Archives de catégorie : dîners ou repas privés

dîner chez des amateurs de vins lundi, 20 mai 2024

Depuis quelques années j’avais réservé des places à l’Académie des Vins Anciens à des élèves de grandes écoles qui bénéficiaient d’un tarif avantageux, sans obligation de fournir des vins. Des relations amicales se sont créées avec certains d’entre eux et nous nous sommes revus notamment lorsqu’ils ont gagné un concours européen de dégustation réservé aux grandes écoles.

Je suis invité à participer à un dîner d’amateurs de vins qui font partie de clubs de dégustation et sont extrêmement affutés pour les dégustations à l’aveugle. Leurs connaissances sont largement supérieures aux miennes. Les âges de ces dégustateurs vont de 23 ans à 40 ans peut-être. Ils sont entrés dans le monde des vins anciens et en achètent volontiers. J’ai rencontré certains dans des événements sur le vin.

Le dîner se tient dans l’appartement de deux des membres, Laure et Alexandre. On m’a demandé de venir à 16 heures pour l’ouverture des vins, ce que je fais bien volontiers.

Dans la grande cuisine, des plats étaient en cours de réalisation mais on fait place nette pour que je puisse officier. Pendant la séance d’ouverture, j’ai le temps de raconter des anecdotes avec plusieurs convives venus pour assister à cet épisode important. Les vins ont des comportements qui diffèrent, sans aucun problème majeur sauf un bouchon irrattrapable qui a glissé dans le vin. Il a fallu le carafer. C’est un 1929 qui servait de secours éventuel pour l’apport d’un participant.

Nous quittons ensuite la cuisine, car Alexandre va réaliser la composition et la présentation des plats. Les parfums dans la cuisine donnent faim.

Pour l’apéritif nous avons : Pata Negra 44 mois / Tarama au caviar Petrossian / Gougères au vieux comté. C’est un beau départ. Nous buvons un Champagne Telmont Héritage 1976. Je ne connais par cette maison centenaire dont l’actionnariat compte aujourd’hui un minoritaire du nom de Leonardo di Caprio. Le champagne est solide, sérieux et fait beaucoup plus jeune que ses 48 ans. Il a de belles complexités mais est un peu trop sérieux pour moi.

Le Champagne Pommery 1959 est un rayon de soleil. Quel bonheur, quelle jouissance. Ce champagne est rond, plein, joyeux et gourmand. Que du bonheur. Et il montre à quel point les champagnes anciens sont transcendants par rapport aux champagnes récents.

Le menu préparé par Alexandre est : homard rôti au beurre noisette, condiment cèpe, jus réduit des têtes / fricassée de morilles et asperges vertes au vin jaune, jaune d’œuf coulant / poulpes grillés , coulis de piquillos brulé et chorizo / chevreuil du Loiret rôti , jus corsé truffé , mini légumes de chez Eric Roy / mini carré d’agneau Le Bourdonnec, petit pois au lard fumé et oignons nouveaux, mousseline de carottes à l’orange / fromages : Brillat-Savarin à la truffe, Stichelton, vieux comté, Sakura / ananas Victoria rôti et flambé, brunoise de fruits exotiques et caramel passion, glace vanille / Financier amande, tartelette citron, bonbon au chocolat, tuile coco.

Dès qu’Alexandre nous sert le premier plat, on sait immédiatement qu’il a un niveau de cuisine proche de grands cuisiniers. Car la présentation du plat est parfaite et son parfum un délice. Le Montrachet Chanson 1967 est très clair. Son nez est délicat. Il n’a pas la puissance habituelle du montrachet mais sa fluidité et son élégance en font un vin très agréable à boire et raffiné.

A côté de lui, le Clos Vougeot Blanc Héritiers Guyot 1949 est une bombe. C’est un voyage dans les complexités ultimes. Riche, vibrionnant, il est un pur plaisir avec une longueur liée à son millésime, c’est-à-dire infinie.

Si on croyait être au sommet de la complexité, il fallait vite chasser cette idée, car le Château Lafite Blanc 1935 est irréel. C’est un voyage dans l’inconnu du vin, subtil, kaléidoscopique, charmeur, magique. Nous sommes tous frappés par ce vin car il n’y a aucun repère sauf peut-être le Y d’Yquem qui est aussi capable de nous surprendre.

Les deux plats faits pour les vins blancs sont absolument superbes, les cuissons parfaites et les produits de haute qualité.

Alexandre a voulu que les poulpes soient associés aux vins étrangers. Le Brunello di Montalcino Riserva Argiano 1975 est un solide gaillard, bien structuré, mais qui n’est pas porteur de beaucoup d’émotion. Comme on dit de façon un peu vulgaire, il « fait le job », mais pas plus.

A l’inverse, le Vega Sicilia Unico 1969 nous fait entrer dans la magie de ce grand vin que j’adore car au-delà de la puissance il est capable d’offrir des saveurs mentholées.

Je pensais qu’après les vins puissants d’Espagne et d’Italie, les bordeaux anciens auraient du mal mais il n’en fut rien, car le chevreuil les a mis en valeur. Le Château Latour 1937 et le Château Léoville Las Cases 1937 sont deux grands vins d’une des rares grandes années de la décennie 1930-1939. Le Latour est plus noble et construit. Le Léoville ne manque pas de charme, mais je trouve que ces deux beaux vins n’ont pas offert tout ce qu’ils pourraient. Il n’est pas impossible que, fasciné par les vins blancs, j’aie été plus sévère avec les vins rouges.

L’agneau est une merveille faite pour les bourgognes. Le Vosne-Romanée les Beaumonts Charles Noëllat 1959 est un grand vin d’un grand vigneron. Sa sérénité et sa rondeur sont superbes.

Alors que 1929 est une année que je chéris et pour laquelle je suis prêt à admettre tous les écarts, les deux 1929 qui vont suivre ne m’ont pas vraiment plu, marqués par de la fatigue. Pourtant je défendrais volontiers le Clos Saint Denis mise Nicolas 1929 qui a des accents de la noblesse de son millésime, alors que pour le Corton Julien Damoy 1929 dont le bouchon était tombé dans le vin, la fatigue est trop forte. Il y a eu par instants de belles évocations du millésime que je considère comme le millésime du siècle, mais la joie n’était pas là.

