Archives de catégorie : billets et commentaires

rencontre avec des correspondants virtuels d’un forum américain samedi, 21 mai 2005

Le forum américain d’amoureux du vin sur lequel j’écris a organisé un voyage dans le bordelais. J’y ai ajouté une escapade à Beaune. Le premier contact se fait au restaurant Dauphin (le restaurant où nous avions dîné après la signature de mon livre à la librairie Delamain) et nous boirons les vins apportés par les membres. A 17h30, nous sommes quatorze. Il y a trop de vins généreusement offerts. Il faut faire un choix. J’ouvre les bouteilles retenues pendant que nous devisons. Nous allons nous promener dans les jardins du Palais Royal. Bavardant de voitures de sport avec un fanatique, je rate la boutique de Serge Lutens que je voulais faire admirer. Quand nous revenons, il est trop tard : « on ferme ». Nous allons aux Caves Legrand pour un apéritif. On m’avait prévenu : « vous verrez, vous serez en même temps qu’un groupe de jeunes filles qui enterrent le célibat d’une d’entre elles ». Une large table dans la galerie Vivienne avec des bouteilles éparses est illuminée par le sourire et l’entrain de ravissantes et pétulantes jeunes filles. Calculant que j’aurais mes américains avec moi pendant une semaine, je peux, tel le brochet attiré par un alevin dodu me laisser aller à rire avec ces demoiselles. Délurées, joyeuses, elles m’accueillent à bras ouverts. Cette belle équipe pleine de vie fut un joli et appréciable rayon de beauté.
Nous goûtons un champagne Jacques Sélosse extra brut que quelques amis trouvent un peu rêche. Sa rigueur non dosée me plut assez. Champagne rectiligne de belle réalisation. Il joua le faire valoir au champagne Krug Grande Cuvée éblouissant de structure. Ça au moins, ça raconte des histoires. Un brio évident et une expressivité rare. En retournant à pied au restaurant Dauphin, nous avions en bouche une belle trace profonde de grand champagne. Je m’aperçois en écrivant cela comme le Krug Grande Cuvée peut être changeant. Selon son âge et son stockage il peut devenir immense.

un dîner « littéraire » où je parle de mon livre jeudi, 19 mai 2005

Une amie, organisatrice fort enthousiaste de dîners littéraires et soirées théâtrales me demande de présenter mon livre à l’un de ses dîners. La différence fondamentale entre l’auteur d’un livre sur les vins et l’auteur d’un livre sur les épopées d’Alexandre le Grand, c’est qu’on peut plus facilement suggérer au premier de venir avec des échantillons. Quelques vignerons amis m’aident dans cette entreprise. Je m’aide moi-même pour les autres vins. La veille de la manifestation, appel angoissé de mon amie, la date, l’époque, le sujet, que sais-je, on ne se bouscule pas pour venir m’écouter. Le challenge devient intéressant, et en très peu de temps, moins d’une journée, on rassemble une brochette de gens passionnants, qui vont se substituer aux habitués de ces dîners. Des journalistes, des écrivains, un dessinateur célèbre, des assidus de mes dîners se placent autour de deux tables enjouées, prêts à profiter de l’instant. Le champagne Delamotte en magnum est manifestement agréable. C’est un blanc de blancs de belle facture. Pas de question, ça se boit avec plaisir, le message clair rassurant par sa précision.
Le Chablis Grand Cru les Vaucoupins William Fèvre 2001 est un Chablis de grande classe. Il démarre sur une note citronnée, puis rapidement prend du gras. Un Chablis de belle construction qu’un plat incertain de saumons crus ne comprit pas. Le Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 2000 est chaud en bouche, rond, déjà structuré. Un grand expert en vins anciens, passionné de l’histoire des techniques et du goût me demande quand il sera bon à boire. Je réponds : « mais, maintenant ! », puisque ce que l’on a en bouche coule de source. Bien sûr il va se civiliser. Mais c’est déjà du vin sérieux, solide, prêt à se comparer à d’autres si on le lui demande.
J’avais prévu ensuite un double magnum de Côtes du Roussillon village Cazes 1989, bouteille que j’avais apportée au salon des grands vins, qui fut ouverte mais ne fut pas consommée. Le débouchage / rebouchage d’il y a plus d’un mois avait vieilli le vin d’un bon dix ans. Et hélas, il avait attrapé un léger goût de bouchon. Mais il exprimait une forme de vin à maturité qui méritait qu’on l’essaie, pour toucher au vécu de ces vins patinés. Les deux rouges s’exprimèrent sur un poisson d’élevage potable.
Le dessert, composite comme souvent, fut accompagné par un vin que j’avais apporté, un Chardonnay de Jérusalem, vin d’Ormoz, vendanges tardives 1993, titrant 13° et légèrement sucré, d’un litchi agréable. Sur des fraises, ô miracle, le vin fut fort plaisant.
Il ne s’agissait évidemment pas d’un dîner gastronomique mais d’un dîner littéraire. L’apport du restaurant était un vin de l’île de Ré baptisé avec audace « Royal » dont le cousinage avec un vin buvable n’est pas forcément évident. Ce qui comptait ce soir, c’est la chaleur de discussions enflammées, sérieuses ou non, qui réunirent des gens de grande passion, et de grand intérêt. Belle initiative de mon amie, transformée en happening du plus bel entrain.

