail, me pousse à créer le contact avec les chefs présents et éventuellement à goûter quelques plats proposés pour recadrer le menu.

Avec Thierry Méchinaud et Michel Nave, les deux responsables de la cuisine à Paris, nous étudions sur papier chaque plat et ses composantes, qui sont dans la ligne de l’inventivité de Pierre Gagnaire. Mon rôle est d’éviter des ruptures de goûts et des goûts agressifs que les vins anciens ne supporteraient pas. Il est convenu que nous essaierons à déjeuner deux des plats du repas, la langoustine et le canard.

J’ai apporté pour ce repas un Vega Sicilia Unico 1991 que Logan, le sommelier qui officiera lors du dîner, a ouvert il y a deux heures. L’ami qui va partager avec moi le déjeuner a apporté un Nuits-Saint-Georges Paul Destrée et Fils 1929 en demi-bouteille dont il avait vu le niveau dangereusement baisser. C’est donc la bouteille à l’encre. Je l’ouvre à son arrivée et je suis surpris que le parfum soit d’emblée aussi prometteur. Ce vin va, tout au long de sa dégustation, se montrer généreux, ouvert, franc, simple mais émouvant. Un vrai plaisir qui tient beaucoup à la qualité extrême du millésime 1929 qui brave le temps.

Les amuse-bouches sont un Etna, que dis-je, un Pinatubo de créativité. Tout est étonnant et tout est divinement plaisant. Le talent de Pierre Gagnaire est contenu dans ce feu d’artifice.

Nous goûtons maintenant la grosse langoustine croustillante 1982 avec un condiment Dundee-Peecky, une galette de blé noir et à part une bisque. Le millésime n’est pas celui de la langoustine mais de la date de création de ce plat. C’est surtout sur la bisque que le Vega Sicilia Unico 1991 va exploser de fruit. Ce vin commence par le nez. Le parfum est d’une irréelle perfection, charmeur et intense. Ensuite le vin puissant et d’un équilibre spectaculaire offre une infinie fraîcheur. Je suis en extase devant la plénitude accomplie de ce vin très jeune. Il est dans une phase où il est toujours jeune, mais avec une plénitude totale. Il est grand et c’est la fra^cheur qui m’éblouit.

Nous allons maintenant goûter le coffre de canard de Challans enveloppé de poudre de cacao aux aromatiques sous une cloche de chocolat amer – fines aiguillettes laquées d’une bigarade à l’ail fermenté Aomori. Pomme de terre FiFine. Normalement ce canard est servi fumé quelques instants dans un coffre de chocolat amer avec du foin, mais j’ai demandé qu’on ne le fume pas en pensant aux vins du dîner qui se tiendra ici dans deux jours. Le canard est d’une puissance extrême et il faut bien cela pour le Porto Vintage Taylor’s 1992 apporté par mon ami. Ce Porto a eu les honneurs d’un 100 sur 100 de la part de Robert Parker. C’est une bombe de fruits rouges incroyablement juteux. Il est manifestement beaucoup trop jeune et il faudra au moins cinquante ans pour dompter ce cheval fou. Mais il est gourmand et se comporte bien avec la sauce lourde et épicée du canard. C’est surtout sur la peau grillée du canard que le porto admet qu’un plat puisse faire jeu égal avec lui.

Les chefs nous font apporter un quasi de veau fermier à la Milanaise – purée de carotte au jus | tête de veau, que nous n’avions pas commandé mais qui pourrait s’accorder avec des vins du futur repas. Ce plat est exquis et le vin espagnol est très à l’aise avec lui, tout en douceur.

Nous essayons ensuite un dessert à la vanille et à la mangue qui conviendra aux prestigieux sauternes du prochain repas. Il reste encore dans ma musette du magique Marc de rosé d’Ott 1929 qui va commencer à s’épuiser depuis que je le sers en toute circonstance. Il a toujours ce contraste entre le côté strict du parfum d’un marc, très rêche et une incroyable douceur. Je l’essaierais volontiers sur l’Ispahan, le dessert emblématique de Pierre Hermé, car le marc me semble exactement dans sa gamme de goûts.

