Archives de catégorie : dîners ou repas privés

Déjeuner chez ma sœur samedi, 20 mai 2023

Déjeuner chez ma sœur autour d’un plateau de fruits de mer de compétition et d’un livarot lui-même médaillable qu’une cloche protège de la dispersion de ses senteurs extrêmes.

J’ai apporté un Champagne Veuve Clicquot Ponsardin sans année qui doit avoir plus de trente ans. Il est absolument superbe, d’une grande sérénité. C’est un champagne convivial et intense.

Le Château Margaux 1985 de mon beau-frère est une belle surprise qui confirme que le millésime 1985 est d’un grand accomplissement. Cohérence, personnalité, vivacité. Ce Margaux est grand et noble.

Déjeuner au restaurant Fleur de Pavé autour d’un vin de 1926 jeudi, 18 mai 2023

Pierre, un ami, m’écrit qu’il possède un Montrachet 1926 et qu’il souhaite le boire avec moi. Il m’envoie des photos et me demande si j’ai bu de plus vieux montrachets. Le plus vieux que j’ai bu est 1864 mais Pierre est content que 1926 soit seulement la cinquième plus vieille année des montrachets que j’ai bus.

Je choisis sur mon inventaire un La Tâche 1956 d’une année que j’aime et le document indique 4 cm qui est la distance entre le bouchon et le miroir du vin. Pierre approuve mon choix. La veille du repas, je vais chercher le vin et je constate que le niveau n’est pas de 4 cm mais de 12 cm. Je regarde dans la même case de rangement et je vois une bouteille de La Tâche qui a un niveau de 2 cm mais dont l’étiquette déchirée ne permet pas de lire l’année. Je vais consulter mon fichier et il y a un point d’interrogation dans la colonne millésime.

J’appelle Pierre et l’informe du problème de La Tâche 1956 et je l’informe de l’autre La Tâche sans année. Pierre me dit de venir avec celle qui est sans année et je lui réponds : je viendrai avec les deux. Sa réponse immédiate est de dire qu’il va rajouter aussi un vin.

Dans cette situation il paraît opportun que nous soyons trois et nous cherchons l’un et l’autre qui convier et je trouve un ami, Luc, grand amateur de vin, qui souhaitait partager avec moi de belles bouteilles.

Pierre choisit le restaurant, ce sera le restaurant Fleur de Pavé, qui a obtenu une étoile. Pierre a prévenu le restaurant que je viendrais à 11 heures pour ouvrir les vins.

J’arrive à l’heure dite pour ouvrir mes vins. Yacine, tout souriant chef de salle, m’accueille avec plaisir. Je découpe la capsule de La Tâche 1956 et je vois que le haut du goulot est troué et qu’une épaisse croûte de graisse imprègne le goulot. Il est évident que le bouchon est tombé dans le vin et je ne pouvais pas le voir. Je nettoie les épaisses couches de matière graisseuse et je verse à travers un chinois le vin dans une carafe. Contrairement à ce qu’on pouvait craindre, le vin ne sent pas mauvais et on peut même entrevoir des senteurs sympathiques, ce qui m’étonne.

Je découpe la totalité de la cape du vin afin de voir l’année du La Tâche inconnu. Je lis distinctement 1965. Le bouchon vient entier et le 1965 est encore plus lisible qu’à travers le verre. Le parfum respire la Romanée Conti.

Pierre arrive avec son Montrachet 1926 et me propose un Meursault 1961 et un Bienvenues Bâtard Montrachet Domaine Leflaive 1997. Je lui demande qu’on laisse de côté le 1997 qui serait trop puissant à côté des autres vins. J’ouvre donc le 1926 et le 1961 qui montrent de sympathiques parfums.

Luc arrive avec ses deux apports, un champagne de 1969 et le vin qu’il avait mis de côté depuis des mois pour le boire avec moi, le Chambolle-Musigny Les Amoureuses Leroy Négociant 1961. Quel bel apport !

Le chef du restaurant n’est pas présent et le menu est bâti avec son adjoint Maxime qui fait des suggestions extrêmement pertinentes pour composer le menu. Le voici : chou-fleur en deux textures, vanille de Madagascar / tartare de bœuf normand, caviar de la maison Sturia, jus de bœuf / tarte à l’oignon, foie gras poêlé, jus corsé / langoustines juste snackées, légumes de Mr Yamashita, bisque au beurre brûlé / pigeonneau au sang cuit au barbecue, morilles farcies / côte de bœuf maturée, pomme de terre en deux textures, jus merguez / le chocolat Jamaya, glace cardamome.

Le Champagne Waris & Chenayer Blanc de Blancs 1969 a une belle couleur d’un ambre clair doré et offre quelques bulles. Son parfum est agréable et au début, il a des notes un peu vieilles, mais qui vont disparaitre dès que les mets sont servis. Il est rond, large et de belle longueur. Il a tous les atouts de ce beau millésime en Champagne.

Le Meursault Clos de la Barre Roger Cavin 1961 est absolument splendide, vivant, joyeux, solaire, avec un final qui claque comme un requin qui frappe l’eau de sa queue. Avec le tartare de bœuf, il est idéal.

Le Montrachet P. de Marcilly Frères 1926 a une magnifique bouteille et un niveau superbe. Sa couleur est un peu brune et son parfum est discret et agréable. En bouche on est frappé par des notes de rancio, et des douceurs qui n’ont rien de montrachet. Luc voit en lui des accents de madère je vois des tendances de Rivesaltes. On sait que ce montrachet n’a rien d’un montrachet et si on l’admet, on prend conscience que ce vin atypique est fort agréable et multiple. Sur la tarte à l’oignon puis sur les délicieuses langoustines cuites à la seconde près, il est brillant.

