I tried with success a Royal Kebir Algerian wine 1945 jeudi, 27 avril 2006

One day, someone asked me to make a dinner with Jacques Le Divellec one of the greatest chef for fish, and we studied what to do with my list of wine. Jacques invited me to put everything in form, and I was happy with the cooperation.

The man who ordered the dinner had a familial problem and asked me to postpone the dinner.

Time went on, and meanwhile, we created friendly relationship with Jacques.

I kept in mind the dinner which was postponed, but the wish to do something together was still there. As I had no news from the man who had ordered a dinner, I decided that one of my next dinners would be with Jacques. He wanted that we work on a new wine list that I had prepared. So I said : you have been so nice to me, if we have lunch together, I will bring wine.

We met with his wife Marguerite for a lunch for three. As I arrived just for lunch time, none of my wines had the necessary oxygen.

What did I bring? The first bottle is Frederic Lung Royal Kebir Algerian wine 1945 that I had bought recently as a cat in a bag. Perfect fill in the neck for a bottle coming from an original case that I opened myself. The cork stuck to the glass so I had to tear the cork into pieces to pull it out.

The second bottle came from a friend whom I appreciate, who is in the wine business, who asked : could you buy some of my wines as I am short of money. He proposed a La Tache 1960 with a low fill, saying : it should be good. The cork went out very easily, and the acidic smell did not hurt me.

We began with some crevettes, some amuse-bouche on a Puligny-Montrachet les Pucelles Domaine Leflaive 2000. Very drinkable, powerful, it is very pleasant, but I must say that it is more charming than elegant. No mistake, but no thrill. Then, on a plate, I had two huge belons oysters number 0000 (four times zero), which are enormous. What a taste! Amazing. And on a Besserat de Bellefon which is an average champagne, the oysters put the champagne on a trampoline. It gained some personality. The spéciales number two were nice, but not at the level of complexity of the belons.

Then I tried “violets”. I am 63 years old. It was the first time that I tried this animal. It is so ugly that the aesthetical disturbance prevented me to try it up to now. Jacques wanted to see my reaction on the violet plus champagne. It was fantastic.

We had some crude turbot, fantastic meat. The Puligny was not appropriate, too strong, but the wine of my dinner will be.

We had some sea fruits with complicated names (I have not my dictionary), like moules, palourdes, young calamars. The recipe should be changed, but it will match perfectly the Krug Clos du Mesnil that I intend to open.

Then we had two huge langoustines with foie gras, and the Royal Kebir 1945 was fantastic. This wine appears like a burnt wine. It makes you think of Port wine, of Maury, it is torrefied. But when you look behind the curtain, it is an emotional wine that you could take for a Chambertin. All in this wine is balanced. I felt liquorice in it. It is as if a Chambertin would have grown up in Lebanon. The more it developed, the more its complex structure was brilliant.

And I must say : it is strange, but it is a great wine.

We had then lamproie, which is one of the oldest fishes living in France, created some million years before our time. The meat tastes like earth, so I thought that La Tache 1960 would be great. But, I should never trust friends. I try to emphasize a wine which was largely over the hill. No hope despite some flashes.

I tried it on a cheese and at one moment I had some memories of a good La Tache.

But the final test was definitive : on a chocolate mousse, the Royal Kebir 1945 was magnificent, and the La Tache was like a lost sponge.

We have prepared the menu for a dinner to come in May (paying), and there will be in the menu three completely forbidden animals whose hunting is forbidden. Jacques, who is 73 years old, thinks that with me he can make mad things that he would never do with other people.

dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen jeudi, 27 avril 2006

jeudi 26 avril 2006 – 0 places disponibles Cette photo montre le soin qu’il faut apporter à l’ouverture des vins anciens. Le plaisir à table dépend aussi de ce travail minutieux.

Dîner n° 72 –

Cette photo montre le soin qu’il faut apporter à l’ouverture des vins anciens. Le plaisir à table dépend aussi de ce travail minutieux.