La propriétaire du Château Villeneuve avait adressé à Laure et Alexandre une bouteille du Saumur Blanc sec Château Villeneuve 1945 avec un papier manuscrit de Caroline Chevallier expliquant qu’elle adressait ce vin vinifié par son grand-père et son arrière-grand-père, Robert et Armand Chevallier, pour participer à l’événement de ce jour. Pour ce vin de chenin blanc, je n’ai pas beaucoup d’expérience, mais il a une grande élégance et j’aime l’équilibre que donne son beau millésime. C’est une heureuse surprise.

Le Château Chalon Bourdy 1906 qui est un de mes apports est d’une année rare pour les vins jaunes. Il crée avec le comté un accord qui est l’un des plus anthologiques de la gastronomie. Puissant, de longueur infinie, il sait aussi se faire doucereux. Il a une rémanence en bouche indélébile et comme souvent, je tombe amoureux du vin que j’ai apporté, ce qui ne se produira pas, hélas, pour les deux autres apports.

Nous avons deux liquoreux de 1947, année superbe, qui vont s’épanouir avec un délicieux Stichelton. Le Château Gilette 1947 est un Gilette doux, qui est excellent bien sûr mais dégage beaucoup moins d’émotion que le Château Climens 1947 beaucoup plus affectif et brillant.

Le dessert à l’ananas est brillantissime. Lorsque j’avais annoncé le Champagne Taittinger Brut 1943 comme l’un de mes apports, je n’avais pas vérifié le vin en cave. Lorsque je l’ai pris en main, j’ai eu du mal à voir à travers le verre la couleur du champagne. Tout me paraissait sombre. J’ai donc par précaution pris un Champagne Taittinger Brut 1964 dont la couleur plus claire était plus rassurante.

Au moment d’ouvrir le 1943 avant le repas, Alexandre avait éclairé la bouteille et par transparence, la couleur paraissait normale. En versant le champagne maintenant, on voit que le premier verre a une belle couleur, qui s’assombrit au fur et à mesure du service. Le champagne se montre fade et sans longueur ce qui m’attriste. Le 1964 compense un peu cette contreperformance mais pas suffisamment à mon goût.

Il est déjà très tard et il est temps de voter pour nos cinq vins préférés. Je collecte les votes sur une demi-feuille de papier. Les résultats sont étonnants car pour douze votants il y aura 9 vins votés premiers. C’est très rare d’avoir une telle diversité. Trois vins auront deux places de premier, le Clos Vougeot Blanc Héritiers Guyot 1949, le Château Lafite Blanc 1935 et le Saumur Blanc sec Château Villeneuve 1945, c’est-à-dire trois blancs. Six vins auront une seule place de premier, le Champagne Pommery 1959, le Vega Sicilia Unico 1969, le Château Latour 1937, le Vosne-Romanée les Beaumonts Charles Noëllat 1959, le Clos Saint Denis mise Nicolas 1929 et le Château Chalon Bourdy 1906. Quelle variété de votes !

Le vote de l’ensemble de la table est : 1 – Clos Vougeot Blanc Héritiers Guyot 1949, 2 – Champagne Pommery 1959, 3 – Château Lafite Blanc 1935, 4 – Château Latour 1937, 5 – Vosne-Romanée les Beaumonts Charles Noëllat 1959, 6 – Vega Sicilia Unico 1969.

Mon vote est : 1 – Château Chalon Bourdy 1906, 2 – Château Climens 1947, 3 – Champagne Pommery 1959, 4 – Château Lafite Blanc 1935, 5 – Clos Vougeot Blanc Héritiers Guyot 1949. Il est à noter que je n’ai mis aucun vin rouge dans mon vote ce qui est très rare. Avais-je un palais aux vins blancs, qui peut le dire ?

Cette soirée amicale fut une vraie réussite. Alexandre a un talent de cuisinier qui mérite des compliments, la générosité des participants a été sans limite. J’avoue que ce qui m’a poussé à accepter l’invitation est le Lafite blanc 1935 car j’avais ouvert lors du dîner où j’avais mis neuf vins du domaine de la Romanée Conti un Lafite blanc 1959 extraordinaire. Mais il y aurait eu mille autres raisons pour que je dise oui.

Tous sont des passionnés de vin et de gastronomie. Merci à tous de leur gentillesse et d’avoir écouté mes anecdotes et merci surtout à Laure pour son accueil charmant.

Dîner à la Manufacture Kaviari par Georgiana Viou mardi, 14 mai 2024

La Manufacture Kaviari organise des dîners en petit comité en demandant à un chef étoilé de composer un menu mettant en valeur ses caviars. Des grands chefs comme par exemple Yannick Alléno se sont prêtés avec plaisir à cet exercice. Le dîner sera fait ce soir par Georgiana Viou, qui a une étoile au restaurant Rouge à Nîmes. Originaire du Bénin, elle offre une cuisine qui mêle deux inspirations, l’une de la cuisine béninoise et l’autre de la cuisine du sud de la France.

Ce matin, le directeur de la manufacture m’appelle et me dit qu’il serait prêt à m’acheter des vins pour ce repas car il est en manque. Il m’envoie le menu et me dit que le budget qu’il pourrait m’attribuer est limité par rapport à celui que j’engage pour les vins de mes dîners.

J’ai pour principe de ne jamais vendre des vins de ma cave, mais comme je participerai avec ma femme au dîner, ce n’est pas une vente mais un accompagnement, et, sans le lui dire, je n’ai aucune envie de facturer les vins que j’apporterai.