Nous avions fait l’analyse du menu avant le repas avec les deux chefs. Nous recommençons après le repas pour tenir compte de ce que nous avons goûté. Je fais enlever quelques saveurs qui pourraient nuire au vin, comme par exemple des dés d’ananas qui sont là pour contrebalancer la richesse de la sauce mais doivent être enlevés si le plat accompagnent des vins très anciens. Nous révisons aussi l’ordre des plats qui mérite d’être changé. Cette répétition était absolument nécessaire. Elle s’est faite dans une ambiance de grande compréhension. De Dubaï Pierre Gagnaire a validé nos choix. Le bateau est lancé sur son erre. A nous d’en prendre le sillage pour un voyage de rêve.

Préparation du dîner n° 224 qui se tiendra à la manufacture des caviars Kaviari vendredi, 23 mars 2018

Dans environ trois semaines le dîner n° 224 se tiendra à la manufacture des caviars Kaviari. J’avais été conquis par le lieu, d’une décoration élégante et moderne et par les caviars eux-mêmes. Ayant dans ma cave suffisamment de champagnes et d’alcools, il serait possible de créer des dîners sur la base de ces caviars. Avec l’accord de Karin Nebot directrice des caviars Kaviari, j’ai lancé l’idée d’un dîner avec l’ambition de créer des accords osés et de prendre des risques. Je me rends aujourd’hui à déjeuner à la manufacture pour tester les produits qui composeront le menu et pour voir comment les caviars réagissent à au moins l’un des alcools que je n’ai jamais goûtés et que je présenterai.

A mon arrivée je me dirige vers la cuisine où se tiendra notre repas d’essai à trois, Karin, Raphaël Bouchez, créateur de Kaviari et moi. Pascale a fait tous les achats sur les recommandations de l’esquisse de menu et Philippe en cuisine va préparer les plats que nous commenterons en fonction de ce que doit être le dîner à venir.

Je suis venu avec un Champagne Salon 1997 car c’est un champagne qui joue à coup sûr gagnant pour les plats qui sont prévus et avec un Alcool de Cumin 1943. Cet alcool a une histoire. Avec Jean Hugel nous partagions une amitié très forte. C’était le plus convaincu des supporters de l’académie des vins anciens dont il était un fidèle assidu. Lors d’une de nos rencontres il m’avait offert une bouteille emprisonnée dans un sac plastique transparent noué par une forte ficelle et recouvert d’une forte poussière collée par électricité statique. Il m’avait raconté l’histoire de cet alcool mais je l’ai oubliée. Je cherchais une occasion d’ouvrir cette bouteille au nom de l’amitié que je porte au regretté Jean Hugel, grâce à qui j’ai pu, lors d’un dîner en son souvenir boire le mythique Constantia 1791 d’Afrique du Sud.

Ma tâche première en arrivant est d’ouvrir les deux flacons que j’ai apportés. Le bouchon du Salon fortement serré dans le goulot est sans histoire. Je lève très précautionneusement le frêle bouchon de la très haute bouteille recouverte de cire et je peux lire « Hugel Riquewihr Haut-Rhin depuis 1639 » puis une date : 1980. Est-ce un bouchon de récupération lors d’un rebouchage ou est-ce la date de mise en bouteille je ne sais pas mais le bouchon est beaucoup plus recroquevillé que ne le serait un bouchon de vin de 1980.

Le premier nez est d’une force alcoolique qui évoque les alcools qui flirtent avec les 50°. Nous allons voir. Le nez évoque aussi des fraîcheurs anisées. L’alcool versé dans le verre est translucide comme de l’eau. Même le plus pur des gins ne donnerait pas cette sensation de fluidité d’une eau de montagne.