  1. Champagne Moncuit (Mesnil s/Oger) 1995
  2. Champagne Krug 1988
  3. Château Haut-Brion blanc 1998
  4. Côtes du Jura rouge Jean Bourdy 1947
  5. Château de Cadillac en Fronsac 1964
  6. Château Lafite-Rothschild 1934
  7. Château Haut-Bailly 1918
  8. Chambertin Clos de Bèze Joseph Drouhin 1949
  9. Château Terfort Sainte Croix du Mont 1927
  10. Château de Fargues 1989

sur cette assiette d’un dîner antérieur, j’ai jeté quelques parcelles de fleurs…

dîner de wine-dinners au restaurant Ledoyen mardi, 25 avril 2006

Après des repas réussis racontés dans de précédents bulletins, la tentation était grande de faire un dîner au restaurant Ledoyen. La cérémonie d’ouverture des vins s’est faite avec une facilité particulière, en un temps très court : de l’ordre d’une heure pour les dix bouteilles. Aucune mauvaise surprise. Les bouteilles de secours restèrent sur le banc de touche. L’odeur merveilleuse du Haut-Bailly 1918, de fruits rouges sucrés, était si belle que je préférai mettre un bouchon neutre pour emprisonner ce charme et éviter son déclin. Le lieu bruissait d’une folle activité car environ 500 personnes se rendaient qui à un cocktail, qui à un dîner. Le rassemblement de mes convives se fit sur le parking entouré de beaux et grands arbres, en un des plus beaux sites de Paris caressé par la bonne humeur d’un printemps qui s’affirme.
La table est dressée dans le restaurant gastronomique et Frédéric sommelier attentif, qui m’avait aidé à ouvrir les vins, a réalisé un service de très grande qualité. Le menu, mis au point avec le talentueux chef Christian Le Squer et avec le perfectionniste Patrick Simiand est d’un bel équilibre : Huîtres de Belons / Oursins de Roche en coque à l’avocat, soufflé de corail rafraîchi / Blanc de turbot de ligne juste braisé, pommes rattes truffées / Asperges vertes cuisinées dans leurs sucs truffés / Grosses langoustines bretonnes poêlées au naturel / Jambon blanc, morilles, parmesan aux spaghettis / Fourme d’Ambert / Croquant de pamplemousse cuit et cru au citron vert.
Le contingent de cadres dynamiques et motivés qui se regroupe à la table est attentif, à l’écoute des accords raffinés mais aussi enjoué, souriant, pour composer une atmosphère chaudement participative et décontractée. J’avais demandé que l’on commence par des huîtres toutes simples, mais nous recevons les délicieux petits amuse-bouche qui font danser la java à nos papilles. C’est particulièrement bon, heureusement passager, car ça ne gênera pas l’accord désiré de l’iode de belons goûteuses avec le champagne Montcuit 1995, blanc de blancs de Mesnil-sur-Oger d’une définition précise, d’une fraîcheur raffinée, et d’une expressivité plaisante. L’accord se fait fort bien.
L’oursin est d’une délicatesse rare, tout en suggestion. Il met en valeur le champagne Krug 1988 de façon éblouissante. On mesure la densité de cet immense champagne. Quel charme ! J’ai souvent bu ce 1988. Je crois que ce soir c’est le plus grand. Il a gagné en maturité. Un agréable fumé signe les champagnes épanouis. Nous nous sentons de mieux en mieux.
Le turbot à la chair lourde de sens permet au Château Haut-Brion blanc 1998 d’étaler la palette invraisemblable de sa complexité. C’est un kaléidoscope de saveurs. Et c’est la pomme de terre qui donne une longueur supplémentaire au vin blanc de grande race. Après trois accords de ce calibre, mes convives comprennent que ces emboîtements de saveurs ne sont pas l’effet du hasard. Tout ceci est voulu et fonctionne.
Le Côtes du Jura rouge Jean Bourdy 1947 est un vin très compliqué à comprendre. Aussi ai-je longuement expliqué comment l’aborder. Car si l’on a en mémoire un référentiel de bordeaux rouges, on va passer à côté du message. A mon agréable surprise, je suis bien suivi dans la découverte de ce vin qui reçoit de merveilleuses asperges vertes un étai idéal. Le vin est étonnamment jeune pour un 1947, d’un rebouchage récent à la cave Bourdy. Il est austère comme la région, brut de forme, bourru. Mais quand on a compris sa rudesse autochtone, on profite d’un vin très typé, très fruité, ascète cependant, croquant sur les asperges.