Il faut des vins inhabituels, pour accompagner la cuisine de la cheffe, et si possible, d’une région proche de Nîmes. Je fais une recherche sur le fichier de l’inventaire de cave et je choisis cinq vins qui devraient accompagner les cinq plats prévus : Un Jurançon sec Domaine de Souch 1991, un Costières de Nîmes Domaine Juliande 1998, un Vin jaune Château l’Etoile 1982, un Mas de Daumas Gassac Vin de Pays de l’Hérault 1986, un Mas Amiel Maury Cuvée Spéciale 1974. Ils sont tous très proches de Nîmes, sauf le Jurançon.

Nous arrivons assez tôt à la Manufacture pour que je puisse ouvrir les vins. Presque tous les bouchons se brisent en morceaux, sauf celui du Daumas Gassac très beau et au contraire le Maury a un bouchon dont le liège trop léger colle aux parois et se déchire en mille morceaux dont certains sont tombés dans le vin. Nous avons évoqué l’idée de servir ce vin en utilisant un chinois, mais une cuiller magique que j’ai dans ma trousse a évité de recourir à ce procédé.

De tous les vins ouverts c’est le Maury qui a le parfum le plus éclatant d’une grande suavité.

Les participants du dîner arrivent, esthètes et gastronomes, ainsi qu’un ami aux activités aux multiples facettes dans le monde du vin et de la gastronomie, que j’ai invité.

Traditionnellement le champagne d’accueil est un Champagne Billecart-Salmon sans année agréable et suffisamment discret pour ne pas heurter les subtilités des caviars que nous allons déguster dans une pièce très froide qui impose que l’on prenne un gilet molletonné pour ne pas geler sur place.

Le caviar Baeri au gris très foncé me plait beaucoup pour sa longueur incroyable. Le caviar Osciètre Prestige est solide et complexe et c’est en fin de bouche que sa richesse s’exprime. Le caviar Kristal est extrêmement court en bouche et très consensuel. On nous dit que le Kristal est le préféré des chefs car c’est celui qui s’adapte le mieux à leur cuisine.

Après cette belle dégustation, nous passons à table. La souriante Georgiana se présente ainsi que son jeune chef Lukatao Debenath. Elle décrira chacun des plats en expliquant les points importants de sa création. C’est très agréable.

Le menu composé par la cheffe met en majeur le caviar ce qui est une excellente chose. D’autres chefs de précédents dîners en ce lieu ont eu moins de considération pour les caviars.

Voici le menu : Osciètre Prestige, brocoli, échalotte noire, jaune d’œuf confit / Baeri Français, bleu de la pêche de Mathieu Chapel, ragoût de fève et fraises des bois fermentées / Osciètre, asperges blanches de pays, sauce blanquette / Kristal et Pressé, filet de taureau, caviar végétal / Osciètre, chocolat Tuma Yellow et miel de Nîmes.

Face à ce menu que j’ai reçu ce matin il y avait des évidences : les asperges appellent le vin jaune et le chocolat appelle le Maury. Ensuite la viande de taureau ira avec un Mas de Daumas Gassac, le plus grand vin proche de Nîmes. Le Costières de Nîmes s’imposait par son origine et j’ai pensé le mettre avec le poisson. Il restait l’entrée et l’idée du Jurançon m’est venue.

Le Jurançon sec Domaine de Souch 1991 a une couleur assez ambrée tendant vers le rose. Le nez est plaisant et en bouche j’adore le fait que ce vin sec ne peut s’empêcher d’avoir des intonations de vins doux. Et c’est ce qu’il faut pour une entrée aux multiples facettes. Mais le plat est si fort que je demande qu’on serve un peu du vin jaune qui est le seul capable d’affronter la virilité de l’entrée.

Le Costières de Nîmes Domaine Juliande les Vignerons de Montfrin 1998 est un vin qui m’est inconnu. Sa couleur dans le verre est rosée. S’agit-il d’un vin rosé ou d’un vin rouge, j’aurais du mal à le dire, mais sa douceur est très agréable et l’accord se trouve extrêmement bien avec le poisson et aussi avec l’onctueux ragout de fève. Ce vin n’est pas complexe mais il s’est montré élégant et ouvert aux saveurs du plat.

Ma femme n’aime pas les asperges quand elles sont croquantes alors que je les apprécie. L’une des deux servies est légèrement brûlée au chalumeau et Georgina nous explique son choix. L’accord avec le Vin jaune Château l’Etoile 1982 est absolument superbe, et il fallait bien la puissance du vin pour dompter les asperges. Le vin est droit, conquérant et intense, fait pour la gastronomie.

Le Mas de Daumas Gassac Vin de Pays de l’Hérault 1986 est un vin magnifique, au sommet de son art. Il est fait de 75% de cabernet sauvignon. Sur la contre-étiquette on indique qu’il faudrait servir ce vin à 18°, ce qui me paraît assez chaud. La viande de taureau est exquise à la fois seule ou avec le caviar qui se marie bien. Il est intéressant de constater que le caviar de ce plat ne s’oppose à aucun moment au beau vin rouge.

Le dessert au chocolat est d’une grande originalité avec des saveurs douces mais aussi intenses. Le Mas Amiel Maury Cuvée Spéciale 1974 est le compagnon idéal de ce plat, doux, subtil, délicieusement féminin.

Ce qui m’a impressionné c’est que Georgiana a su « apprivoiser » les caviars pour qu’ils soient parfaitement intégrés aux plats. C’est, je crois, la plus belle composition de repas où le caviar est toujours en cohérence parfaite et non pas ajouté comme un voyageur clandestin.

Je suis content car aucun de mes vins n’a été hors sujet. Le plat le plus difficile à accompagner était le premier et le vin jaune est venu au secours du Jurançon.

Les discussions avec des participants que je ne connaissais pas ont été animées et passionnantes. La cheffe a réussi un beau repas dans une ambiance souriante.

Ce fut un beau dîner de la Manufacture Kaviari.

déjeuner à la maison avec des vins de 60 ans et plus jeudi, 9 mai 2024

Ma plus jeune fille vient déjeuner à la maison avec ses deux enfants et la nounou qui les a suivis pendant des années. C’est l’anniversaire de la nounou, occasion de se rappeler de beaux souvenirs. J’adore le choix des vins pour les événements familiaux. La première bouteille qui attire mon regard et mon intérêt est un Château Montrose. Il y a plusieurs millésimes dans le casier mais c’est le 1959 qui me semble le plus intéressant à boire. Le niveau est à mi- épaule, mais ça devrait aller.

