Archives de catégorie : billets et commentaires

Chine – fin du voyage, épilogue mardi, 17 mars 2009

Pékin, ville en plein bouillonnement comme le suggère ce chantier

Le soleil se lève sur mon dernier moment en Chine. La pollution se voit très tôt.

Il est temps de partir, mon avion est proche. Levé de bon matin je vois le soleil qui perce les fines particules de pollution. On ne le verra plus de la journée, tant le nuage de pollution le masque. Mon ami français s’est occupé de me trouver un chauffeur. Seul à l’arrière de la voiture je regarde cette ville. Un peu de tristesse me prend. Car cette ville attachante représente une aventure absolument spectaculaire. On ressent que l’univers des possibles est infini. Mais on sait aussi que cette aventure ne pourra jamais aller à son terme. La Chine nous montre que nous avons atteint les limites absolues de la planète, et je suis absolument fasciné par le fait qu’il n’y ait pas, au plan mondial, une immédiate procédure de survie. Les encombrements de la circulation à Paris ont la même responsabilité que ceux de Pékin dans l’avenir impossible de la race humaine.

Dans ce dilemme dont je mesure la totale impasse, je suis venu pour répondre à la soif de culture, l’envie d’apprendre, l’envie d’éprouver des sensations nouvelles d’un groupe de chinois cultivés. Je ne suis pas le seul bien sûr, mais j’ai éveillé une envie nouvelle. Constatant le répondant qu’a eu ma démarche, je pense remplir une toute petite case de la compréhension entre des univers aux cultures séculairement différentes.

D’un côté la certitude que le monde court à une limite asymptotique sans solution et de l’autre la joie d’avoir créé un pont culturel, tout cela, c’est un peu le yin et le yang.

Je suis heureux d’avoir vécu cette aventure et cette belle expérience.

Contact avec le propriétaire d’un musée du commerce lundi, 16 mars 2009

Lorsque mon ami architecte avait pensé aux chinois qui pourraient être intéressés par mes dîners, il m’avait suggéré un de ses amis qui, par un hasard extraordinaire s’était arrêté à mon hôtel dans les cinq minutes suivant l’appel de Li Wei, l’assistante chinois de l’architecte. Rendez-vous ayant été pris, je me rends au niveau du quatrième périphérique dans le musée en cours de finition, implanté le long d’un canal. Appelons Xue le propriétaire d’un ensemble de bâtiments récents, d’une belle sobriété. Cet ensemble comporte le musée de l’histoire du commerce chinois. Il faut dire que Xue est doté de multiples diplômes d’histoire, et récolte depuis plus de vingt ans tous les témoignages sur l’histoire du commerce en Chine. Ce musée sera complété par un club d’hommes d’affaires, et des résidences qui leur sont destinées. A ce titre, je peux l’intéresser pour ce qui permettrait de donner du lustre à son quartier d’affaires.

L’entrée du musée et une représentation d’un arbre sous lequel on faisait commerce

Une jeune femme me fait visiter le musée. C’est très pédagogique et ce qui m’a entre autres intéressé, c’est le commerce des feuilles de thé entre le centre de la Chine et Saint-Pétersbourg, ainsi que la création largement avant l’Europe d’un système bancaire avec prêts sur gages.

Un "livreur de feuilles de thé à travers la Mongolie et la Sibérie. Des chapeaux de commerçants

Des lingots d’argent. Ces outils pour peser les monnaies font penser que l’on est dans un trinquet ! A noter les deux petits pesons qui évoquent la forme de violons.

Après cette visite, dans le bureau de Xue et autour d’une tasse de thé dont les feuilles collent aux dents, nous avons bavardé. Xue a un visage fascinant car il représente pour moi l’image de la Chine ancestrale. Son visage est capable de ne montrer absolument aucune réaction  et aucun sentiment, comme s’il s’agissait d’un masque du théâtre chinois. Et à d’autres moments, il peut être chaleureux et charmant. Un personnage d’une force intérieure qui impressionne.

Je ne crois pas que nos contacts iront beaucoup plus loin, mais qui sait ? Il m’a promis de venir à l’un de mes dîners à Paris. Nous verrons.

Place Tiananmen dimanche, 15 mars 2009

La classique vue de la porte Nord avec le portrait de Mao. La photo de droite montre trois choses : la pollution, le rythme effrené des constructions, et la foule. Le 63.567ème en partant de la gauche, c’est moi.

La foule; l’une des portes

L’armée et les travailleurs dans une marche en avant pour écrire l’histoire.

