Dîner avec mon fils et des vins centenairesjeudi, 18 avril 2024

Mon arrêt de repas et de toute forme d’alcool a duré deux mois du fait d’une hospitalisation avec des montagnes de médicaments faisant de mon estomac une usine chimique. C’est la première fois que je vais partager des vins avec mon fils aussi ai-je envie de frapper très fort. Pour les rouges, je choisis un Château Margaux 1916 à la très jolie bouteille soufflée et au niveau mi- épaule. Cette bouteille m’inspire. Je prends ensuite une demi-bouteille de Château Haut-Brion 1919 d’une grande beauté, au niveau parfait. L’idée d’ouvrir deux vins de plus de cent ans me chatouille aimablement.

Pour le champagne, je choisis d’abord une demi-bouteille de Pol Roger 1969, elle aussi très belle et une bouteille qui m’est inconnue, un champagne Abel Lepitre 1959.

J’ouvre d’abord le Château Margaux 1916. Le verre du goulot n’a pas d’aspérité et pas de surépaisseur. Sous la capsule il y a de la poussière. Le bouchon vient bien et de belle qualité. Le parfum est prometteur. Il n’y a aucun défaut apparent.

Le bouchon du Haut-Brion 1919 est collé au goulot. Je ne peux pas le soulever car seules des déchirures se font. Je suis obligé d’utiliser le tirebouchon Durand pour sortir le bouchon. Le parfum a l’ouverture est encore plus engageant que celui du Margaux.

Vient le tour de la demi-bouteille de Pol Roger 1969. Le bouchon est tellement collé au verre que je n’arrive pas à le soulever. J’utilise un tirebouchon pour champagnes dont le manche est prolongé d’une sorte de fourche que j’essaie de pousser sous le bord du bouchon. Après un gros effort je soulève le beau bouchon sur lequel on voit clairement 1969, mais la lunule du bas est restée dans le goulot. Je la lève facilement.

Le parfum du champagne est enthousiasmant. Aucun pschitt n’est apparu.

Le Champagne Abel Lepitre 1959 a une jolie bouteille. Le bouchon – enfin un – vient facilement. Le bouchon est court et beau. Le parfum très différent est lui aussi très engageant.

A l’heure de l’apéritif nous commençons par le Champagne Pol Roger 1969. La couleur est dorée et magnifique. Le parfum est riche et puissant. En bouche, quel bonheur ! J’avais bu hier au Guy Savoy un champagne de 2018. C’est le jour et la nuit. Le Pol Roger est sur l’Olympe quand le 2018 était sur le plancher des vaches. Ce champagne est adorable, riche, large solaire, conquérant. Sur un fromage de tête, il est impérial.

Le Champagne Abel Lepitre 1959 a encore un peu de bulles et une couleur dorée à peine plus claire que celle du Pol Roger. Les deux champagnes sont opposés quand le Pol Roger est guerrier, le 1969 raconte des madrigaux délicieux. Il est tout en subtilité. Les deux champagnes sont parfaits, chacun en son genre. J’aurais tendance à dire que le Pol Roger est le plus noble, le plus complet, mais l’Abel Lepitre montre un étalage de subtilités qui le mettent à un très haut niveau.

Avec mon fils nous sommes ravis, car ces deux champagnes sont porteurs de grands plaisirs.

A table nous avons des pommes de terre à la crème et à la truffe, une truffe assez blanche, plus stricte qu’une melanosporum.

Je sers le Château Margaux 1916 et immédiatement nous sommes émus car ce vin est transcendantal. Il a une forme de perfection absolue. Il est tout de grâce. L’année 1916 est oubliée des radars des plus grands amateurs, car 1914, 1915, 1918 et 1919 sont très au-dessus de ce millésime. Mais je me souviens d’avoir été subjugué par un Malartic-Lagravière 1916. J’avais été tellement dithyrambique que le château avait mis mon commentaire affiché dans la salle de réception des visiteurs du château. J’avais été surpris de le lire lors d’une visite au château.

Le Margaux 1916 c’est cela, un sentiment de perfection intemporelle car l’ayant servi à mon fils à l’aveugle il avait un demi-siècle d’erreur, ce qui est tout à fait normal.

Ma femme a préparé des tranches de Wagyu dont nous aurons trois services, de quoi profiter des vins. Le Château Haut-Brion 1919 a un parfum riche extraordinaire et nous avons une fois de plus l’impression d’être en face de la perfection absolue. J’espérais beaucoup de ces deux vins centenaires, mais à ce point, jamais. Le Haut-Brion est plus dense, plus construit, plus solide. Et on peut dire que le Margaux est très féminin et le Haut-Brion très masculin et chacun dans un style qui n’est pas exagéré.

Nous nous regardons avec mon fils, émerveillés de cette expérience unique. Le wagyu convient aux deux mais naturellement plus au vin le plus masculin.

Un Epoisses ne convient qu’au 1919.

Quatre vins, quatre réussites. Voilà un beau repas qui marquera nos mémoires.