Les achats de vins se poursuivent. Nous avons retrouvé avec bonheur des vins de Chypre, des Malvoisie de la première moitié du 19ème siècle, qui nous donneront l’occasion de belles dégustations. Nous avons pris livraison de Mouton 45 si beaux, et attendons avec impatience l’arrivée d’un Mouton 1900 qui est une légende, même supérieure à celle des Mouton 45.
La véritable inconnue qui interpelle tout le monde du vin, c’est l’attitude qu’il faut avoir vis-à-vis du millésime 2000. Nous allons en acheter un peu, mais ils figureront aux dîners de wine-dinners de nos petits enfants !!!
Depuis quelques mois, nous « ratons » tous les Romanée Conti des années récentes, tant les prix grimpent à des sommets quasiment inatteignables. Les prix de tous vins dans certaines ventes et dans certains restaurants dissuadent même des acheteurs qui se donnent de gros budgets. La mise en vente de l’année 2000 va peut-être servir de révélateur de réveils brutaux.
Nous allons bientôt créer le site de Vimperiale.fr, qui vendra des vins qui ne seraient pas réservés pour les dîners de wine-dinners. Comme notre intention n’est pas de lancer un vrai commerce, il s’agira plus de faire profiter à certains membres de wine-dinners de bons achats que nous réalisons.
Le local du futur Musée du vin a été acheté. Il faut maintenant l’équiper. Il y en aura pour plus d’un an.
Il faut se préparer pour le dîner 13, et les dîners de la rentrée. Pour finir, une citation de Winston Churchill : « Je ne suis pas difficile, je me contente toujours du meilleur ». Voilà de quoi se motiver pour de bonnes dégustations.
Dîner de vins surprises organisé par un ami mardi, 29 mai 2001
Pendant ce temps, notre ami Jean-Luc Barré continue d’animer des repas dans un esprit parfois différent. Tout récemment il réunissait des amis de longue date, qui connaissent suffisamment le vin pour « affronter » des bouteilles surprenantes, dont nous essayons de ne pas prendre le risque à wine-dinners, pour le moment. Le thème de Jean-Luc était celui de vins surprise, rarement mis sur des tables. Il y aurait donc des vins plus risqués. Avant l’apéritif, un Riesling 1970 de Charles Schelleret, un peu fatigué pour mon goût, mais typique Riesling de belle couleur. Puis un fabuleux Ambassadeurs des années 30. Tous ces apéritifs à base de vins vieux, avec des ajouts tantôt de quinine, tantôt d’écorces d’orange, apportent avec l’age une rondeur et une douceur qui en font des apéritifs parfaits. Un Saumur 1967 et un Sancerre 1959 suivirent. Nécessitant une grande oxygénation, ils ont délivré assez discrètement les caractéristiques de leur région. Pas aussi bon que des vieux Sancerre bus dans des dîners précédents.
Un Haut Bages Averous 1934 a révélé un nez splendide. Son frère aîné de 1929, Haut-Bages Averous aussi avait moins de nez mais plus de corps. Ils amenaient bien, comme la cape conduit le taureau au picador et aux banderilles vers un éblouissant Chauvin 1929, déjà dégusté, et ici de superbe texture, équilibre et sensation de plaisir. A titre d’anecdote, le fait de l’avoir goûté de nouveau et si bien apprécié m’a conduit à racheter deux bouteilles de Chauvin 29 qui – fait du hasard – étaient en vente le lendemain en salle de ventes.
Un Cahors Château de Caix de 1952 avait une jeunesse extrême. Impossible de le dater à l’aveugle dans cette décennie, tant il avait de fruit. Un vieux Cahors, fort curieusement écrit Caors de 1942 de Rolland et Cie m’a moins séduit. Une curiosité extrême dont Jean –Luc Barré a le secret : un Côtes d’Agly, appellation disparue du Roussillon, de 1928, de provenance hôtel Claridge est apparu merveilleux, sublime, doux, riche et goûteux. Le Romanée du pape de 1927 qui lui a succédé ne m’a pas séduit, Clos du Calvaire. Un Langoiran de 1949, de Roger Lafard est toujours une valeur sûre : douceur, discrétion, mais goût affirmé et pénétrant. Un bon Langoiran. Il fut suivi d’une finesse extrême, celle d’un Coteaux du Layon 1947, mythe s’il en est, Clos de l’Aiglerie. Très agréable, mais que je n’ai pas trouvé typique de sa région. Un vin « autre ». L’excellent repas de David Van Lear a été conclu sur une splendide folle blanche de 1948.