Le Château de Cadillac en Fronsadais 1964 est une découverte totale. Le nez est chaud, joyeux. Mais la bouche est un peu voilée. C’est un vin plutôt agréable qui eut même l’honneur d’un vote dans nos quartés finaux. Il va servir de faire-valoir à un Château Lafite-Rothschild 1934 particulièrement charmant. Ce vin est élégant, courtois, bien né. Bouteille au bouchage d’origine, il a un goût authentique de vrai Lafite à la longueur encourageante. Mais, convenons-en, la vedette est dans l’assiette. La langoustine juste poêlée, expression pure de ce précieux crustacé, est saisie, et dégage une émotion rare. C’est un plat dont la pureté est éblouissante. Inutile de dire que les vins s’en sont complus.
Alors qu’on avait profité des deux vins ensemble sur le plat précédent, j’ai demandé qu’on serve séparément les vins de ce plat, pour en profiter pleinement. Ce fut un bon choix. Le Château Haut-Bailly 1918 a le nez de confiture de framboise qui m’avait tant ému en ce Cros Parantoux Henri Jayer 1992 bu chez Michel Bras. On a la même sensation odorante, malgré l’écart d’âge. La couleur de ce vin est du rubis le plus exalté. En bouche, la jeunesse de ce vin sensuel éblouit. C’est assez inimaginable de voir à quel point ce Haut-Bailly explose de générosité. Il est aidé par le plat fort juste, mais il saurait se débrouiller tout seul tant il a de la force tranquille. Je rappelle juste ce que je disais de ce vin dans le bulletin n° 111 : « sur le pigeon d’un classicisme de bon aloi, on commence par le Haut-Bailly 1918. Le nez absolument exceptionnel me chavire. C’est beau, raffiné, riche, opulent, rassurant, envoûtant. Alors qu’à l’ouverture Mission 1918 avait été aussi brillant, il avait ensuite un peu faibli au service. Là, le Haut-Bailly est époustouflant de panache, d’excellence. Un immense vin aussi bien au nez qu’en bouche où il est juteux, rond, accompli, serein. Quand on atteint des niveaux de cette altitude, j’ai comme un choc. Je suis groggy de sa perfection. ». C’est assez intéressant de constater cette similitude de performance. J’en avais dit autant de bien dans le bulletin 18 il ya maintenant cinq ans. Voilà un vin éblouissant de conservation et de jeunesse.
Mais attendez un peu ! Car sur la deuxième partie du plat que nous avions tous conservée sauf un convive, le Chambertin Clos de Bèze Joseph Drouhin 1949 est le chant d’amour de la Bourgogne dans son expression la plus aboutie. Dans des villages, il y a toujours un grand panneau portant une immense carte détaillée et imagée qui vous explique pourquoi vous êtes perdu. Ce chambertin est cette carte pour expliquer le charme inouï des vins de Bourgogne. C’est pur, charmant, joyeux, coloré, expressif, sensible. Et c’est long en bouche. Je me sens bien avec des vins aussi chantants et réussis.
A l’ouverture, le Château Terfort Sainte Croix du Mont 1927 était assez discret. Au moment où on le sert, il s’est agaillardi. D’une jolie couleur de thé léger où l’on a trempé du miel, il est élégant, bien élevé, et forme avec la fourme extrêmement appropriée un accord qui nous surprend tous : il n’y a aucune rupture gustative entre le fromage et le vin qui semblent se prolonger d’une façon irréelle, comme ces patineurs qui épousent la même trace de glisse. C’est magnifiquement beau de plaisir distillé. A l’inverse, le Château de Fargues 1989 montre tout de suite ses biscotos. C’est le cousin d’Yquem, mais il ne se sent pas inférieur, et il a raison. Sauternes magique, puissant, équilibré, chaud en bouche, aux évocations infinies, il a été incroyablement magnifié par un dessert absolument parfait. Quel accord ! Toute la table était bouche bée devant cette perfection gustative.
Christian le Squer est venu nous expliquer certains de ses choix et j’ai trouvé son propos particulièrement émouvant. Je le sens animé par une volonté de perfection qui trouve une application excitante dans ce type de dîners. C’était beau qu’il vienne confier ainsi les pistes de sa recherche. Il a eu l’intelligence de simplifier des recettes pour que le vin se magnifie. Et tout a été réussi. Les accords étaient aussi beaux que de la natation synchronisée, sans aucune fausse note.
Comme chaque fois les votes furent tous différents mais avec des tendances. Neuf vins sur dix ont eu droit à un vote ce qui me plait toujours. Le Chambertin a reçu huit votes dont deux de premier, le Haut-Brion blanc a reçu sept votes dont trois de premier, le Lafite 1934 a reçu six votes dont quatre de premier, et le Terfort 1927 a reçu plus de votes que le Fargues, dont un vote de premier.