Les trois vins rouges sont servis presque ensemble. Le Chambolle-Musigny Les Amoureuses Leroy Négociant 1961 est une merveille de délicatesse. Sa couleur d’un rose clair est d’une aristocratie bourguignonne. Le nez est délicat et en bouche le vin est d’une distinction rare, très subtil et féminin. La grâce pure. Quel beau voyage de cheminer avec ce vin raffiné.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956 qui avait été carafé souffre maintenant d’un nez peu engageant. Le vin n’est pas agréable à boire. Il est mort et l’accident de bouchon ne pouvait pas le faire revenir à la vie.

La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1965 au contraire est une pure merveille. Son nez a les caractères forts de la Romanée Conti, le sel et la rose et il montre une puissance tout-à-fait étonnante pour ce millésime. Je comprendrais cette force si c’était un 1966, mais pour un 1965, c’est étonnant. Il est royal, puissant, mâle, tout en étant d’une complexité raffinée. C’est un immense vin du domaine.

C’est avec le pigeon que les vins se sont sublimés, plus que sur la côte de bœuf.

Nous avons voté et Luc est comme moi, il nomme premier le vin qu’il a apporté et je ne peux pas lui en vouloir, puisque je le fais. Le classement global de nous trois est le même que le mien avec 1 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1965, 2 – Chambolle-Musigny Les Amoureuses Leroy Négociant 1961, 3 – Meursault Clos de la Barre Roger Cavin 1961, 4 – Montrachet P. de Marcilly Frères 1926.

A un moment du repas, j’ai fait porter des verres du Meursault à deux tables où déjeunaient deux couples de jeunes gens. Ils ont été émerveillés et sont venus nous remercier.

Toute les membres de l’équipe, de cuisine comme de service, et particulièrement Aniella, ont été d’une attention rare. Je leur ai demandé comment ils ont perçu notre repas et tous ont dit que c’est un moment inoubliable pour eux.

Je ne peux que recommander ce restaurant Fleur de Pavé qui a montré une implication exemplaire. Nous avons vécu un déjeuner passionnant et émouvant parfois. Un immense souvenir.


A mon arrivée au restaurant, souci avec La Tâche 1956 qu’il faut carafer

l’apport de Luc qui arrivera beaucoup plus tard, à la fin des ouvertures

le personnel dîne

on nous sert des petites choses en bas, avant de monter à table

le repas

Dîner avec un ami de l’Oregon dimanche, 14 mai 2023

Un américain qui a participé à plusieurs de mes dîners est un invraisemblable aventurier. Il vient de passer plus de deux mois en Russie et sur le lac Baïkal. Je souhaite lui montrer ma cave et l’inviter à dîner chez moi. Le choix des vins est un épisode que j’adore, car de multiples critères interviennent.

Je vois en cave une bouteille dont le cul profond indique un âge certain et dont la couleur rose m’intrigue. Il s’agit d’un sauternes, Château Rayne-Vigneau dont je ne connaîtrai le millésime qu’en enlevant la feuille de plomb qui forme la capsule. C’est 1923 ou 1928. J’ai opté pour 1928 en scrutant le dernier chiffre.

Je vois ensuite un Richebourg de la Romanée Conti au millésime difficile à lire. Ce pourrait être 1975. En soulevant la cape qui avait déjà été découpée il y a longtemps pour lire le millésime, je peux voir distinctement 1966.

Par ailleurs, en rangeant des bouteilles, je vois un Dom Pérignon 1964 qui a perdu la moitié de son volume et semble d’une couleur foncée. Il faut toujours donner une chance aux vins aussi je l’inclurai dans le repas. Mais par sécurité je prends un Moët & Chandon Brut Impérial 1982 qui pourrait donner lieu à une intéressante confrontation. Ma fille se joindra à nous avec son compagnon qui voyage de par le monde pour étudier les civilisations disparues et pourra échanger avec l’aventurier.

Le menu sera d’amuse-bouches pour l’apéritif dont de petits boudins, des épaules d’agneau avec un gratin dauphinois, Brillat-Savarin, saint-nectaire et chèvre puis une tarte Tatin.

J’ouvre vers 14 heures le Richebourg dont le parfum est la définition idéale des vins du domaine de la Romanée Conti, le sel et la rose dans leur plus belle expression. Le nez du Rayne Vigneau est d’une élégance extrême. Tout va bien.

A 17 heures, après la visite de cave, j’ouvre le Dom Pérignon 1964 dont la cape et le bouchon sont gras et noir. Le parfum est vieux mais plutôt encourageant. Le Moët 1964 a aussi une cape et un bouchon noirs et sales. Le nez est avenant.

L’apéritif commence. Lorsque je verse le Champagne Dom Pérignon 1964, la couleur est grise et peu avenante. Mais en bouche, malgré la fatigue évidente, le goût pourrait s’améliorer. Le Champagne Moët et Chandon Brut Impérial 1964 a une belle couleur et une bulle présente. Le goût est agréable, mais on sent que le vin est limité et court. Contre toute attente, le Dom Pérignon se réveille et devient plus expressif que le Moët. C’est le mystère du vin.

Sur l’épaule d’agneau, le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1966 se montre brillant. Le nez est de rose et de sel et la bouche lui répond. On a toute la singularité si expressive des vins du domaine et c’est un régal. Ma fille avec qui je partage assez souvent des vins du domaine est aux anges. C’est un grand vin, d’une belle maturité montrant à quel point ce millésime est solide.