De peur que l’on manque de vin rouge, je choisis une demi-bouteille de Le Corton du Château de Beaune 1964. J’ai la même réflexion pour le niveau.

Le troisième choix est celui d’un Moët Brut Impérial 1964 car cette année est particulièrement réussie pour ce vin.

Le dessert étant une mousse au chocolat, nous pourrons utiliser un Maury La Coume du Roy 1948 qui avait été ouvert récemment.

J’ouvre en premier le Montrose 1959. Le bouchon est descendu de deux centimètres et une couche de poussière le recouvre. Je trouve un point de liège où mon tirebouchon peut s’accrocher et doucement, je remonte le bouchon entier. Il est très beau. Le nez est prometteur ce qui me réjouit.

Le Corton 1964 a un bouchon qui se cisaille pendant la remontée, mais j’arrive à le tirer entièrement aussi. Le nez est moins précis, mais l’oxygénation lente fera son œuvre.

L’entourage du bouchon du Moët 1964 est assez sale et poussiéreux mais je remonte entier un joli bouchon au liège de grande qualité. Le parfum me semble idéal.

C’est à pied que je vais chercher du pain. La boulangerie est fermée. En cherchant un raccourci pour aller à une autre boulangerie je me suis perdu. Google Map devrait être mon sauveur, mais ne sachant pas comment orienter mon téléphone par rapport aux rues, j’ai fait des allers et retour avant de trouver le bon chemin. On dit que ce sont les femmes qui ne savent pas s’orienter. Les six kilomètres que j’ai marchés montrent que cet adage n’a pas de fondement.

Les quatre invités arrivent et sentent les fleurs du jardin pendant que les oiseaux chantent avec entrain. Pour une fois depuis longtemps le soleil se montre et les fleurs de printemps sont un bonheur champêtre.

Le menu sera très simple. Il y aura du gouda, des chips et une tarte à l’oignon pour l’entrée. Puis un poulet aux pommes de terre et gousses d’ail, un camembert et la mousse au chocolat.

Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1964 a une belle couleur dorée claire. Incroyable. Aussi long et fluide qu’une rivière qui coule à une vitesse douce ce champagne a une belle amertume subtile. Il est immense et tellement confortable avec la tarte à l’oignon.

Le Château Montrose 1959 mi- épaule offre un parfum noble et ce qui frappe, c’est sa perfection. Tout dans ce Saint-Estèphe est exactement comme il se doit. C’est dû au millésime 1959 qui est le millésime ancien que j’ai le plus bu : 354 fois. Une pure réussite pour Montrose. Avec la gousse d’ail qui accompagne le poulet, la combinaison est passionnante. Ma fille a été très impressionnée.

Le Corton Château de Beaune Bouchard Père & Fils 1964 est en demi-bouteille. J’ai envie de le boire avec le camembert. Et cela crée une combinaison orgasmique absolue, celle que l’on désire de trouver même lorsque c’est improbable comme ici. Ce vin solide est plein d’énergie et l’amertume du camembert enveloppe le vin tel un boa constrictor. C’est un accord étonnant.

Le Maury la Coume du Roy 1948 avait déjà montré son charme il y a quelque temps. Délicat et subtil, c’est le compagnon idéal de deux mousses au chocolat l’une de ma fille, plus sophistiquée et intellectuelle et l’autre de ma femme, plus campagnarde, solidement attachée à la cuisine française.

La combinaison créée par Le Corton est quelque chose d’unique et mettrait ce vin hors concours. Mais le classement plus strict des vins est : 1 – Montrose 1959, 2 – Moët 1964, 3 – Le Corton 1964, 4 – Maury 1948.

Tous les vins ont été à leur meilleur niveau. C’est agréable de vérifier que des vins de soixante ans et plus ont leur place entière dans la gastronomie.

Déjeuner au restaurant Garance vendredi, 3 mai 2024

Pour un déjeuner à deux j’ai choisi le restaurant Garance dirigé par Guillaume Muller, chez qui j’ai fait plusieurs dîners. J’arrive en avance et derrière la porte vitrée de l’entrée, je vois sur une pancarte : « FERMÉ ». Je toque à la porte et par les vitres je peux voir le personnel de cuisine qui déjeune et se soucie peu du bruit que je fais. Il fait froid en ce début de mois de mai.

Par chance j’ai le numéro de téléphone de Guillaume qui me dit que la porte n’est pas fermée et vient m’accueillir avec le sourire.

J’ai apporté une bouteille que j’ouvre avec mes outils sur le bord du comptoir. Le bouchon du vin de 1955 se brise en plusieurs morceaux mais fort heureusement rien ne tombe dans la bouteille. Le nez du vin est superbe, joyeux et prometteur.

Lorsque mon invité arrive, j’ai déjà choisi avec Guillaume le champagne que nous boirons. C’est un Champagne Duval-Leroy Clos des Bouveries 2002 que j’ai choisi pour son âge canonique car il est assez rare qu’on en propose d’aussi vieux.

Bonne pioche ! Quel régal que ce champagne de totale sérénité. Il est majestueux et se situe bien au-dessus de ce que je pouvais imaginer. C’est son millésime qui lui donne cette grâce, cette noblesse et cet aboutissement.

L’entrée aux morilles est subtile et convient parfaitement au champagne.

La délicieuse côte d’agneau aux pommes de terre en robe des champs accompagne le Châteauneuf-du-Pape Paul Jaboulet Aîné 1955. Ce vin est d’une grâce absolue. Presque doux, ce vin est équilibré et remarquablement fait. Guillaume à qui j’ai fait goûter ce vin a eu la même remarque que celle que faisait mon grand-père : si on veut se faire plaisir, rien ne vaut un Châteauneuf-du-Pape. Et j’ajouterai : rien ne vaut un Châteauneuf-du-Pape ancien, car ce 1955 est d’une rondeur que n’aurait jamais un vin plus jeune.