En fait, entre amis, on peut prendre des risques. En l’occurrence, il suffit d’avoir goûté l’Ambassadeurs, le Chauvin 29, le Agly 28 et le Layon 47 pour avoir goûté des vins de vrai plaisir. Et les autres se prennent alors comme des curiosités, des essais formateurs.
Ce type de dégustations n’interviendra dans wine-dinners qu’avec des amateurs dont nous connaîtrons les goûts. Pour l’instant, l’offre plus classique qui existe est le repère indispensable dans l’ascension à laquelle vous êtes conviés.
Annonce du futur dîner de wine-dinners au restaurant Laurent mardi, 29 mai 2001
On débutera par l’évocation d’un dîner, organisé de façon spontanée, et qui a trouvé preneur le jour même de sa conception. Il aura lieu début juillet. Son contenu est le suivant : champagne « S » de Salon 1983, Montrachet 1945 de Roland Thévenin (celui que j’ai décrit dans le bulletin 9), Haut-Brion 1945, et Yquem 1908. L’idée de ce repas à 4 vins au lieu de 10 est venue de la façon suivante : il y a déjà plusieurs personnes qui ont retenu des places pour nos dîners les plus chers. Mais comme à ce jour on limite la promotion de wine-dinners afin de ne pas être en situation de ne pas satisfaire la demande, on risque d’attendre avant d’organiser les plus rares dîners. Aussi ce repas a été conçu pour faire « patienter » les convives des dîners numérotés 8 à 12. A peine après avoir diffusé l’idée du dîner, il était déjà retenu. Ce qui me donne l’occasion de vous faire une proposition de même nature : si vous voulez un repas à 5 personnes et 5 vins, par exemple, mais avec un seul « donneur d’ordre » qui vient avec les convives de son choix, des propositions vous seront faites dans ce sens, en adaptant l’offre au budget possible. En prenant Haut-Brion 45 et Yquem 1908, il est clair qu’on a plutôt visé le haut de cible.
DES Achats en salles de vente dimanche, 29 avril 2001
Même si la cave de wine-dinners est plus qu’abondamment pourvue, on achète en permanence. Sur cette quinzaine, Romanée Conti 81 et 82, des Yquem 88 que nous aimons tant (à boire plus tard mais aussi maintenant), mais surtout des Mouton Rothschild 1945. On dit que c’est le plus grand Bordeaux qui ait été fait. Il faudra le goûter pour le vérifier, car à ce jour, c’est Mouton 1900 qui est la bouteille de Bordeaux la plus transcendantale que nous ayons bue. Inutile de dire que pour participer à cette expérience, cher lecteur, vous avez intérêt à être un fidèle client de wine-dinners. Ce qui constitue une forme élémentaire mais totalement assumée de « chantage ».
Un dîner d’amis lundi, 23 avril 2001
Un dîner où j’étais invité. Voulant faire plaisir à mes hôtes, j’ai apporté trois vins – ce qui n’était pas prévu – mais qui ont trouvé une place de choix avec une succulente cuisine : un Monbazillac non daté, mais certainement récolté vers 1950 succulent, doré, rond liquide puis s’épanouissant bien en bouche, gras, et avec une profondeur et une persistance très grande. Sur un foie gras aux figues, une merveille de combinaison. Le grand vin, ce fut un Montrachet 1945 de chez Roland Thévenin : couleur or cuivré et ambré, nez très large, des agrumes, des épices, des fruits. Une large palette aromatique en bouche et une longueur inimaginable. Une acidité qui est le signe de la race et de la puissance à long terme, mais qui ne gène en rien la dégustation. Une marque de jeunesse extrême, une absence totale de madérisation; un vrai grand et exceptionnel vin blanc de fraîcheur, charme et jeunesse, qui subjugue par la richesse des arômes complexes. Sur un imposant bar de ligne, le mariage était une évidence : rien ne pouvait s’unir mieux que ce poisson et ce vin sublime. Ensuite, un château Despagne Graves 1962 : une étrangeté absolue. La couleur est dorée comme un vieux Sauternes de cet âge, et en bouche il évoque les premières côtes de Bordeaux, les Langoiran, les très bons Romanée, mais jamais un Graves. Et même pas en tête l’idée que ce pourrait être un vin madérisé. Non, un chatoyant Bordeaux liquoreux léger, avec cette subtilité, cette finesse exceptionnelle de raffinement simple. Sur une fourme, puis sur des entremets caramélisés, l’association était parfaite. Cette bouteille sera sans doute photographiée pour le musée sur le site www.wine-dinners.com du fait de l’étrangeté de son goût exceptionnel.