Concert de l’orchestre symphonique de Berlin samedi, 14 mars 2009

Desmond m’a fait parvenir un billet pour un concert de l’orchestre symphonique de Berlin au « National Centre for the Performing Arts » de Pékin. Cet Opéra conçu par un architecte français est ouvert depuis deux ans. Le chauffeur de taxi qui m’y conduit ne doit pas le connaître, car il me dépose à près de deux kilomètres de l’entrée. Comme de gigantesques douves entourent cette bulle de mercure aux dimensions cyclopéennes, j’ai failli être en retard. Une foule immense se presse pour cette représentation et je constate qu’il y a probablement 95% de chinois. Non loin de ma place, Desmond est entouré de plusieurs amis dont la femme qui a assisté au dîner à la Maison Boulud.

Le programme de ce soir est exclusivement écrit en chinois, aussi me suis-je trouvé vis-à-vis du concert exactement comme en une dégustation de vins à l’aveugle : « je connais ce morceau par cœur, mais lequel est-ce ? ». Le chef Ingo Metzmacher a remarquablement interprété des morceaux très connus du répertoire classique allemand, et j’ai pu constater à quel point l’acoustique de la salle est remarquable. Plusieurs points me semblent absolument remarquables : cet opéra immense fait salle comble avec des chinois sur un programme de musique européenne. Quel succès aurait en France, auprès de français, un opéra jouant de la musique chinoise ? Le public que j’ai côtoyé montre une évidente envie d’apprendre. Des familles sont venues avec des petits enfants. Pas un seul ne s’est mal conduit. Les applaudissements se sont faits aux bons moments, sans manifestation intempestive, et les applaudissements et rappels se sont déroulés comme ils le devaient. C’est une assez belle leçon de comportement. Lorsque nous sommes sortis de la salle avec les amis de Desmond, l’un d’entre eux me demande : « n’êtes vous pas déçu par ce pays retardé ? ». Je lui ai dit que mon impression au contraire est largement positive.

Je suis rentré à pied en traversant la place Tien An Men. La présence policière et militaire est assez forte. Est-ce dû au congrès du Parti Communiste Chinois ?

Il y a dans ce pays beaucoup de choses qui me surprennent positivement.

Quelques instantanés samedi, 14 mars 2009

En rentrant de l’Opéra à mon hôtel, je croise une foule extrêmement jeune. Le nombre de jeunes filles de 15 à 25 ans est extrêmement élevé, et dans les groupes de jeunes, il y a le plus souvent deux fois plus de filles que de garçons.

Quand ces jeunes filles seront mères, la population de la Chine s’éveillera…

Le long d’un haut mur d’enceinte il y a des bancs. Et sur ces bancs publics des couples s’enlacent et se bécotent. Plus loin, un jeune photographie sa belle en profitant de l’éclairage indirect d’une lampe qui éclaire le mur. Tout cela est frais.

Les petits groupes militaires paradent ici et là avec une marche forcée saccadée. Il est interdit de les photographier. Ils sont jeunes, aux visages poupins.

Même de nuit on photographie l’immense portrait de Mao Tsé Toung alors que l’éclairage public est éteint.

Cette ville est d’un bouillonnement assez spectaculaire. Savoir qu’on y a applaudi Beethoven en forçant trois rappels pour honorer le chef d’orchestre donne de la Chine une autre vision. Est-ce la bonne, je ne sais pas, mais c’en est une.

Déjeuner au « Da Dong Roast Duck » samedi, 14 mars 2009

Desmond avait rempli mon emploi du temps de façon autoritaire, mais il n’a donné suite à aucune des activités pour lesquelles je croyais qu’il allait me guider. J’ai béni ce qui doit être une incompréhension de ma part, car j’avais vraiment besoin de repos. Il avait cependant fixé que nous déjeunerions ensemble le samedi midi au « Da Dong Roast Duck » qui est selon ses termes, le plus grand restaurant de canards de Pékin. La veille je reçois un mail de Maggie sa secrétaire m’informant que Desmond ne pourra honorer ce rendez-vous et elle me demande si j’accepte de déjeuner avec elle. La réponse est oui aussi à l’heure dite, je me présente au restaurant. Il est bardé de diplômes.

Lorsque je donne son nom, personne ne comprend. Et comme dans tous les sketches sur ce même sujet, quand enfin on a compris de quel nom il s’agit, on prononce son nom strictement comme je l’avais prononcé. C’est du moins ce que je crois, mais je sais que c’est faux. Ce restaurant qui ne paie pas de mine accueille un nombre de couverts qui est spectaculaire. La Tour d’Argent avec ses canards ne doit pas atteindre le vingtième du débit de ce restaurant. Les serveurs qui découpent les bêtes laquées ont une dextérité fascinante, avec un mode opératoire où chaque geste a une signification et une utilité précises. Maggie a trente cinq ans alors que je lui en donnerais dix de moins. Elle est souriante et nous avons aimablement bavardé tout en profitant d’une cuisine généreuse et épicée. Nous commençons par du foie gras de canard que je trouve un peu pâle de goût et sec et le plat suivant, rehaussé d’une sauce qui demande un extincteur, me déplait franchement, car je croque des choses bizarres. Je chausse mes lunettes, et quand je découvre qu’il s’agit des pattes écailleuses des canards découpées en fines lamelles, je n’y touche plus. La suite est largement plus agréable, car la chair du canard est réellement délicieuse et cuite à la perfection.

