des accords divins à l’hôtel des Roches au Lavandou samedi, 8 juillet 2006

Nous repartons ensuite dans le Sud et l’envie de retourner à l’hôtel des Roches nous prend. Le site a pris ses habits d’été. Les estivants sont nombreux. Des femmes outrageusement bronzées voire copieusement liftées sont l’accessoire indispensable du vacancier comme sa carte de crédit en or ou en platine. L’ingéniosité des fabricants de textiles permet d’audacieuses tenues qui dénudent suffisamment pour que l’on puisse vérifier que les bronzages sont intégraux.

L’équipe de Matthias Dandine n’a pas encore la morgue qui sied à ce type d’endroits. Leurs rires sont encore francs et joyeux. Souhaitons qu’ils le restent.

Une fois assis à table, nous ne nous préoccuperons que de gastronomie, sauf quand la bouche se fige, la conversation s’arrête, lorsqu’une de ces publicités pour crème solaire promène sa nudité à peine masquée entre les tables.

Je commande champagne Dom Pérignon 1996, car il se trouve que la veille, nous avions goûté Laurent Perrier Grand Siècle et Dom Pérignon 1998 avec ma fille et mon futur gendre qui nous accompagnent ici.

Le Laurent Perrier Grand Siècle est un champagne qui vous installe immédiatement dans un canapé confortable. Vous savez que vous êtes bien. C’est un vrai champagne, facile à comprendre, rassurant, qui se boit avec envie. La joie est là. Le champagne Dom Pérignon 1998 au contraire est d’une complexité construite. Il m’évoque la rose, qui ne sera perçue avec force par mon gendre que beaucoup plus tard. En bouche, on jouit de la précision de l’assemblage de vins précieux. Le 1998 s’épanouit en ce moment délicatement, et c’est un très grand champagne qui interpelle par les expositions permanentes de raffinements élaborés.

La tentation d’étalonner le 1998 de la veille avec le 1996 que j’ai largement encensé était à saisir. La première gorgée du 1996 me déplait. Le 1998 était chantant. Voici que ce 1996 se présente sous un jour sérieux. Mais ce n’est que la première gorgée. Il faut laisser ce champagne s’élargir dans le verre. Cela va venir.

Pendant ce temps je consulte la carte des vins. On m’annonce que Matthias Dandine, sachant notre venue, a prévu de nous faire à sa façon un homard, mais ma femme annonce qu’elle n’aime pas le homard. Le plan prévu s’effondre. Il va renaître d’une façon éblouissante. La raison de ce dîner étant l’anniversaire de mon épouse qui ne boit pas de vin, sauf Yquem, l’idée me vient de prendre le plus léger Yquem de la carte et d’essayer de trouver une recette qui s’apparente à celle du homard. Quand on nous propose des cigales, nous sautons de joie, car c’est la chair la plus savoureuse de tous les crustacés.

Les vins étant choisis, le repas élaboré, un festival gastronomique va se dérouler, dont l’émotion, la perfection ont touché tous les participants : notre table bien sûr, mais aussi Sébastien, efficace sommelier ému de voir que les accords sont sublimes et appréciés, Matthias Dandine, fier de les avoir réalisés.

Le marbré de foie gras aux cèpes, avec ses petits artichauts crus et truffes d’été va révéler la variété du Dom Pérignon. J’ai particulièrement aimé le goût intense et onctueux du foie gras qui réveille le tempérament guerrier du champagne. Les enfants préféraient l’accord avec l’artichaut, appelant la sagesse éclairée du Dom Pérignon. Chaque bouchée, chaque gorgée accroissent le plaisir, la structuration du champagne allant crescendo. Premier accord simple mais magique dans sa réalisation. On se sent décidément bien face à l’île du Levant et une mer qu’une lune presque pleine argente de feux follets charmants.

Le premier nez du Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 2002 m’assassine. C’est une perfection absolue. Et la bouche est du même calibre. Ce vin est glorieux. Il est difficile d’imaginer, à cet instant, qu’un vin, blanc ou rouge, puisse donner autant de plaisir et de complexité que ce vin là. L’entrée qui arrive se compose de deux parties, et nous allons nous amuser à observer le comportement du Bâtard face à ces saveurs distinctes. Sur le carpaccio de veau de lait qui est en fait un faux carpaccio car la chair a été légèrement cuite, le Bâtard est brillant, joyeux, mais à tout instant, il décoche tous azimuts des flèches aromatiques. Et, pour mon palais, c’est sur la chair de la langoustine qu’il est transcendantal. La palette des suggestions est tellement grande, et l’effet multiplicateur de la chair blanche est tellement fort qu’on nage dans un moment gastronomique de pur contentement.