A une table voisine une jolie femme avait remarqué le vin de notre table. Je lui ai proposé de goûter le 1955 mais elle refusa, disant simplement qu’elle était fascinée par la couleur du vin.

L’ambiance de ce restaurant est extrêmement conviviale et la cuisine est intelligente, fondée sur la qualité des produits. Au moment de payer l’addition, je suis près d’une table où deux femmes bavardent. L’un est proche des 80 ans et l’autre a 89 ans. Elles sont guillerettes. Je leur propose de goûter le champagne. Elles aussi sont éblouies par la qualité du champagne et sa maturité. J’adore ces rencontres inattendues.

Bonne cuisine et bonne ambiance, c’est un atout pour Garance.

Déjeuner au siège du Yacht Club de France mercredi, 1 mai 2024

Notre groupe de conscrits s’est agrandi d’une unité. Nous avons fermé les yeux sur l’âge de ce jeune conscrit comme nous l’avions déjà fait pour un autre ami. Disons que quand on aime on ne compte pas.

C’est le nouveau presque conscrit qui nous invite pour la première fois au siège du Yacht Club de France. Il a travaillé avec Thierry Le Luc, le directeur de la restauration pour mettre au point le menu et les vins.

Le résultat de leurs travaux est : hors d’œuvre en apéritif avec coquilles Saint-Jacques, ris de veau, charcuteries fines, toasts de foie gras / carpaccio de bar et mangue ivoirienne et croustillant de Saint-Jacques / filet de veau Ségala de l’Aveyron, pommes Président, légumes de saison, sauce poivre / fromages d’Éric Lefebvre MOF / Saint-Honoré revisité, fraises, basilic.

Sur le menu l’étiquette du veau fermier d’Aveyron figure et je ne résiste pas au plaisir de mentionner ce qui est indiqué : né et élevé à la ferme dans de bonnes conditions de confort et de bien-être, allaité par sa mère et nourri de compléments de céréales et de foin de la ferme. L’origine est France Occitanie et l’absence d’OGM ainsi que les indications sont certifiées par un organisme tiers indépendant, dont les coordonnées du service consommateur sont données. Ce texte montre le fossé qui existe entre une alimentation de qualité et ce qu’on appelle la ‘malbouffe’.

Comme toujours, les mets de l’apéritif sont si copieux et si bons que toutes nos résolutions de modération fondent comme un iceberg. Le Champagne Deutz Brut Classic sans année ne m’émeut pas. Est-ce parce que mon palais n’était pas préparé, c’est possible, mais le courant ne passe pas, alors que j’aime les champagnes de cette belle maison.

Le Champagne Laurent-Perrier ‘La Cuvée’ Brut sans année me paraît beaucoup plus adapté et se montre fort agréable.

Avec mes amis, nous avons une différence d’opinion sur le plat de poisson. Ils l’apprécient particulièrement, ce que je peux comprendre. Mais dans ma perspective, tournée vers les vins, la présence de mangues avec du bar en carpaccio et un croustillant de Saint-Jacques, ce n’est pas possible. Comme quoi tous les goûts sont dans la nature.

Je n’ai pas touché aux tranches de mangue, ce qui m’a permis d’apprécier le Puligny Montrachet Le Trézin Domaine Gérard Thomas 2020, jeune bien sûr mais avec un joli gouleyant.

Le veau est remarquable et la carte d’identité de sa provenance correspond à une réalité. Nous avons bu trois bouteilles de vins de Bouchard, deux Gevrey-Chambertin Bouchard Père et Fils 2016 et un Gevrey-Chambertin Bouchard Père et Fils 2013. J’avoue que dans le rythme passionné de nos discussions, je ne peux pas dire lequel ou lesquels j’ai bus mais ces vins sont agréables et francs.

Lorsque j’ai vu l’assiette de dessert se poser devant moi, j’ai été frappé par la beauté de la présentation et lorsque Thierry Le Luc nous a dit que c’est son fils qui a réalisé ce dessert, je lui ai demandé de le féliciter.

Comme toujours ces réunions de conscrits sont de beaux moments d’amitié.

Déjeuner au restaurant Astrance samedi, 27 avril 2024

Le prochain dîner, qui sera le premier de l’année, se tiendra au restaurant Astrance, de Pascal Barbot et Christophe Rohat. J’avais fait plusieurs dîners à l’ancien Astrance et j’ai envie d’en refaire dans le nouvel Astrance. J’ai réservé une table pour qu’après le déjeuner on puisse composer avec le chef le menu du repas.

Ma femme devait m’accompagner mais n’a pas pu aussi, le matin même, je demande à un ami de déjeuner avec moi en lui disant que l’on élaborera le menu du prochain dîner, auquel il participera.

L’idée m’est venue de faire plaisir à mon ami généreux en apportant une bouteille qui servirait aussi à donner au chef un rappel du goût des vins anciens pour qu’il en tienne compte dans ses réflexions.

Quand j’arrive, je suis accueilli avec des sourires aimables. Je n’ai pas apporté mes tirebouchons habituels, aussi j’ouvre la bouteille de Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1974 en prenant un soin tout particulier. Le bas du bouchon ne remonte pas avec le haut aussi me faut-il beaucoup d’attention pour qu’il ne tombe pas dans le vin.

Je sens le vin et instantanément je sais qu’il sera grand. Le niveau dans la bouteille est très convenable. La première couleur a quelques nuances terreuses, mais deviendra beaucoup plus rouge par la suite.

Nous bavardons avec Pascal et Christophe pour composer le menu du jour en insistant sur le fait qu’il faudra simplifier les recettes en vue du futur dîner. Je ressens une volonté forte d’aller dans ce sens.

En regardant la carte des vins je vois qu’il existe un Champagne Pierre Péters, Cuvée les Chétillons Blanc de Blancs Œnothèque 2002. C’est un champagne que j’ai adoré dès sa parution. Le prix est un peu lourd, mais j’en ai envie. Je demande au sommelier de me montrer la bouteille pour que l’on voie la date de dégorgement. Aucune indication n’est inscrite sur l’étiquette. Il y a une image à scanner, mais je n’aime pas ce procédé.

