Archives de catégorie : billets et commentaires

Un essai samedi, 3 avril 2004

Lors de visites impromptues dans des boutiques de cavistes, je vois un champagne que je ne connais pas : Femme de Duval Leroy 1990. C’est une femme qui préside aux destinées de cette maison connue de champagne et ce nom est peut-être une profession de foi. Je ne peux pas dire que je suis fasciné par ces noms d’émotion alors qu’un nom de lieu ou de terroir sonne mieux à mes oreilles. Le prix affiché situe ce champagne plutôt dans les cuvées d’exception. Champagne bien construit, mais sans véritable sensualité. Je ne mords pas. Est-il possible qu’une femme ne m’ait pas séduit ? Je ne peux pas prétendre qu’en d’autres circonstances je ne succomberais pas, mais cet essai ne fut pas fructueux. Le champagne est un domaine où il est très difficile de bousculer les habitudes de goût. Chaque amateur a ses champagnes de prédilection. On l’attire difficilement vers de nouvelles saveurs.

La clef du vin vendredi, 2 avril 2004

On m’invite à une journée de démonstration d’un nouvel outil du vin. L’exposition se tient dans une boutique dédiée aux objets du vin qui se trouve à proximité de la place de la Concorde. On y trouve de très beaux verres, des carafes efficaces et toutes sortes d’objets qui sont les cadeaux que les enfants offrent à leur père au jour dit. Un sommelier de renom qui officie dans le Sud Est de la France présente un objet, un outil, qui s’appelle la clef du vin. Sur une pièce métallique de forme esthétique une petite pastille d’un alliage métallique est insérée. On trempe cet appareillage métallique dans un verre de vin, et une réaction chimique a lieu entre ce composé et le vin. Le vin prend-il peur ? Toujours est-il qu’en une seconde il vieillit d’un an. Et selon les auteurs de cet engin on pourrait vérifier jusqu’à quelle date un vin serait bon. Vous avez dans votre cave quelques bouteilles de Chablis de 1998. Vous ouvrez une bouteille que vous vouliez boire, vous prenez votre clef et elle vous dit que votre Chablis a encore six ans de bon temps devant lui, puisque c’est exactement à six secondes de plongée que la clef révèle la limite du vin. Après ces six ans, ce Chablis amorcera cette descente aux enfers fatidique qui est ainsi prédite car il aura atteint sa limite de validité : son ticket ne sera plus valable. J’ai pu constater par l’exemple qu’effectivement dans un verre le goût d’un vin vieillit et qu’au bout de quelques secondes il donne l’impression d’un vin fatigué. Les auteurs ont-ils trouvé la machine à remonter le temps ? Les restaurateurs auront-ils ainsi trouvé le moyen de gérer leur cave sans devoir utiliser la compétence d’un sommelier, puisque la clef leur donne la réponse de la durée de vie de chaque vin ? Je ne saurais me prononcer. Je peux prédire à cet objet d’avoir une capacité ludique certaine et de devenir un cadeau pour la fête des pères et pour Noël. Va-t-il devenir l’outil indispensable des sommeliers et des amateurs ? J’ai plutôt tendance à avoir une certaine prudence. Le fait qu’on s’intéresse à ce sujet au point de faire des études scientifiques poussant à trouver l’alliage idéal qui fait vieillir le vin est une idée amusante. Bonne chance à ses inventeurs. Un des effets collatéraux de cette manifestation est que j’ai retrouvé avec plaisir des sommeliers qui étaient venus en voisins et quelques personnes passionnantes. La clef du vin n’est peut-être pas la pierre philosophale, mais le vin étant un sujet de discussion sans fin, il est évident que l’outil fera parler.