Sébastien mesurant notre enthousiasme s’interroge : deux accords parfaits. Le troisième le sera-t-il ? Comme nous sommes à la veille de la finale de la Coupe du Monde à Berlin, en pleine Zizoumania, je lui dis : « et un, et deux, et trois », le troisième accord sera un succès.

C’était peu dire. Car la cigale sur Yquem 1987, c’est un délire gustatif à enflammer les stades. Le risotto de lait de coco imprimé d’une once d’ananas (j’aurais aimé l’ananas plus suggéré qu’imposé), la cigale baignant dans un bouillon de coriandre au gingembre acide, persil, cerfeuil et autres subtilités sur base de vieux vins cuits vont tirer de l’Yquem 1987 un chant d’amour d’une pureté cristalline.

On place Yquem à chaque instant à la limite de son registre. On lui dit à chaque instant : « tu peux le faire », comme Philippe Lucas quand il motive Laure Manaudou, notre belle championne. Et Yquem peut le faire. Il explore l’ananas avec facilité, il se joue du cerfeuil car la chair de la cigale l’extrémise. On est dans des contorsions gustatives du plus bel effet. C’est immense, grandiose. On ne se pose même pas la question de savoir si Yquem 1987 est un Yquem léger ou non, car il joue sur un registre totalement éloigné de sa saveur intrinsèque. Et l’accord de ce plat avec le vin est du génie. Yquem a trouvé ici un moyen de s’exprimer au paroxysme de son talent. Comme s’il fallait que ce plaisir n’ait pas de fin, une deuxième assiette de cigale, cuite cette fois à l’étouffée donne au Yquem et à la chair délicate une énième dimension.

On croque les mignardises dans l’atmosphère d’un après-match que l’on aurait gagné. On voudrait chanter à la terre entière combien ce que nous venons de vivre est grand. Rares sont les repas où les nombreuses émotions créées par les accords ont été aussi exactes. Nous savions que nous vivions de la gastronomie dans son état le plus subtil. Un absolu bonheur.

Yquem en hommage à ma mère mardi, 27 juin 2006

Funérarium, messe, enterrement. Pleurs, embrassades, cohésion familiale. Grands sentiments. Ma mère s’est éteinte à 93 ans. Elle n’a ni souffert ni décliné. Voulait-elle partir sur une mort "idéale", nous prenant par surprise alors qu’on la croyait taillée pour l’éternité ? L’esprit était donc à positiver l’événement et à dégager un bonheur familial.

J’avais prévu champagne petits fours. J’ai senti qu’un repas plairait à tous. A l’Ecu de France, à Chènevières, les tables se préparent sur l’instant pour 26 personnes, parents ou amis proches.

Le menu : cassolette de champignons, bar, fromage et tarte abricot. Délicatement préparé, goûteux.

Le champagne Pommery 1998 est facile à boire, expressif sans l’être trop. Un champagne qui se boit bien pour effacer les larmes.

Le Châteauneuf du Pape Vieux Télégraphe 1998 est un vin facile à comprendre par tous, car il y a dans la famille beaucoup de cousins pour qui le vin n’est pas un sujet de réflexion. Magnifique vin généreux, très agréable, ressenti par tous comme un cadeau.

Le Châteauneuf du Pape Beaucastel rouge 1990 partagé avec quelques amateurs est d’une grande perfection. Comme c’est une découverte, j’ai profité de l’occasion pour montrer à mes nièces comment on profite de ces vins rares.

Le Château d’Yquem 1981 est déjà d’un or brun, fort en bouche, très révélé par l’abricot. Une immense longueur d’un Yquem que je n’attendais pas à ce niveau là. Une cousine de 84 ans vint me voir et me dit : "tu sais, c’est mon premier Yquem".

Rires, joies, anecdotes. Ma mère a vécu en positivant toutes choses. Faire un repas de joie, c’était l’honorer.

Le Monde 2 du 24 juin samedi, 24 juin 2006

Dans le supplément du Monde du 24 juin, un suplément vin (poupée russe !).