Je n’imaginais pas que le vin serait bu si rapidement aussi je me dépêche d’ouvrir un Chambertin Clos de Bèze Pierre Damoy 1964. Il y a plus de trente ans j’avais remarqué à quel point les chambertins de Pierre Damoy étaient grands et j’avais acheté une importante quantité de 1961 et 1964 qui ont été toujours superbes, souvent nommés premiers dans mes dîners. Et ce 1964 montre une facette de la Bourgogne très complémentaire de l’expression de la Romanée Conti. Ce vin est fin, racé, vibrant et d’un équilibre absolu. C’est un vin gourmand, rêche, d’une expression porteuse d’émotion. Je l’adore.

La fusion entre la tarte Tatin et le Château Rayne-Vigneau 1928 est confondante. Quelle union. Ce sauternes est superbe de délicatesse, de grâce et de douceur. Le botrytis est plutôt réservé, rendant le vin fluide et féminin. C’est une expression d’une rare finesse.

J’ai fait goûter à mon ami Bill quelques gouttes d’un Malaga 1872 que j’avais ouvert il y a une semaine. Ce goût kaléidoscopique mêlant le sucré et un salé très fort entraîne dans des imaginations des mille et une nuits.

Comment classer les vins de ce dîner ? Le premier est le Richebourg 1966. La place de second est difficile à départager entre le Rayne-Vigneau 1928 et le Chambertin 1964. Ensuite le Dom Pérignon 1964 passe devant le Moët du même millésime.

Bill et le compagnon de ma fille se sont trouvé des connaissances communes pourtant peu envisageables. Les discussions ont été passionnantes tant notre ami vit des aventures extraordinaires. Ce fut un beau repas aux vins étonnants ou remarquables ou les deux.

le Corcol 1938 n’a pas été servi

l’accord parfait

Dîner de préparation au restaurant Paul Bocuse vendredi, 5 mai 2023

Un ami fidèle de mes dîners va fêter ses quarante ans avec quelques amis chez Bocuse. Il a rassemblé des vins parmi les plus prestigieux du millésime 1983. Il m’a demandé d’organiser la liste des vins du repas et de mettre au point le menu avec le directeur général du restaurant Bocuse, Vincent Le Roux.

Il est prévu que je dîne au restaurant la veille pour appréhender la cuisine du chef exécutif Gilles Reinhardt qui est MOF. Ce sera un dîner à trois avec celui qui sera fêté demain et un ami lyonnais amateur de vin que je connais de longue date. Je vais saluer le chef et son équipe en cuisine en lui disant que je serai heureux de bavarder avec lui après le service.

Vincent Le Roux me suggère de prendre des plats qui ne seront pas au menu demain, mais je préfère étudier deux des plats du dîner à venir. Mon programme sera donc : omble de fontaine bio, risotto végétal, jus d’arêtes au vin rouge / canette des Dombes en deux services.

Mon ami a apporté un Champagne Philipponnat Réserve Millésimée Extra-Brut L.V. 1982, L.V. signifiant Long Vieillissement. D’un parfum légèrement lacté, ce champagne est agréable mais manque un peu d’émotion. Il est rond, aimable, et s’accorde bien aux amuse-bouches délicats.

Lorsque l’omble est servi il me paraît évident qu’il faut qu’entre en scène le vin que j’ai apporté, un Moulin-à-Vent des Hospices Civils de Romanèche-Thorins 1959. Je souhaitais qu’un vin de la région vinicole la plus proche de Lyon soir mis à l’honneur. Le fait que le vin soit servi par Maxime Valéry chef sommelier du lieu, me fait plaisir, car pendant huit ans j’ai pu apprécier ce sommelier brillant à la Vague d’Or de Saint-Tropez.

Comme les coïncidences surviennent généralement en groupe, j’apprends que le grand-père de mon ami lyonnais a été maire de Romanèche-Thorins. Le vin est donc doublement bienvenu. A signaler une anecdote amusante qui montre qu’il y a encore beaucoup à faire pour la compréhension des vins anciens, aussi bien le directeur que le sommelier ont utilisé le mot ‘encore’ en se demandant : ce beaujolais sera-t-il ‘encore’ bon ?

L’omble est un plat superbe et c’est le jus d’arêtes qui forme avec le vin un accord magistral. Le Moulin-à-Vent qui avait un niveau exceptionnel, le liquide touchant presque le bouchon, nous avait gratifié d’un parfum idéal, riche et percutant. En bouche, c’est un vin noble et puissant, qui pourrait lutter avec bien des plus grands vins de Bourgogne. Il est d’une personnalité qui me plait car sous la cuirasse on sent un cœur qui bat. Je suis ému qu’il se montre si convaincant.

C’est Jean-Philippe Merlin, le directeur de salle historique, qui découpe devant nous la canette. Le plat est superbe, merveille de la cuisine bourgeoise traditionnelle et la seconde partie, pâtisserie complexe au mille saveurs est à manger religieusement. Avec le plat, ce vin riche est superbe et intense. C’est un régal.

Nous n’avons mangé ‘que’ deux plats et nous sommes rassasiés alors que pour demain, j’avais bâti un menu beaucoup plus complexe et multiple. Il faut donc retravailler le menu que le directeur lui-même jugeait trop copieux, sans nous l’avoir dit. En jouant sur le nombre des plats et sur la taille des portions, nous avons refait un programme.

