Margaux 1937 so-sojeudi, 20 avril 2006

Il y a des jours où l’on se précipite dans la gueule du lion en faisant tout pour cela. Je vais livrer les vins pour deux prochains repas. Je passe au restaurant Ledoyen où Patrick Simian m’accueille. Nous avons discuté du menu, aussi je goûte la fourme, que je trouve trop forte pour un Sainte-Croix du Mont 1927, et j’essaie le dessert au pamplemousse. Patrick me dit qu’il a été fait spécialement pour Pierre Lurton pour accompagner Yquem. Malgré ce brevet, je demande qu’on supprime le sorbet qui raccourcit la bouche et qu’on augmente le volume de chair rose. Nous décidons de simplifier la recette des langoustines. Le cœur rassuré sans avoir eu la moindre crainte, je vais au restaurant Laurent où Patrick Lair reçoit les bouteilles d’un futur immense dîner, et la gueule du lion s’ouvre : « vous ne voulez pas manger un petit morceau ? ». Je savais qu’on me le demanderait. Et je savais que je cèderais. Mon épouse est encore dans le Sud. La perspective d’une carotte râpée devant un Sudoku est moins attirante que les ors et les stucs de cet élégant palais. Patrick me propose d’ouvrir pour moi un Château Margaux 1937 bouteille qui est en cave depuis toujours et dont j’ai déjà asséché quelques congénères avec des fortunes diverses. Va pour le Margaux. A une table voisine un ami amateur de vin célèbre l’anniversaire de sa fille de 12 ans. J’irai lui porter un verre du 1937 pour lequel nous aurons la même analyse.

Mon repas commence par des cuisses de grenouille dont l’accompagnement est infiniment trop épicé et typé. Je m’en ouvre à Patrick qui réagit instantanément : quelques minutes plus tard, une assiette de cuisses justes poêlées, aillées, avec un court jus de viande constitue un plat divin, à cent coudées au dessus de la précédente version.

Le Château Margaux 1937 a un nez convenable et une jolie couleur grenat qui ne trahit pas son âge. Mais le vin semble engoncé dans un habit de poussière. En bouche, c’est du savon et de la poussière qui masquent le message. Mais, par un de ces caprices irrationnels, sur la deuxième préparation des cuisses de grenouille, comme s’il avait compris mon enthousiasme, le vin s’est mis à devenir brillant, un vrai et beau Margaux.

Puis, estimant son effort suffisant, malgré le délicieux pied de porc, il retourne dans ses saveurs de grenier. Mon ami confirmera : poussiéreux, mais une lueur, l’espace d’un instant. Il est certain que le résultat eût été tout autre avec quatre heures d’oxygène de plus, tant cet adjuvant fait des miracles.

Pendant ce temps, Patrick faisait mes relations publiques auprès de Philippins qui organisent des événements d’exception. Je ne me fis pas prier quand on me demanda d’être photographié auprès d’une ravissante femme au visage de pure perfection qui semblait boire mes paroles lorsque je racontais les vins de mes dîners.

Le dessert dut pris à la table de mes amis au moment où les cadeaux se distribuaient. Un vin liquoreux allemand de 2004, perlant comme un vin de la veille est franchement trop jeune pour mon palais.

Ce Margaux 1937 ne marquera pas ma mémoire, mais la gentillesse de ce restaurant, oui.