A l’avant dernière page, un article de Nicolas de Rabaudy, avec un titre délicieux :

L’homme qui parlait à l’épaule des bouteilles

"Ah, la funeste manipulation! En extrayant avec une prudence de Sioux des nobles crus le bouchon flétri d’une bouteille de chateau Margaux 1900,un chef d’oeuvre de l’appellation,François Audouze, collectionneur de vins ancien, 5000 références dans sa cave,la laisse tomber et le vin si precieux , agé de 102 ans,se repand sur le sol, et voilà notre oenophile effondre, à quatre patte sur le carrelage, lapant le Margaux comme le chien de Lalou Bize-Leroy,la langue active, dans le cellier de la Romanée Conti ( l’histoire est authentique): le flacon brisé de Margaux 1900 figure en couverture des "carnets d’un collectionneur de vins anciens" (Michalon éditeur, 2004 ).
C’est l’une des aventures tragi-comiques vécues par François Audouze, polytechnicien à 20 ans, devenu un industriel de l’acier, aujourd’hui à la retraite occupée par l’approche, la connaissance, la sauvegarde des vins anciens, ces bouteilles perdues dans nos caves, agonisantes, coulantes, aux etiquette abimées, quelquefois sublimes en bouche, que le collectionneur-dégustateur entend faire vivre dans le verre pour le plaisisr des papilles, simplement.
Car, parmi ces vins porteurs d’un age respectable, souvent plus vieux que ceux qui les boivent, dont la plupart finissent dans l’évier, il y a des joyaux, des incunables de la viticulture française, porteurs de surprises, d’émotions, d’émerveillement . Audouze, probablement le citoyen français qui savoure le plus de flacons de jadis, cite ses plus fascinantes trouvailles : Riesling 1945, Montrachet 1864, Meursault 1846, Yquem 1900, Haut Brion 1926 (dégusté au moins 20 fois, un véritable miracle pour le premier cru de Graves).
Afin de faire sortir des caves ces vins aux niveaux bas, de couleurs souvent étranges, Audouze vient de créer l’Académie des Vins Anciens dont les 4 sessions annuelles à l’Hôtel de Crillon réunissent, telle une société secrète, une cinquantaine d’amoureux des rouges ou blancs d’autrefois, des dégustateurs au fin palais, wine enthousiastes de la viticulture du passé. Chacun apporte son flacon, offert aux académiciens, le don est une valeur sacrée de l’oenophilie.
Ainsi,lors de la dernière réunion, en janvier 2006, les flacons les plus appréciés furent : le Riesling Hugel 1915, le chateau Latour 1955, le Grand Echézeaux du Domaine de la Romanée Conti 1942, le chateau Suduiraut 1945, le domaine de Chevalier rouge 1924, le chateau Gilette sec 1958, le chateau Fiçgeac 1925, le chateau d’Yquem 1937, le Bouzy de Delamotte 1933 et le chateau La Mission Haut-brion 1955, entre autres nectars de rêve.
La dégustation ne s’est pas déroulée à l’aveugle et l’on n’a servi que du pain, des fromages et de l’eau. Pour le repas de gala, voir les diners de François Audouze : 10 convives seulement, rassemblés dans un grand restaurant.
Assis à côté de Jean Hugel, le patriarche de la légendaire maidon alsacienne de Riquewihr, Aubert de Villaine co propriétaire du domaine de la Romanée-Conti, découvre, bouleversé, le Grand Echézeaux 1942, élaboré pendant la guerre par des femmes, les hommes sont au front." Je suis stupéfait de la bonne tenue de ce vin, élévé dans des conditions quasi héroïques, sans moyens, sans barriques de qualité , confie le Bourguignon de sa voix douce, évoquant la pureté, la plénitude, l’élégance du beau pinot noir qui a traversé le temps. Les grands terroirs parlent toujours: ils dépassent les hommes."
Réflexion similaire pour le Tokay pinot gris 1865 dont Jean Hugel dit qu’il a vécu 3 guerres indemne. Ces 2 viticulteurs qui font honneur à la Francede la civilisation de vin sont des militants de l’Académie, ou l’on offre une nouvelle chance à ces bouteilles tombées dans l’oubli qui racontent l’histoire de nos vignobles."Les vins anciens, si on sait les ouvrir avec d’infinies précautions, sont toujours plus jeunes qu’on l’imagine, souligne François Audouze qui met 2 heures pour extraire un bouchon récalcitrant. Le vin a besoin d’oxygène pour s’éveiller au monde." Et se livrer aux hommes.