Mon vote a été le suivant :

1- Chambertin 1949,

2- Haut-Bailly 1918,

3- Lafite-Rothschild 1934,

4- Krug 1988.
Bonne humeur, service des plats absolument parfait, travail de sommellerie de Frédéric de grande précision, équilibre du menu et accords mémorables, vins au sommet de leur forme. En ce soir d’un joli printemps l’ordre était à la joie de vivre et à la gastronomie parfaite.

dîner de wine-dinners au restaurant Laurent dimanche, 23 avril 2006

L’histoire commence il y a un an quand un groupe d’américains vint visiter quelques châteaux bordelais. L’un de ces amateurs m’avait demandé d’organiser un wine-dinner pour lui et l’un de ses fils à la fin de son voyage. Il m’avait dit qu’il apporterait un magnum de Haut-Brion blanc 1949. Cette générosité appelant la réciproque j’avais ajouté au programme un vin de Chypre 1845. J’ai raconté ce dîner où figurait aussi un magnum de Pétrus 1964 dans le bulletin 145. En ce début d’année, cet ami californien m’annonce sa visite en France, et indique les vins qu’il compte apporter à un dîner wine-dinners. J’estime que tant de générosité exclut le moindre paiement. Le repas aura la structure d’un wine-dinner, et ce sera le 69ème, mais il aura une forme différente sur deux points : ce sera un repas familial, avec ses enfants et les miens, sans budget, et avec des vins apportés par nous deux.

La mise au point de la liste fut d’ailleurs amusante, chacun améliorant son apport quand l’autre ajoutait une rareté, comme en une joute amicale. Après trois ou quatre rounds le programme avait pris forme, avec des vins qui sont des témoignages de l’histoire magique du vin.

Steve, Michael, Justin et Wesley viennent visiter ma cave, avec quelques exclamations admiratives, puis nous nous rendons tous au restaurant Laurent où je vais ouvrir les bouteilles selon le rituel classique. La seule bouteille qui représente une interrogation gustative est le Pétrus 1947 au bouchon sec en haut et noir et gras en bas qui se pulvérise à l’ouverture. Le nez un peu amer doit normalement disparaître. La vraie énigme est celle du Lafite 1865. Un bandeau provenant du château indique un rebouchage en 1986. Or, en extrayant le bouchon qui reste complet, il me parait impossible qu’il soit de 1986. Il fait beaucoup plus vieux que cela. Alors, que s’est-il passé ? Le Gewurztraminer 1934 a été rebouché en 1979 et son bouchon parait d’hier. Les bouteilles au bouchon d’origine sont le Laville 1955, le Vouvray 1929, le Pétrus 1947, le Château Chalon 1864 (bouchon tout rabougri protégé par la cire craquelée) et Filhot 1929. Les vins rebouchés sont Latour 1924, sans doute dans les années 80, Lafite 1865 annoncé rebouché en 1986 et le Gewurztraminer en 1979.

Mes amis repartent se changer à leur hôtel après avoir trinqué d’un champagne Jacqueson 1996 très agréable et délicieusement frais que Patrick Lair nous a offert, pour célébrer l’ouverture de ces beaux flacons. Pensant que mes amis américains, qui ne connaissent pas les vins du Jura, pourraient commettre un contresens, je demande qu’on me prépare un Château Chalon 1976 de la carte du restaurant avec du Comté de 24 mois et du Salers que nous goûterons dans le joli jardin du restaurant car il fait très beau.

En attendant leur arrivée, ma femme et moi goûtons le dessert prévu, car la crème glacée me fait peur. Je demande qu’on sépare cette partie du dessert de la seule rhubarbe. Je sens que cela contrarie Patrick, pour l’esthétique de la présentation, mais cette décision fut la bonne.