On nous sert le Champagne Pierre Péters, Cuvée les Chétillons Blanc de Blancs Œnothèque 2002 et je ressens une amertume qui tue un peu le plaisir. Il n’est pas question de refuser la bouteille mais je suis un peu déçu que ce champagne si vif ait perdu de sa superbe. Il est bon, bien sûr, mais il n’a plus la folle pétulance qu’il avait.

Les plats que nous allons goûter ont des cuissons absolument parfaites. Nous aurons successivement un petit biscuit magique, une brioche gourmande, une langoustine merveilleuse, dont la soupe est un régal, un riz spécial qui convient à un vin rouge et mettra en valeur le prodigieux Romanée Saint-Vivant Marey-Monge Domaine de la Romanée Conti 1974, un turbot d’une cuisson idéale avec les barbes bien grasses qui excitent le vin rouge, un rouget que Pascal préfère de grande taille alors que j’aurais aimé un rouget moins épais. Pascal a expliqué sa préférence et je suis sûr qu’il a raison.

Le pigeon est magistral de tendreté et le toast au foie est exactement ce qu’il faut pour le grand vin de la Romanée Conti. C’est un accord fusionnel. La petite assiette de lentilles est très croquante, mais peut-être pas nécessaire pour le futur plat.

Le dessert éthéré d’une meringue aérienne est parfait, mais ne pourra pas être utilisé pour les vins que nous aurons.

La Romanée Saint-Vivant aura été divine tout au long du repas et appréciée par Pascal et Christophe et bien sûr par mon ami ému de ce cadeau, qui n’a pas reconnu les habituels marqueurs de la Romanée Conti, la rose et le sel. Cela arrive que les vins de la Romanée Conti ne montrent pas ces marqueurs. J’ai aimé sa longueur extrême et la grâce subtile de son message. Il y a à la fois les complexités que donne l’âge mais aussi un joyeux récital de saveurs.

L’ambiance de la création du menu a montré que nous avons les mêmes visions pour espérer réussir le prochain dîner de wine-dinners.

Déjeuner d’anniversaire dimanche, 21 avril 2024

Le lendemain matin il faut préparer le déjeuner dont l’intention est de fêter mon anniversaire. Mes trois enfants seront présents, ce qui est une chance appréciable, et deux de nos six petits-enfants seront avec nous. L’idée me vient de choisir des vins des années de mes trois enfants. Je descends dans la cave de la maison et je prends un Château Ausone 1967, un Cheval Blanc 1969 et un Pétrus 1974. Ce qui est intéressant, c’est que les trois vins ont un niveau de bas de goulot, ce qui est parfait et les étiquettes sont impeccables. C’est une bonne nouvelle sur la qualité de la cave de la maison.

Comme j’ai déjà ouvert il y a trois jours un vin de 1969 de l’année de mon fils, et comme trois vins rouges seraient de trop j’ouvre seulement le 1967 et le 1974 aux beaux bouchons et aux parfums prometteurs.

Lorsque c’est fait nous partons avec mon fils faire une promenade dans une magnifique forêt de 280 hectares, ouverte au public, et dont une porte est à moins de cinq cent mètres de chez nous. Quelle chance d’être si près de cette magnifique forêt conservée dans son état le plus naturel.

Au retour, j’ouvre un Champagne Heidsieck & Cie Monopole Cuvée Diamant Bleu 1979. La bouteille est très belle avec un verre biseauté façon diamant mais élégamment suggéré. Le bouchon s’est brisé non pas comme souvent en laissant en place la lunule du bas, mais juste sous la partie externe du bouchon ce qui est rare. Le nez promet.

Les enfants et petits-enfants arrivent et nous avons sur table un programme gargantuesque : deux fromages de tête, des tranches de jambon Pata Negra, des amandes salées, des têtes de moines, du gouda au Pesto comme celui que nous aimons dans le sud, un saucisson viril et j’oublie sans doute d’autres gourmandises.

Nous commençons par le Champagne Abel Lepitre 1959 pour que mes filles profitent de ce superbe et généreux champagne. L’effet du temps passé depuis l’ouverture est faible. Mes filles peuvent donc profiter de ce beau et riche champagne.

Le Champagne Heidsieck & Cie Monopole Cuvée Diamant Bleu 1979 a une belle bulle encore active. C’est un champagne racé d’une belle année qui m’évoque le Mumm Cuvée René Lalou 1979 qui a la même vivacité et la même finesse. Ce champagne s’adapte à tous les mets et montre sa belle subtilité racée. Un champagne long et raffiné.

Nous passons à table. Ma femme a préparé une épaule d’agneau de sept heures, marinée avec un peu de bière blonde et des légumes comme la carotte.

Le Château Ausone 1967 a un nez élégant. Le vin lui-même est élégant et noble. Il est très long, dynamique. C’est un grand Saint-Emilion exprimant le meilleur de ce que ce millésime peut donner.

Le Pétrus 1974 avait un parfum plus discret à l’ouverture. Ce vin joue avec mon palais. Il dit : essayez de trouver qui je suis. J’ai commencé à préférer l’Ausone mais au bout d’un certain temps, la complexité de ce Petrus m’a fait l’aimer un peu plus. Mon fils l’avait préféré dès le début. Il m’a fallu plus de temps.

Pour le dessert, ma femme a préparé un gâteau reine de Saba. J’ai ouvert un Maury la Coume du Roy Agnès de Volontat-Bachelet 1948. Je connaissais la mère d’Agnès et je connaissais leur collection de vieux tonneaux. La mise en bouteille de 50 cl a été faite récemment à partir de fûts bien conservés.

Ce Maury de 17° d’alcool est tellement charmant. C’est un plaisir à boire, simple et souriant. Parfait pour le chocolat car il est léger et ne s’impose pas. La reine de Saba de la forme d’un tore est pratique pour planter des bougies que j’ai soufflées. Il y en avait largement moins que mon âge. Ce repas avec mes enfants et petits-enfants fut un grand moment de bonheur.