mes analyses sur les bouchons lundi, 16 mai 2005

Mes analyses des bouchons des vins du dernier réveillon (bulletin 127) ont interpellé l’un des domaines concernés. J’ai reçu une lettre fort circonstanciée de la direction de Mouton Rothschild. Je me rendis dans des bureaux jouxtant, mais de loin, le magique château que je n’ai jamais visité. Les arguments de Philippe Dhalluin furent convaincants. Un de mes vins préférés vieillira protégé.

Alain Senderens rend ses trois étoiles samedi, 14 mai 2005

Je lis avec surprise l’annonce qu’Alain Senderens rend ses trois étoiles. La pression du statut de trois étoiles a touché beaucoup de chefs : Joël Robuchon prenant une retraite anticipée alors qu’il a atteint l’inatteignable puis revenant avec d’autres concepts, Alain Passard, décidant d’abandonner les viandes, le regretté Bernard Loiseau mettant brutalement fin au combat, et maintenant ce génie qu’est Alain Senderens, bien installé dans des formules qui innovent, décide de changer. Il est clair que les grands chefs ont été, ces derniers temps, surmédiatisés, trop racontés. Si le calendrier Pirelli va bien à Gisele Bundchen ou à Eva Herzigova, il va moins bien à nos rugbymen, mais franchement encore moins bien à nos chefs (ce n’est pas encore fait, mais ça vient, tant on les sollicite). On leur demande trop et ils s’écartent beaucoup trop de leurs fourneaux. La réponse du Michelin à cette décision est cohérente : « faites ce que vous voulez. Je donnerai mes notes en fonction de ce que je vois, pas en fonction de votre attitude ».
On en saura plus sur les motivations de cet immense chef, mais n’est-ce pas l’occasion de mettre à plat quelques questions sur la gastronomie d’exception ? Il n’est pas définitivement indispensable que l’on ait besoin du raffinement extrême qui pousse les prix à des niveaux stratosphériques. Les amuse-bouches d’une complexité folle, les pré-desserts, avant-desserts, post-desserts sont-ils toujours utiles ? Les coupes de champagne qui coûtent aussi cher qu’un honnête repas. Les plats que l’on sert avec un cérémonial d’opérette : un serveur qui apporte l’assiette, un serveur qui verse une sauce, un troisième qui vient broyer du poivre sur le résultat provisoire, un quatrième avec l’assiette d’un abat, un cinquième qui cherche désespérément à loger une assiette de salade et le sixième qui propose un pain fourré à l’olive et au belota qui fonctionne avec le plat. Il y a nécessairement matière à réflexion.
Il y en a une qui s’impose aussi sur la philosophie des cartes des vins. On ne peut pas laisser son invité pendant dix minutes se demander « alors, il y va ou il n’y va pas » quand le livre de cave, si lourd qu’il faut une table spéciale pour le poser demande un temps extrême de décryptage. La démarche d’Alain Senderens, que je ne vois pas abandonner son appétit de recherche et de création, devrait être l’occasion d’une réflexion fort utile.
On s’apercevrait sans doute que la direction qui est explorée aujourd’hui n’est pas forcément celle que souhaiteraient ceux qui fréquentent assidûment les lieux. Les restaurants du plus haut de gamme sont entraînés par les motivations de ceux qui, adossés à de grands hôtels, disposent d’un avantage de moyens inaccessibles aux maisons privées.
La décision d’Alain Senderens va susciter des questions qui seront utiles si on intègre bien que Paris compte aujourd’hui un groupe de chefs inventifs comme probablement jamais ce ne fut le cas auparavant. Paris doit rester la capitale absolue de la gastronomie mondiale. Il faut affirmer plus encore cette suprématie, car les retombées sur l’image de la France et sur la filière viticole seront considérables.
Comment mettre en valeur le patrimoine des vins anciens, c’est ma motivation actuelle. Comment mettre en valeur l’exception culinaire française est un autre combat. La prise de position d’Alain Senderens va être l’occasion d’y penser encore un peu plus. Ce beau sujet va certainement exciter mes neurones.
Nos vins, notre gastronomie, quel enjeu pour notre pays !