J’ai voulu saluer le chef exécutif et le directeur général mais ils étaient partis. J’ai fait deux ou trois remarques légères au directeur de salle, qui les a parfaitement intégrées. Le dîner de demain devrait être un succès.

Nous avons très bien mangé. Cette cuisine riche traditionnelle est remarquablement exécutée. Le service aussi bien des plats que des vins est idéal. Il y avait deux tables où l’on célébrait un anniversaire. Daniel Abdallah, le groom souriant, a joué de l’orgue de barbarie pour l’hymne d’anniversaire. Quelle charmante tradition !

Daniel nous a photographiés sur le banc où un Paul Bocuse en bronze est assis. Tout fut superbe et émouvant dans ce temple de la bonne cuisine.

La Tâche est pour demain et le Banyuls est mon cadeau pour Thomas

Avec Thomas … et Monsieur Paul

Déjeuner à mon domicile mercredi, 3 mai 2023

Une dame coréenne m’avait invité à déjeuner à l’hôtel Saint-James pour discuter de possibles repas à Séoul. Elle avait conclu notre réunion par : je voudrais visiter votre cave et vous me ferez une proposition.

Le jour venu elle visite ma cave avec un coréen qui vend du vin en France et se met au service de cette dame, le frère du coréen qui fait de la restauration de parchemins antiques, la personne qui a créé le contact et son assistant. Les appareils photos n’ont cessé de mitrailler mes vins, avec des oh et des ah tant cette découverte de ma cave va très au-delà de ce qu’ils imaginaient.

Pour de telles visites suivies d’un repas j’organise normalement en cave un repas sommaire arrosé de mes vins. Ma secrétaire est en vacances aussi ma femme me suggère que nous recevions ces visiteurs à la maison. J’ai choisi des vins en voulant qu’ils ne soient pas conventionnels et ma femme a conçu un menu pour les vins.

Le menu est : gougères, gouda au pesto / foie gras mi- cuit à la vapeur / joue de bœuf aux carottes / Brillat-Savarin, Comté et chèvre / tarte au chocolat et caviar.

Dans notre salon la dame coréenne reconnaît un peintre dont nous avons des toiles car il a réalisé pour elle a New York une table façon Yves Klein, beau-père du peintre.

Le Champagne Krug Grand Cuvée 1ère édition a été commercialisé de 1979 à 1981 avec sa jolie étiquette crème et a des vins des années 60 et 70. Lorsque j’avais ouvert le champagne vers 8 heures ce matin, la cape cachait une trace graisseuse. Le niveau était assez bas et aucun pschitt n’était apparu. Le bouchon s’était brisé à la torsion d’ouverture. A travers le verre foncé la couleur était peu plaisante aussi avais-je un doute. Or en servant le champagne sa couleur dorée jaune me rassure. Quelques bulles sont visibles. Le nez est engageant et en bouche ce champagne est solaire et souriant. Il est extrêmement cohérent, vif et brillant. Avec les gougères, c’est un régal. Voilà une heureuse surprise.

J’ai choisi le Graves Blanc Barton & Guestier 1959 comme un challenge. La couleur à travers le verre est splendide et le niveau est parfait. Lorsque j’ouvre la bouteille vers 8 heures le bouchon vient sans problème et le parfum est engageant. Servi à table, il forme avec le foie gras un accord idéal. Ce qui me fascine, c’est son acidité si élégante et magnifiée par le gras du foie. Je suis aux anges et mes convives sont stupéfaits qu’un vin de négociant d’une appellation générique procure un tel plaisir. Bien sûr le vin n’a pas la complexité riche d’un Grand Cru, mais il a un tel charme qu’il nous convainc.

Lorsque j’ai ouvert le Vieux Château Certan 1955, j’ai constaté que la bouteille a eu un nouveau bouchon mis au domaine en 1995, soit 40 ans après. Ceci explique le niveau parfait. Dès l’ouverture le parfum est conquérant et guerrier. En bouche, immédiatement, on sent que l’on est en face d’un vin parfait. Il serait en effet impossible de lui trouver le moindre défaut. Sa mâche de truffe est forte. Quel vin impressionnant. Pour rire, j’ai dit à mes convives qu’un clone de Robert Parker, en 1957, nous aurait dit : à boire avant 1990. Nous en avons ri.

La délicieuse et fondante joue de bœuf donne encore plus de charme au conquérant pomerol.

Le Châteauneuf du Pape Saint-Préfert 1949 avait un niveau superbe pour son âge et me tentait. Le nez très discret n’avait rien de négatif. Sa couleur dans le verre est beaucoup plus pâle que la couleur noire du bordeaux. Il est très difficile pour ce vin de passer après le 1955. J’en attendais beaucoup mais il lui est impossible de nous séduire après le miracle du Vieux Château Certan. De plus il n’est pas totalement précis.

J’avais servi le Malaga 1872 lors du déjeuner au restaurant Plénitude et j’avais dit à ma femme que ce vin est un Fregoli qui passe du sucré au salé quasiment à chaque gorgée. Ma femme a eu l’idée de faire une tarte au chocolat et au caviar selon une recette d’une amie cuisinière. L’accord entre ce dessert et le lourd vin riche de 151 ans est magique, car à tout moment le vin change de registre, en avant, en arrière, comme un danseur de tango. Ce vin aux complexités infinies et à la couleur qui change à tout moment comme un bijou, est magique.

Mon classement des vins serait : 1 – Vieux Château Certan 1955, 2 – Graves Blanc Barton & Guestier 1959, 3 – Malaga 1872, 4 – Krug Grande Cuvée, 5 – Saint-Préfert 1949.

