222ème dîner au restaurant Pierre Gagnairejeudi, 29 mars 2018

Le 222ème dîner se tient au restaurant Pierre Gagnaire. J’avais fait le 91ème dîner en son restaurant parisien et j’ai eu envie de recommencer. La mise au point du menu s’est faite en deux temps, d’abord avec Pierre Gagnaire, puis, sous son autorité avec les chefs Thierry Méchinaud et Michel Nave. Les vins avaient été apportés il y a plus d’une semaine. A 16h30 commence la séance d’ouverture des vins. Je suis rejoint par Logan sommelier qui fera le service des vins et je lui fais sentir, ainsi qu’à quelques membres de l’équipe du restaurant, les parfums des vins. Ce qui est assez invraisemblable c’est que ce sont les vins les plus vieux qui ont les parfums les plus généreux. Dans l’ordre d’âge, le Chypre 1870 a un parfum lourd qui évoque des madères et un poivre insistant. Le Musigny 1906 a un parfum marqué d’un beau fruit, le Lafite 1908 qui a été reconditionné au château en 1990 a un fruit insolent et fort curieusement un bouchon qui se casse en deux, l’Yquem 1921 a des fragrances exceptionnelles, à se damner. La seule mauvaise surprise est celle de La Tâche 1961 dont le bouchon, seulement à moitié levé, exprime une odeur de serpillère insistante. Le bouchon vient entier, noir et gras et le vin sent la lavasse. J’ai bien peur pour lui et c’est le seul. Le bouchon du Musigny 1906 a été sorti en charpie, émietté comme rarement.

Les convives sont presque tous à l’heure et nous sommes onze dont deux fidèles américaines qui viennent spécialement en France pour mes dîners, trois nouveaux, cinq habitués et moi.

Le Champagne Dom Ruinart magnum  1998 est une très belle surprise car il est épanoui. J’ai toujours du mal à considérer qu’un champagne de 1998 n’est pas un jeune bambin, alors qu’il a vingt ans. Son épanouissement, sa joie de vivre me plaisent. Les amuse-bouches sont d’une diversité extrême et d’un raffinement absolu. Tout le talent de Pierre Gagnaire est déjà exposé dans ces complexités goûteuses. Et le champagne s’en régale.

Le menu composé par Pierre Gagnaire et ajusté récemment avec ses deux chefs est : Croquant chocolaté de foie gras de canard, salade de champignons de Paris, velouté Blanc, brioche toastée de palette ibérique, compote de gold rush aux oranges sanguines / Poireau grillé farci de coques et couteaux, pousses d’herbes sauvages des côtes du Croisic, raviole de seiche, navet daïkon / Sole meunière – les filets sont taillés en goujonnettes, fèves, petits pois, pointes d’asperges et nèfles. Soupe verte émulsionnée avec le beurre de cuisson du poisson / Grosse langoustine croustillante 1982 – condiment Dundee-Peecky, galette de blé noir. Une bisque / Cassolette de morilles au curry madras, côtes de romaine, oignons cébettes, pain soufflé farci de ris de veau, lard de Bigorre / Quasi de veau fermier à la Milanaise – purée de carotte au jus | tête de veau / Coffre de canard de Challans enveloppé de poudre de cacao aux aromatiques sous une cloche de chocolat amer – fines aiguillettes laquées d’une bigarade à l’ail fermenté Aomori. Pomme de terre FiFine / Fromage Stichelton / Parfait vanille de Tahiti | mangue jaune / Petits fours et financiers.

Avec le menu Pierre Gagnaire a fait remettre à chacun une lettre manuscrite dans laquelle il s’excuse de ne pas être auprès de nous. Cette attention est très appréciée.