Vins divers mardi, 10 mai 2005

Nous avons cité un vin de 1960 de Louis Max (bulletin 30) dont l’étiquette était fortement déchirée. Il s’agit d’un Côtes de Beaune Clos les Topes Bizot 1960 Louis Max. Ce sont les représentants de cette belle maison de Bourgogne, aidés des quelques lettres déchiffrables, qui m’ont gentiment reconstitué ce puzzle.
Le hasard de la relecture de bulletins m’a fait penser aux « têtes de gondole ». Dans un grand magasin, le consommateur prendra plus volontiers des produits dans certains emplacements, fonction de la hauteur, de la visibilité et d’autres facteurs inconscients. C’est ainsi que je me suis rendu compte que lors d’un dîner (bulletin 21) j’avais ouvert un Monbazillac Château Le Chrisly 1965 suivi d’un Château Gilette Crème de Tête 1949. Or, lors du dernier dîner chez Laurent, j’ai ouvert un Monbazillac Château Le Chrisly 1965 suivi d’un Sauternes Château Gilette « doux » 1945. Est-ce à dire que lorsque je flâne dans les caves qui conservent ces vins, pour préparer les successions de goûts que des chefs vont mettre en valeur, je vais « forcément » vers ces vins là ? J’ai inconsciemment réagi en subissant l’automatisme de la « tête de gondole », arme marketing qui est bien loin du charme vénitien que suggère cette expression imagée. Dans les deux cas, le Chrisly a étonné plus d’un convive.

je suis invité dans le Jura à commenter Mondovino mercredi, 4 mai 2005

A travers de petites routes du Jura de magnifiques paysages rendus encore plus beaux par les contrastes de couleurs d’un ciel chagrin poussent à l’émerveillement. Même quand elle est austère, la nature inviolée est un enchantement. J’arrive à Doucier où Christophe Menozzi, président de l’association des sommeliers de Jura et Franche Comté tient un hôtel restaurant dans une zone de fort tourisme. Nous allons, ce soir à Champagnole, commenter le film Mondovino. Christophe a réuni 150 personnes, dont un fort contingent de vignerons. Je revois le film Mondovino, dont la cruauté de l’expression me frappe plus encore. Certaines personnalités sont présentées avec une méchanceté rare, même quand on semble les filmer de façon fort bonhomme. Nous avions décidé de ne discuter qu’une heure. Alors que le film avait commencé à 19h20, nous étions encore à échanger à 23h45. Il fallut clore les débats, passionnés et passionnants avec ces vignerons dont j’adore les vins. Croyez-vous qu’on allait se coucher ? Retour à Doucier où du foie gras à profusion et un délicieux coq cuit comme en famille nous permirent de goûter un reste du Corton Charlemagne 1985. Je tenais à ce que ces solides vignerons le découvrent. Je ne fus pas déçu de leurs sourires connaisseurs. Nous bûmes un vin de l’Etoile de Jean Gros 2002 dont je suis un amoureux fou. Tout le monde s’était étonné pendant la discussion que j’aie tellement insisté sur mon amour des vins de l’Etoile. Il est vrai que j’adore ces goûts. Un Arbois Pupillin de Paul Benoit « La Loge » 2002, solide comme son propriétaire et son fils, est plaisant mais plus vin blanc que vin de Jura. Un Côtes du Jura domaine Pêcheur 2000 est fort gouleyant quand un Savagnin Côtes du Jura Château d’Arlay 1990 montrait l’effet bénéfique des ans.
Les discussions furent solides comme les mets et les vins. A 2h30 du matin je croyais qu’une horloge était arrêtée, alors qu’elle donnait l’heure exacte. Ce chaud moment où l’on célébra notre amour commun de ces immenses vins du Jura fut de la plus belle amitié.