UN déjeuner à thème sur Yquem au Maxim’s vendredi, 20 avril 2001
J’ai rejoint un déjeuner privé dont on avait réglé l’ordonnance autour de trois Yquem. D’abord Yquem 95 étonnamment accompli pour un Sauternes de cet âge, de belles caractéristiques de race et de maturité. Le beau Yquem qui va bien vieillir, et va faire partie de la famille des plus grands, comme les 21 ou les 47. Sur une sole, le mariage était excellent, la sole parfaitement cuite magnifiant le goût de façon sensible. Un Yquem 82 très ambré, de belle couleur dorée, au très beau nez capiteux. Beaucoup de charme et de rondeur, des notes déjà fumées et caramel mais étonnamment, c’est le moins long en bouche des trois. Le plaisir est plus immédiat, distingué, mais plus charnellement court. Sur une volaille, l’association n’apportait pas beaucoup. Ensuite Yquem 81 : beaucoup plus clair, jaune limpide et vert, et ensuite tout en subtilité : nettement moins envahissant que le 82, il plait plus par sa séduction retenue. Et il a un final très attachant, les saveurs complexes d’agrumes, de légères épices permettant une longue suavité discrète mais persistante. Sur une tartelette aux fraises, seule la pâte délicieuse enrichissait le Yquem, car la fraise est en lutte. Belle association avec les mignardises. Un repas fini sur un chaleureuse fine champagne de plus d’un siècle de la collection de Maxim’s.
Un dîner parisien comme il en existe dimanche, 15 avril 2001
Un dîner parisien comme il en existe, où l’on boit des vins assez moyens du fait du nombre de convives. Pas de véritable plaisir gustatif, même si la cuisine d’un grand hôtel parisien est marquée par la patte d’un grand chef. Le vrai plaisir fut de me trouver placé à coté d’un « nez », une femme qui conçoit des parfums. La confrontation de nos approches olfactives et gustatives m’a enthousiasmé. C’est assez impressionnant de voir quelqu’un qui trouve toutes les composantes d’un plat, y compris les épices, et, plus spectaculaire encore, qui perçoit au nez la trame fondamentale d’un vin. J’ai trouvé un même sens de la synthèse chez Guy Savoy, qui est capable de trouver instantanément « le » principe fédérateur d’un vin. J’ai pu avec beaucoup de plaisir voir où l’analyse d’un nez et l’approche d’un « goûteur » de vins se rejoignent ou s’éloignent. Je garde de ce moment l’envie de faire se confronter prochainement des œnologues de talent et un ou des nez. Les approches seront très enrichissantes à additionner.
dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol jeudi, 5 avril 2001
Dîner du 5 avril 2001 au restaurant de Patrick Pignol
Bulletin 8
Champagne Charles Heidsieck 1982
Laville Haut-Brion 1987
Laville Haut-Brion 1966
Mercurey blanc Marcel Amance 1976
Château Ducru Beaucaillou 1969
Château Figeac 1967
Beaune Cent Vignes Nicolas 1969
Pommard Rugiens Pierre Clerget 1961
Vosne Romanée Thomas Frères 1943
Lafaurie Peyraguey 1964
Château Doisy Barsac 1921
Rhum 1960 #
Le menu conçu par Patrick Pignol
Tranche de saumon et crème à l’asperge
Langoustines royales
Chausson de céleri et truffe
Pigeon
Roquefort
Bananes poêlées et madeleines
Dîner de wine-dinners au restaurant de Patrick Pignol jeudi, 5 avril 2001
Ce récit est dans le huitième bulletin. Patrick Pignol le talentueux chef du restaurant éponyme, nommé aussi Relais d’Auteuil, a reçu les dix convives d’un dîner de wine-dinners. Dans la salle un bel espace avait été réservé, avec une table accueillante et des dessertes pour les vins et les verres.