la présentation d’un plat associé à des vins anciens mardi, 2 mars 2004

Je voudrais revenir sur un sujet évoqué dans le précédent bulletin : modifier la présentation d’un plat lorsqu’il est associé à des vins anciens. Quand un chef crée un plat, il aime à explorer les saveurs qui accompagneront la chair principale et provoqueront une émotion gustative intéressante. D’où une intrépidité qui est fonction de sa personnalité, de son histoire et de son parcours auprès des chefs qui l’ont formé. Il pourra exciter la chair principale pour la faire réagir et la rendre plus convaincante, orthodoxe ou provocante. Le vin, lui, ne raisonne pas de la même façon. Il a besoin soit de la chair principale – le plus souvent – soit de la sauce pour exprimer son message. Je relate de temps en temps si le vin a capté la chair ou a capté la sauce d’un plat, car cette affinité sélective est très nette. Et lorsqu’un vin capte toutes les composantes d’un plat je le signale – si je l’ai mémorisé- car c’est un aspect intéressant de la gastronomie : sur quelles composantes d’un plat le vin trouve-t-il le socle qui va lui permettre de délivrer son message ? Et c’est assez rare que le vin s’améliore sur les accompagnements. Soit il les ignore, soit il régresse à leur contact. C’est à partir de ces constatations que j’ai exprimé dans le bulletin 106 ce sentiment qu’il faut garder l’esprit d’un plat, avec ces esquisses gustatives qui montrent la recherche du chef, mais en allégeant les à-côtés pour que le vin ancien se love dans les saveurs essentielles sans être éparpillé. Dès les premiers dîners, notamment avec Patrick Pignol et Philippe Bourguignon j’ai senti qu’il fallait cette volonté d’adapter les recettes, les proportions, pour que le vin se sublime.

Dîner à l’Ecu de France à Chennevières mardi, 4 novembre 2003

Comme il ne me paraît pas nécessaire de garder deux adresses secrètes, je vais enfin livrer le nom du restaurant secret où j’ai bu tant de belles bouteilles. Il s’agit de l’Ecu de France à Chennevières. Maison bourgeoise de plus d’un siècle, tenue par la famille Brousse, ce restaurant à la cuisine plutôt familiale a su intelligemment gérer sa cave. Il fut une époque où l’on pouvait y assécher les plus beaux Pétrus. Je n’ai fait qu’en picorer quelques uns. Il faut aller en ce lieu pour de magnifiques bouteilles, profiter d’une terrasse sur la Marne où l’on pense à la quiétude ancienne de ces sites accueillants en buvant Lafite 1955, Rayas 1985 ou Krug 1988. Un havre de plaisirs rares. Allez-y, mais laissez moi quand même une ou deux de ses merveilles.

TF1 filme ma cave dimanche, 2 novembre 2003

Une équipe de TF1 prépare une émission sur le vin. On vient m’interviewer au milieu de mes enfants, les vins vivants, et de mes cadavres, souvenirs de belles bouteilles bues. Le tournage prend une journée, et il faut bien déjeuner. Qu’offrir à cette équipe qui peut s’inviter dans les plus beaux domaines ? J’erre quelques minutes dans une cave, pour choisir ce qui a accompagné de la charcuterie et des fromages mangés dans des assiettes en carton. Le Mouton-Rothschild 1987 est une agréable surprise. Suffisamment puissant, quasiment vin de soif, avec une belle charpente et surtout une longueur que l’on n’attend pas de cette année là. Puis, une bouteille que je sais sans doute « lire » mieux que d’autres palais, tant il faut un référentiel pour apprécier ces énigmatiques évocations : Côtes du Jura Jean Bourdy 1947. Quel vin ! Une longueur infinie, des évocations capricieuses de saveurs kaléidoscopiques. Ça ressemble au plus vieux des Salon évoqués ci-après. J’adore explorer ces vins qui emmènent sur des terrains que l’on n’attend pas. Sur TF1 dans la nuit du 17 au 18, à 1h00. Pensez-y.

Inauguration du Salon du Chocolat lundi, 27 octobre 2003

Je vais à l’inauguration du Salon du Chocolat où des maîtres chocolatiers exposent leurs créations débridées. J’achète les oeuvres bridées d’une chocolatière japonaise. C’est à ce salon que – ô surprise – je me vois en train de goûter trois vins de la Rectorie, domaine où officie le fils d’Yves Legrand qui défend becs et ongles ses jolies productions. Il a bien raison. Je bois le Collioure 2000 Le Séris, le vin des Cotes Catalanes 2001 de Préceptorie et le Maury Mise tardive cuvée Aurélie 2001. Ça chante en bouche de belle façon, même si on sent l’effort ici ou là. Sylvie Douce et François Jeantet, les organisateurs de ce salon comme du salon des grands vins sont décorés du Mérite Agricole Ivoirien. Respect.

Au hasard des allées je trouve à un stand David van Laer. Quelle coïncidence, puisque justement j’avais fait le détour vers ce Salon en me rendant au Casual, restaurant qui fait la suite du feu Maxence.