les foies de canard et les affreux lambeaux de chair des pattes

les as de la découpe et notre canard

des gestes précis et le plat servi

Dîner au restaurant français Jaan de l’hôtel Raffles vendredi, 13 mars 2009

Dîner au restaurant français Jaan de l’hôtel Raffles

La journée du lendemain est destinée à récupérer de la fatigue et du stress puisqu’il aura fallu plus de quatre mois pour que ce dîner se mette au point. Je ne sais plus si je suis en jet-lag, puisque je dors à des heures où aucun des deux rythmes, chinois ou français ne permet de justifier ce sommeil et il en est de même pour les périodes de veille. Je m’astreins à faire le compte-rendu de tous les événements passés car si je ne le fais pas, le deuxième dîner à Pékin effacera la mémoire de cet événement.

L’hôtel Raffles loge plusieurs restaurants. J’ai essayé le japonais, où l’on mange sobrement dans une ambiance séculaire qui ne pousse pas naturellement à la gaudriole. Le restaurant mi chinois, mi-italien était assez sinistre car manquant totalement d’ambiance. Il me reste à essayer le restaurant français Jaan dont j’avais croisé le chef par hasard dans l’ascenseur. Jeune et souriant, il donne  confiance. Dans une grande salle à colonnades, un bar et un salon avec piano se situent à gauche. Derrière des tentures entre les colonnes de droite se situe le restaurant français. L’accueil est sympathique et l’ambiance est vraiment la plus agréable des trois restaurants. J’entends parler français à beaucoup de tables. La cuisine de ce jeune chef explore des saveurs orientalistes et c’est un essai très intéressant. Hélas, si l’on présente un joli pavé de cabillaud, dont la cuisson est un peu juste, et s’il y a des arêtes, la sympathie tombe de haut. Admettons qu’il puisse s’agir d’un mauvais hasard, puisqu’il semble se confirmer que j’attire vers moi les petites imperfections, comme le fait une vieille sardine avec les chats du quartier.

Chine 7 – Le matin d’un grand jour et l’ouverture des vins jeudi, 12 mars 2009

L’hôtel où je réside a le délicieux avantage de rassembler une bonne partie de tout ce que je déteste. Il y a toujours l’employé dévoué qui, au moment où vous avez du miel qui coule dans la manche de votre pyjama, vient vous demander si vous n’avez pas des chaussettes à faire laver. Il y a toujours un autre employé qui, au moment où vous trébuchez en enfilant une jambe de votre pantalon vous demande s’il peut venir remplir le minibar. Il y a la gentille femme de chambre qui fait votre chambre mais oublie de remplacer les serviettes. Il y a le concierge zélé qui vous informe au téléphone que le taxi que vous avez demandé est là mais quand vous arrivez dans le hall vous déclare qu’il n’est plus là car il ne pouvait pas attendre. Et il y a aussi votre fidèle pomme de douche qui distille le chaud et le froid pour vous surprendre. Ma matinée s’est donc passée à maudire le génie humain qui exclue l’excellence.

Un intermède sympathique se passe dans le hall d’entrée de l’hôtel. J’attends que ma chambre soit nettoyée et l’on m’apporte un message disant qu’une personne dont le nom ne me dit rien veut me saluer. Il s’agit d’un autrichien qui vit à New York et qui va participer aux deux dîners à venir. Il se présente et nous parlons de vins. Je sens son enthousiasme pour l’expérience de ce soir. Cela me motive. Je prends ensuite un frugal sandwich en chambre pour déjeuner, entrecoupé d’initiatives de service purement agaçantes. Un taxi me conduit à quatorze heures à la maison Boulud.

Je vais ouvrir mes bouteilles à la cave, car il ne me semble pas opportun de les remonter en salle pour ensuite les redescendre. Mais l’odeur de frites et d’oignons frits qui envahit le voisinage me fait plutôt peur. Je montre à Koen comment j’officie et l’ouverture ne me pose aucun problème majeur. Les odeurs de La Tâche 1961 et du Cros Parantoux Henri Jayer 1989 sont assez fermées, alors que celles du Corton Charlemagne Jean François Coche Dury 1996 sont comme le klaxon d’un routier international. C’est une explosion de parfums. Mes deux Chypre 1845 sont l’expression absolue de mon graal. Je suis assez satisfait. Avec Koen le sommelier je remonte de la cave les vins rouges dans la salle que nous utiliserons. Les autres vins sont mis à rafraîchir. Croisant Daniel Boulud, je lui suggère qu’un peu de poivre noir imprègne les madeleines car les vins de Chypre ont une forte odeur de cette épice. Daniel intègrera brillamment ce souhait.