Dîner du samedi avec mon fils samedi, 20 avril 2024

Nous allons fêter mon anniversaire avec deux jours d’avance, un dimanche, pour que nous ayons avec nous nos trois enfants et deux des petits-enfants. Mon fils dit qu’il sera le samedi soir avec nous. Il va falloir que je prépare ce dîner du samedi.

Nous commencerons par le Champagne Abel Lepitre 1959 dont il reste presque la moitié et j’ajouterai un Champagne Dom Pérignon 2002 que je n’ai pas bu depuis longtemps.

Ma femme ayant prévu des linguines avec des dés de saumon, il faut un blanc. Je vais dans la cave de la maison que j’utilise très peu car souvent je prépare les vins dans la cave principale. Je vois dans une case deux bouteilles qui ont la même étiquette avec un seul mot : Graves. C’est sans doute une étiquette « passe-partout » que l’on donne à des marchands de vins qui ont acheté un petit fût de vin. Du fait de la présentation de l’étiquette, ce peut être des années 40 ou 50. Les niveaux dans les deux bouteilles sont très bas, la perte étant forte. Comme il y a un risque certain, je choisis aussi un Chevalier-Montrachet Domaine du château de Beaune demi-bouteille 1960.

J’essaie d’ouvrir la première bouteille de Graves, celle qui a le plus bas niveau et la couleur la plus foncée et malgré mes efforts je ne peux éviter que le bouchon tombe dans le vin, avec beaucoup de petits déchets de liège. Je prends une carafe, un entonnoir et un tamis pour recueillir les petites particules. Le vin en carafe n’a pas un mauvais parfum, mais de peu d’émotion.

Le bouchon de la deuxième bouteille de Graves vient sans trop de problème. Les senteurs sont assez agréables, sans défaut.

J’ouvre maintenant la demi-bouteille de Chevalier-Montrachet 1960. Le bouchon impeccable sort entier et sans problème et le magistral parfum est encore plus agréable quand il suit les parfums faibles des deux Graves.

Le temps de l’apéritif est proche aussi j’ouvre le Dom Pérignon 2002. Le pschitt est très fort, poussant ma main en faisant un joli bruit. Le parfum est magique, conquérant.

J’ai acheté deux cochonnailles, un pâté de tête et une rillette de porc, mais le boucher a ajouté une rillette de volaille en me disant : je la préfère à celle de porc, essayez-la.

Le Champagne Dom Pérignon 2002 est versé dans nos verres. Sa couleur est très pâle, comme celle d’un 2013, montrant une belle jeunesse. En bouche ce champagne est d’une vivacité extrême. C’est un jeune fou, ravi de s’ébrouer. Il est exactement comme le 2002 que j’ai pu boire il y a plus de quinze ans. Il est brillantissime, et à le boire, je ne comprends pas comment on a créé un 2002 P2 de deuxième plénitude quand ce 2002 a encore une jeunesse si brillante. Quel grand champagne.

Les cochonnailles sont idéales. Si la rillette de volaille est plus raffinée, je préfère le gras de la rillette de porc, qui met en valeur le champagne.

Nous passons à table. Nous convenons que le Graves mis en carafe ne sera pas bu et nous essayons le Graves blanc années 40 ou 50 resté en bouteille, avec les linguines et dés de saumon. Le plat met en valeur le vin de Graves qui nous donne quelques belles sensations, mais l’envie est trop grande de passer au Chevalier-Montrachet Domaine du château de Beaune demi-bouteille 1960. Quel grand vin ! Le parfum est grand et joyeux et en bouche, c’est un vin solide comme le château de Beaune. Carré, puissant, riche, il a tout pour plaire. Il n’y a aucun effet lié au petit volume d’une demi-bouteille et son âge de 64 ans ne se ressent absolument pas. Une réussite absolue.

Il reste un fond de bouteille du Château Margaux 1916 qui n’a pas souffert d’avoir été ouvert il y a trois jours. Avec un saint-nectaire nous en profitons.

Dîner avec mon fils et des vins centenaires jeudi, 18 avril 2024

Mon arrêt de repas et de toute forme d’alcool a duré deux mois du fait d’une hospitalisation avec des montagnes de médicaments faisant de mon estomac une usine chimique. C’est la première fois que je vais partager des vins avec mon fils aussi ai-je envie de frapper très fort. Pour les rouges, je choisis un Château Margaux 1916 à la très jolie bouteille soufflée et au niveau mi- épaule. Cette bouteille m’inspire. Je prends ensuite une demi-bouteille de Château Haut-Brion 1919 d’une grande beauté, au niveau parfait. L’idée d’ouvrir deux vins de plus de cent ans me chatouille aimablement.

Pour le champagne, je choisis d’abord une demi-bouteille de Pol Roger 1969, elle aussi très belle et une bouteille qui m’est inconnue, un champagne Abel Lepitre 1959.

J’ouvre d’abord le Château Margaux 1916. Le verre du goulot n’a pas d’aspérité et pas de surépaisseur. Sous la capsule il y a de la poussière. Le bouchon vient bien et de belle qualité. Le parfum est prometteur. Il n’y a aucun défaut apparent.

Le bouchon du Haut-Brion 1919 est collé au goulot. Je ne peux pas le soulever car seules des déchirures se font. Je suis obligé d’utiliser le tirebouchon Durand pour sortir le bouchon. Le parfum a l’ouverture est encore plus engageant que celui du Margaux.

Vient le tour de la demi-bouteille de Pol Roger 1969. Le bouchon est tellement collé au verre que je n’arrive pas à le soulever. J’utilise un tirebouchon pour champagnes dont le manche est prolongé d’une sorte de fourche que j’essaie de pousser sous le bord du bouchon. Après un gros effort je soulève le beau bouchon sur lequel on voit clairement 1969, mais la lunule du bas est restée dans le goulot. Je la lève facilement.

