Archives de catégorie : billets et commentaires

festival Oenovideo mercredi, 14 septembre 2005

Je me rends au Sénat où l’on décerne des prix dans le cadre du festival « oenovideo ». Des reportages passionnants sur le vin, ses hommes et ses paysages sont présentés car ils sont primés. Un film sur une vigne d’un village minier, d’un petit nombre de mètres carrés, peut-être six à huit mille, possédée par 450 ouvriers de la mine, tombée en déshérence, renaît par la volonté d’un passionné. A l’inverse, le film invraisemblable de LVMH overseas qui décide qu’elle a créé le goût du monde, avec cette arrogance à l’américaine : nous sommes les plus forts, point. C’est curieux de primer un tel film d’entreprise au budget illimité. Le meilleur document, à mon goût, est évidemment « flacons d’éternité » de Didier Guyot, où les vins mythiques de la Bourgogne du 19ème siècle sont à l’honneur, avec ce vigneron étonnant qui n’échangerait pas sa vigne pour la plus belle femme du monde et a toujours de la terre de sa vigne dans sa poche, pour l’éternité. Un Fitou goûté au gentil buffet du Sénat m’a rappelé que tous les vins ne sont pas éternels.

un vin totalement inconnu « les vins réfrigérés » mardi, 12 juillet 2005

Ma femme aime chiner dans des brocantes où l’on peut constater que le génie humain n’a pas de limite. Je me demande parfois comment des gens ont pu oser dessiner et fabriquer des horreurs invraisemblables. Les lampes de chevet sur base de bouteille d’Orangina sont de l’art à coté de certains objets bucoliques (il faudrait savoir combien la biche a inspiré d’objets insupportables). Elle rapporte de sa chine deux bouteilles d’environ cinquante ans. Un Saint-Raphaël qui sera sûrement bon – j’en connais la saveur quand le quinquina est quinquagénaire – et une bouteille d’un litre, sérigraphiée de blanc, dont le titre est « Les vins réfrigérés », de la coopérative la Vidaubanaise. On y apprend au dos que la bouteille doit être rendue dans les trois mois à la coopérative. Nous n’avons donc que cinquante ans de retard. Le bouchon est rustre mais a joué son rôle car le niveau est beau. Le verre a été fortement imprégné par une lie sur l’ensemble de sa paroi comme si une acidité l’avait entamé. Je craignais un obscur vinaigre et voilà que ce vin exhale un parfum serein, assagi, de beau Côtes de Provence. Immédiatement je pense à ce Sainte-Roseline 1953 qui avait magistralement brillé lors d’un dîner (bulletin 111). En bouche, l’impression est moins forte qu’au nez, mais c’est plus que buvable, c’est plaisant. Et je me suis observé avec étonnement, me rendant compte que j’avais la fierté de ce vin, bu avec des amis, au moins aussi intense que si c’était une de mes plus belles acquisitions. Ce vin est comme mon enfant, et le voir se comporter comme un grand me fait un immense plaisir. La coopérative interrogée ne savait pas me dire ce qu’est un vin réfrigéré. C’est sans doute un Cotes de Provence vendu à la tireuse dans des cuves rafraîchies. Des vins, même à deux sous, quand ils ont quelque chose à dire, me remplissent de joie.

séjour au Chateau du Domaine Saint-Martin à Vence vendredi, 1 juillet 2005

Par un été naissant non caniculaire, quand les journées sont longues et les touristes encore peu présents, je pars explorer les paysages de Provence. La ville de Tourtour est joliment médiévale. Dans un réflexe citoyen et républicain, on a annexé la place forte locale au passé chevaleresque pour en faire la mairie et la poste. La socialisation rampante gagne même nos plus belles campagnes. Un restaurant tenu par une volontaire suissesse offre une cuisine bourgeoise de bon aloi. Le village d’Aups est attachant. Ça sent l’accent chantant du Sud. Les gorges du Verdon sont toujours aussi belles. Une pancarte « site classé » me laisse rêveur : je ne vois pas comment on pourrait modifier ce que la nature a mis des centaines de millions d’années à sculpter dans la pierre. Une construction peut être défigurée par un urbaniste, fol Néron destructeur. Pas cette sauvage beauté. Allant de splendeur en splendeur mes roues me portent au Château du Domaine Saint-Martin à Vence, ancien château aux quatre tours qui était un observatoire templier unique de toute la côte méditerranéenne. Ce lieu est d’un luxe total. Le jardin est dessiné par un véritable artiste et la piscine m’aguiche au point que je la possède de long en large. Le service est absolument parfait, surnuméraire comme on le voit à l’île Maurice. Tout est fait pour offrir un confort absolu. J’ai la chance qu’on me surclasse et ma chambre d’où la vue est infinie a un volume qui rassure. Rien n’est plus confortable que le luxe insensé.