On me fait goûter en premier tous les vins et lorsque je bois la première gorgée du Champagne Salon Le Mesnil  1964, c’est comme si j’ouvrais les portes de Paradis. La couleur est d’un ambré clair, le nez est tétanisant de perfection percutante et le champagne est tout simplement divin. S’allument en moi toutes les références que j’ai des champagnes Salon et l’on est au firmament de ce que peut offrir ce divin champagne. L’entrée au foie gras est délicate mais mon esprit est au Salon, même si la palette ibérique fait briller le champagne. C’est une des plus belles émotions que j’aie eues avec Salon.

Le Clos de la Coulée de Serrant Mme A. Joly Savennières 1962 est l’un des cinq grands vins choisis par Curnonsky comme représentant l’excellence du vin blanc français. L’année 1962 est une des plus grandes années de ce cru de Loire. La pureté de ce vin est extrême. Tout en lui est fluide et équilibré. Je m’en régale et le plat de poireau forme avec ce vin un accord qui est probablement pour moi le plus grand de repas car la continuité est saisissante.

Par contraste, le Meursault Leroy Négociant 1966 est puissant et beaucoup plus ouvert. C’est un Meursault Village de haute qualité assemblé par un négociant de renom, mais même s’il est généreux il ne peut pas cacher qu’il est Village. On est loin du coffre d’un grand cru. La sole est excellente et très épurée, avec des goûts extrêmement lisibles et gourmands.

Le Château Lafite-Rothschild Pauillac 1908 avait à l’ouverture un nez marqué par un fruit de toute beauté. Le nez est encore impressionnant mais en bouche il y a une acidité sensible que le nez ne laisse pas imaginer. En sachant lire entre les lignes, on trouve un Lafite de grande race et de belle richesse mais l’acidité limite un peu le plaisir. Fort heureusement la divine langoustine et sa bisque apportent de la douceur à ce vin de haute lignée. Il est possible que ce soit le rebouchage en 1990 qui ait apporté cette acidité.

Le nez du Pétrus Pomerol 1976 est dix fois expressif qu’à l’ouverture. Le vin a profité de l’oxygénation lente et c’est une merveille absolue. Si l’on voulait trouver ce que serait la définition du Pétrus archétypal, il ne faudrait pas chercher plus loin, c’est celui-ci. Je l’adore. Il a de la truffe, de la richesse, une densité infinie. Sa longueur est celle d’un seigneur. Il faut écarter tous les légumes verts du plat de morilles et ris de veau pour trouver l’accord avec cet immense Pétrus. Il n’a pas le côté romantique du Pétrus 1975 que je chéris, mais c’est un grand Pétrus de sérénité.

Le quasi de veau est probablement le plat le plus charmeur et goûteux de ce magnifique repas. Le Grand Musigny Faiveley 1906 est un grand vin, doté d’un beau fruit et d’un très joli équilibre. Alors que pour mon goût il est très au-dessus de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961, c’est paradoxalement La Tâche qui recevra largement plus de votes que le Faiveley. Est-ce la fascination de tout ce qui vient de la Romanée Conti ? Car au moment du service il n’y a plus aucune trace de serpillère ou de lavasse, mais le nez est clairement bouchonné. Or, comme cela arrive assez souvent, le nez de bouchon ne se ressent pas en bouche. Le vin a de la rondeur et une belle expressivité. Mais même s’il n’y a pas l’amertume rêche que donne un goût de bouchon, je ne peux pas aimer le 1961 plus que le 1906. Le plat est divin et aide bien le Musigny.

Les deux chefs doivent être chaudement félicités car ils ont interprété le canard avec un doigté qui en fait un plat extraordinaire pour les deux vins qui suivent. Le Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1978 confirme bien qu’il est de la plus grande année pour Rayas, l’année mythique comme 1945 l’est pour Mouton ou 1961 pour l’Hermitage La Chapelle. Le vin est franc, direct, solaire, gourmand, et facile à vivre. Sa longueur est belle et alors que je craignais que le Vega Sicilia Unico 1969 ne lui fasse de l’ombre, je trouve ce 1978 plus fringant que le 1969 par rapport à ce qu’on peut en attendre. Le vin espagnol est grand mais je ne retrouve pas aussi prononcée la fraîcheur que j’aime.