Etant en avance, je goûte tout seul le champagne et l’alcool avec trois caviars, l’osciètre prestige, assez gris, le Transmontanus beaucoup plus noir et le Kristal, presque rouquin. Sur le champagne Salon, c’est le Transmontanus qui paraît le plus adapté car il est vif cinglant comme le champagne. Sur l’alcool de cumin, c’est le Kristal qui semble le plus adapté, car il peut calmer les ardeurs de l’alcool. C’est amusant que mon champion, l’osciètre, ne soit gagnant dans aucun des cas. Il va se rattraper sur les prochains plats. L’alcool de cumin est d’une rare fraîcheur. Il n’est pas imposant mais il a une longueur invraisemblable. Sa fraîcheur anisée est remarquable et ce qui me plaît tout particulièrement c’est que l’alcool ne tue pas la bouche. Dès qu’on reprend une goutte de champagne tout revient dans l’ordre et même plus, l’alcool met en valeur le champagne en lui donnant de l’ampleur. Je constate que cet alcool, non seulement met en valeur les caviars, mais en plus il trouve sa place sans bousculer son environnement. Je suis aux anges.

Nous déclinons ensuite chacun des plats prévus en ajustant les quantités, les éventuels accompagnements, afin d’avoir le meilleur repas possible, l’alcool et le Salon jouant un rôle de calibrage et d’étalon. Je ne dévoilerai pas la suite pour que le 224ème dîner ait encore un parfum d’inédit mais je peux révéler que cette séance de mise au point a été utile pour ajuster les plats. Les achats faits par Pascale sont extrêmement pertinents et Philippe a su intelligemment assimiler tout ce qui doit concourir au succès de chaque plat.

Tout se présente bien pour ce futur dîner qui pourra nous donner l’envie qu’il y ait des suites. L’ambiance de l’équipe est d’une grande motivation. La plus forte sensation pour moi a été ce sublime alcool de cumin de 1943 qui est d’une élégance et d’une fraîcheur anisée qui colle parfaitement aux associations que nous projetons. Miam, miam !

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la bouteille d’alcool dans son « sac » plastique que j’avais gardé intact

les trois caviars :

dans le même ordre

le Kristal avec le bouchon de Salon 1997

les plats essayés

dinner with friends in restaurant Pages mercredi, 31 janvier 2018

Alain, Didier, Julien and Patrice are faithful of the academy of ancient wines and among the most generous members. The excuse to meet up is that Patrice bought a nice bottle of Yquem 1947 that we agree to finance in common. Didier takes the initiative to create a dinner around large bottles brought by everyone and his friend Sintija joins us. She has no experience of ancient wines but she will learn very quickly during this meal.

I am responsible for finding a restaurant and quite naturally the choice is that of the restaurant Pages. Didier makes sure that all the bottles reach either the restaurant or my office so that I can open them at 5 pm at the restaurant. We are so crazy that there are more than three wines per person. So I will eliminate some of them based on the results of the openings. The corks are quite difficult and break into several pieces so that the opening operation lasted an hour and a half. There are very motivating fragrances.

The Champagne Comtes de Champagne Taittinger Magnum 1964 of Julien has a low level. The cape that covers the cork is eaten by mold around the top of the neck. It takes me several minutes to clean around the cork so that no dirt falls into the wine. When I can grasp the cork it comes instantly because the bottom cap disc is so narrowed that it has a size of less than half of what it should. The color is unappealing, earthy and gray. On the palate champagne without bubble is flat. Drinking gives no emotion so Julien asks for a bucket so that we can empty our glasses. I’m the only one to keep my glass because I want to see how this champagne with pale accents can evolve. During the meal I could see that the platitude of the champagne disappears, that the wine is growing, but without being able to offer a sufficient emotion. But it became drinkable.

From memory and without support of a menu that would have been printed, the menu that I developed with the chef Teshi during the opening session of the wines is: amuse-bouche in five flavors including a broth, a raw fish , a piece of onion, a piece of cauliflower and another preparation that I have not memorized / Ozaki beef in carpaccio / raw scallops with a risotto / monkfish with shells and cabbage leaves / cod with a meat sauce and small potatoes / three pieces of beef, Simmental, Charolais and Wagyu, the three having had a long-ripening / just pan-fried mangoes / dessert of the day with red fruit sorbet, pomegranate seeds and caramels.