arrivée dans la maison du Sud pour y passer l’été mardi, 28 juin 2005

Nous prenons nos marques dans notre maison du Sud et des amis nous rejoignent. Il fait chaud. Le champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996 est absolument délicieux. Il a commencé à adopter ce léger fumé qui traduit le début d’une prise d’âge. Et j’adore cette virilisation du message. Car l’intensité n’en est que plus belle. Le champagne raconte des histoires. C’est pour cela que le Cristal Roederer 1996 qui le suit, d’un raffinement certain, n’occulte pas le premier champagne. J’avais acheté un délicieux foie gras. L’association du foie gras avec la belle bulle du Cristal est une complémentarité indispensable.
Le Lafite-Rothschild 1981 est absolument délicieux. Un écart très significatif par rapport au Lafite 1979 bu au château d’Yquem. Comment l’expliquer au-delà des écarts de millésimes qui sont – sur le papier – plutôt faibles ? Il faut chercher sans doute du coté de l’oxygénation et de la température de service. La peur de servir des vins chauds à Yquem avait conduit à les engoncer. Ce Lafite 1981 de belle mâche a une jeunesse qui me séduit. Et une longueur ravissante par un des plus longs soirs d’été.

je suis membre d’un jury de soutenance de thèse mercredi, 15 juin 2005

L’institut supérieur de marketing du luxe me demande d’être examinateur d’une thèse sur les appellations AOC face à la concurrence des vins du monde. C’est amusant puisque le paragraphe ci-dessus de ce bulletin a été écrit avant que l’on ne m’appelle. Comment vais-je réagir devant une étudiante ? Et quelles sont mes idées ? Je retrouve un joyeux jury composé d’amis, Alain Senderens avec qui nous discutons naturellement de ses étoiles, Jean Castarède, grand producteur d’armagnac, Nicolas de Rabaudy, écrivain, deux enseignants et moi. Nous avons tant à nous dire que la jeune étudiante dégourdie a du mal à placer un mot. Notre consensus est évident sur la nécessité de s’appuyer sur notre force fondamentale, le terroir et la qualité, et de développer un marketing actif. La thésarde sera reçue. Nous aurons discuté entre amis de joyeuse façon.

déclin du vin français dans le monde mardi, 14 juin 2005

Il arrive que dans des dîners on me demande : « que pensez-vous du déclin du vin français dans le monde ? ». Je réponds : « ce n’est pas mon problème, c’est le problème de ceux qui le font ». Le vin est un produit de consommation. Même s’il a une valeur émotionnelle dans le cœur des français, il doit répondre aux critères de tout produit qui affronte un marché. Si le produit est bon et son prix justifié, il se vendra. Si on veut traiter le vin comme un produit agricole (surproduction, primes, subventions, destructions de récoltes, vandalisme), alors je n’ai pas d’avis. C’est politique. Si on veut faire pour lui l’équivalent d’un Plan Calcul, alors on le tuera. Si les vignerons ont une démarche qualité, des rendements réalistes, des surfaces raisonnables, un marketing de combat, alors, ils ont autant sinon plus de chances que les autres, car la France peut ajouter ce petit plus culturel et hédoniste. Les grands vins n’auront jamais de problème d’écoulement, car la demande va exploser du fait de marchés émergents. Les petits vins ont comme premier problème celui d’être bons. Et ce n’est certainement pas en assouplissant les critères de la qualité qu’on les aidera.

les vicissitudes de l’achat en salles de ventes samedi, 11 juin 2005

Devant trouver une bouteille pour un prochain dîner, j’ouvre des cartons qui sont en cave depuis novembre 2003. Il s’agit d’un achat dans une vente d’une prestigieuse maison. La description des lots est précise, l’emballage sérieux. Je n’avais pas éprouvé le besoin de contrôler à l’arrivée dans ma cave deux ou trois jours après la vente. Premier carton. Le plastique alvéolé qui entoure la bouteille est très humide. La bouteille a perdu le quart de son volume. Il s’agit de Yquem 1864. Deuxième carton. Même constat. Il s’agit de Château Margaux 1881. Ma cave est de bonne conservation. Pour que deux bouteilles aient connu le même malheur, il a fallu soit un accident (mais où ?), soit une erreur d’expertise. Il se peut qu’un collectionneur, sentant la mort prochaine de ces vins ait voulu passer la patate chaude à un autre amateur moins regardant. L’expert n’y aurait rien vu. Pour de telles bouteilles j’aurais sans doute dû être vigilant. Mais des maisons de vente, comme celle qui est concernée, entreposent leurs lots en dehors de Paris. Consacrer un jour à la visite d’inspection avant la vente et un jour à la vente est difficile. C’est presque irréaliste. On fait donc l’impasse en se fiant aux descriptions d’expert. L’achat des vins très anciens est parfois un exercice périlleux.