Les vins avaient été apportés deux jours avant. Deux vins furent ouverts dès 15 heures et les autres à 18 h 30. Nous avons déterminé si les vins devaient être aérés, ou au contraire devaient avoir une oxygénation minimale. Aucune mauvaise surprise, et même des parfums envoûtants : Pommard et Vosne Romanée. Les promesses étaient belles et rassurantes pour tous les vins, ce qui n’arrive pas toujours.
Fort à propos, et guidé sans doute par son grand amour des vins, Patrick Pignol a décidé de mettre en valeur les vins par des produits de qualité cuisinés de façon discrète. Cet effacement apparent mettait encore plus l’accent sur la finesse de sa cuisine, puisque chaque petite touche allait accompagner la découverte des crus. Une tranche épaisse de saumon avec une discrète crème à l’asperge s’est associée au champagne et au premier Laville, des langoustines royales coupées en deux et juste cuites sans aucune fioriture accompagnaient deux blancs, un délicat chausson de céleri et truffes mettait en valeur les Bordeaux, un pigeon à la chair succulente se mariait aux puissants Bourgogne. La seule petite erreur, qui nous est imputable, est le choix des fromages sur le Vosne Romanée qui aurait dû se boire seul. Un Roquefort mettait en valeur le premier Sauternes, et des bananes juste poêlées ainsi que des madeleines offraient les honneurs au phénoménal Sauternes final.
Nicolas, sommelier attentif et respectueux des vins a assuré un service remarquable, ainsi que toute l’équipe jeune et professionnelle de Patrick Pignol.
Le Charles Heidsieck 1982 avait une belle limpidité, des bulles abondantes, et ne montrait aucune trace de début de madérisation. Il avait gagné en rondeur du fait de l’âge. Le Laville Haut Brion 1987 a laissé éclater un nez époustouflant : l’archétype du Bordeaux blanc, avec ces senteurs d’agrumes et de fruits de mer. On ne se lassait pas de le sentir, et plusieurs convives avaient le verre au niveau du nez. C’était un vrai plaisir de le sentir. En bouche, un goût de Bordeaux très orthodoxe, dont un convive a signalé le gras inhabituel pour cette année. Ce même convive avait apporté un Laville 1966 qui a été bu juste à la suite. Quelle expérience intéressante, le 66 étant beaucoup plus riche, plus puissant et plus accompli. Je craignais qu’il n’écrase le Mercurey blanc Marcel Amance 1976 qui a parfaitement trouvé sa place à la suite. Une couleur d’un jaune épanoui, un nez subtil qui permettait une confrontation des Bordeaux blancs et Bourgogne au plus haut niveau. Quelqu’un a signalé que ce Mercurey avait tout d’un Montrachet, tant sa palette aromatique était étendue. Une réussite.
Les Bordeaux avaient été choisis dans un registre de discrétion. Le Ducru Beaucaillou 1969 a montré de très belles qualités, assez généreux alors que le Figeac 1967, d’une structure plus noble, gardait un peu de réserve. Pour des vins de subtilité, la truffe a réveillé le message.
Les Bourgogne au contraire avaient été choisis pour se placer sur un registre de force et de puissance. Le Beaune Cent Vignes Nicolas de 1969 était vraiment remarquable. Riche onctueux, très typique, il a montré comme 1969 est une belle année en Bourgogne. Le Pommard Rugiens de Pierre Clerget de 1961 a commencé de façon discrète. Le 1961 ne se voulait pas écrasant. Puis, plus ouvert, il a montré des saveurs éclatantes, et une plénitude en bouche prenante. Les deux vins, goûtés ensemble, étaient un festival de goûts riches, accomplis, ou toute aspérité bourguignonne avait disparu. Un étonnement de plaisir pour tous les convives.
Lorsque le Vosne Romanée de Thomas Frères 1943 fut servi, j’ai eu un petit moment d’interrogation. Il est époustouflant, mais il est plus difficile à comprendre du fait de son âge. La complexité prend le pas sur la chaleur envahissante des deux précédents. Fort heureusement, en s’oxygénant, le Vosne Romanée est devenu flamboyant et plus facile à comprendre, et la qualité gustative de convives compétents a fait le reste. Ce vin a montré une noblesse rare, les signes de fatigue étant inexistants.