The champagne of 1964 having had a short life on our table, I open the Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959 which is one of my contributions. Under the pretty cape the cap exudes a black glue. My fingers are getting dirty quickly. When I turn the cap it breaks and the bottom gets stuck in the neck. I try to sting with my long wick but I cannot push in as the cork is dense. With a normal corkscrew I finally lift the lower part. The wine could not be in contact with the black glue. The wine served has beautiful bubbles and a magically clear color. We drink and this champagne is superb, balanced, serene, glorious like all the old Imperial Brut of Moët. He accompanies amuse-bouche who are a little too intellectual for the champagne who would like more sweet flavors. The champagne is excellent but it may be a little too classic and not enough scoundrel.

We start the series of whites. When Julien announced a Chablis Faiveley 1928, I wanted to confront him to a Chablis Faiveley 1926 that I had in cellar. The level of 1926 is low so I had taken a 1955 White Hermitage in case it would be necessary, which we will not need. Raw shells are ideal for showcasing these two whites. What strikes me right away is that these two wines have identical DNA. They have the same freshness, the same chiseled precision of the message and they differ only in volume, the 1928 being wider and the body more assertive. I had fun saying that I still prefer my wines and that the more graceful and romantic 1926 I like more but in fact both are of immense purity, the 1928 being, thanks to its year, more conquering. The performance of both wines is impressive.

Didier insisted that I open the Côtes du Rhône Brézème Domaine Pouchoulin white 1952 low and whose cork wax had been decapitated a long time ago. At the point of pointing the corkscrew the cork slipped, impossible to prevent from falling. It had to be decanted and the color was not very inviting. Served now it is drinkable but its emotion is very weak after the two chablis. Didier, defending his baby told us the esteem he has for this domaine which the 1906 he drank is a marvel. As he repeated at least ten times it was necessary to remind him that what we drink is not the 1906 but the 1952, wine rather weak.

For monkfish, it is the Bâtard-Montrachet domaine Claude Ramonet 1964 of Sintija which is served. His color is beautifully young. The wine is pure, merry with good acidity. It is delicious with the monkfish and it is especially the hulls that make it vibrate the most. It is a beautiful wine but I think it does not have the full panache of a Ramonet. He is tall but not dazzling.

We now go to the reds and I let serve three wines, two of 1928 and one of 1929. This is to be noted because these two years are legendary. The Château Carbonnieux red 1928 of Alain is an absolute marvel. Its color is blood red. The wine is rich and heavy, with an infinite velvet and a heavy grain of truffle and charcoal. This Carbonnieux is at the top of Bordeaux wine. It is absolutely huge. I am deeply moved.

When I have my lips on the Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929 of Didier, I get a punch to the heart. Because this wine is a seduction of an unbelievable sensuality. The Carbonnieux is King François 1st commanding the troops in combat. This Côtes de Beaune is Suzanne in the bath, it is the Odalisque of Ingres, it is the absolute seduction. I am so charmed that I lose all objectivity. We are faced with the absolute seduction of Burgundy but especially of the year 1929.

The third wine that accompanies the cod that subjugates everyone by its relevance on wines is the Corton-Grancey Grand Cru Louis Latour 1928 of Patrice. After the other two, he has a lot more trouble positioning himself. If he were alone in a meal, we would be ecstatic, but after the two sacred monsters, he lacks a little vivacity and emotion. He is still rich enough. We are thrilled to taste these three wines so perfect.

For the three pieces of beef we add two more reds. Clos Vougeot Bouchard Père & Fils 1955 of Sintija creates a fascinating break. Because all of a sudden we discover a wine ‘young’ (everything is relative) and incredibly Burgundy. He has this exciting rasp of wild Burgundy wine. He is lively, active and does not leave anyone indifferent. I love it.