Tout le monde est là, et le Château Chalon 1976 plait beaucoup aux américains dans l’association avec le Comté suisse. Le Salers n’a pas sa place avec ce vin. Steve m’offre une bouteille de Climens 1943 car c’est mon anniversaire. Cet ami est d’une rare générosité, comme il le fut avec les vignerons qu’il était allé visiter pendant toute la semaine.

Nous passons à table, et voici le menu intelligent, solide, chaleureux qui a été conçu par Philippe Bourguignon : cuisses de grenouilles juste rissolées, pointe de curry / araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil / foie gras de canard poêlé et primeurs en aigre-doux / carré d’agneau de lait des Pyrénées caramélisé, côtes de romaine, fève et morilles / épaule confite dans son jus, fleurs de courgettes croustillantes / comté 18 mois / rhubarbe cuite au naturel, sablé craquant à la cardamome et crème glacée au nougat / café mignardises et chocolat.

La forme du magnum de champagne Krug 1976 est d’une grande beauté. La couleur est d’un blanc à peine rosi, le bulle est lourde et pèse sur la langue. Les senteurs de ce champagne sont d’une impressionnante variété. Il y a du doucereux et du strict, un charme féminin presque sensuel. En bouche, le champagne s’impose par une personnalité extrême. On imagine toutes les cuisines qu’il pourrait accueillir. Magnifique expression d’un champagne parfait. La pointe de curry est d’une intelligence absolue avec ce champagne envoûtant.

Le Château Laville Haut-Brion blanc 1955 a une jolie couleur discrètement dorée. Son nez est parfait, et en bouche, c’est le blanc de Bordeaux porté à son plus haut niveau. Steve, mon ami, qui collectionne ce vin rare et en possède 43 millésimes différents, pense que cette année est plus belle que toutes les autres. Sur ce qu’on boit, je suis prêt à le croire, car c’est d’une exactitude absolue. Malheureusement, la crème qui coiffe le crabe raccourcit le vin. Il faut piocher sous la crème pour avoir un accord délicieux, la chair de l’araignée se mariant merveilleusement bien.

Je n’avais pas du tout remarqué que le Vouvray d’origine 1929 avait un nez bouchonné. Fort heureusement, il n’y a aucun soupçon de trace de bouchon au goût. Ce Vouvray discrètement doux est magnifique de complexité. On peut citer tous les fruits de toutes les latitudes du globe, et on en trouvera la trace dans ce vin. Il est subtil, adorable, magique. Avec la merveilleuse chair aérienne du foie gras, c’est un plaisir absolu. La chair prolonge le vin délicatement. C’est peut-être le plus bel accord de ce dîner.

Patrick Lair, qui aura fait ce soir un travail d’une motivation et d’une sens des nuances qui méritent les remerciements les plus vifs jouit de nous voir profiter de ces vins dans les rires, la bonne humeur et la décontraction d’amis observait l’évolution de nos plaisirs. Il nous apporta un Vouvray de 1951 aimable mais limité qui eut le mérite de montrer à quel point le 1929 était dense et complet.

Le carré d’agneau est un plat d’une solidité qui plait aux vins émouvants qui arrivent. En goûtant la première gorgée du Pétrus 1947, je suis affreusement déçu. Je demande si l’on veut que je fasse ouvrir le Pétrus 1971 que j’avais apporté à titre de sécurité. Justin et Wesley, les deux enfants de Steve  disent : « on ouvre ». Je goûte à nouveau et la surprise est extrême, car le vin a instantanément ressuscité. Steve a cru que j’ai joué avec mes convives en proposant d’ouvrir le 1971, comme si je voulais les piéger, mais j’étais sincère en croyant détecter un problème qui n’existe pas. A coté du Pétrus est servi Château Latour 1924. Comment est-il possible que la couleur de ce vin soit d’un rubis aussi jeune ? C’est la couleur d’un 1986. Le vin est très Latour. Très jeune, solide, structuré complet. Mais j’ai les yeux de Chimène pour le Pétrus, d’une subtilité de ton invraisemblable. C’est son nez d’une grande discrétion qui m’envoûte par ce charme rare. Je ne retrouve pas la force habituelle de Pétrus. Mais la subtilité est telle qu’on en reste sans voix.