L’ambiance fut amicale et mes convives émerveillés. L’éventualité de faire dans quelques mois des dîners à Séoul m’excite beaucoup.

Dîner avec un brillant Roumier 1971 dimanche, 30 avril 2023

Mon fils vient dîner chez ma femme et moi avec son fils. J’aime choisir des vins assez originaux quand je les partage avec lui. Cinq heures avant le dîner j’ouvre un Montrachet Bichot Négociant 1945 au niveau très acceptable. Le bouchon est sale et difficile à tirer car le haut du goulot a une surépaisseur qui empêche le bouchon de monter.

L’odeur est très désagréable de vilaine mixture, mais je sens en arrière-plan un fruité qui pourrait donner espoir.

A l’inverse, le Clos Vougeot G. Roumier et ses fils 1971 au niveau moyen, qui a un bouchon très sec qui vient entier, a un parfum à se damner. Quelle noblesse, quelle prestance ! Il est tellement prometteur que je mets un bouchon de verre au-dessous du goulot pour que ce parfum magique ne disparaisse pas.

Mon fils arrive et ma femme a préparé de délicieuses gougères. C’est l’occasion de vérifier si le Pommery 1973 servi il y a une semaine est encore vivant. Il avait été servi en Salmanazar et j’avais versé le reste dans une aiguière. La couleur est encore très claire alors qu’il y a un abondant sédiment dans la carafe, heureusement resté au fond. Le champagne est encore buvable mais il montre rapidement des signes de fatigue.

Je verse le Montrachet Bichot Négociant 1945 et la couleur grise est vraiment peu engageante. Le parfum a perdu les senteurs désagréables. Nous sommes en face d’un vin fatigué, qui n’a plus grand-chose qui évoque un montrachet, mais qui est buvable. Et les gougères gomment les imperfections.

Un gouda au cumin jouera le même rôle d’effaceur de défauts, mais si l’on veut être objectif, ce montrachet est mort. J’avais visité la cave où il reposait qui ne me plaisait pas et c’est un accident de cave qui peut expliquer cet état.

Nous passons à table et ma femme a préparé une épaule d’agneau avec de l’ail et des pommes de terre passées au four. Le Clos Vougeot G. Roumier et ses fils 1971 offre comme à l’ouverture un parfum noble et racé. Le vin est divin. Il est vif, tranchant, dynamique et ne cherche pas à plaire. En lui, aucune rondeur, mais une force de persuasion extrême. Son acidité lui donne la vivacité d’un vin jeune. Et quelle longueur ! Nous sommes ravis et le plat forme un accord majeur.

Nous parlions, nous parlions et il apparait que je devrais chercher une bouteille en cave, que l’on puisse ouvrir au dernier moment. Je choisis un Château Mouton-Rothschild 1964 qui devrait faire l’affaire. Effectivement il est tout de suite prêt à être bu. L’année 1964 fait des vins solides et un peu rigides mais je suis très favorablement surpris de voir ce Mouton aussi souple, tout en velours. C’est un grand vin intense et goûteux, au-dessus de l’idée que j’en avais.

Un Brillat-Savarin et un saint-nectaire ont cohabité avec ce vin. Le dessert de mangue et d’ananas a été mangé à l’eau. Je suis heureux de partager de telles bouteilles avec mon fils. Peu importe la faiblesse du montrachet, c’est le partage qui compte.

Déjeuner dans ma cave avec une journaliste de Singapour mardi, 25 avril 2023

(text in English is after the pictures)

Je reçois dans ma cave un organisateur d’événements pour des voyageurs en quête de raretés et une écrivain et journaliste vivant à Singapour. L’idée est qu’elle écrive un reportage sur ce que je fais dans des revues pour globetrotters. Elle est dans la quarantaine et a annoncé des restrictions alimentaires qui orientent le choix du repas.

A 9 heures j’ouvre le champagne que j’ai prévu, un Dom Pérignon 1985 qui a un bouchon superbe et un pschitt discret mais réel. La feuille qui entoure le bouchon est désagréable car elle s’émiette, ce qui a été fréquent sur de nombreux millésimes.

La bouteille du Meursault Faiveley Négociant 1959 est d’un verre bleu comme les bouteilles des années de la deuxième guerre mondiale. Je ne pense pas qu’il s’agit d’un réemploi. Le niveau est très haut. Le bouchon est de belle qualité. Je sens le goulot et une odeur affreuse de bouchon est insupportable. Par curiosité je sens le bouchon et la surprise est grande, car le bouchon ne sent absolument pas le bouchon. Comment est-ce possible ? Je sens plusieurs fois pour confirmer mes impressions.

Deux heures plus tard, le nez de bouchon s’est très atténué. Trois heures après, je ne sens presque plus rien et il me semble plausible de donner une chance à ce vin. Il y a dans ma cave de quoi réagir.

Le menu très simple et froid sera : chips à la truffe, saucisson, caviar pain et beurre, sushis et sashimis, fromages de chèvre et de brebis, tarte aux pommes.

Le Champagne Dom Pérignon 1985 a une belle robe dorée et une bulle présente. Il est dans un stade de sa vie qui est parfait car il est encore jeune mais présente aussi des signes de belle maturité. Il est tellement serein. Je le trouve idéal à cet âge. Avec le caviar osciètre prestige Kaviari, il confirme à quel point l’accord caviar et Dom Pérignon est pertinent.