J’allais oublier d’indiquer que mon ami sommelier de Doucier, dans son hôtel-restaurant du Jura, avait voulu nous ouvrir un Hermitage 1942 et un Mouton dont je reconnaissais l’étiquette mais pas l’année. Après minuit, avec des vignerons prêts à défendre leur région, campés sur leurs vins, il me semblait que l’expérience ne valait pas d’être tentée. J’ai stoppé sa générosité. Je pense avoir bien fait. Un Hermitage de ce calibre mérite une attention soutenue. Nous avons bu en revanche un des vins du film Mondovino, le vin de l’argentin présenté « innocemment » comme un patriarche hautain, qui utilise les conseils de Michel Rolland.
J’avais trouvé, à la dégustation des primeurs 2004, que les vins faits par Michel Rolland, quand il en est propriétaire, ont une magnifique intelligence. Là, cet argentin me déplait. C’est du jus de copeaux au refrain mille fois entendu. Ce n’est pas à boire. N’en doutons pas, Michel Rolland sait faire beaucoup mieux que cela. Je ne vais pas jeter l’anathème sur une anti-preuve aussi primaire. Le Clos de Los Siete 2002 by Michel Rolland n’a pas la hauteur du personnage. Allons le retrouver ailleurs, là où il fait bien.
C’est ce que j’ai fait. La visite de son laboratoire, où l’on a goûté plusieurs vins de l’écurie Michel Rolland, avec un Clos de Los Siete meilleur que celui-ci, sera commentée plus tard.