Cave : les Foudres de Bacchus à Gentilly samedi, 25 octobre 2003

Je passe aux Foudres de Bacchus à Gentilly aux caves intelligentes de Jacques Fillot. Trois semaines avant l’heure officielle, on y goûte le Beaujolais nouveau 2003 qui, pour une fois, m’enchante. Il y a la signature bien connue du goût de banane, et enfin, c’est charmant. S’il est une année où l’on pourra profiter de ce breuvage qui parfois ressemble à du vin (pourvu qu’on ne me traîne pas en justice comme on le fit de François Mauss, président du grand jury européen, qui compara le Beaujolais à une substance à laquelle le Père Ubu ajoutait une lettre) c’est bien en 2003.

Cocktail chez Jacques Le Divellec vendredi, 26 septembre 2003

Jacques Le Divellec a écrit un livre pour Larousse sur la cuisine de la mer. C’est l’occasion de fêter la sortie du livre dont on fait la promotion autour d’un buffet copieux. La profusion des mets délicats est à l’image de ce chef si sympathique et authentiquement enthousiaste. Le caviar d’Aquitaine se tartinait à la chaîne, et on pouvait vérifier, si on ne le savait déjà, le large spectre social des amis de l’écrivain fêté. Belle réception généreuse.

lancement du guide Hachette des Vins 2004 jeudi, 4 septembre 2003

On est maintenant à Paris. Je suis invité au lancement du guide Hachette des Vins 2004. Ambiance délicate créée par cette si charmante directrice de publication. Je retrouve quelques vignerons amis, fiers d’être des « coups de cœur » choisis par le guide.

Les discours sont forcément convenus mais heureusement courts et le choix des médaillés est fort intelligent : un Riesling, un Bandol et un Pauillac. Pourquoi faut-il que sous la pression de l’intervieweur les élus déclarent être devenus vignerons par accident ? Imagine-t-on un cardiologue décoré qui déclarerait : « vous savez, je suis cardiologue par hasard, car il y a dix ans j’étais mécanicien automobile » ? Croit-on que l’on est meilleur quand on s’inscrit en rupture de la tradition ? Nous avons accès à la dégustation des coups de cœur. Quel aimable mélange ! Il est en effet assez rare qu’à coté de vins de Savoie ou du Luxembourg, on puisse goûter Haut-Brion 2000, Yquem 1998 ou Krug Clos du Mesnil 1990 !!!

J’ai souri en observant quelques grands journalistes présents qui écrivent sur l’intérêt de découvrir des vins méconnus et de ne pas être prisonniers des étiquettes. Ils se sont précipités pour aller boire ces vins rares et chers. Tous ces vins ont été épuisés avant même que je puisse m’approcher des stands de dégustation.A quoi cela sert-il de faire des guides, si tout le monde se bat pour boire les premiers crus classés !! J’ai quand même eu une goutte d’un Krug Clos du Mesnil 1990. Il y a évidemment un abîme de différence entre le Salon 1990 bu comme il faut à l’occasion d’un repas et ce si prestigieux champagne bu debout, dans un verre qui a servi à d’autres vins. On a l’esquisse de sa grandeur, mais pas le plaisir qui convient. Mais c’est grand quand même !

Le Chablis Vaudésirs William Fèvre est décidemment bon, et le Corton Charlemagne Bouchard est un plaisir délicat. Au milieu des vins goûtés, un Gewurztraminer sélection de grains nobles m’a largement plu, ainsi qu’un Château Chalon au nez invraisemblablement pénétrant. Cette célébration des vignobles dans la bonne humeur est fort sympathique.

Ces dégustations comparatives m’ont remis en mémoire le repas à Londres où avant le plat, le Haut-Brion blanc surclassait le Château Grillet, et puis sur un soufflé au fromage, le Haut-Brion était pâle quand le Grillet paradait. Qui peut être sûr que ces classements préfigurent le plaisir que l’on aura à table avec un plat ? J’ai pensé aussi à Alain Senderens, car je me sens plus à l’aise dans la recherche de l’accord juste, précision gustative où avec un grand chef on fait briller et la cuisine et le vin à son apogée, que dans la comparaison intrinsèque qui en fait ne m’intéresse pas tant que cela. Que m’importe que Latour soit plus brillant qu’Ausone ou l’inverse, quand ce qu’il faut chercher, c’est que le Ausone que l’on ouvre, ou le Latour, soit le plus beau vin de l’instant.