Lorsque le Meursault Faiveley Négociant 1959 est servi, le nez de bouchon réapparait, très faible. En bouche il n’est pas vraiment gênant et au bout de quelques minutes, le nez de bouchon ainsi que le goût de bouchon ont complètement disparu. On dispose alors d’un vin très rond, fluide et d’un joli fruit. C’est un vin qui n’est pas puissant, pas très complexe que j’aime beaucoup et d’autant plus que c’est un rescapé, car le nez de bouchon était si fort à l’ouverture qu’il aurait pu être condamné. Avec les sushis et fromages le vin se comporte agréablement.

J’ai fait gouter à mes convives quelques gouttes d’une bouteille de Sherry du Cap 1862 déjà ouverte depuis des mois. L’élégance est certaine mais on sent un vin un peu éventé.

Ce déjeuner fort agréable aura-t-il des suites à Singapour ? Faisons un rêve.

le Bordeaux ne sera pas bu.

I receive in my cellar an event organizer for travelers in search of rarities and a writer and journalist living in Singapore. The idea is that she writes a report on what I do in magazines for globetrotters. She is in her 40s and has announced dietary restrictions that guide meal choice.

At 9 a.m. I open the champagne I have planned, a Champagne Dom Pérignon 1985 which has a superb cork and a discreet but real pschitt. The leaf that surrounds the cork is unpleasant because it crumbles, which has been common in many vintages of Dom Pérignon.

The bottle of Meursault Faiveley Négociant 1959 is made of blue glass like the bottles from the years of the Second World War. I do not think it is a reuse. The level is very high. The cap is of good quality. I smell the bottleneck and a terrible cork odor is unbearable. Out of curiosity, I smell the cork and the surprise is great, because the cork absolutely does not smell like the cork. How is it possible? I smell several times to confirm my impressions.

Two hours later, the cork nose has greatly diminished. Three hours later, I hardly smell anything and it seems plausible to me to give this wine a chance. There is something in my cellar to react in case.

The very simple and cold menu will be: truffle crisps, sausage, bread and butter caviar, sushi and sashimi, goat and sheep cheese, apple pie.

Champagne Dom Pérignon 1985 has a beautiful golden color and a present bubble. It is in a stage of its life which is perfect because it is still young but also shows signs of good maturity. It is so serene. I find it ideal at this age. With the Kaviari Prestige Ossetra caviar, it confirms how relevant the caviar and Dom Pérignon pairing is.

When the Meursault Faiveley Négociant 1959 is served, the nose of the cork reappears, very weak. In mouth it is not really bothersome and after a few minutes, the nose of cork as well as the taste of cork have completely disappeared. We then have a very round, fluid wine with lovely fruit. It is a wine which is not powerful, not very complex which I like a lot and all the more so since it is a survivor, because the nose of the cork was so strong when it was opened that it could have been sentenced. With sushi and cheese, wine behaves pleasantly.

I made my guests taste a few drops of a bottle of Sherry du Cap 1862 that had already been opened for months. The elegance is certain but we feel a slightly stale wine.

Will this very pleasant lunch have consequences in Singapore? Let’s have a dream.

Déjeuner du ‘vrai’ jour de mon anniversaire dimanche, 23 avril 2023

Le 23 avril 2023 m’assène au réveil une dure vérité : les 80 ans, j’y pensais. Aujourd’hui c’est une réalité. Je vais vite ouvrir les vins du déjeuner avec mes enfants. Les vins sont récents il n’y a donc aucun problème et les parfums sont tous engageants.

L’apéritif se fait avec le Jéroboam de Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 2008 bu en partie la veille et ouvert dans la nuit de l’avant-veille. Je l’aime encore plus qu’hier car la bulle est devenue plus calme et le champagne s’arrondit avec des saveurs plus que plaisantes. Il y a un gouda et des restes des petits fours d’hier. Tout se passe bien.

Ma femme a prévu du wagyu qu’elle achète en Belgique. Le fournisseur ajoute toujours à sa livraison un beau morceau d’Angus. Nous aurons donc le déjeuner en trois parties de viandes : wagyu puis intermède Angus et retour au wagyu.

C’est amusant car le wagyu généreux et bien gras est tout en douceur. L’Angus semble animé par un coup de fouet d’énergie, avec des saveurs viriles, et le retour au wagyu rend cette viande encore plus agréable puisque sa douceur est encore plus mise en valeur.

La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1996 est tout en douceur. Quel vin élégant qui, à 27 ans, n’a plus besoin de montrer sa puissance. Elle est là et naturelle. Ce vin est charmant, agréable et bon compagnon des viandes. On se régale de ce vin juteux comme la viande.

Le Vega Sicilia Unico 1989 a la démarche hautaine et fière d’un torero. Quelle richesse, quelle stature et ce qui me fascine c’est son finale qui est envoûtant, avec des tonnes de cassis et une signature mentholée. Et l’on voit que les deux vins sont très différents, le premier naturel, complet et complexe et facile à appréhender et le second dense, intense, fier, et finissant par une pirouette ensorceleuse. Les deux sont les meilleurs de leurs appellations et ne se confrontent pas. Il n’y a pas de vainqueur mais deux amis.

Le champagne est idéal sur une tarte au citron meringuée de grand plaisir.

pour le mathématicien que je fus, fêter 80 ans avec 7 bougies est une nouveauté mathématique…

Apéritif dinatoire après le déjeuner à l’Ecu de France samedi, 22 avril 2023

Juste après le déjeuner, un petit groupe s’est retrouvé chez moi pour un apéritif dinatoire. J’avais ouvert hier un Jéroboam de Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 2008. J’avais dû batailler avec le bouchon pendant plus de dix minutes, tant il était serré. Mon casse-noix est trop lisse pour faire tourner efficacement le bouchon. Le pschitt avait été tonitruant et le parfum d’une force étonnante.