The Châteauneuf du Pape Henri Bonneau Réserve des Célestins 1976 of Julien is struggling to pass after the other four. Julien is sad but I think he has no reason because this Châteauneuf is good. It is very good but its message seems simple after the wines of Burgundy. For him too we can say that if he was drunk alone in a meal, as for the Corton Grancey 1928, we would feast, because it has a coherence and a nice chew that are pleasant. Meats are delicious and Simmental is the most suitable for wines because it combines firmness and intensity of taste. Wagyu would be better suited to young and rich wines.

The three sauternes are served at the same time on mangoes. I start with the Château d’Yquem 1947 which we are all co-contributors since we shared the cost. This Yquem is royal, deep, complex with myriad complexities, but above all it has a boldness, a fatness, that differentiates it from the other 1947.

The Château Suduiraut 1947 of Patrice has a color as dark as the Yquem. It is powerful and very close to the quality of the Yquem. The difference is the diabolical fat of the Yquem, while the Suduiraut is an exemplary purity and a beautiful complexity too.

After these two legends, the Château La Tour Blanche 1920 that I brought is a gringalet. Its color is much clearer than that of both 1947 and it is translucent while the other two are opaque. In the mouth he is graceful, he ate some of his sugar and he is a romantic that I love. He too would be a star if he was alone on the table.

We are a little groggy not by the alcoholic load of wines but by the conjunction of so many perfect and legendary bottles. Several times we had in front of us together perfection and eternal wines, which we would find in the same state and with the same emotion if we could taste them again in fifty years from now.

Didier would be very happy if this dinner he had initiated could be counted among my wine-dinners. It would be more logical to count it as a session of the academy for ancient wines but as I opened all the wines and as I composed the menu with the chef we can make an exception for this dinner which will be the 221st. Because of this, we have to vote.

We are six to vote for our five favorite wines among the 14 of the meal. Three wines had the honors of the first place. The Yquem was nominated four times first, the Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929 once and the Brut Imperial Champagne Moët & Chandon 1959 once also. Ten wines out of fourteen were in the votes which is particularly brilliant.

The vote of consensus would be: 1 – Château d’Yquem 1947, 2 – Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929, 3 – Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955, 4 – Château Carbonnieux rouge 1928, 5 – Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959.

My vote is: 1 – Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929, 2 – Château d’Yquem 1947, 3 – Château Carbonnieux rouge 1928, 4 – Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955, 5 – Château La Tour Blanche 1920.

It could stop there, but Julien takes in his bag a bottle of a Marc de rosé Domaine d’Ott 1929, in a bottle of rare beauty which is the historic bottle of wines of the estate. On the nose, the alcohol seems strong and dry. On the palate it is of a softness and a sweetness which makes that one would drink without stopping. This marc is diabolical, I love it.

Chef Teshi made dishes that stuck perfectly to the wines. Thibaut has done an intelligent service of wines and despite the smallness of the table I was able to line up the 14 glasses of wines plus alcohol in front of my place. Apart from the champagne of the beginning, all the wines presented themselves to the best of themselves. None of us imagined such a success. It was a memorable dinner that proves that the 90-year old wines still have a lot of energy.

(pictures can be seen in the next article in French)

Dîner d’amis au restaurant Pages mercredi, 31 janvier 2018

Alain, Didier, Julien et Patrice sont des fidèles de l’académie des vins anciens et parmi les plus généreux. Le prétexte pour se retrouver est que Patrice a acheté une belle bouteille d’Yquem 1947 que nous acceptons de financer en commun. Didier prend l’initiative de nous regrouper autour de grandes bouteilles apportées par chacun et son amie Sintija se joint à nous. Elle n’a aucune expérience des vins anciens mais elle va apprendre très vite au cours de ce repas.

Je suis chargé de trouver un restaurant et assez naturellement le choix est celui du restaurant Pages. Didier fait en sorte que toutes les bouteilles parviennent soit au restaurant soit à mon bureau pour que je puisse les ouvrir dès 17 heures au restaurant. Nous sommes tellement fous qu’il y a plus de trois vins par personne. Je vais donc éliminer certaines d’entre elles en fonction des résultats des ouvertures. Les bouchons viennent assez difficilement et se brisent en plusieurs morceaux ce qui fait que l’opération d’ouverture a duré une heure et demie. Il y a des parfums très motivants.

Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger Magnum 1964 de Julien a un niveau bas. La cape qui recouvre le bouchon est mangée par des moisissures tout autour du haut du goulot. Il me faut plusieurs minutes pour nettoyer le pourtour du bouchon pour qu’aucune saleté ne tombe dans le vin. Lorsque je peux saisir le bouchon il vient instantanément car le disque de bas de bouchon est tellement rétréci qu’il a une taille de moins de la moitié de ce qu’il devrait. La couleur est peu engageante, terreuse et grise. En bouche le champagne sans bulle est plat. Le boire ne procure aucune émotion aussi Julien demande un seau pour que l’on puisse vider nos verres. Je suis le seul à garder mon verre car j’ai envie de voir comment ce champagne aux accents si pâles pourra évoluer. Au cours du repas j’ai pu constater que la platitude du champagne disparaît, que le vin s’étoffe, mais sans pouvoir offrir malgré tout une émotion suffisante. Mais il est devenu buvable.

Le menu que j’ai mis au point avec le chef Teshi pendant la séance d’ouverture des vins est : amuse-bouche : bouillon de coquilles Saint-Jacques au gingembre, bonite fumée, chou-fleur rôti, Ceviche de lieu jaune, sablé parmesan et topinambour / carpaccio de bœuf wagyu Ozaki / risotto aux agrumes, radis Daïkon, carpaccio de Saint-Jacques / lotte rôtie, sauce ventrèche de porc noir de Bigorre et chou pointu / cabillaud sauce matelote et pomme de terre de Noirmoutier / dégustation de bœuf maturé ( Simmental 9 semaines, charolais 11 semaines, wagyu Ozaki 5 semaines) / mangue poêlée / pana cotta vanille, zeste de citron vert, sorbet grenade / mignardises.

Le champagne de 1964 ayant eu une courte vie sur notre table, j’ouvre le Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959 qui est l’un de mes apports. Sous la jolie cape le bouchon exsude une glu noire. Mes doigts se salissent rapidement. Lorsque je tourne le bouchon il se brise et le bas reste coincé dans le goulot. J’essaie de piquer avec ma longue mèche mais je n’arrive pas en enfoncer tant le liège est dense. Avec un tirebouchon faisant levier je lève enfin la partie basse. Le vin n’a pas pu être au contact de la glu noire. Le vin servi a de belles bulles est une couleur magiquement claire. Nous trinquons et ce champagne est superbe, équilibré, serein, glorieux comme tous les Moët Brut Impérial anciens. Il accompagne les amuse-bouche qui sont un peu trop intellectuels pour le champagne qui aimerait des saveurs plus douces. Le champagne est excellent mais il est peut-être un peu trop classique et pas assez canaille.

Nous commençons la série des blancs. Lorsque Julien avait annoncé un Chablis Faiveley 1928, j’ai eu envie de le confronter à un Chablis Faiveley 1926 que j’avais en cave. Le niveau du 1926 est bas aussi j’avais pris un Hermitage blanc 1955 de secours, dont nous n’aurons pas besoin. Les coquilles crues sont idéales pour mettre en valeur ces deux blancs. Ce qui me frappe tout de suite c’est que ces deux vins ont un ADN identique. Ils ont la même fraîcheur, la même précision ciselée du message et ils ne différent qu’en ampleur, le 1928 étant plus large et au coffre plus affirmé. Je me suis amusé à dire que je préfère toujours mes vins et que le 1926 plus gracile et plus romantique me plait plus mais en fait les deux sont d’une immense pureté, le 1928 étant, grâce à son année, plus conquérant. La prestation des deux vins est impressionnante.