Nicolas de Rabaudy

DRC les pieds dans l’eau vendredi, 23 juin 2006

Nous avons pris nos quartiers d’été avec l’apparente intention de faire diète. Mais il faut se ménager des espaces de liberté, excuses à la gourmandise.

Mathias Dandine avait obtenu une étoile dans un joli petit restaurant coincé dans une étroite et escarpée rue piétonne de Bormes-les-Mimosas. Ambition, goût du challenge, voici qu’il décide en décembre dernier de reprendre la restauration de l’hôtel des Roches au Lavandou. Il devenait indispensable que nous allions vérifier si la greffe avait pris.

L’hôtel des Roches jouit d’une implantation unique sur l’eau, un peu comme Eden Roc, et l’on a une jolie vue sur les îles du Levant et Port Cros. Voulant jouer tropézien, le lieu accueille façon plutôt branchée. C’est plus Dior Haute Couture que Raimu accoudé à son comptoir. La décoration s’améliore, et le site incite au farniente. A l’étage du restaurant, on est tout sourire. Mathias et son frère sont prévenants. Sébastien, l’agréable et facétieux sommelier se souvient de nos habitudes ou manies.

Nous commençons par un champagne Amour de Deutz 1995 de belle couleur dans son flacon transparent. Assez expressif, à la bulle forte, il est plutôt joli en bouche, mais je trouve qu’il joue un peu en dedans, comme l’équipe de France de football, qui à l’heure où j’écris ces lignes, juste après les matches du premier tour, n’est pas encore éliminée, sans un but de trop. Plus le temps passe, plus le champagne s’ouvre et devient joyeux. Comme je suis marqué par des champagnes très expressifs, je ne mords pas trop, mais cet Amour mérite de l’intérêt.

J’ai suggéré à notre table que l’on commence par un risotto de truffes d’été pour accompagner le vin que j’ai choisi : Corton-Charlemagne Bonneau du Martray 1987. Le plat est délicieux, le toast de truffe étant d’une justesse absolue. Et avec ces saveurs, le Corton-Charlemagne chante. C’est un vin immense. Et mes amis comprennent pourquoi je disais que le champagne était un peu coincé, car ce vin blanc est totalement débridé. Une exubérance rare, qui renvoie toute réserve sur l’année 1987 dans ses dix-huit mètres. Des notes citronnées mêlées de miel, des évocations d’amandes et de noix, et cette élégance propre à ce domaine délicat. Un vin résolument grand, où la subtilité se dévoile d’autant plus que la puissance est retenue.

Le homard thermidor est goûteux mais doit pouvoir encore se travailler. J’ai décidé de lui associer un Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1997. Là aussi, c’est la délicatesse qui prime sur la force. Toutes les caractéristiques d’un grand vin expressif sont réunies. Un léger voile qui écorne une partie du message ne gênera pas suffisamment pour qu’on éprouve moins de plaisir. Ce vin joyeusement juteux est d’un plaisir franc et sincère. Et le homard lui va bien. Le cochon de lait d’une autre partie de la table fut jugé fort approprié à ce grand bourgogne.

On nous offrit un Comtes de Champagne Taittinger 1997 fort agréable en fin de repas, après des mignardises qui demanderont au moins un marathon pour retrouver le tour de taille que l’on avait en entrant. Ce champagne n’est pas très compliqué, mais de belle soif.

Matthias Dandine a un magnifique outil de travail pour développer son élégante cuisine. Sébastien est souriant, le service est attentionné. C’est une adresse dont on reparlera.

en étain véritable ! dimanche, 18 juin 2006

Si, si, l’étiquette de ce Saint-Chinian en double magnum est en étain véritable.

La preuve : c’est écrit dessus.

Ce vin fut bu lors des fiançailles de ma fille. C’est raconté ci-dessous…

 

de grands vins pour des fiançailles dimanche, 18 juin 2006

Ma fille cadette se fiance. Occasion de se rencontrer pour deux familles, et occasion de sortir de bons vins. Mon futur gendre et ma fille reçoivent le premier soir. Nous recevons le lendemain midi. La motivation de Guillaume et Agathe est assez visible, car nous serons reçus de façon royale.

Voici le menu : Toasts au foie gras / Foie de lotte et coulis d’orange / Carpaccio de gambas, gelée de riesling pamplemousse / Ravioli langoustine ricotta et épinard / Crumble d’agneau aux fèves / Comté et gruyère de Savoie / Macarons Pierre Hermé rose, pamplemousse américano, chocolat passion / 2000 feuilles Pierre Hermé. Les services d’un chef ont été loués pour la circonstance.