Le Château de Fargues Sauternes Lur Saluces 1943 est grand. Quel beau sauternes ! S’il était seul, on l’adorerait. Hélas pour lui et tant mieux pour nous, le  Château d’Yquem Sauternes Lur Saluces 1921 est totalement conforme à sa légende. Comme je le dis souvent, avec les vins rouges et les vins blancs, on peut imaginer que sur un détail, il pourrait y avoir quelque chose de mieux. Alors qu’avec un sauternes, quand il est parfait, il n’y a aucun bouton de guêtre que l’on pourrait critiquer. Il est parfait, point. Cet Yquem 1921 est la perfection absolue du sauternes à la complexité infinie. Le Stichelton est un compagnon idéal des sauternes, encore plus doux que le stilton.

Le Vin de Chypre 1870 combine une douceur de muscat comme celle d’un madère avec un poivre incroyablement prononcé. J’ai hésité à le mettre premier mais l’Yquem 1921 est tellement grand qu’il a eu mes faveurs comme celles du consensus. Le financier est l’ami naturel du Chypre.

Le vote des onze participants pour leurs cinq préférés parmi treize vins n’est pas une chose facile tant les vins sont différents. Selon quels critères peut-on départager Salon 64 Yquem 1921 ? Mais tout le monde a réussi à voter. Une chose me plait énormément : onze vins sur les treize ont eu des votes ce qui montre que onze vins méritaient de figurer parmi les cinq premiers d’au moins un convive. Cinq vins ont eu l’honneur d’être classés premiers. Trois vins ont été classés trois fois premiers : Salon 1964, Pétrus 1976 et Yquem 1921. Deux autres vins ont eu un vote de premier : Fargues 1943 et Chypre 1870.

Le classement du consensus est : 1 – Château d’Yquem Sauternes Lur Saluces 1921, 2 – Pétrus Pomerol 1976, 3 – Champagne Salon Le Mesnil  1964, 4 – Château Lafite-Rothschild Pauillac 1908, 5 – Vin de Chypre 1870, 6 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961.

Mon classement est : 1 – Château d’Yquem Sauternes Lur Saluces 1921, 2 – Vin de Chypre 1870, 3 – Champagne Salon Le Mesnil  1964, 4 – Pétrus Pomerol 1976, 5 – Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1978.

La cuisine que nous avons goûtée, maîtrisée, simplifiée parfois, a été l’une des plus pertinentes que nous ayons connues. Bravo à Pierre Gagnaire mais aussi à toute son équipe. Le service des vins par Logan a été attentif et parfait, le service de table montre une implication intelligente et motivée de toutes les équipes.  L’ambiance de la table, joyeuse mais attentive à comprendre les vins et les accords a fait de ce repas aux vins particulièrement prestigieux un des plus beaux des 222 dîners que j’ai eu l’honneur d’organiser avec de grands chefs et de grands vins.

Champagne Dom Ruinart magnum 1998

Champagne Salon Le Mesnil 1964

Clos de la Coulée de Serrant Mme A. Joly Savennières 1962

Meursault Leroy Négociant 1966

Château Lafite-Rothschild Pauillac 1908

Pétrus Pomerol 1976

Grand Musigny Faiveley 1906

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1961

Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1978

Vega Sicilia Unico 1969

Château de Fargues Sauternes Lur Saluces 1943

Château d’Yquem Sauternes Lur Saluces 1921

on peut voir le 2 et le 1 en regardant bien

Vin de Chypre 1870

j’ai mis en référence une étiquette plus lisible que celle de la bouteille qui a été ouverte

La bouteille de Vega Sicilia Unico 1969 et celle de Chypre 1870 ne sont pas sur la photo ci-dessus mais elles sont sur la photo ci-dessous prise au restaurant

la lettre de Pierre Gagnaire et le menu

les votes des participants

fin de repas