Didier a tenu à ce que j’ouvre le Brézème Côtes du Rhône domaine Pouchoulin blanc 1952 au niveau bas et dont la cire du bouchon avait été décapitée il y a longtemps. Au moment de pointer le tirebouchon le bouchon a glissé, impossible à remonter. Il a fallu carafer et la couleur n’était pas très engageante. Servi maintenant il est buvable mais son émotion est bien faible après les deux chablis. Didier, défendant son bébé nous a raconté l’estime qu’il a pour ce domaine dont le 1906 qu’il a bu est une merveille. Comme il l’a répété au moins dix fois il a fallu lui rappeler que ce que nous buvons n’est pas le 1906 mais le 1952, vin effacé.

Pour la lotte, c’est le Bâtard-Montrachet domaine Claude Ramonet 1964 de Sintija qui est servi. Sa couleur est magnifique de jeunesse. Le vin est pur, joyeux à la belle acidité. Il est délicieux avec la lotte et c’est surtout les coques qui le font vibrer le plus. C’est un beau vin mais je trouve qu’il n’a pas totalement le panache d’un Ramonet. Il est grand mais pas éblouissant.

Nous passons maintenant aux rouges et je fais servir trois vins, deux de 1928 et un de 1929. C’est à signaler car ces deux années sont légendaires. Le Château Carbonnieux rouge 1928 d’Alain est une merveille absolue. Sa couleur est de rouge sang. Le vin est riche et pesant, avec un velours infini et un grain lourd de truffe et de charbon. Ce Carbonnieux est au sommet du vin de Bordeaux. Il est absolument immense. Je n’en reviens pas.

Lorsque je porte mes lèvres au Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929 de Didier, je reçois un coup de poing au cœur. Car ce vin est d’une séduction d’une sensualité invraisemblable. Le Carbonnieux, c’était François 1er commandant les troupes au combat. Ce Côtes de Beaune, c’est Suzanne au bain, c’est l’Odalisque d’Ingres, c’est la séduction absolue. Je suis tellement sous le charme que j’en perds toute objectivité. On est face à la séduction absolue de la Bourgogne mais surtout de l’année 1929.

Le troisième vin qui accompagne le cabillaud qui subjugue tout le monde par sa pertinence sur les vins est le Corton-Grancey Grand cru Maison Louis Latour 1928 de Patrice. Après les deux autres, il a beaucoup plus de mal à se positionner. S’il était seul dans un repas, on s’extasierait, mais après les deux monstres sacrés, il manque un peu de vivacité et d’émotion. Il est quand même suffisamment riche. Nous sommes aux anges de goûter ces trois vins si parfaits.

Pour les trois morceaux de bœuf nous ajoutons deux autres rouges. Le Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955 de Sintija crée une rupture fascinante. Car tout d’un coup nous découvrons un vin ‘jeune’ (tout est relatif) et incroyablement bourguignon. Il a cette râpe excitante du vin bourguignon sauvage. Il est vif, actif et ne laisse personne indifférent. Je l’adore.

Le Châteauneuf du Pape Henri Bonneau Réserve des Célestins 1976 de Julien a du mal à passer après les quatre autres. Julien en est triste mais je crois qu’il n’a aucune raison car ce Châteauneuf est bon. Il est même très bon mais son message parait assez simple après les vins de Bourgogne. Pour lui aussi on peut dire que s’il était bu tout seul dans un repas, comme pour le Corton Grancey 1928, on s’en régalerait, car il a une cohérence et une belle mâche qui sont plaisantes. Les viandes sont délicieuses et c’est le Simmental qui est le plus adapté aux vins car il allie fermeté et intensité du goût. Le Wagyu conviendrait mieux à des vins jeunes et riches.

Les trois sauternes sont servis en même temps sur les mangues. Je commence par le Château d’Yquem 1947 dont nous sommes tous co-apporteurs puisque nous en avons partagé le coût. Cet Yquem est royal, profond, complexe avec des myriades de complexités, mais surtout il a un gras qui le différencie de l’autre 1947.

Le Château Suduiraut 1947 de Patrice a une couleur aussi foncée que l’Yquem il est puissant et très proche qualitativement de l’Yquem. La différence se fait par le gras diabolique de l’Yquem, tandis que le Suduiraut est d’une pureté expressive exemplaire et d’une belle complexité lui aussi.