Le champagne Laurent-Perrier en magnum est très agréable. Très équilibré, joyeux, il me surprend positivement, car je n’attendais pas le non millésimé à ce niveau. Le champagne Krug 1990 en magnum se présente en un flacon d’une rare beauté. Cet écrin renferme un champagne qui est un vrai bijou. Je l’avais goûté dans des dégustations comparatives où il avait montré son talent. En situation de repas, avec le foie de lotte, ce champagne est éblouissant. Il est tellement complexe que je suis obligé de choisir parmi toutes les images qui me viennent. Je retiens les fleurs blanches et roses, les fruits délicats comme des cerises jaunes. Ce champagne floral et fruité est romantique. Il forme un vrai contraste avec le champagne Salon 1985 que nous avions bu aussi en famille il y a moins d’une semaine. Le Salon me semble plus viril, plus conquérant, quand le Krug me paraît plus féminin, charmeur. Ces deux champagnes sont deux expressions assez opposées qui me plaisent tout autant. Je suis sûr que demain, le Krug pourrait me montrer un autre visage, tant il a de facettes à sa séduction.

Le Riesling "Hengst" Josmeyer cuvée de la St martin 1998 est extrêmement agréable et bien construit. Vin facile à boire. Mais le Chablis Grand Cru les Clos de René et Vincent Dauvissat 1998 a trop d’intelligence. Ce Chablis est magique. Il a tous les bons côtés du Chablis, sans n’en avoir aucun qui soit mauvais. Toute la table de onze parents de deux familles a été émerveillée par la qualité de ce grand Chablis. C’est son expressivité tranquille qui m’a marqué.

Le Château Ausone 1975 est un grand Ausone. Etions-nous de bonne humeur pour juger autant de vins à de tels niveaux ? Non, je crois que cet Ausone est particulièrement réussi. Subtilité, charme, distinction. Il fallait avoir le palais disposé à analyser les détails pour aimer l’Ausone, car à côté de lui, c’est un empereur qui entre en scène. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 2000 est spectaculaire. Que c’est bon, que c’est simple, que c’est naturellement délicieux. On dirait Jean Marais à vingt ans quand il sourit : c’est un ange si naturellement beau. La Mouline, c’est ça : il lui suffit de sourire, et l’on dit : c’est beau.

Ce qui me fait plaisir, c’est qu’en quittant un instant la Mouline pour revenir à Ausone, le bordeaux n’est pas écrasé. Il montre toute sa fragile beauté, fragile étant ici comme la beauté d’Anne, l’héroïne des Visiteurs du soir, qui brûle d’amour pour Gilles. La Mouline, c’est plutôt Jean-Paul Belmondo et sa gouaille de chouchou des dames. Deux grands vins, La Mouline immédiatement porteur de plaisir pur, et Ausone, conteur de madrigal, d’une séduction raffinée.

Le Vin jaune Château d’Arlay 1987 vit son bonheur avec le Comté. Découverte pour certains membres de « l’autre » famille. Le Château d’Yquem 1991 est assez effacé. Mais il le devient encore plus avec les desserts de Pierre Hermé qui sont des concentrés de plomb fondu. De ses macarons, ce qui impressionne le plus, c’est la texture. Elle est divine. Les parfums sont assez forts, ce qui gêne un peu. Le 2000 feuilles est « immangeable » tant il est riche. Personne n’a pu finir sa portion prédécoupée. Il a fallu prendre un rhum pour balancer la lourdeur de ce dessert, pendant que l’Yquem 1991 se taisait.

Mon futur gendre a manifestement mis la barre très haut en ce qui concerne les vins, dont émergent pour moi d’abord le Krug 1990, ensuite la Mouline 2000 et le Chablis Dauvissat. Mais j’hésite entre les deux vins, la position du Krug n’étant pas discutable.

Le lendemain midi, nous remettons le couvert, cette fois-ci chez nous. Certains veulent éviter de boire, car il fait une chaleur de milieu d’été, alors que nous n’y sommes pas. Le menu de mon épouse est le suivant : Toasts au foie gras / Crème de foie gras en pot / Joue de porc confite et sa sauce au thé, pomme de terre duchesse / Stilton / Tarte Tatin.