les vins sont-ils bons quand on est nombreux ? samedi, 28 mai 2005

Je me rends, dans une même journée, le midi dans un cercle parisien et le soir dans un hôtel parisien historique appartenant à une fondation où l’on fait de la restauration. Pourquoi, à partir du moment où une restauration est collective, à coûts partagés, doit-on, au cœur de Paris, subir des cuisines épouvantables et des vins inadmissibles ? Il fut un temps, pas forcément tout à fait révolu, où prendre un croissant dans une gare ou un aéroport était la certitude de mâcher une semelle gommeuse. Cette restauration de lieux chics n’est pas celle de notre pays. J’ai connu des dizaines de petits bistrots animés par des couples. La femme aux fourneaux fait une cuisine familiale chaleureuse. Le cassoulet est du cassoulet ou le bourguignon du vrai bœuf. Et le mari a dégoté un vin authentique, sans prétention, qui raconte quelque chose. Ici, c’est sans imagination, clinquant, sans goût, sur de mauvais achats. Le vin de coupage, d’un hangar où l’on mélange, est imbuvable. Le combat de cette restauration n’est pas le mien. Mais je ne vois pas pourquoi il faudrait accepter le médiocre dans des lieux de légende, quand, au même prix, de vrais artisans réaliseraient des prouesses de générosité souriante. Pourquoi faut-il manger moins bien dès lors qu’on est nombreux ?

visite du laboratoire de Michel Rolland vendredi, 27 mai 2005

Je ne voulais pas rater la visite du laboratoire de Michel Rolland que le film Mondovino avait sinon immortalisé puisque le film sera rapidement oublié, mais au moins montré. Intéressante présentation d’un des œnologues, Ludwig Vanneron qui se prête volontiers aux échanges et explique bien. On sent le discours prudent depuis la caricature de Mondovino. Nous goûtons ensuite plusieurs vins de l’écurie Michel Rolland. Je suis étonné par la douceur de certains d’entre eux, leur donnant du charme, et par l’agressivité moderniste de quelques autres. De cet échantillon, c’est de loin le château Bon Pasteur 2000, propriété historique de la famille Rolland qui me plait le plus. C’est un très bon vin. Y aurait-il du Jekill et du Hyde dans le « flying wine maker » ? Ce serait intéressant de comprendre pourquoi son nom est attaché à des vins délicieux et à des vins extrêmes.

séjour à Cordeilhan Bages lundi, 23 mai 2005

Transfert vers Bordeaux. J’arrive à l’hôtel Cordeillan Bages où je deviens un habitué. Accueil charmant. A mon arrivée je reçois une lettre. Son enveloppe calligraphiée ferait dire à n’importe quel ado « c’est chic grave ». C’est l’invitation personnelle de Corinne Mentzelopoulos à dîner à Château Margaux. Délicate attention puisqu’elle touche chaque membre de notre groupe là où il se trouve.
Par peur de la densité du programme qui démarre demain, je ne vais pas rejoindre les solides gaillards qui vont conquérir et investir Bordeaux. Je dîne dans l’auberge du Château Lynch Bages car Thierry Marx fait relâche le lundi. C’est à cinq cent mètres de l’hôtel. Ayant donné quartier libre à mon chauffeur, c’est un chauffeur de place qui me fait faire ces quelques mètres dans une Excalibur décapotée. Juste pour me remémorer l’inimitable bruit des huit cylindres américains qui semblent pomper un puits de pétrole à chaque accélération.
Le menu, inspiré des méthodes et du talent de Thierry Marx est très agréablement exécuté. Là-dessus, un blanc de Lynch-Bages 2003 fait évidemment un choc quand la mémoire est celle du Montrachet 1961 de Bouchard. Mais on s’habitue. Il est simple et agréable, s’accommode bien d’asperges blanches (oui), se montre joli sur le maquereau et encore plus à l’aise sur l’épaule d’agneau et une tomme de brebis. Je m’exerce, puisque demain nous reviendrons en ce même lieu. La semaine sera copieuse.