Sur l’épaule goûteuse, le Château Lafite 1865 mérite le respect. Lui aussi a une couleur plus jeune que celle du Pétrus, seul rouge au bouchon d’origine. Le goût est très Lafite, caractéristique de sa pureté. On boit ce vin avec la plus grande considération pour l’histoire. Ce vin est long, plein, riche comme un vin des années 40 du 20ème siècle. Comme on a les trois rouges devant soi, c’est nettement le Pétrus 1947 qui capte mon émoi. Avoir devant soi trois verres avec Latour 1924, Pétrus 1947 et Lafite 1865 ne peut en aucun cas laisser indifférent.

Je suis à peu près sûr que j’ai commis une erreur d’analyse avec le Château Chalon Clos des Logaudes 1864, le plus vieux de mes vins du Jura. J’en attendais énormément, puisqu’à l’ouverture, c’est celui qui de loin m’a le plus ému. Je suis probablement passé à côté. Et mon épouse m’a fait le reproche de l’avoir dit, ce qui influence forcément mes convives, alors que tous aimaient ce vin, mon gendre appréciant sa grande finesse. Un autre signe confirme mon contresens : Wesley, le jeune fils de Steve avait participé au dîner de l’an dernier, et au moment des votes, il avait voté strictement comme moi, ce qui est très peu fréquent. En fin de repas, je lui demande quel vin est son préféré. Et il me dit : Château Chalon. Je m’en veux doublement en écrivant ces lignes : trop d’attente et erreur de jugement. Je lui trouvais un goût de voile et de poussière. Je ne saurai pas pourquoi je ne l’ai pas aimé comme sans doute il le méritait.

La rhubarbe arrive, d’un goût exactement adapté au Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1934. C’était le plus beau nez à 17 heures à l’ouverture. Là, quelques heures après, le nez est éblouissant de soleil, de tropiques. Ce vin d’Alsace est exceptionnel. Surtout, il met à l’aise par la générosité naturelle de sa palette de saveurs. Quel grand vin ! Il ne méritait que la rhubarbe et le sablé. Bel accord. J’avais déplacé ce vin jugé puissant, initialement prévu sur le foie gras, car sa force aurait tué le Vouvray. J’ai bien fait.

Le Château Filhot 1929 a une couleur plus sombre que d’autres que j’ai. Il était prévu pour être un dessert à lui tout seul, sauf si l’on voulait goûter les palmiers du restaurant Laurent qui sont les meilleurs de la planète. Mais c’est évidemment tout seul qu’il fallait apprécier ce sauternes immense. Je pense qu’il est d’une perfection absolue. Il a tout pour lui. Je ne fais jamais de comparaison en mettant deux Sauternes côte-à-côte, mais je pense que ce Filhot se situerait très haut dans la hiérarchie des sauternes de 1929.

Je n’ai pas fait voter, car il était tard et ces infatigables américains voulaient fumer un cigare au bar Hemingway du Ritz. Mon vote personnel est en faveur des blancs qui ont montré qu’ils sont clairement et naturellement parfaits, même si boire Pétrus 1947 ne se produira pas souvent, avec cette subtilité de goût et cette émotion raffinée.

J’ai ainsi choisi : 1- Filhot 1929, 2- Gewurztraminer Hugel 1934, 3- Krug 1976, 4- Vouvray 1929. Le restaurant Laurent a réalisé une cuisine dont la simplicité et la qualité technique sont l’exact accompagnement de ces grands vins. Christèle nous a servis avec compétence et Patrick Lair a organisé le déroulement de cet événement avec talent. Il nous a dit : « vous savez, il y a beaucoup d’amateurs qui auraient aimé être à votre table ». Il a bien raison. Rappelons les années, juste pour le plaisir : 1864, 1865, 1924, 1929, 1929, 1934, 1947, 1955, 1976, 1976. A mémoriser pour la vie.

un renfort de poids samedi, 22 avril 2006

Lorsque j’ai annoncé l’arrivée de Londres de la bouteille de Lafite 1865, voici ce qu’a écrit Robert Parker sur son forum :

Well a magnum of 1864 Lafite from the Glamis castle …original cork…served at the unforgettable Robuchon dinner in Tokyo in December,2004, brought me to tears….and I don’t cry easily… not with respect to wine…..I think Broadbent had called it the "greatest wine of the 19th century’…..but he couldn’t have tasted every wine made that century….as I recall…even Robuchon was misty-eyed over this amazing wine……hope your bottle is as memorable…

ça fait plaisir !

ma cave est filmée jeudi, 20 avril 2006

Ma cave a été filmée par une équipe de Télé Monte-Carlo. Apparemment le sujet passera en juillet 2006, et sera repris sur la chaîne Odyssea. Le cameraman est un amoureux des vins anciens car ses parents avaient un magasin de vente de vins. Il a abondamment salivé. j’ai ouvert en fin de séance un Aloxe Corton Joseph Drouhin 1961.