Le champagne Dom Pérignon 1996 servi sous le catalpa est absolument brillant. Participant à un jury de champagnes pour un magazine connu, j’avais, comme mes collègues, classé ce Dom Pérignon en premier des 1996. Il est magique. Beaucoup moins complexe que le Krug 1990, il étonne par sa générosité, sa facilité de langage. C’est un champagne qui a un goût de revenez-y.

Ma fille aînée ayant un fort penchant pour les vins faciles, boudant les Pétrus pour leur préférer le Languedoc, nous avons commencé, pour qu’elle ait à boire, par un double magnum de Saint-Chinian, les vignerons de Roueïre 1998. La bouteille dissymétrique, pour faire antique, est décorée d’une étiquette en étain, ceinte de rubans rouges. Et, pour qu’il n’y ait aucune méprise, il est inscrit « étain véritable », sur une contre-étiquette elle-même en étain. J’avais ouvert le vin 20 heures à l’avance, et carafé plus de quatre heures. Le résultat est un vin extrêmement agréable qui a plu au clan qui s’est créé autour de ma fille aînée des adorateurs des vins de pays. C’est un vin très agréable, auquel il manque bien sûr un vrai final. Mais ça se boit avec plaisir.

Le magnum de Château Margaux 1970 est évidemment d’une autre trempe et mon fils aura apprécié son extrême personnalité. Il a du charme, et l’âge lui va bien. Très élégant, subtil, assez flatteur, il plait à ceux qui ne sont pas de la secte de Saint-Chinian, mais je sens des transfuges, qui apparaissent, sans même que je sois obligé de donner des primes de match. J’avais choisi 1970 pour mon futur gendre. Au tour de l’année de ma fille.

Le choc que me fait Pétrus 1974 est fort. Je savais que Pétrus avait réussi cette année difficile, mais j’ai l’impression que c’est le plus grand Pétrus 1974 de tous ceux que j’ai bus. Et quelle structure ! Il est intense. Quand Margaux est galant, poussant l’escarpolette d’une demoiselle délurée de Fragonard, Pétrus occupe le terrain du palais, selon une stratégie à la Masséna, l’enfant chéri de la victoire. Mon fils adore la subtilité du Margaux. J’adore la franchise gavée de complexité du Pétrus. Deux grands vins très complémentaires.

Rien ne volera la vedette à Château d’Yquem 1988, car la tarte Tatin a décidé de l’épouser, de le mettre en valeur. C’est un grand Yquem, comme je le vérifie à chaque fois.

Bagues, cadeaux, anecdotes enfantines, rien ne manquait à la réussite d’une fête familiale ponctuée de vins exemplaires.

dîner de wine-dinners à la Grande Cascade jeudi, 15 juin 2006

En juin, la tentation est grande de faire un dîner de wine-dinners au restaurant de la Grande Cascade. Dans cette petite bonbonnière logée dans un parc aux arbres centenaires, notre table donne sur le jardin, et nous aurons, presque pendant tout le dîner, une vision d’un beau soir annonçant l’été, oubliant les nuages d’un ciel porteur d’ondées. Je suis venu à 17 heures pour ouvrir les vins, accueilli par une belle et attentive Noémie, apprentie sommelière qui promet beaucoup. Pour quatre bouteilles je rencontrerai des bouchons qui partent en charpie, avec des combats difficiles comme avec ce Smith Haut Lafitte au bouchon indéfectiblement collé au verre. Le niveau de ce vin est exemplaire, dans le goulot, ce qui est rare pour un 1949. A l’inverse, le Gruaud Larose 1928 a un niveau de basse épaule et son nez est acide. Tout cela ne me paraît pas trop grave (j’ai tort). L’odeur du Filhot 1924 est magnifique, comme celles des deux blancs secs.

Du fait de la Delanoëisation des transports urbains, la ponctualité n’est pas le fort de cette 73ème promotion des dîners de wine-dinners. Mais la proportion de jolies femmes interdit tout commentaire. Comme il fait beau, deviser devant l’entrée est un plaisir. Des convives se reconnaissent. Il y a pour ce dernier dîner de l’année scolaire une majorité d’habitués, ce qui me réjouit.

Le menu, créé par M. Menut et Richard Mebkhout est le suivant : Gressins et allumettes / Feuilleté de bulots, jus au naturel / Truffes d’été cuites et crues en marmelade / Pavé de bar saisi à la plancha, épinards au beurre noisette / Longe de veau en cocotte, poêlée de girolles nature, un jus gras / Stilton et rôtie de fruits secs / Compotée d’agrumes et crumble, meringue vanillée, cappuccino au lait de poule. Le chef a magnifiquement épuré ses plats pour qu’ils soient au service du vin, sans que cela enlève à leur intérêt strictement gustatif.