Le parfum du champagne est enthousiasmant. Aucun pschitt n’est apparu.

Le Champagne Abel Lepitre 1959 a une jolie bouteille. Le bouchon – enfin un – vient facilement. Le bouchon est court et beau. Le parfum très différent est lui aussi très engageant.

A l’heure de l’apéritif nous commençons par le Champagne Pol Roger 1969. La couleur est dorée et magnifique. Le parfum est riche et puissant. En bouche, quel bonheur ! J’avais bu hier au Guy Savoy un champagne de 2018. C’est le jour et la nuit. Le Pol Roger est sur l’Olympe quand le 2018 était sur le plancher des vaches. Ce champagne est adorable, riche, large solaire, conquérant. Sur un fromage de tête, il est impérial.

Le Champagne Abel Lepitre 1959 a encore un peu de bulles et une couleur dorée à peine plus claire que celle du Pol Roger. Les deux champagnes sont opposés quand le Pol Roger est guerrier, le 1969 raconte des madrigaux délicieux. Il est tout en subtilité. Les deux champagnes sont parfaits, chacun en son genre. J’aurais tendance à dire que le Pol Roger est le plus noble, le plus complet, mais l’Abel Lepitre montre un étalage de subtilités qui le mettent à un très haut niveau.

Avec mon fils nous sommes ravis, car ces deux champagnes sont porteurs de grands plaisirs.

A table nous avons des pommes de terre à la crème et à la truffe, une truffe assez blanche, plus stricte qu’une melanosporum.

Je sers le Château Margaux 1916 et immédiatement nous sommes émus car ce vin est transcendantal. Il a une forme de perfection absolue. Il est tout de grâce. L’année 1916 est oubliée des radars des plus grands amateurs, car 1914, 1915, 1918 et 1919 sont très au-dessus de ce millésime. Mais je me souviens d’avoir été subjugué par un Malartic-Lagravière 1916. J’avais été tellement dithyrambique que le château avait mis mon commentaire affiché dans la salle de réception des visiteurs du château. J’avais été surpris de le lire lors d’une visite au château.

Le Margaux 1916 c’est cela, un sentiment de perfection intemporelle car l’ayant servi à mon fils à l’aveugle il avait un demi-siècle d’erreur, ce qui est tout à fait normal.

Ma femme a préparé des tranches de Wagyu dont nous aurons trois services, de quoi profiter des vins. Le Château Haut-Brion 1919 a un parfum riche extraordinaire et nous avons une fois de plus l’impression d’être en face de la perfection absolue. J’espérais beaucoup de ces deux vins centenaires, mais à ce point, jamais. Le Haut-Brion est plus dense, plus construit, plus solide. Et on peut dire que le Margaux est très féminin et le Haut-Brion très masculin et chacun dans un style qui n’est pas exagéré.

Nous nous regardons avec mon fils, émerveillés de cette expérience unique. Le wagyu convient aux deux mais naturellement plus au vin le plus masculin.

Un Epoisses ne convient qu’au 1919.

Quatre vins, quatre réussites. Voilà un beau repas qui marquera nos mémoires.

Dîner au restaurant Guy Savoy mercredi, 17 avril 2024

Avec ma femme, nous allons célébrer nos cinquante-huit ans de mariage au restaurant Guy Savoy dans le magnifique immeuble du musée de la Monnaie. Il y a plusieurs années que nous n’étions pas venus en ce lieu à la décoration très moderne. Nous sommes reconnus et nous reconnaissons de nombreux membres du personnel. Il y a un côté intimiste dans les salles de ce restaurant.

Guy Savoy vient nous saluer. Il est toujours aussi charmant et dynamique. Nous commanderons à la carte. L’entrée sera commune : suprême de volaille, foie gras et artichaut, vinaigrette à la truffe.

Nos plats divergeront, ma femme prenant le ris de veau « moelleux-croustillant », les morilles étuvées, pointes et feuilles vertes, tandis que je prendrai les beaux morceaux de l’agneau en verdure printanière car j’ai vu ce plat en photo sur Instagram.

Sylvain, le très compétent sommelier que je connais depuis longtemps me suggère, comme champagne au verre, un Champagne J.M. Sélèque Partition 2018 en sept parcelles, dégorgé en octobre 2023. Ce champagne jeune est intéressant parce qu’il a une belle structure et une certaine amplitude. Mais bien évidemment, il n’a pas l’ampleur d’un champagne plus âgé. Je le boirai avec plaisir.

L’amuse-bouche est à base d’ortie, pour montrer un attachement à la nature, mais j’avoue ne pas avoir été séduit car l’ortie a une forte amertume. Il y a ensuite une crème au caviar.

Devant une carte des vins typique des grands restaurants, on reste parfois songeur. Un champagne que j’adore, âgé d’un quart de siècle seulement, est proposé à 33 fois mon prix d’achat, je l’ai vérifié. Mais évidemment le prestige de ce champagne a explosé comme une fusée. Mais il y a aussi des vins très accessibles. J’ai jeté mon dévolu sur un vin du Rhône de 2012. Sylvain me dit que ce vin est encore trop fermé et me suggère une Côte-Rôtie Michel et Stéphane Ogier 2006. C’est d’autant plus aimable que sa proposition est moins chère que mon choix.

Lorsque je sens le vin, le parfum me semble extrêmement puissant. En bouche j’ai la même impression au point que ce vin me paraît fortifié. Sylvain me dit qu’il connaît ce vin depuis son origine et qu’il l’a suivi depuis sa création. Je lui fais goûter un verre et il maintient son jugement. Je suis peut-être trop influencé par les Côtes Rôties de Guigal qui ont d’autres expressions.

Entre les deux plats nous avons eu la légendaire soupe d’artichaut à la truffe noire. Les plats eux-mêmes sont très accomplis.

Nous avons décidé de ne pas prendre de dessert, mais toute l’équipe nous a submergés de gentillesse et de petites portions absolument délicieuses.

Quel bonheur d’avoir retrouvé ce grand restaurant et son équipe si chaleureuse.