Le Lafaurie-Peyraguey 1964, d’une belle couleur dorée s’est révélé un chatoyant Sauternes tout en bonheur, très orthodoxe et rassurant. Un vrai plaisir sur le Roquefort.
Enfin, la vedette absolue de la soirée, le Doisy 1921 a conquis tout le monde. Sauternes exceptionnel, avec des milliers d’arômes dans toutes les directions possibles de fruits, de sucres et d’épices. En bouche, une plénitude et une longueur que l’on ne peut pas imaginer tant que l’on n’a pas bu des Sauternes anciens. Les plus courageux et couche tard finirent la soirée sur un délicieux Rhum de 1960.
Bien que ne se connaissant pas, tous les convives bavardèrent allègrement dans une ambiance « studieuse » mais enjouée. Une anecdote intéressante. Demandant à chacun de classer les quatre vins les plus impressionnants de la soirée, sur dix convives il y a eu dix réponses toutes différentes, ce qui conduit à deux conclusions : d’une part le goût est très personnel, et ne se décrète pas. Chacun a des saveurs qui lui conviennent mieux. Et la deuxième c’est qu’il y avait une concentration rare de vins à pleine maturité pour qu’ils puissent aussi nombreux être classés en tête par au moins un convive.
Il n’y a eu aucun déchet ou aucun vin fatigué. Les vins ont été servis dans des conditions d’ouverture et de température idéales. La cuisine d’un grand chef au service de grands vins. Le sourire et l’accueil de Madame Pignol.
Tout ceci a permis de réussir une belle soirée. On aura bu onze vins sans aucune impression de saturation ni de confusion. La formule choisie est la bonne. C’est un souvenir éternel pour tous les convives.
Dîner au restaurant Guy Savoy mardi, 3 avril 2001
Pour une fois, au lieu de raconter un dîner à plusieurs vins, avec de nombreux convives, je vais vous raconter un dîner en tête à tête, avec un seul vin phare. Mais l’histoire mérite d’être racontée.
L’histoire commence il y a quelques mois. J’étais déjà client chez Guy Savoy, mais il n’y avait aucune raison qu’il m’ait remarqué. Les choses ont changé lors de ce fabuleux déjeuner dont j’ai déjà eu l’occasion de parler, et que j’évoque sur le site www.wine-dinners.com : cette dégustation de 20 millésimes d’Yquem. Le déjeuner chez Guy Savoy m’a permis de lui faire goûter un vin de Chypre 1845 pour lequel il m’a fait ainsi qu’à mon épouse deux jours plus tard un plat divin : un poulet cuit en papillotes, avec un jus de réglisse.
Depuis, nos relations se sont un peu approfondies, et je lui ai demandé si je pouvais réserver une table pour deux et apporter une bouteille pour laquelle je lui demandais un plat de son invention. Il accepta. Je n’avais pas d’idée en tête, mais je choisirais parmi des bouteilles à niveau assez bas que j’ai repérées dans ma cave. Dans le nombre, il est normal que quelques bouteilles anciennes évoluent vers cet incident : la perte de niveau. Deux jours avant le dîner, je pris en cave une bouteille d’un Chambertin 1934 de Charles Viénot. Cette bouteille provenait de la vente exceptionnelle que Pierre Cardin avait faite avec liaison en duplex entre New York et Paris d’une partie de la cave du Maxim’s. C’est à cette vente qu’une caisse de Mouton 1945 avait atteint la cote de 500.000 F. J’avais acheté une caisse de Chambertin 34, dont je prélevais cette bouteille.
J’avais livré cette bouteille deux jours avant le dîner, avec cette instruction : à stocker droit, à ouvrir à 18 h 00 le jour du dîner. Et j’avais ajouté : « si jamais le vin pue à l’ouverture, ce n’est pas grave ». J’avais aussi demandé qu’on me garde le bouchon, pour que j’étudie pourquoi le niveau avait baissé.
Arrivant à 20h30 avec mon épouse, je vis Eric Mancio, le talentueux sommelier de chez Guy Savoy, et lui demandais : « alors comment s’est passée l’ouverture ». Il fit une moue dubitative et me dit : « c’est spécial ». Je lui demandais si la bouteille sentait mauvais à l’ouverture ce qu’il me confirma, et il me dit que le bouchon s’était détruit à l’ouverture.