journées nationales du livre et du vin à Saumur dimanche, 17 avril 2005

Les journées nationales du livre et du vin tiennent leur dixième édition à Saumur. A la Gare Montparnasse, un TGV spécial va conduire à Tours les auteurs en compétition pour divers prix, les membres des jurys, écrivains eux-mêmes ou personnalités célèbres, des auteurs et la presse. Les photographes indiquent par leur ballet qui est célèbre et qui ne l’est pas. Les jurys vont délibérer dans les wagons de première. Les auteurs sont en seconde classe. Un délicieux buffet, arrosé de quelques vins de Touraine, va offrir à nos papilles foie gras et homard. De Tours, des cars nous conduisent au château de Candé, noble demeure au parc splendide où une fanfare d’étudiants en médecine (délicatement nommée « la vaginale ») massacre un répertoire éculé. C’est bon enfant. Dans des tentes et au château les auteurs vont signer leurs livres. Je suis placé dans la bibliothèque du château où Jean-Claude Brialy, Edmonde Charles-Roux, Françoise Dorin, Fabien Zeller, Gonzague Saint Bris, Daniel Picouly signent leurs ouvrages. Une foule très dense ne s’intéresse qu’aux auteurs connus. Je la vois s’écouler en longeant ma table pour atteindre les stands où ces illustres écrivains signent leurs livres. Une compétition amusante se crée avec mes voisins de droite et de gauche aussi connus que moi. Qui signera le plus ? Je gagne en signant plus de livres que mes deux voisins réunis, à cent coudées des vraies vedettes.
Nous nous rendons à nos hôtels avant un dîner prévu à l’abbaye de Fontevraud. Quel site merveilleux et émouvant ! Des gisants rappellent la dimension historique du lieu. Nous nous rangeons autour du promenoir du cloître pour assister à un événement rare : le Cadre Noir de Saumur a dépêché trois chevaux qui vont exécuter devant nous des figures de dressage de la plus extrême difficulté. Dans le réfectoire des nonnes nous sommes près de 500 à partager un délicieux repas agrémenté de vins régionaux, crémant, vin d’Anjou, Saumur et Saumur-Champigny. A ma table deux meilleurs sommeliers du Monde qui ont commis des livres, Pierre Bonte que je vénère pour l’écoute qu’il a eue des témoignages d’une France rurale et ancestrale, et des gens de presse. Un parcours dans les allées des jardins de l’abbaye, éclairées de couleurs vives intéressantes, est plaisant, tandis qu’un groupe de bon jazz dans une des salles est fortement anachronique, même si les sonorités sont belles.
Je rejoins mon hôtel au confort inhabituel qui mérite une anecdote : la salle de bains a un lien de parenté avec les sanisettes qui jalonnent les boulevards parisiens : une coque toute plastifiée accueille les fonctions sanitaires et permet les désinfections intermédiaires. Là, une coque plastique, prévue pour placer deux pieds et deux pieds seulement, offre toilette, lavabo et douche. Je décide d’utiliser cette douche exiguë. Je décachette un savon aux dimensions inspirées par la volonté de ne pas gâcher. Sous le flot de la pomme, mon savon timbre-poste glisse. J’essaie de me replier pour le récupérer. En remontant, ma tête heurte le porte-savon qui tombe. J’ai en main le savon. Pour le reposer, puisqu’il n’y a plus rien, je vise un des coins du lavabo. Comme dans un film je vois au ralenti la trajectoire du savon. Il surfe sur le bord du lavabo. Il entame une glissade vers les toilettes et sa destination finale sera la cuvette des WC. Pas de Pom Pom girl pour saluer cet exploit balistique. La distance de tir étant courte (et pour cause !), ce n’est pas un panier à trois points.
Le petit déjeuner est en plein air sur une belle place. Des stands de vins remplacent des cafetières improbables. De lourds pâtés, des rillettes épaisses, du lard, du boudin, des pieds de porc sur des toasts chauds plombent l’estomac de graisseuses victuailles, sans doute pour absorber de verts et virils vins du pays. De charmantes hôtesses nous avaient encouragés à respecter absolument cette coutume locale. Elle explique sans doute une partie du sous-peuplement de la région : qui peut résister à cela ? Le ventre chahuté de saveurs en grave décalage horaire (la cochonnaille, c’est d’habitude beaucoup plus tard) je rejoins la table où je vais signer mes livres. La veille, une élégante dame m’avait demandé de dédicacer mon livre à un Frédéric. Au moment de payer, elle ne retrouve plus son carnet de chèques. Elle dit que son mari l’aidera à payer, mais elle n’est plus revenue. Ce matin, peu avant le déjeuner, un nouvel acheteur demande que je lui signe mon livre. Il annonce Frédéric. C’est sûrement le petit-déjeuner saumurois qui m’aura enlevé tout réflexe. J’ai signé une dédicace alors que j’avais sous mon coude le livre déjà dédicacé et non payé. Je me mordis les lèvres d’une telle erreur.
On appelle tous les auteurs candidats à la remise des prix. Il y a neuf catégories avec cinq ou six auteurs en piste. Mon livre concourt dans la section : « grand prix Saumur 2005 » qui couronne un « ouvrage original consacré au vin ». Irène Frain est la présidente de ce jury. Avec un sourire radieux elle encense mon livre. J’ai le prix. Largement félicité par des auteurs et gens de presse de grande gentillesse, je me rends au repas, tout heureux de cette nouvelle gloire, car j’avais dans mon groupe de rudes concurrents. De délicieuses huîtres Gilardeau, une lourde joue de bœuf, mais surtout les passionnantes anecdotes du Marquis Robert de Goulaine, viticulteur et écrivain, participent à mon contentement.
Revenant à ma table, les signatures s’accélèrent, car un prix facilite les choses. Lors des conversations qui entourent les signatures, un jeune sommelier veut acheter mon livre et me demande : « pourriez-vous mettre : à Frédéric ». Quand il entendit : « dans mes bras jeune homme », et quand je lui remis un livre déjà dédicacé, j’ai vu une profonde stupeur modifier son visage. Il se demandait sans doute par quel prodige ce prestidigitateur a une signature d’avance à chaque prénom. Un autre visiteur vint réciter ses poèmes, cherchant peut-être un écho mais surtout l’adresse d’un éditeur. Quel sort cruel que de déclamer – mal – ses propres poèmes, quand on n’en a pas été prié.
J’épuise très rapidement le stock du libraire. J’ai fait de nombreux mécontents. Puisque je n’avais plus rien à signer, je passai de stand en stand, parlant avec les auteurs primés et quelques auteurs passionnants. Vous voyez d’ici comme je crânais !
Un train fort tardif ramena à Paris des écrivains las mais généralement heureux. Un Saumur-Champigny Cuvée des 100 vignerons 2003 au fruit rouge profond distribué dans le train voulait qu’on se souvienne longtemps de cette belle région où la plume et le vin furent un instant complices.