Je corrige les fautes d’orthographe ou de présentation des menus imprimés par le restaurant et c’est l’heure d’une petite sieste à mon hôtel.

Chine 6 – rencontres inattendues mercredi, 11 mars 2009

Grâce à mon frère j’ai connu il y a une dizaine d’années un architecte de grands projets qui a donné son nom à des réalisations brillantes en France et agit comme consultant en Chine sur de très importantes opérations. Il conseille des villes qui ont des populations supérieures à l’Ile-de-France et je me souviens que venant avec son épouse dans notre maison du sud il y a quelques années, il mettait la dernière main au projet d’un grand théâtre chinois. Cela fait longtemps que nous cherchons à nous voir mais nos agendas sont impuissants à s’accoupler. Avant de partir en Chine, j’avais lancé un appel en lui demandant si par hasard il ne serait pas en Chine quand j’y serai. La fenêtre de tir est d’un soir, ce soir, et Denis me rejoint avec son assistante Li Wei. Je suis tellement fatigué par les longues marches de ce jour dans le froid que je leur demande de dîner dans mon hôtel, alors qu’ils ont retenu une table en ville. Nous choisissons un restaurant qui fait à la fois chinois et italien. De premier abord on pourrait penser qu’il y a eu un effort de décoration, mais le lieu est sinistre, froid, rebutant. Cela ne fait rien, car les retrouvailles ont un parfum trop précieux.

Je parle de mes dîners à venir à Pékin en montrant les menus et Denis cherche si l’un de ses amis chinois pourrait être intéressé. C’est Li Wei qui lui suggère un nom. Denis lui dit : « appelle-le ». Elle demande d’être un peu guidée dans le message et appelle le riche ami. Par un hasard extraordinaire, l’ami sort de l’Opéra à l’instant même et son chauffeur se trouve à quelques centaines de mètres de l’hôtel. Aussi, à peine a-t-elle raccroché qu’un couple souriant d’une quarantaine d’années s’assied à notre table. La conversation se tient en chinois aussi Denis et moi entamons la conversation et Li Wei traduit. Je suis assez fasciné de voir que ce que j’exprime en une dizaine de mots prend soudain l’épaisseur du dictionnaire Littré en douze volumes. Car Li Wei, parle, parle, parle et parle encore. Elle m’expliquera plus tard qu’elle profite de chaque intervention pour rajouter quelques anecdotes qui avaient été évoquées avant leur arrivée. L’ami chinois, qui va prochainement inaugurer un grand musée dont il est le propriétaire et initiateur, pose beaucoup de questions pour comprendre le monde des vins anciens qui lui est totalement inconnu. Nous discutons longuement et l’entretien se conclut par une invitation qui m’est lancée de visiter son musée non encore ouvert pendant mon séjour. J’irai avec Li Wei qui semble appréciée par notre interlocuteur.

Il s’avère ainsi que l’amitié est importante en  Chine. Car Denis apparaît comme un grand ami de ce chinois et de son épouse. Alors qu’ils rentraient chez eux, ils ont fait un crochet à cet hôtel, ont accepté que l’on parle des activités inconnues d’un inconnu, et ils envisagent de revoir cet inconnu, parrainé par Denis. Il y a en tout cela une ouverture d’esprit qui me paraît remarquable. Ce pays me surprend en bien.

Lorsque nous nous embrassons Denis et moi au moment de nous quitter, nous lançons quasiment simultanément : « si nous voulons nous revoir, prenons donc rendez-vous en Chine ! ».

Chine 5A – visite de la Cité Interdite – photos mercredi, 11 mars 2009

La forme carrée de la Cité Interdite est celle de la première lettre qui représente le mot Chine. Le carré est coupé par une ligne verticale en son centre, qui est le méridien, chemin impérial qui traverse la Cité du Nord au Sud. On voit ce chemin sur la photo.

Plutôt que de montrer des vues générales que l’on voit partout j’ai choisi quelques détails

Le dragon contraste fortement avec ces jeunes qui posent devant un arbre de fidélité

Les genoux de l’éléphant se plient de bien curieuse façon

Détail de toiture et détail d’encadrement de porte

A droite, une clef de porte; à gauche certains ont gratté le grand vase, en espérant récupérer quelques grammes de métal précieux