Passant à table, il versa quelques gouttes pour ma femme, mais nous le stoppâmes car ma femme ne boit pas. Le vin resta dans ce verre et je vous en dirai plus. Je humais mon verre et fus pleinement satisfait de ce que je découvrais : belle odeur, plaisante et charmante, mais pas très exprimée. Eric Mancio continuait d’avoir sa moue dubitative. Je lui demandai de se verser un verre afin qu’il puisse suivre l’évolution du vin. Il le sentit et me dit : « je ne suis pas à l’aise avec ce vin. Je n’ai pas de repère. Ce n’est pas un vin fait pour moi ». J’imagine qu’il pensait que ce vin allait rapidement s’évanouir, ce qu’il redoutait. Nous avons commandé l’entrée, puisque le plat avait été prévu par Guy Savoy : un pigeon. Je pris un plat aux lentilles et truffes, et ma femme des oursins aux crosnes. Sur les délicieuses lentilles, le vin s’exprimait si bien que j’en étais tout nerveux, et voulus que Guy Savoy vienne goûter l’association. Guy Savoy me dit : « attendez donc l’accord avec le pigeon ». Pendant ce temps le vin s’améliorait et soudain Eric Mancio me dit « est-ce que vous me permettez de porter ce vin en cuisine ». C’était un signe qui se traduisait par : « ça y est, je trouve enfin que ce vin est bon ». Et Eric Mancio est allé de surprise en surprise, pendant que je continuais de le déguster et que ma femme suivait au nez ses évolutions extraordinaires.
Puis le pigeon est arrivé. Une impression unique et extraordinaire : l’odeur du plat et l’odeur du vin étaient strictement identiques. L’un était la photocopie de l’autre. Et Guy Savoy nous expliqua : « depuis son ouverture, le vin a tellement changé que j’ai dû adapter la sauce en permanence. Les saveurs qui apparaissent immédiatement sont celles de réglisse, de poussière et de sous-bois. Du fait de sa structure, j’ai choisi de mettre des cèpes déshydratés, de rajouter une petite galette fine au chocolat, et de mettre un peu de vieux Rivesaltes dans la sauce ». Et l’ensemble était éblouissant. Le vin s’était épanoui, et comme on allait de plus en plus vers le bas de la bouteille, la concentration du vin devenait extrême. Le vin, assez discret mais prometteur au début tenait ses promesses, et gagnait en rondeur, et prenait une jeunesse de plus en plus évidente. Eric Mancio, qui était revenu de son impression première était subjugué par la révélation de ce vin riche, jeune et puissant. Sur la fin de la bouteille je demandai plusieurs verres pour séparer ce qui restait du vin et ce qui devenait du tanin quasi solide, que j’ai bu (ou mangé) séparément. Les dernières gouttes de liquide étaient si belles que je les ai humées pendant plus de dix minutes, profitant des parfums sans boire. Puis je bus les premières gouttes versées dans le verre de ma femme. Etonnement : ces quelques gouttes étaient restées dans leur état de départ, encore assez coincées et n’avaient pas du tout évolué, contrairement au reste du vin.
La suite du repas fut charmante : sur un Rivesaltes de 1950 je commandai une rhubarbe. Eric Mancio m’avait prévenu que cela n’irait pas, mais j’aime tant la rhubarbe. Je me suis laissé aller à commander le dessert qui va avec le Rivesaltes : un merveilleux dessert à l’orange, qui se marie de façon étonnante avec le vin.
Soirée réussie, accords parfaits. Le pigeon dont tous les ingrédients se structuraient d’eux-mêmes en s’ajoutant harmonieusement, le vin qui évolue jusqu’à la perfection totale, et à la fin ce commentaire d’Eric Mancio qui fait chaud au cœur : « je n’imaginais pas que ce vin allait révéler autant de jeunesse. J’apprends des choses étonnantes avec vous ».
Une réflexion : probablement beaucoup de personnes non initiées resteraient sur une première impression qui est celle de rejet ou d’incompréhension. C’est ce qui justifie l’intérêt des dîners de wine-dinners, pour apprendre et côtoyer la perfection de vins qui ne demandent qu’à être aimés et appréciés.