journées nationales du livre et du vin à Saumurdimanche, 17 avril 2005

Les journées nationales du livre et du vin tiennent leur dixième édition à Saumur. A la Gare Montparnasse, un TGV spécial va conduire à Tours les auteurs en compétition pour divers prix, les membres des jurys, écrivains eux-mêmes ou personnalités célèbres, des auteurs et la presse. Les photographes indiquent par leur ballet qui est célèbre et qui ne l’est pas. Les jurys vont délibérer dans les wagons de première. Les auteurs sont en seconde classe. Un délicieux buffet, arrosé de quelques vins de Touraine, va offrir à nos papilles foie gras et homard. De Tours, des cars nous conduisent au château de Candé, noble demeure au parc splendide où une fanfare d’étudiants en médecine (délicatement nommée « la vaginale ») massacre un répertoire éculé. C’est bon enfant. Dans des tentes et au château les auteurs vont signer leurs livres. Je suis placé dans la bibliothèque du château où Jean-Claude Brialy, Edmonde Charles-Roux, Françoise Dorin, Fabien Zeller, Gonzague Saint Bris, Daniel Picouly signent leurs ouvrages. Une foule très dense ne s’intéresse qu’aux auteurs connus. Je la vois s’écouler en longeant ma table pour atteindre les stands où ces illustres écrivains signent leurs livres. Une compétition amusante se crée avec mes voisins de droite et de gauche aussi connus que moi. Qui signera le plus ? Je gagne en signant plus de livres que mes deux voisins réunis, à cent coudées des vraies vedettes.
Nous nous rendons à nos hôtels avant un dîner prévu à l’abbaye de Fontevraud. Quel site merveilleux et émouvant ! Des gisants rappellent la dimension historique du lieu. Nous nous rangeons autour du promenoir du cloître pour assister à un événement rare : le Cadre Noir de Saumur a dépêché trois chevaux qui vont exécuter devant nous des figures de dressage de la plus extrême difficulté. Dans le réfectoire des nonnes nous sommes près de 500 à partager un délicieux repas agrémenté de vins régionaux, crémant, vin d’Anjou, Saumur et Saumur-Champigny. A ma table deux meilleurs sommeliers du Monde qui ont commis des livres, Pierre Bonte que je vénère pour l’écoute qu’il a eue des témoignages d’une France rurale et ancestrale, et des gens de presse. Un parcours dans les allées des jardins de l’abbaye, éclairées de couleurs vives intéressantes, est plaisant, tandis qu’un groupe de bon jazz dans une des salles est fortement anachronique, même si les sonorités sont belles.
Je rejoins mon hôtel au confort inhabituel qui mérite une anecdote : la salle de bains a un lien de parenté avec les sanisettes qui jalonnent les boulevards parisiens : une coque toute plastifiée accueille les fonctions sanitaires et permet les désinfections intermédiaires. Là, une coque plastique, prévue pour placer deux pieds et deux pieds seulement, offre toilette, lavabo et douche. Je décide d’utiliser cette douche exiguë. Je décachette un savon aux dimensions inspirées par la volonté de ne pas gâcher. Sous le flot de la pomme, mon savon timbre-poste glisse. J’essaie de me replier pour le récupérer. En remontant, ma tête heurte le porte-savon qui tombe. J’ai en main le savon. Pour le reposer, puisqu’il n’y a plus rien, je vise un des coins du lavabo. Comme dans un film je vois au ralenti la trajectoire du savon. Il surfe sur le bord du lavabo. Il entame une glissade vers les toilettes et sa destination finale sera la cuvette des WC. Pas de Pom Pom girl pour saluer cet exploit balistique. La distance de tir étant courte (et pour cause !), ce n’est pas un panier à trois points.
Le petit déjeuner est en plein air sur une belle place. Des stands de vins remplacent des cafetières improbables. De lourds pâtés, des rillettes épaisses, du lard, du boudin, des pieds de porc sur des toasts chauds plombent l’estomac de graisseuses victuailles, sans doute pour absorber de verts et virils vins du pays. De charmantes hôtesses nous avaient encouragés à respecter absolument cette coutume locale. Elle explique sans doute une partie du sous-peuplement de la région : qui peut résister à cela ? Le ventre chahuté de saveurs en grave décalage horaire (la cochonnaille, c’est d’habitude beaucoup plus tard) je rejoins la table où je vais signer mes livres. La veille, une élégante dame m’avait demandé de dédicacer mon livre à un Frédéric. Au moment de payer, elle ne retrouve plus son carnet de chèques. Elle dit que son mari l’aidera à payer, mais elle n’est plus revenue. Ce matin, peu avant le déjeuner, un nouvel acheteur demande que je lui signe mon livre. Il annonce Frédéric. C’est sûrement le petit-déjeuner saumurois qui m’aura enlevé tout réflexe. J’ai signé une dédicace alors que j’avais sous mon coude le livre déjà dédicacé et non payé. Je me mordis les lèvres d’une telle erreur.
On appelle tous les auteurs candidats à la remise des prix. Il y a neuf catégories avec cinq ou six auteurs en piste. Mon livre concourt dans la section : « grand prix Saumur 2005 » qui couronne un « ouvrage original consacré au vin ». Irène Frain est la présidente de ce jury. Avec un sourire radieux elle encense mon livre. J’ai le prix. Largement félicité par des auteurs et gens de presse de grande gentillesse, je me rends au repas, tout heureux de cette nouvelle gloire, car j’avais dans mon groupe de rudes concurrents. De délicieuses huîtres Gilardeau, une lourde joue de bœuf, mais surtout les passionnantes anecdotes du Marquis Robert de Goulaine, viticulteur et écrivain, participent à mon contentement.
Revenant à ma table, les signatures s’accélèrent, car un prix facilite les choses. Lors des conversations qui entourent les signatures, un jeune sommelier veut acheter mon livre et me demande : « pourriez-vous mettre : à Frédéric ». Quand il entendit : « dans mes bras jeune homme », et quand je lui remis un livre déjà dédicacé, j’ai vu une profonde stupeur modifier son visage. Il se demandait sans doute par quel prodige ce prestidigitateur a une signature d’avance à chaque prénom. Un autre visiteur vint réciter ses poèmes, cherchant peut-être un écho mais surtout l’adresse d’un éditeur. Quel sort cruel que de déclamer – mal – ses propres poèmes, quand on n’en a pas été prié.
J’épuise très rapidement le stock du libraire. J’ai fait de nombreux mécontents. Puisque je n’avais plus rien à signer, je passai de stand en stand, parlant avec les auteurs primés et quelques auteurs passionnants. Vous voyez d’ici comme je crânais !
Un train fort tardif ramena à Paris des écrivains las mais généralement heureux. Un Saumur-Champigny Cuvée des 100 vignerons 2003 au fruit rouge profond distribué dans le train voulait qu’on se souvienne longtemps de cette belle région où la plume et le vin furent un instant complices.