j’ignore le vin de mon cercle pour Angélus 1990 mercredi, 13 avril 2005

Je fais partie d’un des plus beaux cercles de France, dans un immeuble magistral situé sur une place où l’on guillotina fort il y a quelque deux cents ans. Le vin du cercle, que je ne nommerai pas, prévu pour les déjeuners à coûts partagés, devrait être inscrit au patrimoine de la déshumanité. Que de fois, dans des banquets où le budget est âprement discuté, c’est le vin qui trinque ! Etant avec un ami aussi chahuteur que moi dans une assemblée dont l’âge rappelle celui de mes vins, je substitue à l’ordinaire un Angélus 1990. Au premier contact le bois est assez insupportable. Puis l’oxygène le domestique et ce saint-émilion s’adoucit pour devenir intense, généreux, de belle provocation. L’Assemblée Générale annuelle et statutaire des membres du cercle est aussi passionnante qu’un texte de Robbe-Grillet. Mais c’est la loi du genre. Je m’échappe pour aller saluer des amis qui déjeunaient dans l’antre de Jean François Piège, au Crillon tout proche, où un café fort utile effaça les effets à court terme de la lecture des statuts.

vins de Bergerac au restaurant d’Hélène Darroze mardi, 12 avril 2005

Un ami veut me voir et me propose de le rejoindre chez Hélène Darroze. Je suis prêt à y courir, d’autant que j’entends que le thème est l’armagnac. C’est le nom d’Hélène qui a dû induire cette confusion, ainsi que ma tendance à écouter trop vite, car il s’agissait en fait des vins de marque de Bergerac. La confusion phonique est possible mais peu excusable. De nombreux vins étaient présentés et de grands experts les analysaient, posant des questions pertinentes. J’en avais moins la volonté.
Le menu d’Hélène Darroze fut fort bon. Le pigeon est d’une chair splendide et d’une cuisson respectueuse des tendretés. Le dessert me faisait peur par des intitulés de kaléidoscope mais fut particulièrement réussi, accompagnant un bien jeune mais délicat Monbazillac du Château de Monbazillac 2000 très justement dosé. Le vin qui m’a séduit au sein de ces vins un peu courts est le Château la Barde les Tendoux, Côtes de Bergerac 2000, vin à l’avenir prometteur, car son amertume actuelle promet des plaisirs intenses.
Le cadre de ce restaurant devrait pouvoir s’égayer. Hélène Darroze doit atteindre, avec sa sensibilité, le niveau des grands chefs de Paris tout en gardant l’esprit de ses attaches familiales. Son pigeon en prend nettement le chemin.

dégustation avant une vente aux enchères mercredi, 6 avril 2005

Christie’s organise l’une de ses ventes de vins dont un thème important sera la vente de la cave de vins anciens du domaine Séguin-Manuel, que le nouvel acquéreur vend sans doute pour financer l’achat de la propriété. En prélude à la vente on peut goûter quelques vins actuels de bourguignons qui me sont souvent inconnus, et un vin de 1955 de Séguin-Manuel qui doit donner des indications aux rares enchérisseurs qui se seront déplacés, puisque maintenant beaucoup de mes « opposants » sont virtuels, donnant leurs ordres par internet ou au téléphone. Je goûte ce 1955 à l’amertume certaine mais dont j’aime le râpeux bourguignon. Voilà un vin qui se boirait à table, sur une viande sauvage, pour atteindre de brutales provocations. J’entends autour de moi : « imbuvable », ou « ouille, ouille, ouille », ou « pas possible ». Un ami expert en vins à la culture extrême qui arrive me demande : « ça vaut la peine de goûter ? ». Je lui dis : « faites attention, car sous une attaque très rebutante il y a la matière d’un bon vin ». Mon ami me remercie en me confiant que si je ne l’avais pas prévenu il aurait sans doute condamné ce qu’il considère maintenant comme un bon vin. L’aptitude à la tolérance influence forcément le goût. Est-ce un mal ? La vente a confirmé que les prix des vins anciens s’expriment aujourd’hui en euros avec les mêmes chiffres que l’on atteignait, mais en francs, il y a dix ans. L’engouement s’approche de la folie. J’avais fait part à Christie’s de mon jugement sur les prix de cette importante cave : trop chers à mon goût. Ayant quitté la salle après de belles rapines pour ne pas me laisser tenter par cette cave importante, j’ai appris par la suite que les estimations avaient été doublées ou triplées dans l’excitation de la vente. La hausse des prix des vins extrêmes n’est pas finie. Il y a plus de demande que d’offre sur ces vins.