Après ces deux monstres, le Château La Tour Blanche 1920 que j’ai apporté est un gringalet. Sa couleur est beaucoup plus claire que celle des deux 1947 et il est translucide alors que les deux autres sont opaques. En bouche il est gracieux, il a mangé une partie de son sucre et il est d’un romantisme que j’adore. Lui aussi serait une vedette s’il était seul sur la table.

Nous sommes un peu groggys non pas par la charge alcoolique des vins mais par la conjonction d’autant de bouteilles parfaites et légendaires. Nous avons plusieurs fois côtoyé la perfection et des vins éternels, que nous retrouverions dans le même état et avec la même émotion si nous pouvions les goûter à nouveau dans cinquante ans.

Didier serait très heureux si ce dîner dont il est à l’origine pouvait être compté parmi mes dîners de wine-dinners. Il serait plus logique de le compter comme une séance de l’académie mais comme j’ai ouvert tous les vins et comme j’ai composé le menu avec le chef on peut faire une exception pour ce dîner qui sera le 221ème. De ce fait, il faut voter.

Nous sommes six à voter pour nos cinq vins préférés parmi les 14 du repas. Trois vins ont eu les honneurs de la place de premier. L’Yquem a été nommé quatre fois premier, le Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929 une fois ainsi que le Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959. Dix vins sur quatorze ont figuré dans les votes ce qui est particulièrement brillant.

Le vote du consensus serait : 1 – Château d’Yquem 1947, 2 – Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929, 3 – Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955, 4 – Château Carbonnieux rouge 1928, 5 – Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959.

Mon vote est : 1 – Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929, 2 – Château d’Yquem 1947, 3 – Château Carbonnieux rouge 1928, 4 – Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955, 5 – Château La Tour Blanche 1920.

Ça pourrait s’arrêter là, mais Julien sort de sa musette une bouteille d’un Marc de rosé Domaine d’Ott 1929, dans une bouteille d’une rare beauté qui est la bouteille historique des vins du domaine. Au nez, l’alcool paraît fort et sec. En bouche il est d’une douceur et d’une suavité qui font qu’on en boirait sans s’arrêter. Ce marc est diabolique, je l’adore.

Le chef Teshi a fait des plats qui ont collé parfaitement aux vins. Thibaut a fait un service intelligent des vins et malgré la petitesse de la table j’ai pu aligner sur trois rangées les 14 vins plus l’alcool devant ma place. A part le champagne du début, tous les vins se sont présentés au meilleur d’eux-mêmes. Aucun d’entre nous n’imaginait une telle réussite. Ce fut un dîner mémorable qui prouve que les vins antiques de 90 ans ont encore une sacrée énergie.

Champagne Comtes de Champagne Taittinger Magnum 1964

On remarque à quel point le bas du bouchon est rétréci

Champagne Brut Imperial Moët & Chandon 1959

Chablis Faiveley 1928

Chablis Faiveley 1926

les bouchons des deux Faiveley. le 1926 à gauche et le 1928 à droite

Brézème Côtes du Rhône domaine Pouchoulin blanc 1952

Bâtard-Montrachet domaine Claude Ramonet 1964

Château Carbonnieux rouge 1928

bouchon du Carbonnieux 28 (à droite) et du Hautes Côtes de Beaune 1929 (à gauche)

Hautes Côtes de Beaune Bouchard Ainé 1929

Corton-Grancey Grand cru Maison Louis Latour 1928

bouchons du Corton Grancey 1928 (à droite) et du Clos Vougeot 1955 (à gauche)

Clos Vougeot Bouchard Père et Fils 1955

magnifique bouchon de 1955

Châteauneuf du Pape Henri Bonneau Réserve des Célestins 1976

Château d’Yquem 1947

Château Suduiraut 1947

Château La Tour Blanche 1920

tous les bouchons sauf celui du 1952 tombé dans la bouteille

le Marc de rosé domaine d’Ott 1929 dans sa jolie bouteille