Au service, le parfum est aussi puissant, imprégnant et la bulle est active. Le champagne est un conquérant. Il impose une trace en bouche à la façon d’un Attila ou d’un Tamerlan. Il a des qualités sans limite. Il est extrêmement complexe et plaisant. C’est un vrai grand champagne. A mon goût il gagnera en patientant en cave encore dix ans. Mais quel champagne !

Nous avons grignoté. Mon fils est allé dans sa cave et a ouvert des bouteilles partagées avec ses amis de toujours.

Après cette journée chargée, je suis allé me coucher, sachant que dans quelques minutes j’allais changer de décennie. Ça ne laisse pas indifférent.

déjeuner au restaurant L’Ecu de France pour mes 80 ans samedi, 22 avril 2023

Cela fait plusieurs mois que j’ai lancé les invitations pour fêter mes quatre-vingts ans. Ce sera au restaurant L’Ecu de France que je connais depuis plus de soixante ans car il accueillait des fêtes familiales. La recherche de vins à ouvrir pour plus de cinquante personnes est assez excitante. Je choisirai en priorité des grands flacons dont certains ont été achetés pour de grandes fêtes. Ce sera le cas du Salmanazar de Pommery 1973 et du Mathusalem d’Ermitage de Chapoutier 2009. Ça fait déjà vingt bouteilles avec ces deux flacons.

Viennent ensuite des jéroboams ou doubles magnums, des magnums et des bouteilles. Nous aurons donc presque tous les volumes possibles. J’ai voulu aussi présenter des appellations originales, peu fréquentes dans des repas. Cela donne le programme qui n’a cessé de changer de semaine en semaine :

Salmanazar Champagne Pommery & Greno Brut 1973 / Bouteilles d’Hermitage Blanc Marquise de la Tourette Delas 1987 / Double magnum Château d’Arlay Côtes du Jura rouge 1989 / Double Magnum Côtes du Roussillon Villages domaine Cazes 1989 / Mathusalem Ermitage « Le Méal » M. Chapoutier 2009 / Magnums Coteaux du Layon Château du Breuil 1985 / Jéroboam « la Géante » Maury Mas Amiel 1963.

Ce n’est qu’au moment des ouvertures que je me suis rendu compte que j’avais créé un programme pour plus de cinquante personnes, sans Bordeaux et sans Bourgogne. C’est assez original.

En accord avec le restaurant, j’ai apporté tous mes vins la veille à 17 heures pour ouvrir les plus grands formats afin qu’ils puissent profiter d’une oxygénation lente. J’ai prévu beaucoup plus de flacons que ce qui est nécessaire, car je ne veux pas avoir de mauvaises surprises et aussi parce que je ne sais pas bien apprécier combien 55 personnes boiront d’un même vin.

Je commence par ouvrir le Salmanazar Champagne Pommery & Greno Brut 1973, dont le bouchon vient sans effort. Du fait du pincement du verre de l’intérieur du goulot, de petites brisures de liège sont repêchées avec les outils adéquats. Le parfum me plait. Si j’ai voulu ouvrir ce flacon en premier c’était aussi pour vérifier que le vin n’est pas mort, car il eût fallu au plus vite trouver une solution de rechange pour l’équivalent de douze bouteilles. Je suis rassuré.

J’ouvre ensuite le Mathusalem Ermitage « Le Méal » M. Chapoutier 2009 qui ne pose aucun problème et offre un parfum conquérant. Ensuite ce sera le Double Magnum Côtes du Roussillon Villages domaine Cazes 1989 qu’il est bon d’ouvrir maintenant car la cire très dure demande un temps extrêmement long. Le parfum est plus encourageant que ce que j’attendais. Tout va donc très bien.

Pendant que j’officiais, un restaurateur d’une ville voisine avait déjeuné avec un ami ce midi et avait asséché deux Rayas et un troisième vin. Il ne cessait de me dire que les vins anciens devraient être ouverts au dernier moment et que mes vins étaient forcément morts. Il n’est ni le premier ni le dernier à avoir ces fausses idées.

Je reviendrai demain pour poursuivre les ouvertures et recevoir mes invités à déjeuner à midi. Le dîner ce soir sera léger.

C’est à 10 heures que je me présente pour ouvrir les autres flacons. Il pleut à torrent. L’apéritif sur la terrasse au bord de la Marne a peu de chances de se réaliser.

Le restaurateur assez « collant » m’avait quasiment obligé hier d’ouvrir une bouteille d’Hermitage Blanc Marquise de la Tourette Delas 1987. J’en ouvre cinq autres. Le Double magnum Château d’Arlay Côtes Du Jura rouge 1989 a une cire difficile à enlever. Il faut en permanence essuyer le goulot pour qu’aucune poussière ne chute dans le goulot. Le parfum est délicat et sensible.

Les magnums de Coteaux du Layon Château du Breuil 1985 ont de vilains bouchons qui se brisent en morceaux alors que le vin est jeune. Son parfum est subtil.

L’étonnement vient maintenant. Le Jéroboam « la Géante » Maury Mas Amiel 1963 est une bouteille qui doit être unique. La cire est très épaisse et je cherche à cisailler la cire en suivant une nervure régulière qui cerne le goulot. Le bouchon sort et soudain, avec lenteur, un gros morceau de verre épais du goulot tombe. Puis quelques secondes plus tard un autre morceau de verre tombe. Immédiatement Hervé Brousse, le fils des propriétaires des lieux, qui dirige l’établissement, a le bon réflexe : on entoure la bouteille d’un film sur plusieurs épaisseurs pour qu’elle soit plus solide. Il va falloir carafer le vin et le filtrer. Lors de ces opérations le parfum du Maury embaume la salle de sa douceur.