Le Champagne Besserat de Bellefon non millésimé arrive un peu chaud, ce qui gêne pour les deux premières gorgées. C’est un champagne assez simple, au message linéaire, que le jambon espagnol titille gentiment. C’est une mise en condition, un échauffement. La partie commence vraiment avec le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1985 dégorgé en 1999 qui est une véritable splendeur. Ce champagne est d’une élégance extraordinaire. J’y vois des roses, des fleurs. Chacun autour de la table rivalise d’évocations colorées et plaisantes. Je viens de goûter il y a peu de jours le champagne Salon 1985. Ces deux champagnes sont délicieux. Très opposés, ils ont chacun leur place. Le Dom Pérignon est charmeur et délicat. Sur le bulot, c’est un rêve. Mais surtout sur la mousse très virile, il se met à chanter. L’accord est beau.

Le Château Bouscaut blanc 1953 à la couleur irréellement jeune accompagne le Chassagne Montrachet Georges Pollet 1964 d’un or majestueux autour de la truffe  d’été. Ce fut certainement le moment le plus intense de la soirée. Le Chassagne a tant de charme que chacun y succombe instantanément, alors que dans mon silence intérieur, je trouve au moins autant d’atouts à ce Bordeaux d’une précision rare. Quel grand bordeaux blanc ! Sa trace citronnée excite agréablement la pomme de terre presque crue et croquante. Le Chassagne est à l’aise avec la truffe toute en suggestion fragile et virginale. Lourd, expressif, il chante comme Luis Mariano une ode à sa belle. Tout à cet instant est magique, le plat suggestif en nuances, le bordeaux subtil et d’une trame expressive, et le Chassagne conquérant, Fanfan la Tulipe de l’instant.

Le Château Smith Haut-Lafitte Graves Martillac 1949 est renversant. Sa couleur est d’une jeunesse rare, son nez raconte des milliers de poésies. Et en bouche, quelle belle personnalité. C’est certainement le Smith Haut-Lafitte le plus intelligent que j’aie jamais bu. A côté, le pauvre Château Gruaud Larose Sarget 1928 au nez désagréable nous fait vinaigre. Si une lueur s’allume, elle s’éteint aussitôt. Le vin est mort. La gloire du 1949 permet de l’oublier. L’accord sur la chair du turbot seule est d’une grande justesse. L’épinard se mange séparément, et il a la politesse de ne pas biaiser le palais.

A la table, un ami au verbe péremptoire va acclamer le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953 quand il va décapiter le Vosne Romanée Leroy 1959. C’est un peu excessif. Le Vosne Romanée porte évidemment des traces de fatigue qui le handicapent. Mais contrairement au Gruaud Larose, il a gardé quelque chose à dire, à demi-mot. Le nez du Richebourg est sauvage, cheval fougueux indompté. Il est salin, de fruits rouges écrasés. En bouche, tout le domaine de la Romanée Conti se rappelle à ma mémoire. Et tout le monde aime ce vin splendide que vante le vigneron bourguignon de notre table, le jugeant immense (il le classera premier de son vote). C’est un vin du domaine particulièrement émouvant, qui remet le curseur de la DRC au niveau d’excellence qu’il ne doit plus quitter dans ma mémoire, après les hésitations que j’ai connues dans le récent déjeuner familial avec deux vins fatigués.

Le Château de Fargues 1989 sur un  stilton au goût parfait, c’est tellement facile, sans complication. C’est incroyable de constater que le plaisir est immédiat, sans complexe, pur. Ce vin emplit la bouche de bonheur simple. Ce vin, c’est le vote des congés payés en 1936, c’est un dimanche au bord de l’eau, c’est la mélodie du bonheur. Il est d’une puissance rare, d’une force inébranlable. Un sauternes parfait de prime jeunesse.

C’est un vrai délice de pouvoir faire suivre le généreux Fargues par Château Filhot 1924 d’une qualité rare. Très peu botrytisé, il décline une myriade de sensations exotiques fines. On reconnait immédiatement la parenté directe avec le Filhot 1858 que j’avais bu au château de Beaune, à l’initiative de Bouchard Père & Fils. La filiation (comme son nom l’indique) est spectaculaire. Une tranche fine d’orange et sa peau confites forment avec le Filhot un accord miraculeux. L’extase est là. C’est du plaisir pur.