Margaux 1937 so-so jeudi, 20 avril 2006

Il y a des jours où l’on se précipite dans la gueule du lion en faisant tout pour cela. Je vais livrer les vins pour deux prochains repas. Je passe au restaurant Ledoyen où Patrick Simian m’accueille. Nous avons discuté du menu, aussi je goûte la fourme, que je trouve trop forte pour un Sainte-Croix du Mont 1927, et j’essaie le dessert au pamplemousse. Patrick me dit qu’il a été fait spécialement pour Pierre Lurton pour accompagner Yquem. Malgré ce brevet, je demande qu’on supprime le sorbet qui raccourcit la bouche et qu’on augmente le volume de chair rose. Nous décidons de simplifier la recette des langoustines. Le cœur rassuré sans avoir eu la moindre crainte, je vais au restaurant Laurent où Patrick Lair reçoit les bouteilles d’un futur immense dîner, et la gueule du lion s’ouvre : « vous ne voulez pas manger un petit morceau ? ». Je savais qu’on me le demanderait. Et je savais que je cèderais. Mon épouse est encore dans le Sud. La perspective d’une carotte râpée devant un Sudoku est moins attirante que les ors et les stucs de cet élégant palais. Patrick me propose d’ouvrir pour moi un Château Margaux 1937 bouteille qui est en cave depuis toujours et dont j’ai déjà asséché quelques congénères avec des fortunes diverses. Va pour le Margaux. A une table voisine un ami amateur de vin célèbre l’anniversaire de sa fille de 12 ans. J’irai lui porter un verre du 1937 pour lequel nous aurons la même analyse.

Mon repas commence par des cuisses de grenouille dont l’accompagnement est infiniment trop épicé et typé. Je m’en ouvre à Patrick qui réagit instantanément : quelques minutes plus tard, une assiette de cuisses justes poêlées, aillées, avec un court jus de viande constitue un plat divin, à cent coudées au dessus de la précédente version.

Le Château Margaux 1937 a un nez convenable et une jolie couleur grenat qui ne trahit pas son âge. Mais le vin semble engoncé dans un habit de poussière. En bouche, c’est du savon et de la poussière qui masquent le message. Mais, par un de ces caprices irrationnels, sur la deuxième préparation des cuisses de grenouille, comme s’il avait compris mon enthousiasme, le vin s’est mis à devenir brillant, un vrai et beau Margaux.

Puis, estimant son effort suffisant, malgré le délicieux pied de porc, il retourne dans ses saveurs de grenier. Mon ami confirmera : poussiéreux, mais une lueur, l’espace d’un instant. Il est certain que le résultat eût été tout autre avec quatre heures d’oxygène de plus, tant cet adjuvant fait des miracles.

Pendant ce temps, Patrick faisait mes relations publiques auprès de Philippins qui organisent des événements d’exception. Je ne me fis pas prier quand on me demanda d’être photographié auprès d’une ravissante femme au visage de pure perfection qui semblait boire mes paroles lorsque je racontais les vins de mes dîners.

Le dessert dut pris à la table de mes amis au moment où les cadeaux se distribuaient. Un vin liquoreux allemand de 2004, perlant comme un vin de la veille est franchement trop jeune pour mon palais.