Tout est fini de mon côté et la salle du restaurant est en pleine mise en place. On sent que les gestes sont précis et les méthodes rodées. On surveille la météo qui annonce que la pluie pourrait cesser vers 11 heures ou 11h30 ce qui pourrait permettre, si on essore les tables et le carrelage, de prendre l’apéritif sur la terrasse. Ce sera le cas.

Les premiers arrivants, venant de loin, sont très en avance. Tout le monde est à l’heure sauf deux américaines qui nous rejoindront en cours de route, ayant prévenu de leur retard.

Nous nous rendons tous sur la terrasse et c’est le moment de mon discours. Je le rumine depuis deux mois car j’ai envie de citer des anecdotes qui ont jalonné les relations avec chacun des convives, afin que chacun soit cité sans que mon discours ne ressemble à ceux de Fidel Castro qui pouvaient durer six heures. Ceux qui sont cités sont heureux des souvenirs que j’évoque. On peut donc servir le Salmanazar Champagne Pommery & Greno Brut 1973, dont la couleur est ambrée mais assez claire, car, comme je le constaterai le lendemain, le fond est beaucoup plus sombre.

Ce champagne est enchanteur. Il a des saveurs idéales de champagnes anciens et je vois avec satisfaction que mes invités l’aiment. Il combine complexité et charme, étant doux comme un vin doux, mais avec une acidité noble. C’est un champagne très plaisant. J’avais prévu un jéroboam de champagne Montebello 1973 pour le cas où, mais nous n’arriverons même pas à finir ce grand Salmanazar.

Nous passons à table dans la salle de restaurant que nous occupons entièrement en sept tables de huit. Le menu préparé par le restaurant et mis au point avec moi est : tartare de bar au citron confit, œuf de truite et estragon / ravioles d’escargots et gambas, persillade et sauce à l’Arbois / filet de bœuf, sauce périgourdine et crème de foie gras / saint-nectaire / Pavlova aux pommes et ananas, chantilly mascarpone / chocolats / café et mignardises.

Tout le monde est surpris que l’Hermitage Blanc Marquise de la Tourette Delas 1987 soit aussi fruité, large et généreux. C’est en effet un Hermitage en pleine maturité joyeuse. L’accord avec le bar et l’œuf est réussi.

Le Double Magnum Château d’Arlay Côtes du Jura rouge 1989 est une divine surprise. Le vin rouge est d’une délicatesse élégante, subtile. C’est un vin noble et charmant tout en ayant une belle puissance. Il est très au-dessus de ce que j’attendais. L’accord avec les escargots et la persillade est un des plus jolis du repas. Quel vin élégant !

Le Double Magnum Côtes du Roussillon Villages domaine Cazes 1989 est lui aussi particulièrement surprenant, car il y a en ce vin une noblesse que ne pourrait jamais avoir un vin intitulé « Villages ». C’est il y a vingt ans que j’avais visité le domaine de Rivesaltes Cazes, car j’avais tissé une relation amicale avec Bernard Cazes. J’avais bu alors de ce vin les millésimes 1982 et 1979. Enthousiasmé, j’avais alors acheté deux doubles magnum de 1989. Mon choix était bon car ce vin est exceptionnel.

Le Mathusalem Ermitage « Le Méal » M. Chapoutier 2009 est un très grand vin, mais comme je le connais et comme il est jeune, j’ai beaucoup moins de surprise et d’émotion avec ce grand vin superbe qu’avec les deux rouges précédents qui m’ont subjugué. La viande bœuf est de très grande qualité et le saint-nectaire assouplit l’Ermitage à la perfection.

La surprise la plus forte sera pour mes amis offerte par les Magnums Coteaux du Layon Château du Breuil 1985. L’accord avec la Pavlova est immense. Il y a du litchi, des fruits doux, des subtilités qui partent dans tous les sens, et c’est surtout cette douceur lascive de l’odalisque d’Ingres. On est sur un petit nuage de félicité.

C’est maintenant au tour du Maury Mas Amiel en Jéroboam « la Géante » 1963 de parvenir en carafes sur les tables. Le parfum fort est envoûtant et en bouche c’est un feu d’artifice de douceurs, mais conquérantes alors que le Coteaux du Layon jouait sur la douceur.

J’avais demandé à Hervé Brousse que les recettes soient de la plus grande simplicité et de totale lisibilité. Ce fut une réussite complète.

Comment classer des vins si disparates ? les plus complexes et envoûtants sont le champagne Pommery et le Maury. Tous ont de l’intérêt. Mon classement sera : Mas Amiel 1963, Pommery 1973, Coteaux du Layon 1985, Château d’Arlay 1989, et ensuite tous les autres.

Je suis allé parler à chacune des tables. Des amis de longue date ou des membres de la famille se retrouvaient après des années d’absence. L’ambiance était joyeuse. J’entre dans une nouvelle décennie avec un joli paquet d’émotions.


Le Salmanazar est mis à côté d’un format encore plus grand de Pol Roger qui ne sera pas servi

cette photo ci-dessous est juste pour donner des idées sur les tailles des bouteilles

les bouteilles prévues

le Montebello ne sera pas servi

il n’y a pas toutes les bouteilles, mais une de chaque :