Les classements me plaisent, car sur ces dix vins dont un mort et un fatigué, sept vins vont être dans les votes (de quatre vins seulement pour chaque convive), et six vins vont recueillir un vote de premier. Ça, c’est spectaculaire. Les plus présents dans les votes sont d’abord le Chassagne Montrachet puis le Dom Pérignon. Les plus votés en place de numéro un sont le Filhot 1928 avec trois places de premier et le Fargues 1989 avec trois votes de premier. Ce fut, ce soir, surtout le couronnement des vins blancs.

Mon vote, qu’un fidèle convive fit à l’identique est : 1 – Château Filhot 1924, 2 – Smith Haut-Lafitte 1947, 3 – Dom Pérignon Oenothèque 1985, 4 – Chassagne Montrachet Georges Pollet 1964.

Trois accords magistraux : la truffe blanche et surtout sa pomme de terre sur les deux blancs magnifiques, la tranche confite d’orange sur le Filhot 1924 et le crémeux Stilton sur le Fargues 1989. Mais la mousse forte sur le Dom Pérignon a beaucoup de charme aussi.

La forme de la table, trop étirée, n’encourage pas les discussions de groupe, ce qui n’empêcha pas les rires de fuser, dans une ambiance chaudement amicale. Cela me tente de définir un format de table comme j’ai défini un format de dîner. Ce 73ème dîner avec Filhot 1924 et Smith Haut-Lafitte 1949 fut un des plus plaisants.

Wines of 1915 and 1913 in restaurant Laurent lundi, 12 juin 2006

Robert Parker’s forum was one of the excuses for my trip to the United States, with two organized tastings of the wines of Trimbach and Lynch Bages. This forum is led by Mark Squires, who openly professes his doubts about ancient wines. I wanted to change his opinion, as I had done for members of another forum. This was also an excuse for bringing to Paris a Belgian friend from Antwerp, an Englishman, a Frenchman and an American. A friendly and joyful gathering at the Laurent restaurant, where wines of all origins are there to be enjoyed. Table in the beautiful garden by a beautiful spring evening, always perfect service, quality menu, everything was assembled for Mark Squires to be bewitched by the old wines.

We start with a Meursault Les Narvaux Domaine d’Auvenay 2000 Lalou Bize Leroy. A nose of a unique intensity. A deep wine, of rare length.

The 1964 Riesling Spätlese Niersteiner Kranzberg Franz Karl Rheinhessen is corked. The Trimbach Frederic Emile 1983 I tasted in California is perfectly suited to giant shrimp.

The Château de Beaucastel 1962 Châteauneuf du Pape should not have been opened. He had suffered from the journey to London.

Then come my wines: Nuits Saint Georges Les Cailles Morin Père et Fils 1915, which I have already used widely when I want to convince, is by far the star of the wines of the evening. His youth astonishes everyone. Mark Squires, who obviously has a palate made for other wines had the honesty to say that he liked.

And the nail was going to be hit by my second wine, the Chambertin Jules Regnier 1913 which is of an implausible structure and a youth similar to that of 1915. The Chambertin is obviously a bigger wine, but the Nuits Cailles gives more pleasure. I had taken my chances with two wines over 90 years old. And I won. Mark squires had the elegance to give the testimony on the site of the forum of Robert Parker. I know it will not change his habits. But a milestone had just been laid.

The Marcassin 2001 Pinot noir immediately shows it is of another world: pepper, star anise as in modern wines. In the context of the evening, I liked, like this absolute bomb incensed by Robert Parker, the Domaine du Pégau, Châteauneuf du Pape cuvée da Capo 1998 which has the bagatelle of 16 °.

The Domaine de la Janasse old vines Chateauneuf du Pape 1998 is also very interesting, but a little less than the solid Pegau. We finish with the White Riesling Navarro Late Harvest 2002 which is far too sweet for my taste.

Exciting discussions with great wine lovers. Tastes too resolutely modern are not for me. The idea of this challenge had seduced me. I succeeded with real ancestors. My journey of promoting the value of ancient wines continues. Moreover, my method of opening the wines, now known by a large number of amateurs, has proved its worth that evening.

It seems almost banal to open a wine of 1915 and to find that it seduces the most skeptical. When you think about it … .. What a questioning of all received ideas!
It is the object of my crusade.