Ce Margaux 1937 ne marquera pas ma mémoire, mais la gentillesse de ce restaurant, oui.

an immense Henri Jayer wine and a so-so Coche-Dury by Michel Bras dimanche, 16 avril 2006

I have celebrated with my wife the anniversary of 40 years of our wedding. We went to Laguiole, in the hotel and restaurant of Michel Bras.
To go to Laguiole is a real adventure as this hotel is in the middle of nowhere.
The building is extremely modern and expresses the personality of Michel Bras, the son of this difficult and poor region.
We spent two days, which gave us two opportunities to discover the way of cooking of Michel Bras. In a recent study, classifying the chefs, he was named number six in the world, and second French, just after Gagnaire.
The way of cooking has a high level of perfection. But the will to show many different tastes in the same preparation does not correspond too much to my personal search. So, compared with a Marc Veyrat whose creation is endless, I must say that I was more attracted by the style of Veyrat than by the very proper and justified style of Michel Bras.
The greatest splendour of the place is the wine list.
I complain with the Parisian wine lists which have insane prices. There the prices are absolutely normal and show a very appreciable approach.
In such a case, I want to show a sign by ordering nice wines, to give, at my modest level, a reward to their attitude.
So, the first dinner I ordered a Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1992. I had almost tears of pleasure with that incredible wine. I would be happy to know if some people who have drunk this wine have had the same impression.
The nose has the smell of a jam of red berries. It is sweet, candied fruits, smells of jam of roses. It is like a perfume. And in mouth this is the ultimate form of an easy wine. The wine tastes as if it was a new born wine, just taken from the barrel. And it is a easy as a village wine. It is so pure, so direct as if it were just pressed. It is, for my opinion, the definition of a pure wine, as the David of Michel-Angelo is the pure definition of the proportions in a human body. I was pleased at an immense level, saying every minute to my wife how I enjoyed this wine. It is certainly my best ever Henri Jayer.
The second day, I ordered a Corton-Charlemagne J.F. Coche-Dury 1997. By the first smell, I knew that it did not please me. The first smell was mineral, like petrol, but this petrol disappeared. The wine, for me, was too much. There was power, and not elegance. Of course it is a great wine, but after the seduction of the Henri Jayer, this wine, much worked, did not please me. I cannot be suspected to have anything against Coche-Dury, as I have adored the CC 96 and the 90. But this wine was too much. And I was desperate, as it was our wedding anniversary. I felt trapped by this wine. So, I drank it as I felt that it would have been too much to change for another wine, as it represents a great wine.
And my patience was rewarded, as at the moment of the cheese course, I saw a local cheese, a Laguiole of 6 months, which is like a Cantal, a little softer. And the CC plus the cheese went wonderfully together.
The cook of Michel Bras, made of very authentic tastes, with a regional expression was marvellously enlarged by the authenticity of the Henri Jayer wine. The Coche-Dury, more civilised than authentic, more urban modern style, was not adapted to this cook.
So, one great wine at an unbelievable level. A great wine not giving me the pleasure I was looking for. The world of wine is full of surprises.

Le rapport avec le vin : plaisir ou domination ? vendredi, 14 avril 2006

La dégustation à l’aveugle, ou le besoin de noter, correspondent à un rapport d’autorité avec le vin. Avez-vous remarqué les gens qui ont un chien? Il y a ceux qui entretiennent avec leur chien un rapport confiant. Le chien est vraiment l’animal de compagnie. Et il y a ceux qui ne voient en leur chien qu’un objet de domination. « Ici », « couché », « non », « tranquille », « rapporte », … Ces comportements d’autorité compensent certainement un mal être.

Peut-on pousser l’analogie avec le vin ? Pourquoi ce besoin de noter, de juger, de proclamer qu’un petit vin à deux sous vaut plus gustativement qu’un grand cru encensé ? Est-ce pour compenser un mal-être par rapport au coût des vins ? Est-ce pour justifier que n’ayant pas les moyens d’acheter les plus grands vins, il faut une désacralisation des idoles ? C’est peut-être aller trop loin, mais ce besoin de juger, de montrer qu’on domine le vin au point de le noter, de le classer, d’en faire un bon ou mauvais élève procède d’un manque de sérénité.

On ne mange jamais trois gigots en même temps pour dire quel est le meilleur. Pourquoi ne pas profiter d’un vin pour lui-même ? Sans ce besoin de domination qui donne à l’amateur le sentiment qu’il est le juge suprême. On gagnerait beaucoup à bien séparer la fonction achat, dans laquelle il est logique et judicieux de comparer de la fonction plaisir, où le fait de boire un vin doit être une rencontre entre le message d’une terre, d’une appellation, d’un vigneron, d’un vinificateur et d’un dégustateur.

Je rêverais de commentaires où celui qui a bu dit : « c’est bon ».